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Le Magnetisme Animal

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CHAPITRE III

Histoire du Magnétisme animal. — Braid: l'hypnotisme. — Grimes, Azam, Durand de Gros, Demarquay et Giraud-Teulon, Liébeault, Ch. Richet, Charcot et P. Richer.

Au moment où l'Académie de médecine condamnait à mort le magnétisme animal, un modeste chirurgien de Manchester, le docteur James Braid, portait la question sur son véritable terrain, le terrain de l'observation et de l'expérience. C'est Braid qu'il faut considérer comme l'initiateur de l'étude scientifique du magnétisme animal. Aussi, pour exprimer le changement de méthode qu'il a opéré, a-t-on l'habitude de remplacer le nom de magnétisme animal par celui d'hypnotisme, qu'il a lui-même donné au sommeil nerveux provoqué. Magnétisme et hypnotisme sont, au fond, des termes synonymes; mais le premier de ces termes implique un certain nombre de phénomènes complexes et extraordinaires, qui ont toujours compromis la cause de ces études fécondes. Le terme hypnotisme désigne exclusivement un état nerveux défini, observable dans certaines conditions, selon les règles ordinaires, mis en œuvre par des procédés connus et nullement mystérieux, et ayant pour base des modifications dans les fonctions du système nerveux du patient. On voit donc que l'hypnotisme est sorti du magnétisme animal comme les sciences physico-chimiques sont sorties des sciences occultes du moyen âge.

Braid avait d'abord pris connaissance des expériences de magné Usine en curieux et même en sceptique. Au mois de novembre 1841, il eut pour la première fois l'occasion d'assister à ces expériences, données publiquement par un magnétiseur suisse, M. Lafontaine. Persuadé que les phénomènes qu'il avait sous les yeux étaient le résultat d'une habile comédie, il eut le désir de r echercher par quel moyen l'opérateur parvenait à duper l'assistance. Il se convainquit bientôt que ces phénomènes, quoique étranges, étaient parfaitement réels. Mais il ne trouva aucune raison d'admettre, avec Lafontaine, qu'ils fussent la conséquence d'une action personnelle de l'opérateur sur l'opéré, par l'inter­ médiaire d'un fluide magnétique; il pensa que cet état était simplement un état subjectif, indépendant de toute influence venue du dehors. Tel fut le premier résultat des recherches de Braid: il démontra l'inutilité de la doctrine du fluide pour expliquer les phénomènes hypnotiques.

Voici, selon son propre récit, comment Braid fut amené à cette découverte (1). A la première séance de magnétisme, tout ce qu'il vit le laissa incrédule. A la seconde, six jours après, son attention fut attirée par un fait, l'impossibilité pour le patient d'ouvrir ses paupières. Il considéra cette impossibilité comme un phénomène réel, dont il chercha la cause physique; cette cause, pensa-t-il, doit être cherchée dans la fixité du regard, dont le résultat est d'épuiser et de paralyser les centres nerveux dans les yeux et leurs dépendances. Peu importe que l'explication soit bonne ou mauvaise, ce n'est qu'un détail; l'important, c'est que Braid considéra ce premier symptôme de l'hypnotisme, le spasme de lorbiculaire des paupi è res, comme le résultat d'une modifi­ cation dans l'état du système nerveux. Deux jours plus tard, il commença devant sa famille et ses amis une série d'expériences pour justifier sa théorie. Je priai, dit-il, M. Walker (son ami) de s'asseoir et de regarder fixement le col d'une bouteille de vin, assez élevée au-dessus de lui pour produire une fatigue consi­ dérable sur les yeux et sur les paupières, pendant qu'il la regarderait attentivement. En trois minutes, ses paupières se fermèrent, un flot de larmes coula le long de ses joues, sa tête s'inclina, son visage se contracta légèrement, un gémissement

lui échappa, et à l'instant il tomba dans un profond sommeil .............

L'agitation et l'effroi de ce patient au moment du réveil éton­nèrent beaucoup M me Braid. Elle se montra très surprise de le voir aussi effrayé sans cause, car, ne m'ayant pas perdu de vue, ell e ne m'avait vu ni m'approcher de lui, ni le toucher en aucune façon. Je lui proposai de su soumettre elle-même à l'opération; elle y consentit très volontiers, assurant tous ceux qui l'en touraient qu'elle ne serait pas aussi facile à effrayer que la personne précédente. Je la fis asseoir et la priai de tenir son regard attaché sur l'ornement d'un sucrier en porcelaine; ce sucrier formait avec tes yeux un angle à peu près semblable à celui qui était formé par la bouteille dans l'expérience précé­ dente. En deux minutes, ses traits avaient changé d'expres­sion. Au bout de deux minutes et demie, les paupières se fermaient convulsivement; la bouche se déformait; la patiente poussa un profond soupir, sa poitrine se souleva, elle tomba en arrière; elle allait évidemment passe à un paroxysme d'hystérie. Sur ce, je la réveillai... » (p. 24).

