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Le Magnetisme Animal

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CHAPITRE IX

Les Hallucinations.

1

L'hallucination hypnotique, dont nous allons présenter une courte esquisse, est certainement un des phénomènes les plus importants de l'hypnose; il a depuis longtemps attiré l'attention des observateurs, qui l'ont soumis à de nombreuses expériences.

Chez un individu sensible à la suggestion, l'expérimentateur peut faire naître les hallucinations les plus variées. On est presque autorisé à dire que la suggestion peut tout créer. Cette observa­tion suffit; elle dispense de citer les innombrables exemples d'hallucinations que rapportent certains auteurs, plus curieux des expériences qui amusent que de celles qui instruisent. À quoi bon énumérer toutes les espèces d'hallucinations que le sujet peut recevoir suivant la fantaisie de l'observateur ? Autant décrire toutes les formes que prend un morceau d'argile sous la main qui le pétrit.

Nous nous bornerons à montrer par un petit nombre d'exem­ ples que l'hallucination hypnotique peut porter sur tous les sens.

Vue. — On peut suggérer une appréciation fausse sur la forme d'un objet, que le sujet verra plus grand ou plus petit ou déformé. Si, par exemple, on lui inculque l'idée que telle personne a une difformité quelconque du visage, on verra le sujet, encore plusieurs heures après son réveil, prendre une expression de dégoût ou d'horreur, toutes les fois que son regard se portera du côté de cette personne, qui deviendra un objet de répulsion quelquefois permanente; nous avons employé cette manœuvre avec succès pour faire cesser des relations de certaines hystéri­ ques. L'illusion peut aller jusqu'à produire une erreur sur l'iden­ tité d'une personne: telle hypnotique à l'état de veille ira prodi­guer des caresses à une personne qu'elle déteste notoirement, si pendant le sommeil somnambulique on lui a suggéré l'idée qu'il s'agit d'une autre personne qu'elle aime, et l'erreur peut durer dans certains cas toute une journée jusqu'à ce que le sommeil naturel ou une attaque soit venu interrompre l'illusion. L'hallu­ cination n'est pas moins persistante, le sujet pourra voir pendant toute une journée un objet imaginaire, une personne absente dont on aura évoqué la présence pendant le sommeil somnambu- lique. A la voix de l'expérimentateur, le laboratoire devient une rue, un jardin, un cimetière, un lac, etc.; sur un carton blanc apparaît un portrait. On peut même suggérer sur le papier un certain nombre de chiffres, dont le sujet fera très exactement l'addition (Babinski).

Ouïe. — Sous l'influence de la suggestion, l'hypnotique confond la voix d'une personne inconnue avec celle d'une personne connue et absente; elle peut entendre, au milieu d'un profond silence, des vois qui donnent des ordres, qui lui répètent des injures, des paroles obscèn è s, etc.

Goût. — Si on a présenté à l'hypnotique un morceau de papier, par exemple, en lui disant que c'est un gâteau, à son réveil, elle va le manger avec délices. Dans d'autres circonstances, elle sera convaincue que les aliments sont empoisonnés. Si on lui a suggéré l'idée d'une substance nauséeuse, la sensation pourra être assez intense pour provoquer le vomissement.

Odorat. — Il peut devenir le siège de sensations erronées du même genre. Le sujet sentira, par exemple, qu'on lui envoie de mauvaises odeurs par le trou de la serrure, etc.

Toucher. — Les illusions et les hallucinations du toucher revêtent des formes encore plus variées; tous les modes de la sensibilité de la peau peuvent être atteints ensemble ou séparé­ ment. Une des plus curieuses hallucinations de ce genre est celle qui résulte de la suggestion d'une plaie: le sujet décrit la douleur d'une manière différente, suivant qu'il s'agit d'une plaie par instrument tranchant ou par instrument contondant; toutefois, sa description ne répond à la réalité que s'il a antérieurement éprouvé un de ces accidents. Mais ce qui est le plus remarquable,

c'est qu'en même temps se développe l'hallucination de la vue: le sang coule, etc., et il en résulte un délire systématisé plus ou moins persistant dans lequel l'halluciné se plaint de douleurs imaginaires, se fait des pansements appropriés, porte son bras en écharpe, tout comme s'il s'agissait d'une plaie véritable.

Sens musculaire, — Si on remet dans les mains d'un sujet un corps hallucinatoire, un globe de lampe, et qu'on le prie de le serrer, il éprouve une sensation de résistance et il est incapable de rapprocher ses deux mains.

Sens interne. — Ce n'est pas seulement sur les sens que peuvent porter les suggestions; il est possible de provoquer des illusions et des hallucinations viscérales, la sensation d'un corps étranger dans l'intérieur du corps, etc. Mais les suggestions les plus remarquables de ce groupe, celles dont l'effet est le plus facile à contrôler, ont trait aux besoins naturels. S'il s'agit de la soif ou de la faim, aussitôt après son réveil l'hypnotique réclame avec insistance à manger ou à boire, et si on lui présente des aliments ou une boisson, elle les avale gloutonnement. Si la suggestion porte sur le besoin d'uriner, etc., on voit le sujet à peine éveillé prendre une attitude embarrassée; cherche-t-on à le retenir en lui offrant ce qu'il convoite avec le plus d'ardeur, il ne tient aucun compte des offres qu'on lui fait et bientôt il s'échappe en courant pour aller satisfaire son besoin imagi­ naire. La suggestion de sensations génésiques provoquerait des désirs tout aussi impérieux et dont on peut prévoir les consé­ quences.

Ce n'est pas tout; ce s'est pas seulement sur les sens et sur les viscères que peuvent se manifester les suggestions de sensa­ tions fausses, il est possible de suggérer l'idée d'une altération de structure de toute la substance; l'hypnotique, par exemple, va se réveiller tout étonné en disant: « Je suis de verre, ne me touchez pas; » et, comme conséquence de cette idée fausse, il va se développer un délire systématisé. D'autres délires do même genre peuvent être créés à volonté, dès qu'on a suggéré une sensation fausse portant sur l'un quelconque des sens spéciaux.

