Ayant été appelé,
vers la fin du mois d'octobre 1880, A donner des soins à une jeune
fille, mademoiselle C..., agée de dix-huit ans, pour des troubles survenus
dès le 14 septembre à la suite de nombreux bains de mer, et
peut-être aussi de quelques contrariétés, je m'aperçus, dès ma
première visite, que je pouvais & distance et par ma seule présence
modifier l'état de sa sensibilité et de ses
mouvements nu milieu de ses plus fortes attaques
nerveuses. Ces attaques nerveuses consistaient en mouvements convulsifs, en
accès de somnambulisme, en accès do sommeil. Durant les attaques
nerveuses convulsives et somnambuliques, elle se débattait, se heurtait a
droite et a gauche, cherchait parfois à mordre les personnes qui autour d'elle s'efforçaient do la protéger contre
le désordre ou la violence de ses propres mouvements, parlait avec plus ou
moins du suite apparente dans les idées, tentait
parfois d'enjamber la fenêtre, mais elle n'entendait pas et ne semblait pas voir. Quand, à ce moment,
on pressait le creux épigastrique ou
la région occipitale, elle y ressentait une vive douleur. Cette douleur
y était aussi ressentie spontanément, car elle portait fréquemment la main a ces régions, criant souvent que sa tôle
ou son estomac lui faisait mal, tout en s'agitant et pleurant. Le cuir chevelu était le siège d'une vive
hyperesthésie. Les attaques nerveuses étaient au nombre de deux, trois
et môme plus par jour (parfois dix et même douze), et commençaient et
finissaient tantôt et même le plus souvent brusquement, tantôt lentement,
c'est-à-dire que brusquement ou
lentement elle perdait la notion de ce qui se passait autour d'elle, et
que brusquement ou lentement elle revenait à elle. Ces attaques
nerveuses étaient plus ou moins rapprochées
l'une de l'autre, et lorsqu'elles étaient bornées à une ou deux par jour, elles revenaient assez
régulièrement aux mêmes heures. Parfois elles finissaient par un
profond sommeil pendant lequel elle rêvait.
Bans l'intervalle des attaques, elle
reprenait l'usage entier de ses facultés cérébrales, mais elle conservait de
l'endolorissement au creux épigastrique, à l'occiput et au cuir chevelu
en général. Elle ne se souvenait alors de rien, sinon d'avoir éprouvé un
redoublement de sa douleur épigastrique ou de sa névralgie cervicale, après lequel elle ne savait
plus ce qui s'était passé. Ces recrudescences de douleur constituaient
une sorte d'aura. Il importe de noter ici que nulle part la sensibilité cutanée
n'était diminuée ou abolie dans les intervalles des accès.
I. Nom verrons plus tard qu'en réalité il
existait un certain degré d'hemianesthésie gauche
que l'on pourrait appeler latente, et que tes modifications produites
par la neurisation ont plusieurs fois mise on relief.
Parmi ces accès, il en était un, le plus
habituel, qui était ainsi caractérisé;
La malade
s'affaissait rapidement au risque de se blesser, ce qui d'ailleurs lui est arrivé maintes fois.
Puis bientôt elle se levait, gesticulait, parlait, se promenait, riait ou
pleurait. Ses yeux étaient tantôt grand ouverts, mais avec l'aspect d'yeux
amaurotiques, tantôt fermés. Elle donnait
alors des noms d'animaux aux personnes qui l'entouraient : veau,
petit veau, père et mère de petit veau, chat, léopard, lion, etc.
Elle donnait a son mouchoir le nom d'une feuille d'arbre, feuille de
figuier. Elle appelait coussin vieux le bras ou le genou de telle
personne, et coussin neuf le bras ou le genou de telle autre personne.
Elle ne se trompait
jamais. Le toucher avait acquis chez elle un degré de sensibilité tres vif, étonnant
même; en effet, si on " mettait en contact avec sa main plusieurs mains
différentes, sans qu'elle pût en recevoir l'impression par les yeux, elle
les tâtait et les reconnaissait toutes en donnant a chaque main
particulière le nom d'un animal, et
ce nom était toujours le môme pour chaque même main, dans chaque
crise et avec les mêmes précautions prises.
Si on lui donnait une petite tape sur la
joue, c'était pour elle un coup de pied de
l'animal désigné auquel appartenait la main et elle ne se trompait
jamais, que la tape fut donnée en se plaçant au-devant
d'elle ou par derrière, de façon à ne pas impressionner la
rétine.
Comme elle avait
ainsi fréquemment l'occasion d'appeler petit veau une personne qui fréquentait
la maison et qui se prêtait à lu maintenir pour
l'empêcher de se blesser, nous appelions ce genre d'attaque nerveuse : crise du petit
veau.