On voit que le procédé pour provoquer le sommeil n'a rien de compliqué ni de mystérieux; il suffit que le sujet concentre son attention et son regard sur un même objet, pendant quelques minutes. On emploie quelquefois un objet brillant, mais ce n'est pas une condition nécessaire.

Dès ce moment, la preuve de la réalité du somnambulisme était faite; le somnambulisme devenait un état observable, que le premier venu était maître de produire à volonté. Depuis Braid, de nombreux observateurs ont répété l'expérience de la fixation du regard, et ont vu se reproduire exactement les mêmes phénomènes. La fixation simultanée de l'attention paraît en général nécessaire et explique d'après Braid l'insuccès de l'hypnotisation chez les idiots (p. 235).

Cette découverte importante a jeté une vive lumière sur des pratiques religieuses, qui étaient restées jusque-là à l'état d'énig­ mes. On sait que les dévots de l'Inde arrivaient à une extase dans laquelle ils s'unifiaient à Dieu, en contemplant pendant de longues heures un point imaginaire de l'espace. Les moines du mont Athos s'adonnaient aux même pratiques, en fixant leur regard sur leur ombilic, d'où leur nom d'omphalo-psychiens. Ce sont là, évidemment, des états hypnotiques provoqués par la fixation du regard.

En montrant que l'hypnotisme peut être produit par la fixation d'un objet inanimé, comme un bouchon de carafe ou la lame d'une lancette, Braid avait prouvé que cet état nerveux ne résul­tait pas nécessairement d'une influence fluidique de l'opérateur sur l'opéré. I! avait ainsi simplifié l'étude de l'hypnotisme, en la débarrassant de tous ces phénomènes merveilleux qui l'avaient si longtemps déconsidérée. Mais la conclusion de Braid était trop absolue. Les premières conceptions des choses sont toujours plus simples que la réalité. On aurait tort de croire que la person­nalité de l'opérateur n'entre jamais pour rien dans les phéno­ mènes qui se déroulent devant lui. 11 ne faut pas prendre à la lettre le mot de Broca: « On n'endort pas le sujet, il s'endort. » Le sommeil provoqué par la fixation des yeux sur un objet bril­lant diffère quelquefois par certains points du sommeil provoqué par l'intervention d'une personne. Nous aurons bientôt l'occa­sion de montrer que dans certains cas le patient présente une sorte d'affinité pour la personne qui l'a endormi et qui a touché ses mains nues.

Braid ne s'en tint pas là, il poussa plus loin ses investigations. La plus importante de ses découvertes est relative aux effets que produit une attitude communiquée sur les sentiments du sujet; si on donne au sujet l'altitude de la colère, en lui fermant les poings, tous les traits de sa physionomie prennent une expres­sion menaçante, et il commence les actes de la boxe; si on lui fait imiter l'acte d'envoyer un baiser, sa bouche sourit; de même les actes de grimper, de nager, se produisent quand on donne au corps du sujet la position requise pour exécuter ces différents actes.

Ce sont là les deux grandes découvertes de Braid; il a fait en outre beaucoup d'observations dont on a reconnu plus tard la justesse. Il a constaté que le sommeil n'a pas toujours les mêmes caractères, mais se compose d'une série d'états variant depuis une légère rêverie jusqu'au sommeil le plus profond. Il a vu que le souille sur la face a pour effet singulier de changer l'étal hypno­ tique du sujet, et qu'un second souffle détermine le réveil. II a vu aussi que les sens, et notamment le toucher, l'odorat et l'ouïe, peuvent atteindre tout à coup chez les sujets hypnotisés une hyperacuité des plus remarquables; cette modification senso­ rielle lui a même paru capable d'expliquer rationnellement qaelques-uns des effets merveilleux obtenus par les magnéti­ seurs de profession. Enfin, il a observé le pouvoir de la sugges­ tion verbale pour provoquer des hallucinations, des émotions, des paralysies, etc. La suggestion à l'état de veille, que quelques auteurs ont cru découvrir dans ces dernières années, ne lui avait pas échappé.