M. Pichet a fait à ce sujet des observations qui méritent d'être rappelées (1).

En voici quelques-unes: sous l'influence de la suggestion, M me A, respectable mère de famille, subit les métamorphoses suivantes: En paysanne. (Elle se frotte les yeux, s'étire. ) I « Quelle heure est-il ? Quatre heures du matin ! » ( Elle marche comme si elle faisait trainer ses sabots. ) « Voyons, il faut que je m e lève ! Allons à l'étable. Hue ! la Rousse ! allons, tourne-toi... » I (Elle fait semblant de traire une vache. ) « Laisse-moi tranquille, Gros-Jean. Voyons, Gros-Jean, laisse-moi tranquille, que je te dis quand j'aurai fini mon ouvrage... » En actrice. (Sa figure prend un aspect souriant, au lieu de l'air dur et ennuyé qu'elle avait tout à l'heure. ) « Vous voyez bien ma jupe. Eh bien ! c'est mon directeur qui l'a fait rallonger. — Ils sont assom- I niants, ces directeurs. Moi, je trouve que plus la jupe est courte, mieux ça vaut. 11 y en a toujours trop. Simple feuille de vigne. Mon Dieu, c'est assez. Tu trouves aussi, n'est-ce pas mon petit, qu'il n'y a pas besoin d'autre chose qu'une feuille de vigne ? Regarde donc cette grande bringue de Lucie, eu a-t-elle des jambes, hein ! Dis donc, mon petit (elle se met à rire), tu es bien timide avec les femmes; tu as tort. Viens donc me voir quelquefois. Tu sais, à trois heures, je suis chez moi tous les jours. Viens donc me faire une petite visite, et apporte-moi quel­que chose. » En prêtre. (Elle s'imagine être l'archevêque de Paris; sa figure prend un aspect très sérieux; sa voix est d'une douceur mielleuse et traînante. ) (A part. ) « Il faut pourtant que j'achève mon mandement ». (Elle se prend la tête et réfléchit. ) (Haut) « Ah ! c'est vous, monsieur le grand vicaire; que me voulez- vous? Je ne voudrais pas être dérangé... Oui, c'est aujourd'hui le premier janvier, et il faut aller à la cathédrale... Toute celte foule est bien respectueuse, n'est-ce pas, monsieur le grand vicaire ? Il y a beaucoup de religion dans le peuple, quoi qu'on fasse. Ah ! un enfant ! qu'il approche je vais le bénir. Bien, mon enfant. » ( Elle lui donne sa bague (imaginaire) à baiser. Pen­dant toute cette scène, avec la main droite, elle fait à droite et à gauche des gestes de bénédiction). Maintenant j'ai une corvée; il faut que j'aille présenter mes hommages au président de la République... Monsieur le président, je viens vous offrir tous mes vœux. L'Église espère que vous vivrez de longues années; elle sait qu'elle n'a rien à craindre, malgré de cruelles attaques, tant qu'à la tête du gouvernement de la République se trouve un parfait honnête homme. » (Elle se tait et semble écouter avec attention. ) {A part. ) « Oui, de l'eau bénite de cour. Enfin 1 P rions ! » (Elle s'agenouille).

Nous avons constaté quelques phénomènes du même genre, mais sous une forme moins développée. Un jour nous disons à X... qu'elle est devenue M. F...; après quelque résistance, elle accepte cette suggestion. Au réveil, elle ne voit pas M. F... qui est présent, elle imite son allure, et fait le geste de mettre ses deux mains dans son tablier d'hôpital (hallucinatoire). De temps eu temps elle porte les mains à ses lèvres comme pour friser la moustache, et regarde devant elle avec assurance. Mais elle ne parle guère. Nous lui demandons: Connaissez-vous X... ? Elle hésite un instant, puis dît en haussant les épaules avec mépris: Ah ! oui, c'est une hystérique. — Que pensez-vous d'elle ? — C'est une mauvaise tête.

Il est assez. difficile de déterminer la nature psychique de ces transformations de la personne. A notre avis, ces phénomènes sont plus compliqués que l'hallucination, ils constituent un véritable délire. D'ailleurs un grand nombre d'hallucinations hypnotiques, par exemple celles de l'ouïe, ont une tendance à provoquer secondairement un délire en rapport avec leur caractère.

On peut varier la forme de la suggestion hallucinatoire. Nous avons étudié tout d'abord les hallucinations actuelles, qui se réali­ sent au moment même où la suggestion est donnée. 11 est possible, chez certains sujets, de créer des hallucinations à longue échéance, devant se réaliser dans un certain nombre de jours ou de se­ maines, ou môme de mois. La simple affirmation suffit à produire celte expérience: « Demain, dit-on au sujet, lorsque vous entre­rez dans cette pièce, vous verrez un corbeau perché sur la table. — Dans deux mois, le premier janvier prochain, vous me verrez entrer dans votre chambre pour vous souhaiter la bonne année. » Revenu à l'état normal le sujet ne se rappelle tien; la suggestion qu'on a déposée dans son esprit y dort jusqu'au moment fixé pour le réveil. Nous reviendrons plus loin sur ces expériences.

A l'inverse, on peut donner des hallucinations rétroactives, qui sont de véritables hallucinations de la mémoire. On inculque au sujet l'idée qu'à un moment quelconque de sa vie passée, il a été témoin de tel faut, qu'il a vu par exemple un vieillard qui habite dans la même maison que lui commettre un acte de violence sur une jeune fille (Bernheim): on peut, avec une suggestion précise, donner au sujet un souvenir aussi intense, aussi détaillé que la réalité même. On comprend à quelles graves conséquences ces expériences pourraient conduire au point de vue médico- légal.

Hallucinations unilatérales. — Les hallucinations dont il a été question jusqu'ici sont bilatérales; tous les sens sont d'accord pour tromper le sujet; ce que l'œil voit, la main le touche, l'oreille l'entend.