Quand
elle revenait & elle, ou soit â l'état normal) elle ne se souvenait plus de
rien, mais dans une prochaine crise elle paraissait se souvenir de l'attaque
précédente. Cet état nerveux s'était compliqué d'inappétence, de diarrhée, de fièvre nerveuse, de suppression des
règles, de contractures diverses, parmi lesquelles une contracture du
pied en varusqui dura plus de quinze jours une
première fois. Ce fut précisément Ace moment que je fus appelé. Je dirai
plus tard comment, en quelques secondes, je déterminai la résolution de cette
contracture.
J'appris alors des parents qu'elle avait
été réglée à onze ou douze ans et
assez biendepuis. Le pere est mort a l'age de trente deux ans
des suites d'une fièvre intermittente à forme pernicieuse avec délire. La
mère vit encore et se porte bien. Nous n'avons a noter aucune particularité dans la santé
des grands parents paternels et maternels.
On a remarqué que la
jeune fille devenait très nerveuse plusieurs heures avant les
orages, mais jamais ses cheveux n'ont été le siège de pétillements électriques.
Ce mauvais état de
santé dans lequel nous la trouvâmes dura plusieurs mois, mais au fur et a mesure que je me
perfectionnais dans la connaissance de mes moyens d'action, je pus apporter
chez elle un grand soulagement et, je puis le dire sans hésitation, laguérison.
Le moyen qui m'a surtout réussi pour la
soulager et la guérir, en éloignant et supprimant les attaques, c'était l'hypnotisation
pratiquée delà manière que j'indiquerai
plus tard.
Je dois dire qu'au fur et à mesure
que la malade revenait â la santé, son impressionnabilité aux moyens que
j'employais diminuait.
Je profitai de ma
découverte fortuite pour commencer une série d'expériences que j'ai pu
poursuivre, répéter, étendre, développer et compléter â mon gré, durant plus de six mois,
grâce à l'entière confiance qui m'était accordée par toute la
famille, confiance qu'une amélioration évidente (précédemment nulle, malgré
tous les moyens thérapeutiques employés) et ensuite la guérison définitive, assez rapidement obtenue, ne
lardèrent pas d'ailleurs & justifier.
Les
recherches faites soit pendant les attaques, soit dans leurs intervalles, sur un sujet parfaitement
sincère et dont la sincérité a été d'ailleurs souvent mise à
l'épreuve, m'ont permis de confirmèrun certain nombre de faits signalés et parfois exploités par divers
magnétiseurs et d'en découvrir d'autres nouveaux et tout a fait intéressants pour ta physique, l'anatomie,
la physiologie, la pathologie et la thérapeutique, et, d'une
manière plus générale, pourbiologie.
J'ai procédé dans mes expériences avec
toute la rigueur scientifique dont je puis être capable, et je
n'avancerai aucun lait qui n'ait été plusieurs fois observé entièrement
par moi, et ne se soit rencontré toujours identique « lui-même dans les
memes conditions d'expérimentation.
Je n'ai été engagé ou conduit dans cette
voie de recherches par aucune idée préconçue, et jamais avant celte époque je
ne m'étais occupé personnellement de magnétisme. J'avais seulement
assisté, trois ans auparavant, aquelques séances d'un magnétiseur
célèbre, D... Quant aux ouvrages traitant du magnétisme, je n'en
connaissais aucun, et j'évitai môme d'en consulter durant le cours de l'étude
que je poursuivais.
Le hasard d'abord, puis la rigueur que
j'apportais dans mes observations et mes expérimentations, m'ont permis de
constater et de provoquer certains
phénomènes bien positifs, lesquels à leur tour ont été
l'occasion et le point de départ de la recherche, par voie d'induction, de
nouveaux phénomènes.
Au fur et a mesure que
j'avançais dans cette étude expérimentale j'ai vu se dérouler une série de
phénomènes analogues, sinon identiques, à ceux qui se produisent
sous l'influence ou par l'action de cette force particulière connue
dans le monde, surtout depuis Mesmer, sous le nom de magnétisme animal. Mais
qu'est-elle celte force particulière? Examinons d'abord quelles sont les
forces connues qui se développent dans le corps humain vivant. Nous voyons que
le double travail extérieur et intérieur auquel l'homme est soumis incessamment pour favoriser son développement,
assurer sa conservation et sa propagation exige une dépense
considérable de force. Or cette force,
constamment renouvelée sous peine de mort, se manifeste sous différentes formes qui sont la
chaleur, la contractibililé musculaire, l'électricité et enfin la force
nerveuse Je suis porté a croire que si ce n'est la force nerveuse
elle-même qu'il m'a été donné
d'étudier, ce doit être tout au moins un de ses dérivés les plus
prochains.