Malgré tant d'observations justes, Braid n'a pas sa donner des descriptions tranchées de l'hypnotisme; quand il décrit, il énumère pêle-mêle tous les symptômes hypnotiques, anesthésie, hyperesthésie, hallucinations, paralysies, contractures, sugges­tions de vol et d'autres actes criminels, hypnose unilatérale, dé­ doublement de la conscience, comme si tous ces phénomènes n'avaient pas leurs conditions propres, et n'appartenaient pas des périodes distinctes, Cette lacune de l'œuvre de Braid a été comblée par l'école de la Salpêtrière, qui a montré que l'hypno­ tisme était un état nerveux offrant des caractères assez variés par leur intensité, sinon par leur nature, pour qu'on ait pu distin­ guer plusieurs phases ou états pendant lesquels le sujet réagit différemment.

En outre de ce défaut de classement, qui se traduit dans ses écrits par un grand désordre dans l'exposition des faits, Braid a eu le tort de mettre sur le même rang le démontré et l'incer­tain, l'incertain et la pure fantaisie. 11 suffit de lire certaines pages de ses livres pour s'apercevoir qu'on a moins affaire à un observateur qu'à un croyant.

On reproche encore à Braid ses fâcheuses expériences de phréno-hypnotisme, destinées à montrer la possibilité d'exciter des sentiments particuliers, des idées, des actes, en pressant fortement sur les protubérances du crâne du sujet hypnotisé. Le récit de ces expériences lient une grande place dans sa Neu- rhypnologie. Braid, après avoir pris la précaution de nous apprendre qu'il n'est pas matérialiste en se servant de la phré- nologie, affirme de bonne foi qu'il a pu donner des idées de vol en pressant sur l'organe du vol ou de l'acquisitivité, de combat, en pressant sur celui de la combativité, de prière, en pressant sur le point de la vénération, etc. L'expérience la plus curieuse de ce genre est la suivante, qui suffira pour donner une idée du reste. On excite l'acquisivité, et le sujet dérobe à un des spectateurs une tabatière d'argent; puis on transfère le contact à l'organe de la conscienciosité, et rien n'est plus frappant que l'air de contrition avec lequel le patient rend l'objet. Braid semble avoir prévu qu'on lui opposerait l'hypothèse de la simulation; aussi prend-il le soin d'affirmer qu'il a fait plusieurs de ses expériences phrénologiques sur des personnes qui ignoraient complètement la phrénologie et qui étaient d'une honorabilité parfaite (p. 405). Il est facile de com­ prendre, jusqu'à un certain point, l'étrange illusion dont Braid a été dupe. H n'a pas vu l'importance de cette cause fréquente d'erreur qu'on appelle la suggestion inconsciente. On sait au­ jourd'hui qu'un mot dit imprudemment devant certains sujets très sensibles à la suggestion suffit pour leur faire comprendre ce qu'on attend d'eux, et pour les faire agir dans le sens désiré par l'opérateur. Quelquefois un geste produit le même effet, et c'est ainsi qu'on s'explique comment, dans certaines exhibitions publiques, le magnétiseur, qui s'est mis d'accord avec son sujet pour tromper l'assistance, réussit à le faire obéir à des ordres qu'il pense mentalement sans les exprimer. En réalité, il n'y a point de communication par la pensée, mais par des signes que le sujet saisit avec une acuité de perception véritablement inouie. Dans tes expériences de Braid, il se passait peut-être quelque chose d'analogue, avec les tromperies en moins. Braid était sans doute d'aussi bonne foi que ses sujets, mais ceux-ci obéissaient inconsciemment à un geste ou à une parole, ou encore ils se laissaient guider — toujours d'une manière inconsciente — par le souvenir d'une séance antérieure; cette présomption nous parait d'autant plus vraisemblable, que ses sujets étaient souvent des gens du monde, conviés à assister à une séance de phréno- hypnotisme, et qui, après avoir vu ce que Braid obtenait sur d'autres, se soumettaient volontairement à la même expérience.

Il y a cependant, dans les erreurs de Braid, une part de vérité. Un grand nombre d'observateurs ont constaté que la pression du cuir chevelu chez les hypnotiques produit des effets sensitifs et moteurs d'une variété étonnante.

En sa qualité de médecin, Braid s'est beaucoup occupé des applications de l'hypnotisme à la thérapeutique. Dans les obser­ vations qu'il a rapportées, il est question de vices de l'œil, de tic douloureux, de céphalalgie d'origine nerveuse, d'irritation spinale, de névralgies du cœur, de palpitations et d'intermit­ tences cardiaques, d'épilepsie, de paralysie, de convulsions et de spasmes toniques, d'affections de la peau et de rhumatismes, etc. On ne peut s'empêcher de croire qu'ici encore Braid s'est laissé abuser plus d'une fois; mais il a eu au moins le mérite de faire de la thérapeutique hypnotique assez méthodiquement.