On peut, par suggestion, donner à un sujet une hallucination unilatérale, lui montrer par exemple un objet imaginaire qui ne sera visible que d'un œil. C'est M. Dumontpallier qui a le premier étudié ce phénomène, fréquent dans l'aliénation mentale. On peut le produire de plusieurs façons. Par exemple, on suggère à la malade un portrait sur un carton blanc, et on lui dit en lui ouvrant l'œil droit seulement: « Vous voyez le portrait », et en fermant cet œil et ouvrant le gauche: « Vous ne voyez plus rien. » Au réveil, l'hallucination persiste, localisée dans l'œil droit. La malade voit le portrait de l'œil droit; pour l'œil gauche, le carton est complètement blanc. Ainsi faite, l'expérience est assez simple. M. Dumontpallier l'a compliquée en donnant à chacun des deux organes symétriques, à chaque œil, ou à chaque oreille, une hallucination d'un caractère différent. Ainsi, après avoir placé la malade dans l'état de somnambulisme, il lui dit à l'oreille droite qu'il fait beau et que le soleil brille, pendant qu'une autre personne lui dit à l'oreille gauche qu'il pleut. Du côté droit, le sujet sourit, tandis qu'à gauche, l'abaissement de la commissure labiale traduit le désagrément que cause le mauvais temps. Puis continuant l'expérience, et faisant intervenir la vue et l'ouïe, on décrit à l'oreille droite le tableau d'une fête champêtre à laquelle prennent part des jeunes filles et des jeunes gens. Ce tableau, qui est perçu par l'hémisphère cérébral gauche, se traduit par le sourire sur la moitié droite du visage, tandis qu'à gauche le visage exprime l'émotion qu'a causée l'imitation de l'aboiement d'un chien à l'oreille gauche. Cette expression si opposée des deux moitiés du visage est, paraît-il, des plus saisissantes. Ces hallucinations bilatérales différentes, qu'on observe parfois aussi chez les aliénés, offrent un grand intérêt au point de vue psychologique; on peut les considérer, d'après M. Dumontpallier, comme une preuve de l'indépendance fonctionnelle des deux hémisphères cérébraux (1),

Dans cet ordre d'idées, nous relèverons un nouveau fait, que nous avons observé maintes fois.

Supposons qu'on ait imposé au sujet l'idée qu'avec l'œil droit seulement il voit en rouge un carton blanc; s'il regarde le carton avec l'œil droit en fermant l'œil gauche, le carton paraît rouge vif; s'il le regarde avec les deux yeux simultanément le carton paraît rose. Cette dégradation de la couleur vient probablement de ce que la sensation de blanc reçue par l'œil gauche exerce sur l'hal-lucination de l'œil droit une sorte d'action réductrice. Et alors on peut rapprocher de cette expérience les deux autres faits sui­ vants: Si on regarde un carré rouge avec un seul œil et que l'autre œil fixe une surface blanche, la sensation de rouge persiste, mais elle subît de temps en temps une éclipse et paraît recouverte par un nuage blanc. Si on obtient dans un œil une image rouge consécutive, provenant de la fixation d'un carré vert, et qu'on ouvre l'autre œil sur une surface blanche, l'image consécutive monoculaire ne tarde pas à s'effacer. L'expérience de l'hallucination unilatérale de couleur tient le milieu entre les deux autres; l'image hallucinatoire du rouge est affaiblie par la sen­sation de blanc reçue par l'autre œil; mais elle n'est pas autant affaiblie que l'image consécutive, et elle l'est davantage que la sensation réelle. Sauf ces différences accessoires d'intensité, les trois phénomènes paraissent se ramener à un fait unique que l'on a étudié en optique physiologique sous les noms de concurrence ou d'antagonisme des deux champs visuels.

Ce n'est pas tout; si l'on suggère que le carton est rouge pour l'œil droit et vert pour l'œil gauche, le résultat se complique; chez les malades qui ont servi à nos recherches, nous n'avons pas observé le mélange des deux couleurs suggérées, mais une sorte de lutte; d'abord le carton est vu rouge, et un instant après il devient vert: cette alternance des deux teintes parait fatiguer et brouiller la vue de la malade. 11 semble que celte seconde expérience s'explique comme la première, par un antagonisme des deux champs visuels. Reportons-nous en effet à l'état normal.

Le phénomène d'antagonisme se produit lorsqu'on fait voir simul­ tanément à l'œil droit et à l'œil gauche deux couleurs différentes, comme du rouge et du bleu. On ne voit point alors une couleur composée, comme on pourrait le supposer, mais une sorte de brouillard vacillant entre les deux couleurs et se déplaçant ça et là. Enfin, en regardant au stéréoscope deux images semblables, dont l'une est blanche et l'autre est noire, il ne se forme point un mélange des deux images en un gris uniforme, mais une lutte d'émulation entre les deux champs visuels, de façon qu'une fois le clair prédomine et l'autre fois l'obscur, d'où résulte l'impres­ sion du brillant ([). Ce sont ces phénomènes bien connus qui paraissent rendre compte des expériences sur les hallucinations que nous venons de rapporter.

Avant d'aller plus loin, tirons quelques conclusions psycholo­ giques des faits que nous venons d'énumérer. La plupart des psychologues modernes admettent la loi indiquée par Dugald Stewart (2) et magistralement développée par M. Taine (3), d'après laquelle toute image entraîne une croyance momentanée à la réa­ lité de son objet. « Il y a très peu d'hommes, disait le psychologue écossais, qui puissent regarder en bas du haut d'une tour très élevée sans éprouver an sentiment de crainte. Et cependant leur raison les convainc qu'ils ne courent pas plus de risque que s'ils étaient à terre sur leurs pieds. » — « En effet, dit M. Taine, quand le regard plonge tout d'un coup jusqu'au sol, nous nous imaginons subitement transportés et précipités jusqu'en bas, et cette seule image nous glace, parce que, pour un instant imper­ ceptible, elle est croyance; nous nous rejetons instinctivement en arrière comme si nous nous sentions tomber. » Il y a donc en germe dans toute image qui se présente à l'esprit un élément hallucinatoire, lequel ne demande qu'à se développer. C'est cet élément qui se développe pendant l'hypnotisme, où il suffit de nommer au sujet un objet quelconque, de lui dire simplement « voilà un oiseau » pour que l'image suggérée par la parole de l'expérimentateur devienne aussitôt une hallucination. Ainsi, antre l'Idée d'an objet et l'hallucination de cet objet, il n'y a qu'une différence de degré.

Il est un fait très frappant, à cet égard ; c'est que la plupart des malades qui nous ont servi de sujets pour nos expériences d'hallucination possèdent à un haut degré, pendant l'état de veille, le don de se représenter les objets sous une forme sen­ sible. M. Liébeault fait de cette qualité le signe des individus hypnotisables. Sans aller jusque-là, nous croyons que les indi­ vidus ayant le don de visualiser, pour employer l'expression de M. Galton, se prêtent mieux que les autres aux hallucinations visuelles. Lorsque nous prions un de nos sujets de se figurer une personne absente, il nous déclare bientôt qu'il voit cette per­ sonne avec autant d'intensité que si elle était devant ses yeux. Cette vivacité de la représentation se rencontre fréquemment chez les hystériques; elle explique comment des hystériques réunies ensemble peuvent, en échangeant des confidences ou en se com­ muniquant leurs impressions, s'halluciner réciproquement.

