CHAPITRE I
CIRCONSTANCES QUl ONT PRÉSIDÉ A LA DÉCOUVERTS DE LA FORCE
NEURIQUE, ET A SON EMPLOI CHEZ MLLE C...
J'ai dit, en
commençant, que dès ma première visite auprès de Mlle C... je
m'aperçus que je pouvais à distance et par ma seule présence modifier l'état de sa sensibilité
et de ses mouvements au milieu de ses
attaques nerveuses les plus fortes,
Malgré les soins
éclairés et dévoués d'un de mes confrères, l'état de Mlle C... ne faisait qu'empirer. Je fus
alors appelé à la voir avec ce
confrère, et lorsque nous arrivâmes auprès d'elle nous la trouvâmes
en pleine attaque nerveuse.
Le creux
épigastrique et le cuir chevelu étaient le siège de très vives
douleurs. La moindre pression, le simple frôlement de la main sur ces régions faisaient pousser des
cris perçants à la malade. Venait-on à loucher l'extrémité
flottante d'un de ses cheveux, elle poussait un gémissement significatif
et détournait ou éloignait la tete.
Comme elle était en proie a une grande
agitation nous tenions les bras demi-soulevés et dirigés vers elle, prêts
à l'empêcher de se blesser dans le désordre de ses mouvements. Or
nous avions été frappés de ce que chaque fois que nos mains venaient à
se trouver a la hauteur de sa tète, elle s'en éloignait brusquement,
soit en fuyant, soit en se baissant vers le sol.
Je pensai tout
d'abord, pour ma part, que si elle essayait ainsi de fuir le contact possible de nos mains
prêtes a la secourir cela tenait
à ce que celles-ci avaient pu frôler quelque cheveu flottant, et
exaspéré ainsi l'hyperesthésie si vive dont le cuir chevelu était le siège. J'étais d'autant plus enclin
à interpréter ainsi cette sorte de répulsion instinctive, qu'elle
se manifestait aussi bien lorsque nous étions en regard de son occiput qu'en
regard de son front.
Je voulus connaître la véritable raison de
cette fuite en présence de nos mains alors môme que la malade ne pouvait pas
les voir. Je me tins assez loin d'elle pour qu'aucun cheveu flottant,
fût-il très ténu, ne pût etre frôlé par mes mains. Toutes
les fois que mes mains étaient ainsi a une distance convenable, portées à la hauteur et dans la direction du cuir
chevelu de la malade, que ce fût en avant ou en arrière,
toujours elle s'échappait en gémissant.
Je pensai alors que l'hyperesthésie du
cuir chevelu avait dû atteindre un degré tel d'acuité que l'agitation
seule, même très légère,
de l'air opérée par nos mains devait l'exaspérer.
Ma curiosité se
trouvait déjà vivement excitée. Voulant donc n'assurer si
l'agitation de l'air produite, pensais-je, par mes mains, était la cause réelle de cette
recrudescence de l'hyperesthésie du cuir
chevelu, je me tins à la distance de la malade de 3 mètres environ.
Ensuite je soulevai lentement mes bras et dirigeai mes doigts vers sa
tète. Aussitôt que les doigts furent en regard du cuir chevelu la malade
poussa le même gémissement et s'enfuit. Je répétai l'expérience en
prenant les mêmes précautions; le résultat fui le même aussi bien
lorsque mes doigts visaient la partie antérieure que lorsqu'ils visaient la
partie postérieure de son cuir chevelu.
J'avais, ai-je dit plus
haut, assisté trois ans auparavant a des séances de magnétisme données à
Nice par M. D... avec le concours de son sujet, Mlle L... A cette époque mes
connaissances en magnétisme se bornaient au souvenir de faits observés dans ces
memes séances. Je n'ignorais pas, cependant, que Mesmer avait été, sinon
l'inventeur, au moins le grand apôtre du magnétisme animal; que ce
dernier terme avait d'ailleurs été appliqué par lui à une action qui
serait propre au corps et qu'il disait posséder au plus haut degré. Je me doutais & peine qu'il existait toute une
série de livres et de publications périodiques sur cette matière.