Telle est l'œuvre de Braid qui, de nos jours, a eu des conséquences considérables. Le mérite du chirurgien anglais a été de montrer que le magnétisme animal est un phénomène naturel, un état nerveux défini, qui se produit à l'aide de procédés connus. C'était, au jugement de Lasègue, un petit physiologiste. Mais qu'importe ? Il y a beaucoup d'esprits plus intelligents et plus ouverts qui n'ont pas eu le mérite de découvrir un seul fait nouveau. D'ailleurs, il semble qu'une certaine étroitesse d'esprit associée à une volonté opiniâtre est, dans une certaine mesure, la caractéristique du novateur (1).

La découverte de Braid eut peu de succès dans son pays, malgré l'appui du physiologiste Carpenter. Il soumit en 1842 ses recher­ ches à la section médicale de l'Association britannique, en s'of-frant à répéter les expériences devant une commission spéciale. Cette société opposa un refus formel et passa outre. Il était dit que les progrès de cette question, comme de tant d'autres, devaient se faire en dehors des corps savants. Loin de se décou­ rager, Braid se fit le propagateur de l'hypnotisme avec cette ardeur infatigable qui est le propre des novateurs, et que nous avons retrouvée de notre temps chez Burq, l'inventeur de la métallothérapie. Il multiplia les séances expérimentales à Lon­ dres, Liverpool, Manchester, sans arriver à se faire rendre justice.

C'est en Amérique que la doctrine de Braid eut le plus de succès, mais sous un autre nom que le sien. Vers 1848, Grimes, un habitant du nouveau continent, qui ne connaissait point, parait-il, la découverte de Braid, montra que la plupart des phénomènes hypnotiques peuvent être produits à l'état de veille, chez certains sujets, par voie de suggestion verbale. Cette doctrine, propagée aux Etats-Unis sous le nom assez bizarre d'électro-bio­logie, arriva en Angleterre en 1850, où elle détermina un nouveau mouvement en faveur de l'hypnotisme.

(1) Voici la liste des ouvrages de Braid:

Neurypnology; or the rationale of nervous sleep, considered in relation with animal magnetism. Illustrated by numerous case of its successful appli­ cation in the relief and cure of disease, By James Braid, London, John Churchill, 1843, traduit en français par i. Simon.

The Power of the mind over the body, 1846.

Observations on Trance: or human hybernation, 1850.

Magie, Witchcraft, animal magnetism, hypnotism, and electro-biology, 1852.

The physiology of fascination, 1855.

Observations on the nature and treatement of certain forms of paralysis, 1836

En France, malgré des extraits de l'ouvrage de Braid qui furent publiés par Littré et Robin, Robin et Béraud, etc., malgré le feuilleton de M. Meunier dans la Presse, le braidisme eut peu de retentissement. Ce ne fut que beaucoup plus tard, en 1859, que la question fut remise à l'ordre du jour par le docteur Azam, de Bordeaux. Ce chirurgien fut appelé auprès d'une jeune fille du peuple qu'on disait atteinte d'aliénation mentale, et qui présentait des phénomènes singuliers de catalepsie spontanée, d'anesthésie et d'hyperesthésie. M. Azam, qui connaissait le somnambulisme provoqué, fut frappé des relations qui existaient entre les phéno­ mènes magnétiques et ceux qui se montraient spontanément chez sa malade. Un de ses collègues lui ayant parlé des expériences de Braid, rapportées dans l' Encyclopédie de Todd, il essaya de répéter sur sa malade ces expériences, non sans avoir des doutes. « Au premier essai, dit-il, après une minute ou deux de la manœuvre connue, ma jeune malade était endormie, l'anesthésie complète, l'état cataleptique évident. A la suite, survint une hyperesthésie extrême, avec possibilité de répondre aux questions, et d'autres symptômes particuliers du côté de l'intelligence (1) ». M. Azam répéta en outre, sur une autre jeune fille habitant la même maison, la plupart des expériences de Braid, avec le plus grand succès. Nous citerons l'exemple des suggestions par le sens mus­ culaire: « Si pendant la période de catalepsie, je place les bras de M lle X..., dans la position de la prière, et les y laisse pendant un certain temps, elle répond qu'elle ne pense qu'à prier, qu'elle se croit dans une cérémonie religieuse. La tête penchée en avant, les bras fléchis, elle sent son esprit envahi par toute une série d'idées d'humilité, de contrition; la tête haute, ce sont des idées d'orgueil. » L'hyperesthésie des sens n'est pas moins nette. L'ouïe, d'après M. Azam, atteint une telle acuité, qu'une montre est enten­due à une distance de 8 à 9 mètres; les sujets mêmes sont fatigués de cette sensibilité; leur visage exprime la douleur que leur fait éprouver le bruit des voitures, celui de la voix, etc. L'hyperes­ thésie du sens de la température est tout aussi grande. Une main n ue est-elle placée à quarante centimètres derrière son dos, M lle X... se penche en avant et se plaint de la chaleur qu'elle éprouve.