Lorsque des hystériques hypnotisables ont servi de sujet au même expérimentateur pendant plusieurs jours, elles finissent souvent par rester dans un état d'obsession permanente; elles sont possédées, pour ainsi dire, aussi bien le jour, pendant la veille, que la nuit dans leurs rêves. Cet état d'esprit s'accompagne d'hallucinations spontanées dont la forme varie, mais dont l'expé­ rimentateur est toujours l'objet. Telle deviendra succube, telle autre sera tourmentée, embrassée, etc. Si plusieurs sujets se trouvent réunis dans les mêmes conditions et s'il y a des confi- dences échangées, il pourra en résulter une sorte d'épidémie de délire hystérique, dans lequel les hallucinations seront suivies d'impulsions, d'actes violents, etc., qui rendent compte des différentes péripéties du drame qui s'est terminé par la mort d'Urbain Grandier. L'un de nous (1) a assisté à une ébauche de persécution de ce genre qui a suffi à nous montrer que ces sortes d'expérimentations devaient être conduites arec la plus grande prudence.

Ainsi que nous venons de le voir, l'hallucination consiste dans une image vive extériorisée. Mais le langage dont eu se sert a le défaut de faire considérer une image comme une chose, comme une unité. La réflexion montre pourtant bien vite que cette pré­tendue unité est composée d'éléments nombreux et hétérogènes, qu'elle est une association, un groupe, une fusion, un complexe, une multiplicité (1). L'image d'une boule est une résultante do sensations complexes de la vue, du toucher et du sens musculaire. 11 est donc intéressant de savoir si, quand une image est associeé par contiguïté à plusieurs autres, l'extériorisation de la première entraîne celle des autres. C'est ce qui a lieu dans une foule d'hallucinations, qu'on peut comparer à une mémoire en action. M. Heidenhain avait donné à un étudiant hypnotisé une série d'hallucinations dans lesquelles il l'avait conduit à l'amphithéâtre, puis au jardin des plantes, où les lions étaient sortis de leurs cages; quelque temps après, le même sujet, ayant été endormi de nouveau, eut spontanément la même série d'hallucinations. De même, il suffit de rappeler à l'hypnotique un souvenir de sa vie normale, ou plutôt de le lui suggérer sous forme d'hallucination pour que le souvenir des événements qui ont suivi soit évoqué à son tour, et forme un tableau ou une scène hallucinatoire. C'est ainsi qu'on peut forcer un sujet à revivre un morceau de son existence, et surprendre des secrets qu'il n'aurait jamais livrés à une interrogation directe faîte pendant la veille, peut-être même pendant l'hypnotisme. Nous citerons comme exemple le chanteur dont M. Mesnet a raconté l'histoire; si on lui présente une canne recourbée qu'il prend pour un fusil, ses souvenirs militaires ressuscitent; il charge son arme, se couche à plat ventre, vise avec soin et tire. Si on lui présente un rouleau de papier, et qu'on fasse passer devant ses yeux une lumière, les souvenirs de son métier actuel de chanteur de café-concert ressuscitent; il le déroule et chante à pleine voix. Enfin, lors­ qu'on fait un récit à l'hypnotique et qu'on l'endort ensuite, il n'est pas impossible qu'une fois mise sur la voie elle n'ait l'hallucination successive de tous les événements qu'on lui a racontés.

Cette aptitude des images hallucinatoires à se suggérer mutuel­lement montre que la loi de l'association des idées par contiguïté peut s'exercer sans que l'intelligence et la volonté du sujet y prennent la moindre part; une image provoque l'autre, en vertu du lien qui les réunit, et la seconde suggère de la même façon la troisième: c'est une des plus belles manifestations de l'automa­ tisme cérébral.

En poussant l'analyse un peu plus loin, on remarque que, dans ces sortes d'hallucinations, ce n'est pas seulement l'image, prise en elle-même, qui s'extériorise, mais le lien d'association unissant plusieurs images. En effet, cette association donne à l'hallucina­ tion sa forme, elle détermine les images à s'extérioriser chacune à son tour, en suivant l'ordre où elles sont groupées dans l'esprit. Cela prouve que la loi posée par Dugald Stewart au sujet dos états de conscience s'applique également aux relations de ces états. Mais qu'est-ce qu'extérioriser ? C'est croire qu'une chose est réelle. Extérioriser une image, c'est croire qu'elle constitue la réalité. Donc, s'il est vrai que nous avons une tendance à exté­rioriser les associations d'images existant dans notre esprit, cela revient à dire que nous avons une tendance à croire que les choses sont liées dans la réalité de la m ê me façon que leurs images le sont dans notre esprit. Cette idée n'est pas neuve; il y a longtemps que Stuart Mill l'a formulée; l'hypnotisme la con­ firme de la façon la plus saisissante.

Généralisant, nous pouvons dire que toutes les fois que deux images sont associées, il en résulte une affirmation implicite à l'existence d'une relation entre deux choses, c'est-à-dire un juge­ ment, et que, par conséquent, le jugement se ramène à une association d'images extériorisée.

II

Un des caractères les plus frappants de l'hallucination hypno­ tique est la fixité de son siège. Prenons l'hallucination du por­ trait, qui est instructive à tant d'egards. Si par suggestion on a fait apparaître un portrait sur une plaque de carton dont les deux faces offrent une apparence tout à fait identique, l'image sera toujours vue sur la m ê me face du carton, et, quel que soit le sens dans lequel on le lui présente, l'hypnotisme saura toujours placer les faces et les bords dans la position qu'ils occupaient au mo­ ment de la suggestion, de telle façon que l'image ne soit ni renversée, ni même inclinée. Si on renverse le carton suivant ses faces, le portrait n'est plus vu. Si on le renverse suivant ses bords, le portait est vu la tête en bas. Jamais l'hypnotique n'est pris en défaut; qu'on lui couvre les yeux, que l'on se place der­ rière elle, pendant que l'on change les positions de l'objet, les réponses sont toujours parfaitement conformes à la localisation primitive.

Une expérience imaginée par l'un de nous (1) précise encore davantage ce fait. Sur une feuille de papier blanc, nous plaçons une carte également blanche; avec une pointe mousse, mais sans toucher le papier, nous suivons le contour du carton en suggérant l'idée d'une ligne tracée en noir. Quand le sujet est réveillé, nous lui demandons de plier le papier suivant ces lignes fictives; il tient le papier à la distance où il était au moment de la suggestion, et il le plie en formant un rectangle exactement superposable à la carte.