J'avais par contre, une connaissance assez exacte des recherches de M. le professeur Charcot sur l'hystérie et l'hystéro-épilepsie.
Par contre le nom de Braid, l'auteur de la Neurhypnologie m'était
à peine connu. D'autre part, je me souvenais vaguement avoir entendu
dire par un de mes maîtres dans les hôpitaux qu'Aran avait hypnotisé plusieurs
fois des malades. Enfin j'avais une très vague idée des polémiques
innombrables et si passionnées qui depuis Mesmer occupaient le public. Mais ce que je savais bien, c'est que les pratiques
du magnétisme animal n'étaient pas en faveur
auprès de l'École, que si, du reste, il y avait quelque grande vérité
cachée dans les phénomènes du magnétisme animal, il y avait quelque
danger pour un médecin adonné à la pratique de son art, d'essayer de
dégager celte vérité à son tour. D'autre part, n'y aurait-il pas
eu un danger plus immédiat, celui de se couvrir de ridicule en voulant
mettre en pratique les enseignements sommaires et forcément incomplets puisés
dans des séances données par un magnétiseur de profession? Ces diverses considérations ne furent pas assez
puissantes pour étouffer ma curiosité et m'arréter ainsi dans mes
recherches. J'entraînai un peu a l'écart du groupe des parents Mlle G... qui
était toujours en pleine attaque nerveuse; puis faisant, je l'avoue, a certain effort pour vaincre
des hésitations nées de l'incertitude de la réussite, je promenai ma main ouverte
au-devant de la figure et du tronc de la
jeune fille, de haut en bas, a ta distance de 4 à 5 centimètres. Je fis en
d'autres termes des passes descendantes devant sa ligure.
A peine avais-je
fait trois ou quatre de ces passes que Mlle G... prononça ces simples paroles:
a J'ai sommeil », puis elle s'affaissa brusquement au point que j'eus quelque peine a l'empècher de tomber. Je réussis a l'asseoir
sur un canapé qui se trouvait a quelques pas de nous, et lis signe aux parents
qu'elle dormait, qu'elle était maintenant tout à fait calme.
Ce premier
succès n'était pas de nature à m'enlever tout embarras. Je me trouvais en présence d'un
sujet endormi par moi, et celte situation était toute nouvelle pour moi.
Pourrais-je maintenant réveiller ma malade? Ce fut ma première
préoccupation. J'avais vu le magnétiseur D... réveiller son sujet en soufflant
sur ses yeux, je fis de même à
l'égard de Mlle C..., et, pour mieux
réussir, dans ma pensée, j'y ajoutai un fort pincement au bras. Elle se réveilla presque aussitôt se plaignant d'une vive
douleur au point où je l'avais pincée. A ce moment 1'état général de la
malade était assez bon.
Ce fut pour tous les assistants un
événement des plus surprenants. Je refis l'expérience. Je venais d'apprendre
par moi-même que des passes faites de haut en bas au-devant du corps de
Mlle C... l'endormaient, et que l'action de souffler dans ses yeux la
réveillait. Je relis les mêmes passes, et elle s'endormit, les membres
dans la résolution, la tète inclinée, et ne sentant plus rien. J'étais
maintenant plus rassuré puisque je savais que je pouvais la réveiller, Pendant
qu'elle dormait je me demandai si je ne
pourrais pas provoquer sur ce sujet improvisé des phénomènes autres
que te sommeil et le réveil. Le magnétiseur D..., j'en avais conservé te
souvenir précis, provoquait la raideur du bras de son sujet en soulevant ce
bras et en le tendant horizontalement. Je fis de môme et le bras resta raide.
Je m'aperçus ensuite que ce membre était en catalepsie car je pus le placer
dans toutes les positions que permettait le
jeu des articulations, et il se maintenait de lui-même dans ces
diverses positions. Les doigts gardèrent de même toutes les positions que je leur avais
données, compatibles du reste avec le
mouvement des articulations. Mais il fallait maintenant redonner au
bras ainsi raidi toute sa souplesse première. J'eus recours pour cela au
procédé que j'avais vu employer au magnétiseur déjà cité : je malaxai le
bras en tous sens, j'agis sur les principales
articulations en le secouant legeremént et le bras tomba inerte à
côté du tronc.