Mais M. Azam fut surtout frappé dé l'anesthésie générale qui accompagne fréquemment le sommeil hypnotique. De concert avec Broca, il chercha dans l'hypnotisme on moyen nouveau de pro­ duire l'anesthésie pour les opérations chirurgicales. L'idée fit du chemin, « Une méthode, dit Broca, qui n'introduisait aucune sub­ stance dans l'économie, me paraissait absolument inoffensive, * Erreur complète, remarquons-le en passant, car on peut tuer avec la suggestion. En 1859, Broca et Follin pratiquèrent l'inci­ sion d'un abcès à l'anus sur une femme endormie par l'hypno­ tisme. Ce fait fut communiqué à l'Académie des sciences par Velpeau, qui, en annonçant avec satisfaction cette « découverte nouvelle >, ne paraissait pas se douter que c'était tout simple­ ment le magnétisme animal, condamné par l'Académie, qui revenait sous un autre nom. Quelques jours après, le docteur Guérineau, de Poitiers, profitait de cette même anesthésie hypno­ tique pour faire une amputation de la cuisse. Ce fut le moment d'un engouement général. On se rappela que Cloquet, dès 1829, avait amputé un sein chez une femme magnétisée, que Loysel avait aussi fait, dans les mêmes circonstances, des opérations très graves. Cependant, le mouvement fut passager. Les chirur­ giens s'aperçurent que le sommeil hypnotique ne s'obtient pas chez tous les sujets, qu'il exige chez les plus favorables une série d'hypnotisations quotidiennes, et que parfois, en cherchant l'anesthésie dans cette voie, on s'expose à produire l'inverse, de l'hyperesthésie. Ces échecs venaient en partie de ce qu'on ne savait pas à cette époque se servir de la suggestion pour provo­quer l'insensibilité. Aussi ne tarda-t-on pas à préférer à l'hypno­ tisme un moyen plus commode et plus sûr, le chloroforme. L'année 1860 vit naître et mourir la vogue qui s'attacha un instant au brai- disme, comme moyen d'anesthésie chirurgicale.

Cependant, le débat avait été ouvert de nouveau sur cette question du magnétisme animal, proscrite vingt ans auparavant par l'Académie de médecine. On ne niait plus la réalité du som­meil nerveux, on connaissait les moyens de le produire, et ses principaux symptômes. Des médecins distingués voulurent bien étudier ces phénomènes, sans craindre de se compromettre. C'est l'époque où parurent les travaux de Demarquay et Giraud-Teulon, Gigot-Suard, Liébeault, Philips (Durand de Gros).

Le résultat principal de ces nouvelles recherches fut une confirmatîon de l'œuvre de Braid dans ses parties essentielles. On démontra de nouveau que la personnalité de l'hypnotiseur n'a pas une pan nécessaire dans le sommeil du sujet. Demarquay et Giraud-Teulon (1), pour écarter l'influence du regard de l'ex­ périmentateur, se servent d'une boule brillante en acier, qui, montée sur une tige, est fixée dans un diadème; on assujettit le diadème autour de la tête du sujet; les yeux sont par conséquent amenés dans la convergence indiquée sans l'intervention de l'expérimentateur. Inutile d'ajouter que le sujet s'endort par cette méthode comme par les autres. Gigot-Suard constate même qu'un objet brillant n'est pas nécessaire comme point de mire; la fixité du regard peut agir seule; il suffit de recommander au sujet de regarder son nez et de lui mettre aussitôt un bandeau sur les yeux: l'hypnotisme ne s'en produit pas moins.

Demarquay et Giraud-Teulon s'accordent à reconnaître que les effets hypnotiques ont pour condition générale une prédisposi­ tion hystérique. En effet, ils n'ont obtenu de résultat que chez 4 personnes sur 18 et ces quatre sujets étaient tous des femmes; les hommes soumis aux expériences y étaient demeurés abso­ lument réfractaires. De plus, chez une des femmes, la tentative d'hypnotisation avait produit un commencement d'attaque hysté­ rique. Ils en conclurent que l'état nerveux désigné sous le nom d'hypnotisme n'était nullement physiologique mais bien morbide. Le travail de Demarquay et Giraud-Teulon est court, précis, rem­ pli de faits bien observés, exempt de cette tendance mystique qu'on trouve chez Braid. C'est peut-être le premier travail sur l'hypnotisme qui soit marqué d'un caractère strictement scien­ tifique.