M. Charcot a souvent répété devant ses auditeurs une curieuse expérience qui, au fond, ressemble à la précédente. On suggère à un sujet la présence d'un portrait sur un carton blanc, que l'on confond ensuite avec une douzaine de cartons tous semblables, au moins en apparence. Au réveil, on prie le sujet de parcourir cette collection de carions; il le fait sans comprendre pourquoi; puis, quand ii aperçoit le carton sur lequel on avait placé le por­ trait, il y retrouve ce portrait imaginaire.

Toutes ces expériences paraissent supposer que l'image hallu­cinatoire provoquée chez le sujet par suggestion verbale ne reste pas vague et flottante dans son cerveau; il est probable, ainsi que l'un de nous l'a montré (2), que cette image s'associe à un point de repère extérieur, par exemple à un point, à un grain, à un détail quelconque du carton blanc qu'on lui a montré en faisant la suggestion; et c'est cette association de l'image cérébrale avec un point extérieur qui explique la série de faits que nous venons de résumer.

Un détail de ces expériences est bien significatif. Au lieu de remettre le paquet de cartons entre les mains de l'hypnotique, montrons-lui le portrait imaginaire en le tenant à environ deux mètres de ses yeux. A cette distance, le carton paraît tout blanc, tandis qu'une photographie réelle paraîtrait grise. Si on rapproche progressivement le carton, le portrait imaginaire finît par appa-raitre, mais il faut qu'il soit beaucoup pins rapproché qu'une photographie ordinaire, pour que la malade en reconnaisse le sujet. Cette particularité s'explique très bien avec la supposition que l'image hallucinatoire est évoquée par la vision des points de repère, et que ces points ne sont visibles qu'à une courte distance. De même, si on place une feuille de papier de soie sur le carton, la malade ne voit pas le portrait à travers. En faisant regarder le carton avec une lorgnette on permet à la malade de reconnaître son hallucination à une distance où elle ne la perçoit pas à l'œil nu. Cette dernière expérience qui a l'air paradoxal comporte la même interprétation que la précédente.

Es somme, sans aller au fond des choses, on peut résumer tout ce qui précède dans une formule unique: « L'objet imaginaire, q ui figure dans l'hallucination, est perçu dans les mêmes con­ditions que s'il était réel, »

Cette formule nous a servi de guide pour toute une série d'ex­ périences nouvelles, qui ont été faites sur l'hallucination visuelle, en cherchant à la modifier par des instruments d'optique. Nous allons indiquer les résultats les plus importants de ces recherches d'optique hallucinatoire (le mot est de H. Paul Janet).

L'origine de ces recherches se trouve dans une expérience ancienne du physicien anglais Brewster. Voici en quoi elle con­siste. On sait qu'à l'état normal, si on presse avec le bout du doigt sur l'œil, de façon à le dévier de sa position normale, et qu'en même temps on regarde fixement un objet extérieur, cet objet est dédoublé; on en voit deux au lieu d'un. Brewster réussit à répéter cette expérience sur un malade qui avait des hallucina­ tions visuelles; en pressant sur l'œil du malade, il dédoubla l'objet imaginaire que celui-ci regardait. Celte curieuse expérience fut répétée dans des circonstances analogues par un étudiant hallu­ ciné, à ce que rapporte le D r Paterson. Cet étudiant, en traversant un jardin, aperçut un fantôme drapé d'un large manteau bleu qui se tenait sous un arbre, à peu de distance. Désirant vérifier l'ex­ périence fameuse de Breswter, l'étudiant pressa le globe d'un de ses deux yeux, sans autre résultat que de rendre simplement la figure moins distincte. Mais en regardant obliquement, il vit la figure double et de grandeur naturelle. L'observation a été con­firmée depuis par plusieurs médecins. M. Ball rapporte qu'une femme hystérique de son service présentait des crises extatiques pendant lesquelles elle voyait la Vierge lui apparaître dans un costume resplendissant: par la pression oculaire, on dédoublait cette vision, et on lui montrait deux Vierges.

Cette expérience de dédoublement a servi de point de départ aux recherches destinées à établir la réalité des phénomènes subjectifs provoqués chez les hypnotiques (1). L'un de nous a eu l'idée de remplacer la pression de l'œil par l'interposition d'un prisme. Lorsqu'on regarde les objets extérieurs en plaçant un prisme devant un des yeux, les objets paraissent doubles, et une des images présente une déviation dont le sens et la grandeur sont soumis au calcul. Or, voici ce qu'on obtient, pendant le sommeil hypnotique, si on inculque à la malade l'idée qu'il existe sur la table de couleur sombre, qui est devant elle, un portrait de profil; à son réveil, elle voit distinctement le même portrait. Si alors, sans prévenir, on place un prisme devant un des yeux, immédiatement le sujet s'étonne de voir deux profils, et toujours l'image fausse est placée conformément aux lois de la physique. Deux de nos sujets peuvent répondre conformément dans l'état de catalepsie; ils n'ont aucune notion des propriétés du prisme. D'ailleurs, on peut leur dissimuler la position précise dans laquelle on le place, en masquant ses bords. Si la base du prisme est en haut, les deux images sont placées l'une au-dessus de l'autre; si la base est latérale, les deux images sont placées laté­ ralement. Enfin, on peut rapprocher la table suffisamment pour qu'elle ne soit pas doublée, ce qui pourrait servir d'indice (2).

Cette expérience du prisme n'est qu'une variante de celle de Brewster. Le prisme exerce, comme la pression oculaire, deux effets bien distincts sur l'image hallucinatoire: il dédouble et il dévie. La déviation par le prisme est un phénomène plus précis que la déviation par la pression oculaire; car on peut non seule­ ment en prévoir le sens mais en calculer la valeur, quand on con­ naît la position du prisme et la distance de l'objet.

Un point intéressant à remarquer, c'est que pour une distance donnée, le prisme provoque ou ne provoque pas un dédoublement de l'image, suivant qu'on le place devant l'œil le plus près de l'état normal on devant l'œil le plus amblyope. Du reste, à l'état de veille, on observe le môme phénomène dans la vision des objets réels.