Cela fait, je fis se lever la malade, qui
était assise, en lu tirant doucement sur ses bras; ensuite je la poussai
légèrement parles épaules, et elle parcourut la chambre en ligne droite.
Arrivée a l'extrémité opposée elle s'arrêta contre le mur, se retourna
vivement et revint vers le canapé au point d'où elle était partie. Je
fis cette expérience plusieurs fois tantôt en laissant ses bras dans l'inertie
et tantôt en les mettant en catalepsie. Puis je la réveillai en soufflant sur
ses globes oculaires.
Ces premières expériences
montraient clairement que j'étais capable
d'exercer une influence assez grande sur l'état nerveux de Mlle C... et
que celle influence lui était salutaire puisque je pouvais faire cesser ses
attaques. Et comme l'influence que pouvait exercer
mon confrère sur Mile C... était extrêmement faible, pour ne
pas dire nulle, et que d'ailleurs toute médication pharmaceutique avait échoué jusqu'alors entre ses mains,
malgré son dévouement et son expérience, il fut convenu d'un commun
accord que je prendrais désormais tout seul lu direction du traitement.
L'utilité de la nouvelle médication que je
venais d'instituer à peine se manifesta bientôt de nouveau dans une
circonstance qui mérite d'être rappelée ici.
Au moment où
je vis la malade pour la première fois, elle était affectée depuis quinze jours d'un double
pied bol varus par contracture musculaire.
Aucun remède n'avait pu apporter la moindre modification favorable dans cette déformation
accidentelle. On ne pouvait plus
chausser la malade, et l'on avait pris le parti d'envelopper ses pieds
de linges épais, au moyen desquels elle pouvait sans trop se blesser les appuyer par terre et marcher soutenue par deux
personnes.
Aucune traction
n'était capable de redresser les pieds fortement maintenus en adduction et rotation en dedans par
la contracture musculaire. Le 31 octobre
1880 j'eus l'idée de promener ma main de haut en bas sur ta partie
inférieure nue des jambes, insistant particulièrement
sur les muscles contractés. En quelques minutes les pieds reprirent leur place normale a la grande satisfaction de la
pauvre malade qui put les mouvoir a son aise et marcher ensuite sans
difficulté.
Le lendemain la contracture
musculaire s'étant reproduite en partie, je la fis cesser en quelques secondes par les mêmes manoeuvres,
celte fois à travers les bas.
Un peu plus tard, le 6 novembre 1880,
cette contracture se reproduisit, et comme alors j'avais fait de notables progrés
dans la connaissance des divers modes d'emploi dé la force neurique, je pus
déterminer la résolution des muscles contractures a la distance d'un
mètre et demi environ par des passes perpendiculaires dirigées vers la
face externe des pieds et venant vers moi (passes perpendiculaires centrifuges
ou sortantes).
Je fis à la
malade des visites fréquentes. Chaque visite fut marquée par un nouveau
progrés dans la connaissance des modes d'emploi et des effets de la force neurique, et suivie
en môme temps d'un degré plus avancé dans
l'amélioration de la santé de la jeune malade. 11 nous fut ainsi permis
de servira la fois la science et la pratique.
Deux moyens
s'offraient à nous de faire connaître l'histoire pathologique complète de cette
jeune fille avec tous les phénomènes
que l'emploi de la force neurique m'avait permis de provoquer et
d'observer. Le premier moyen consistait à publier les notes telles que
je les avais prises au fur et à mesure de mon intervention. Le second
moyen consistait à reprendre toutes ces notes, et à classer dans
un ordre logique les documents dont elles se composaient. J'ai adopté ce
dernier mode de publication et depuis six ans j'ai consacré a ta préparation de
ce travail tout le temps que me laissaient les loisirs relatifs de la saison
d'été.
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