Durand de Gros, plus connu sous le nom de docteur Philips, qu'il prit pour rentrer en France (c'était un proscrit du 2 Décembre), donna des leçons publiques sur l'hypnotisme en Belgique, en Suisse, en France et en Algérie; il publia en 1860 un Cours théorique et pratique du braidisme, dans lequel il développa ses idées sur le mécanisme de l'hypnose. Mais ses conceptions abstraites sur l'état hypotaxique et sur l'idéoplastie n'émurent pas beaucoup le monde médical. Nous n'en dirons que deux mots. D'après cet auteur, l'exercice de la pensée est nécessaire à la diffusion régulière de la force nerveuse dans les nerfs de la sen­ sibilité; par l'hypnotisme, on suspend l'exercice de cette activité mentale, ou plutôt on la réduit à un minimum en la soumettant à l'excitation exclusive d'une sensation simple, homogène et con­ tinue (p. 33). Alors la force nerveuse n'étant plus consommée par la pensée, s'accumule dans le cerveau; cette sorte de congestion nerveuse s'appelle l'état hypotaxique. Mais on peut, par une impression particulière de la vue, de l'ouie ou du toucher, exciter tel point du cerveau, et accumuler sur ce point toute la force nerveuse disponible. Une impression mentale arrive au même résultat qu'une impression sensorielle (p. 45); elle réveille l'activité propre de telle partie du cerveau, et produit les effets les plus variés: c'est l' idéoplastie.

Les théories de Durand de Gros ressemblent un peu à celles que développa cinq années plus tard le docteur Liébeault de Nancy, dans un ouvrage sur < le sommeil et les étais analogues, considérés surtout au point de vue de l'action du moral sur le physique*; Nancy 1866. < Si j'ai tenté, dit M. Liébeault dans sa préface, l'entreprise de m'occuper des modes passifs de l'existence, c'est, d'abord, pour démontrer cette vérité qu'ils sont des effets d'une action mentale, et ensuite pour faire con­ naître leurs propriétés au point de vue de l'influence du moral sur le physique, » On trouve en germe, dans ces quelques mots, l'idée que d'autres auteurs développeront plus tard, en voulant prouver que tous les phénomènes du sommeil artificiel, les phé­nomènes physiques (contractures, catalepsie, etc. ), comme les phénomènes mentaux, sont les produits de la suggestion. Ainsi, M. Liébeault dit déjà que le sommeil artificiel est produit, comme le sommeil naturel, par un acte de l'intelligence, à savoir l'accu­ mulation de l'attention sur une idée, qui est celle de dormir. Cette explication ne s'applique guère aux personnes qui sont hypnotisées malgré elles. Allant plus loin, M. Liébeault soutient que les modifications de l'attention, son retrait trop énergique dans le cerveau, etc., sont la cause de la gêne respiratoire, de la dilatation pupillaire, de la pesanteur de tête, des tintements d'o­reille, de la cyanose, des battements de cœur, qui accompagnent l'invasion du sommeil (p. 31). D'ailleurs, pour M. Liébeault, l'atten­ tion parait résumer l'action du moral sur le physique. La concen­ tration de l'attention est la cause de l'isolement des sens, de l'abolition des mouvements musculaires, de l'établissement des rapports du somnambule avec son endormeur, de la catalepsie, etc. (p. 64). L'afflux de l'attention vers les appareils sensoriels augmente leur pouvoir de perception; son accumulation sur les « empreintes sensorielles » exalte la mémoire (p. 88) et ainsi de suite. L'oubli au réveil, après l'hypnotisme profond, tient à ce que toute la force nerveuse accumulée au cerveau pendant le som­ meil se diffuse de nouveau au réveil dans l'organisme entier; de là l'impossibilité pour le sujet, dont la force nerveuse diminue au cerveau, de ressaisir dans sa mémoire ce dont il avait con­ science avant.