Au prisme, l'un de nous (1) a substitué d'autres instrumente d'optique, afin de développer et de contrôler les premières expériences. La lorgnette rapproche ou éloigne les objets imagi­naires comme si c'étaient des objets réels. On commence par suggérer une hallucination quelconque siégeant sur les murs du laboratoire, ou mieux encore sur un châssis tendu d'une toile blanche; c'est par exemple un oiseau posé sur Je mur, ou un lézard qui grimpe, ou une fleur, ou un portrait suspendu. Si on fait contempler au sujet son hallucination avec une lorgnette, l'objet imaginaire paraît se rapprocher ou s'éloigner suivant qu'on place devant son œil l'oculaire ou l'objectif. Il est prudent de se mettre à l'abri d'une supercherie possible en empêchant l'halluciné de reconnaître le bout de la lorgnette qu'on présente à son œil. Le dispositif le plus simple est celui-ci: deux carions d'égale grandeur, percés chacun de deux ouvertures et fixés avec de la cire aux deux bouts de la lorgnette. On doit aussi éviter que le sujet perçoive, dans le champ de la lorgnette, des objets réels dont les changements de dimension pourraient, servir d'indice. C'est pour cette raison qu'on fixe l'hallucination sur une surface plate et sans accidents.

Il est assez intéressant de noter que la lorgnette ne produit son effet de rapprochement ou d'éloignement que si elle a été mise au point pour les yeux de l'halluciné. Ainsi W... qui est myope ne discerne rien quand la lorgnette a été mise au point par C... qui est emmétrope. De là la nécessité de prier chaque malade, avant l'hypnotisation, d'accommoder la jumelle à sa vue.

Mais quelle différence n'observe-t-on pas d'une malade à l'au­ tre, dans la manière dont elles subissent l'expérience! C... et Ch... constatent simplement que l'objet imaginaire est tantôt près, tantôt loin; ce changement de distance ne leur suggère aucune réflexion, à moins qu'on ne leur fasse voir une bête immonde dont le rapprochement leur arrache un cri d'effroi. W..., qui est beaucoup plus intelligente, éprouve chaque fois un étonnement des plus vifs. Comme nous lui faisons apparaître un oiseau posé sur la branche d'un arbre, elle ne comprend pas du tout que cet oiseau soit pendant un instant tout près d'elle, et l'instant après très éloigné. Nous lui disons que l'oiseau change de place, qu'il se rapproche en volant, puis qu'il s'éloigne. Mais elle repousse bien loin cette explication en répondant que l'arbre aussi paraît occuper des positions différentes. Finalement, elle conclut que ce sont ses yeux qui sont malades et changent la distance apparente des objets. Cette conclusion est très raisonnable, si elle n'est pas Juste. Toutes les réflexions qui précèdent sont faites par la ma- lade pendant la période de somnambulisme.

On donne une forme nouvelle à l'expérience de la lorgnette, en se servant des hallucinations de portraits. On peut faire appa­ raître le portrait d'une personne quelconque sur un carré de papier blanc, et exécuter sur ce portrait imaginaire une série d'expériences qui ne sont que le développement de celle de lia lorgnette, car elles reviennent toutes, en dernière analyse, à une application des lois de la réfraction.

On approche du portrait imaginaire une loupe, la malade déclare qu'il s'agrandit.

On incline la loupe, le portrait se déforme.

On place le carton de papier à une distance égale à deux fois la distance focale de la lentille, le portrait est vu renversé. Ces expériences ne réussissent pas toujours, mais il suffit qu'elles aient réussi une fois dans de bonnes conditions pour être réelles.

On fait glisser sur le carton blanc un prisme dont les trois faces sont égales, et on prie la malade de regarder le portrait à travers le prisme, de haut en bas; elle voit deux têtes au lieu d'une, et ces deux tètes lui paraissent agrandies dans le sens de la largeur, suivant l'orientation du prisme. Or, il est à remarquer que la surface de papier sur laquelle le prisme est placé est parfaitement blanche et uniforme, de sorte qu'une personne ignorant les propriétés du prisme ne pourrait pas s'apercevoir que ce bloc de verre dédouble l'image du morceau de papier sous- jacent. Enfin, si l'on appuie sur le papier une des arêtes du prisme, l a malade ne voit qu'un seul portrait, qui lui apparaît comme plié en deux. Toutes ces apparences sont conformes à la réalilé: s'il y avait réellement une figure sur le papier, la malade le verrait subir la même série de modifications. Enfin un cristal bi-réfringent donne, dans les mêmes conditions, deux images qui se compor­tent différemment quand on fait tourner le cristal autour de son axe.

H reste une dernière expérience à tenter dans cet ordre d'idées: c'est celle du microscope. Si on place, par suggestion, une préparation quelconque sur la plaque de verre, et qu'on fasse examiner à l'halluciné cette préparation imaginaire au micros­cope, verra-t-il l'image hallucinatoire grossie ? Et ce grossisse­ment d'une nature toute particulière sera-t-il assez fort pour lui révéler des détails de structure invisibles à l'œil nu ? Si par exemple on lui a suggéré la présence d'une goutte de sang sur le porte-objet, verra-t-il les globules ? Dans un fragment d'épi- derme végétal verra-t-il les stomates ?

L'expérience est très difficile, car la plupart des sujets en regar­ dant la plaque de verre au microscope n'y retrouvent pas la pré­ paration imaginaire. À plusieurs reprises, nous avons constaté que le microscope produit un grossissement de l'image halluci­ natoire; par exemple une patte d'araignée devient énorme; mais nous n'avons pas vu l'hypnotique découvrir des détails invisibles à l'œil nu.

Il est beaucoup plus facile Je faire réfléchir un objet imagi-naire dans un miroir; par exemple on suggère à la malade la présence d'un objet quelconque sur un point d'une table; si on place derrière ce point un miroir, la malade voit aussitôt deux objets.

Par exemple, a-t-on suggéré un chat, il en apparaît aussitôt un second; mais les deux objets ne sont pas toujours pareils; un jour, nous donnons à la malade l'hallucination d'un chat blanc; le miroir en fit apparaître un autre, qui était gris. L'objet imagi­naire réfléchi paraît à la malade aussi réel que l'objet imaginaire suggéré. Ainsi, quand le miroir est en place, on dit à la malade de regarder le beau papillon qui s'est posé sur la table; elle s'écrie aussitôt qu'il y en a deux. On lui commande alors de le» saisir tous les deux. Elle fait le geste de prendre celui qui est posé devant le miroir, et le pique à son corsage avec une épingle (c'est du moins ce que fait Cad..., car Ch... trouve cruel de piquer le papillon et s'y refuse); ensuite, elle essaye d'attraper l e second papillon, celui qui est réfléchi par le miroir, celui qui est virtuel ; mais sa main, rencontrant la glace, ne peut parvenir jusqu'au point que l'insecte paraît occuper. Le manège de W... est curieux à étudier à ce moment. Après s'être heurtée plusieurs fois de suite contre la paroi de verre, elle s'arrête avec dépit; malgré notre injonction, elle refuse absolument de continuer ses tentatives, eu répétant; je ne peux pas ! je ne peux pas !