Cette force, nous rappellerons force neurique,
agent neuriqe, neuricité.
Nous verrons que dans son essence et son
action elle présente certaines analogies
frappantes avec d'autres forces qui sont: la chaleur, la lumière,
l'électricité et le magnétisme.
Nous sommes portés a croire que la force
neurique a son siège dans le système nerveux; mais elle n'y reste
pas emprisonnée toute entière. Une partie s'en échappe en quelque sorte
pour rayonner au dehors, dans l'espace. C'est pour cette raison que nous lui donnons l'épithète de rayonnante
pour la distinguer d'une autre portion qui circule dans le
corps humain et très probablement le long des fibres nerveuses, et
d'une dernière portion qui, selon toute probabilité aussi, y existe a
l'état de repos relatif ou de tension.
11 serait donc permis
d'avancer que la force neurique, ou neuricite, existe dans le corps de l'homme sous deux états :
1» à Vêlai statique, a côté tout au moins de l'activité
propre des éléments nerveux, fibres et cellules, laquelle est admise sous le
nom de neuricitê pour les libres nerveuses (Lewes et Vulpian),
tandis que celle des cellules nerveuses proprement dites n'a pas reçu encore de dénomination spéciale; 2
à l'état dynamique, comprenant une circulation intérieure le long des fibres nerveuses et un rayonnement
ou expansion au dehors.
1.
La matière organique, les corps organisés et parmi ceux-ci les
organismes perfectionnes qui ont subi la loi de la division du travail
peuvent, comme les corps inorganiques placés dans certaine*
conditions et sous centaines influences, être le siège d'une
modification intime,qui pourra
à son tour se traduire: 1par
do la chaleur (chaleur dite animale, produite par la combustion dans les
tissus des matériaux organiques qui y sont
apportés par la circulation; et d'autre part : chaleur développée dans toute
substance minérale par une action physique ou chimique) ; 2 par de l'électricité
(manifestations électriques constatées dans le système nerveux cites
l'homme; production d'électricité dans la torpille, le
gymnote, etc.);3et
même par de la lumière (vers luisants,
lucioles et, plus bat dans l'échelle animale, les noctiluques, animalcules
du groupe des rhizopodes, qui sont la cause do là phosphorescence de la mer dans certaines
circonstances, etc.).
D'après le résultat de nos observations
la force neurique
rayonnante émane du corps humain par trois points
différents et
principaux : 1 les yeux (ou soit les nerfs
optiques); 2 l'extrémité
libredesdoigts (on soit les nerfs collateraux dorsaux et palmaires
des doigts); 3 la
bouche par le souille (ou soit les nerfs pneumogastriques). Il faut y ajouter le sommet des
angles que forment
les articulations
des doigts et du coude fléchis, ce qui indique déjà
que la force neurique, comme
l'électricité, s'échappe par les
pointes. Pourtant j'ai cru constater que
l'extrémité du nez ne
donnait lieu à aucune émanation de
force neurique.
J'ai parfaitement reconnu que les surfaces
planes du corps
n'étaient le siège d'aucun
rayonnement de la force neurique.
Je n'ai pas fait ou cru devoir faire l'expérience
avec les pieds,
mais il est très probable et facile
à prévoir que les extrémités des
orteils, comme les extrémités des doigts,
donnent lieu à une émanation de force neurique.
Cette force neurique, ou mieux cette portion
excédante de la force neurique qui franchit ainsi, dans son mouvement d'expansion,
les limites extérieures du corps humain, est douée de propriétés
intrinsèques et de propriétés extrinsèques. Les propriétés intrinsèques
de la force neurique rayonnante sont des propriétés d'ordre physique
analogues à celles de la chaleur, de la lumière et de
l'électricité.
Les propriétés extrinsèques se déduisent
des modifications que
1.
J'aidû adopter tes
termes émaner et s'echapper qui existent dans te vocabulaire
scientifique;
j'ai de méme été dans l'obligation d'employer d'autres termes analogues
qui
impliquent l'idée dutransport de
quoique substance dans t'espaces et à travers les
corps,
la théorie ancienne et primitive du transport a eté justement
remplacée par cette
de la propagation par le moyen
de vibrations ou d'ondulations. Seulement, si les
théories passent, les termes
restent et leur survivent quoique temps, employés pour
la
commodité du langage. On dit encore que te soleil se levé et qu'il se couche,
qu'il
monte
ou descend a l'horizon,etc., etc.
Je n'ai fait que me conformer volontairement
à l'erreur commune.
On verra d'ailleurs, par lu suite, ce que je pense do la nature
de
ta force neurique.