Les idées de M. Liébeault ne trouvèrent que des incrédules; ses pratiques parurent tellement empreintes d'étrangeté que les médecins les rejetèrent sans plus ample examen; l'auteur vécut à l'écart, en dehors du monde médical, tout entier à ses malades, presque tous des classes pauvres, et à ses convictions (Bernheim). On comprend d'ailleurs la cause de cet insuccès. On ne trouve dans son livre aucune description nette et tranchée de l'hypno­ tisme; les symptômes qui relèvent de cette modification profonde de l'économie ne sont pas l'objet d'une étude méthodique, les descriptions restent vagues, sans caractères définis. Des publi­cations de ce genre n'étaient pas faites pour ramener les scepti­ ques à la cause du magnétisme animal. On ne trouverait peut-être pas dans l'ouvrage en question une seule preuve scientifique de l'hypnotisme. Toutefois il faut reconnaître à M. Liébeault le grand mérite d'avoir été un observateur consciencieux et un praticien convaincu; ses convictions lui avaient même, assure-t-on, attiré quelques désagréments de la part de ses confrères et il ne serait peut-être jamais arrivé à les faire partager par ceux qui l'entou­ raient, sans les travaux de M. Charcot et de ses élèves, qui ont réhabilité l'étude de l'hypnotisme, en donnant tout simplement une description précise des caractères physiques de quelques-uns des états nerveux désignés sous ce nom.

En somme, on est encore en pleine période braidique. On ne fera rien de bien nouveau jusqu'en 1878. Nous nous bornerons à citer les travaux de Mesnet (1860), de Lasègue(1865), de Baillif (1868), de Pau de Saint-Martin (1869).

On n'avance point, on piétine sur place.

La synthèse des travaux de cette époque se trouve bien faite dans un article très étudié de M. Mathias Duval, para en 1874 (Dictionnaire pratique de médecine et de chirurgie) , an moment même où M. Dechambre déclarait (Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales) que le magnétisme animal n'existait pas.

Peu à peu le silence et l'oubli se font sur ces questions. Les esprits sérieux s'en détournent et abandonnent la partie aux magnétiseurs de profession, qui continuent à faire argent de l'hypnotisme dans leurs exhibitions publiques. De temps en temps, un homme distingué essaye de secouer l'indifférence générale, mais sa tentative reste sans écho. M. Charles Richet fit paraître en 1875, dans le Journal de l'anatomie et de la phy­ siologie, le résultat de recherches sur l'hypnotisme qu'il avait entreprises sur les malades des hôpitau pendant son internat. Ce travail, quoique très intéressant et nourri de faits, fit peu de Droit.

A peu près à la même époque, on s'occupa en Allemagne du somnambulisme des animaux. « Il semble, dit très bien M. Richet, que, pour juger la question de la simulation, rien ne soit plus simple que d'expérimenter sur des êtres incapables de jouer la comédie ». Mais on reconnaît, en se mettant à l'œuvre, que les symptômes du somnambulisme sont très peu accentués chez les animaux.

Dès 1646, le père Athanase Kircher racontait dans un livre in­ titulé Ars magna lucis et umbrœ, qu'un coq placé les pattes liées devant une ligne tracée sur le sol avec un morceau de craie de­ vient au bout de quelques instants complètement immobile; on peut lui enlever la ligature et l'exciter sans le faire sortir de cette espèce de catalepsie. Cette expérience était peut-être plus an­ cienne encore, on l'a attribuée à Daniel Schwenter (1636). Quoi qu'il en soit, cette hypnotisation des coqs et des poules était devenue dans beaucoup de pays un amusement populaire. En 1872, Czèrmak reprit avec soin toutes ces expériences; il hypnotisa le coq sans ligature et sans ligne de craie, en main­ tenant l'animal immobile; il étendit l'expérience a d'autres animaux, des moineaux, des pigeons, des lapins, des salaman­ dres, des écrevisses (1). Preyer (2). qui a écrit le traité le plus complet qu'on possède sur ce sujet, attribua à la frayeur la plupart des phénomènes observés dans ces conditions. Suivant cet auteur, les excitations fortes produisent un état de catalepsie, c'est-à-dire une paralysie par la frayeur; par exemple, si l'on pince brusquement la queue d'un triton ou la patte d'une gro- nouille, l'animal reste pétrifié pendant quelque temps, quelque­ fois pendant plusieurs minutes; il ne peut pas remuer les membres. Pour obtenir l'hypnose des animaux, il faut se servir d'excitations douces et prolongées; en serrant légèrement, avec une pince à pression, les narines d'un cochon d'Inde, au bout d'un temps assez long, il devient hypnotique. La stupeur de l'animal est telle qu'on peut le placer, sans le réveiller, dans les positions les plus bizarres. Cette distinction arbitraire entre l'hypnotisme et la catalepsie n'a pas été acceptée. Tout ce qu'il faut retenir, c'est qu'on peut hypnotiser un grand nombre d'animaux par des excita­ tions cutanées fortes et courtes ou faibles et répétées.