Il est aisé de démontrer que le sujet ne place point l'objet imaginaire sur la surface du miroir, mais qu'il le voit dans le miroir. En effet, si on avance, si on éloigne, si on incline le miroir de telle sorte que le point de repère choisi cesse de se réfléchir pour les yeux de la malade, la double vision disparait.

Ces premières expériences sont grossières. On pourrait les expliquer sommairement en disant que le sujet voit le miroir et en conclut logiquement que l'objet suggéré doit s'y réfléchir. Nous n'affirmerons pas que ce phénomène d'auto-suggestion soit impossible; mais voici quelques expériences qui permettent de l'éliminer. Recourons à l'hallucination du portrait, qui nous a déjà servi, et doit nous servir encore bien des fois. On place sur le papier blanc qui porte le portrait imaginaire un prisme à réflexion totale; la malade ne peut être avertie de ce qui va se produire par la ressemblance de ce prisme avec un miroir; cependant, en regardant la face hypoténuse du prisme, elle ne manque jamais d'y voir un second portrait semblable au premier. Plaçons main­ tenant le portrait devant un miroir; si on a suggéré que le profil est tourné à droite, dans le miroir le profil est tourné à gauche. Donc l'image réfléchie est symétrique de l'image hallucinatoire. Renversons le carré de papier suivant ses bords, en opérant derrière la malade; dans le miroir, le portrait apparaît la tête en bas, et, point à noter, avec le profil tourné à droite, ce qui est encore conforme aux lois de l'optique. Récapitulons: le portrait imaginaire est tourné à droite; le miroir le fait paraître tourné à gauche, et, si on renverse le papier, il paraît tourné à droite. Ce sont déjà là des combinaisons qui ne s'inventent guère. Mais bous allons compliquer l'expérience encore davantage. Rempla­ çons le portrait par une inscription quelconque sur plusieurs lignes; dans le miroir, l'inscription est lue à rebours, c'est-à- dire renversée de droite à gauche; si on renverse le papier suivant ses bords, l'inscription est lue renversée de haut en bas, la première ligne devient la dernière, et en même temps le renversement de droite à gauche cesse. Cette expérience ne réussit pas constamment, mais souvent, et avec une suite qui exclut complètement tout soupçon de fraude. Y a-t-il beaucoup de personnes qui, sachant que l'écriture est vue dans le miroir ren­ versée de droite à gauche, se rendent compte que, lorsqu'on ren­ verse la feuille écrite, l'écriture réfléchie est renversée de haut en bas, mais cesse de l'être de gauche à droite ? L'hypnotique se joue de toutes ces difficultés, qui n'existent pas pour elle, car elle voit et n'a pas besoin de raisonner.

Puisque l'objet imaginaire créé par l'hallucination se comporte comme s'il était réel, sera-t-il masqué par l'interposition d'un écran ? La réponse varie suivant les sujets; ou peut même dire que tous les résultats possibles se réalisent.

Le cas le plus simple est celui-ci: l'écran supprime l'hallucina­ tion; la malade déclare qu'elle ne voit plus rien. Chez d'autres sujets, l'ecran ne supprime rien, l'hallucination continue, elle occupe le m ê me siège, et, si on commande à la malade de saisir l'objet de son hallucination, sa main va le chercher au delà de l'écran. Enfin, il est une troisième catégorie de sujets chez les­ quels la vision imaginaire n'est pas interrompue par un corps opaque, mais se transporte sur ce corps et s'y fixe.

Nous ne pouvons dégager la cause de ces variétés, qu'on observe d'un malade à l'autre, et quelquefois chez une m ê me malade, au cours d'une série d'expériences. Nous constaterons seulement qu'on trouve des particularités du même ordre dans la vision des objets réels, pendant le somnambulisme. Il y a des somnambules chez lesquels la vision des objets réels n'est pas suspendue par l'interposition d'un écran, et d'autres chez lesquel­ les la suppression a lieu.

H est bien entendu qu'il ne s'agit pas dans ces expériences de ces phénomènes merveilleux de vision à travers un bandeau épais dont on a tant parlé autrefois, et dont l'Académie de médecine mit la démonstration au concours pour le prix Burdin. Ici, il n'y a pas à proprement parler de vision à travers l'écran, mais une vision hallucinatoire qui continue malgré l'interposition de l'écran, ce qui est bien différent

L'inconstance de ces phénomènes nous détermine à ne pas bous y arrêter plus longtemps.

On remarquera sans peine l'enchaînement logique des expériences qui précèdent. La première en date et en importance est celle de la pression oculaire. Il est curieux que cette découverte, qui devait servir de principe à toute une série de recherches nou­ velles, et qui est le premier exemple d'une expérimentation sur les hallucinations, soit restée si longtemps ignorée et n'ait germé que de nos jours. L'expérience du prisme n'est à vrai dire qu'une simple variante de celle de Brewster; au lieu de dévier l'œil mé­ caniquement avec le doigt, le prisme dévie le rayon lumineux avant son entrée dans l'oeil, mais le résultat est le même: c'est la diplopie. L'expérience de la lorgnette, à son tour, peut être consi­dérée comme un développement de celle du prisme, car ces deux instruments sont fondés sur les lois de la réfraction de la lumière. Enfin le miroir se rattache aux expériences précédentes aussi intimement qu'en physique les phénomènes de réflexion de la lumière se rattachent aux phénomènes de réfraction. En résumé, tous les faits nouveaux découlent logiquement de l'expérience de Brewster. Cette expérience fontamentale les contenait tous vir­ tuellement, comme les propriétés des lignes, des angles et des surfaces contiennent virtuellement toute la géométrie. 11 ne s'a­ gissait que de déduire et d'appuyer chaque déduction par une recherche expérimentale.