Les expériences sur la grenouille sont très intéressantes, et faciles à reproduire. M. Heubel (1) a montré que si l'on tenait une grenouille agile entre les doigts, le pouce sur le ventre et les quatre doigts sur le dos, sans lu serrer, au bout de deux ou trois minutes l'animal devient complètement immobile, on peut l'étendre sur le dos, et lui communiquer les positions les plus bizarres, sans qu'il fasse un mouvement de fuite ou de défense. On obtient le même état paralytique en grattant doucement le dos de la grenouille. H faut convenir que tous ces faits n'ont guère avancé la question du magnétisme animal. C'est pour cette raison que nous n'insistons pas davantage.

Nous arrivons enfin à l'année 1878, et aux travaux de l'école de la Salpétrière.

L'histoire du magnétisme animal nous a montré que si l'exis­ tence du sommeil nerveux et des phénomènes variés qui s'y rat­ tachent a été mise en doute jusque dans ces dernières années, c'est principalement parce que les expérimentateurs avaient manqué de méthode et s'étaient attachés surtout à l'élude des phénomènes psychiques les plus complexes. Or, ces phénomènes manquent souvent de caractères matériels, qui les mettent hors de contestation. Comme les preuves faisaient défaut à l'appui de ces manifestations extraordinaires, on en concluait tout de suite que l'ensemble était au moins hypothétique, pour ne pas dire (aux.

Les discussions et les doutes auraient pu se perpétuer indéfini­ ment si on n'avait pas trouvé moyen de faire intervenir des faits ma­ tériels sur lesquels les interprétations discordantes deviendraient impossibles. Ces faits matériels ne devaient pas être découverts tout d'abord dans le domaine des phénomènes complexes, qui avaient frappé l'attention des premiers expérimentateurs; Us ap­ partiennent à l'ordre purement somatique.

Ajoutons que ces signes physiques de l'hypnose ne se sont ren- contrés jusqu'ici, à l'état de développement parfait, que chez des sujets atteints d'une affection spéciale du système nerveux, des hys­ tériques. Il en résulte que l'hypnotisme qui a fait le premier son entrée dans la science est l'hypnotisme des hystériques, qu'on appelle encore grand hypnotisme, autant pour caractériser l'in­ tensité de ses symptômes que pour le distinguer de ces formes frustes, qui, jusque-là, avaient été exclusivement étudiées par les médecins, et qu'on peut grouper encore aujourd'hui sous le nom de petit hypnotisme.

Bref, la méthode qui a renouvelé l'hypnotisme se résume en ces mots: production de symptômes matériels, donnant en quelque sorte une démonstration anatomique de la réalité d'un état particulier du système nerveux. Ce n'est du reste qu'une application de la règle de Descartes: procéder du simple au composé. Un siècle de divagations insensées et de discussions stériles s'est passé avant qu'on en vint là.

C'est à M. Charcot qu'appartient l'honneur d'être entré le pre­ mier dans cette voie, où l'ont suivi de nombreux observateurs. La violence des attaques qu'il a eu à subir donne la mesure du rôle qu'il a joué dans le développement de cette question. Quelles que soient les objections qu'on ait pu faire à la des­ cription qu'il a donnée des différents états connus sous le nom d'hypnotisme, il est certain qu'en appliquant la méthode noso- graphique à cette étude, M. Charcot a permis de fairer entrer dans le domaine des sciences d'observation, des phénomènes jusque-là regardés comme à peu près ianccessibles, M. Charcot a eu la bonne fortune, non seulement de réhabiliter l'hypnotisme, mais encore de le venger de ses mésaventures académiques en 'école de la salp È tri È re 61 lui faisant faire une rentrée triomphale à l'Académie des scien­ ces (1).

Les travaux de l'école de la Salpêtrière ont été le point de départ d'un nouveau mouvement scientifique, qui continue encore à l'heure actuelle.

En Allemagne, un physiologiste éminent, R. Heidenhain, reprit en 1880 l'étude de l'hypnotisme, à l'occasion des représentations que le magnétiseur danois nommé Hansen donnait à cette époque à Breslau. Le mémoire de Heidenhain (2) fut le signal d'un grand nombre de publications allemandes, parmi lesquelles nous citerons celles de Grützner (3), de Berger (4), de Baumler (5), de Preyer (6), de Schneider (7). En France, nous rappellerons les noms de P. Richer, Bourneville et Regnard, Dumontpallier et ses élèves, Ladame, Bottey, Pitres, Brémaud, Bernheim, Beaunis; en Italie, Tamburini et Seppili, Lombroso; en Angleterre, Hack- Tuke.

 

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