Pour donner une explication complète de ces expériences, il faut choisir entre trois suppositions: 1° On a fait de la suggestion; le sujet a su qu'on plaçait devant ses yeux un prisme ayant la pro­ priété de dédoubler les objets, une lorgnette les grossissant, etc. Mais cette première hypothèse doit être écartée, car il est évident que la malade ignore les propriétés complexes de la loupe, du prisme simple, du prisme bi-réfringent et du prisme à réflexion totale, et quant aux autres instruments que la malade pourrait connaître, comme la lorgnette, on a eu soin de les dissimuler dans des appareils. Donc, à moins de supposer que l'opérateur a eu l'imprudence d'annoncer le résultat d'avance, il faut tenir pour certain que la suggestion ainsi comprise n'a joué aucun rôle; 2° Les instruments d'optique employés ont modifié les objets réels qui se trouvaient dans le champ visuel du sujet, et ces modifica­ tions lui ont servi d'indice pour en supposer de semblables dans l'objet imaginaire. Cette seconde explication, quoique meilleure que la précédente, nous parait insuffisante; elle a contre elle de nombreux faits déjà cités: la localisation précisa de l'hallucination sur un point que l'expérimentateur ne retrouve qu'au moyen de mensurations multiples; la reconnaissance du portrait ima­ ginaire sur un carton blanc mélangé avec six autres cartons tout à fait semblables pour nous; le renversement du portrait imagi­ naire par le renversement du carton, à l'insu de la malade, etc. Nous adopterons une troisième hypothèse, déjà indiquée: 3 ° L'image hallucinatoire suggérée s'associe à un point de repère extérieur et matériel, et ce sont les modifications imprimées par les instruments d'optique à ce point matériel qui, par contre­ coup, modifient l'hallucination. Voici de nouvelles observations qui paraissent confirmer cette théorie du point de repère.

Nous commencerons par rapporter ici les expériences de MM. Marie et Azoulay sur la durée de la perception de l'objet imaginaire. Ces observateurs ont montré que pour percevoir un objet imaginaire il fallait plus de temps que pour percevoir un objet réel (1).

« Le dispositif employé consiste en une bande blanche placée sur le cylindre de Marey; dans la résolution du cylindre la bande passe devant une lunette, munie d'un diaphragme assez étroit, dans laquelle regarde le sujet en expérience. Au moment où le sujet voit la bande blanche, il donne un signal électrique. On connaît l'instant exact où la bande a passé devant la lunette; il ne reste donc plus qu'à mesurer le temps qui s'est écoulé entre cet instant et celui où a lieu le signal pour connaître le temps de réaction personnelle. « Dans une première série d'expériences, nous avons recherché, chez une hystérique du service de M. Charcot, la valeur du temps de réaction à l'état de veille, en employant une bande blanche réelle. Cette valeur est en moyenne de 0"18. Chez un individu normal, elle est analogue. — A l'état de somnambulisme, cette valeur est de 0"20, c'est-à-dire augmentée de 0"02.

« Puis, au lieu de nous servir d'une bande blanche réelle, nous avons chez notre malade hypnotisée fait naître l'idée que, sur le cylindre noirci, en un certain point il existait une bande blanche, bien qu'en fait cette portion du cylindre ne présentât absolument rien qui permit de la distinguer. Nous avons dit à la malade d'in­ diquer le moment où elle voyait apparaître la bande blanche fi ctive. Le temps de réaction était de 0"22.

« Puis, nous avons réveillé la malade et avons recherché la valeur du temps de réaction. Dans ce cas, elle était eu moyenne de 0''23.

« Restait à voir si cette valeur éprouverait des variations pendant le temps durant lequel persistait la suggestion. Le lendemain, au bout de 24 heures, nous avons trouvé que le temps de réaction était de l"02, au bout de 48 heures il était de 1"14. Nous n'avons pu poursuivre plus loin cette étude, car chaque fois, au bout de 72 heures, la suggestion avait disparu: la malade ne voyait plus de bande blanche sur le cylindre.

c Les deux points sur lesquels nous voulons insister sont: « 1° La valeur de ces expériences au point de vue du contrôle, car ici, ainsi que nous avons pu nous en assurer, la simulation est absolument impossible: quelque attention que l'on mette, on ne peut, soit au moyen de la vue, soit par l'emploi d'un rythme quelconque, arriver à produire un tracé tel que ceux que nous avons obtenus, car dans ces tracés tous les temps de réaction coïncident d'une façon presque absolue. Ainsi donc les images fournies par la suggestion peuvent, tout aussi bien que. les images réelles, être soumises au contrôle de la méthode graphique.

« 2° Le temps de réaction augmente d'une façon énorme, mais non directement proportionnelle avec la durée de la sugges­ tion.

Aussitôt après celle-ci, il est de .... 0"23

24 heures après, il est de ........................... 1 "02

C'est-à-dire en plus de ............................... 0"79

48 heures après, de ............................. 1"114

C'est-à-dire en plus de ............................... 0"094

Par rapport à l'expérience précédente.

« Dans une seconde série d'expériences, les valeurs du temps de réaction personnelle ont été dans le même rapport, quoique chacune en particulier fût légèrement plus élevée de deux ou trois centièmes de seconde. »

Relevons un premier fait; pour la perception d'un objet réel, le temps de réaction est de 0, 18; pour l'objet imaginaire, de 0, 23. Pourquoi cette différence dans les chiffres? En voici la raison probable: dans la vision d'une couleur réelle, il n'y a qu'un seul phénomène, la sensation reçue par l'œil; au contraire, dans la vision d'une couleur imaginaire fixée par suggestion sur un point extérieur, il y a deux choses, la vision du point et ensuite le rappel par ce point de la couleur imaginaire. Ce double phéno­ mène doit prendre plus de temps qu'une simple sensation. De plus, à mesure que le temps s'écoule, l'association entre le point de repère et l'image hallucinatoire se relâche; elle finit même par disparaître, car il arrive un moment où la vue du point de repère n'éveille plus aucune image dans l'esprit du sujet. On comprend donc que parallèlement la durée du temps de réaction augmente, jusqu'au moment où il n'y a plus de perception du tout. La méthode graphique a J'avantage de saisir ces modifications pro­ gressives dans la durée de la perception imaginaire, phénomènes délicats qui échappent complètement à l'observation pure et sim­ ple. A ce titre, l'observation de MM. Marie et Azoulay a un réel intérêt psychologique, en nous montrant qu'on peut mesurer la force d'une association mentale qui s'affaiblit.

M. Londe, chef des travaux chimiques à la clinique nerveuse de la Salpêtrière, nous a communiqué le fait suivant, qui est un exemple remarquable de longue suggestion et qui vient à l'appui des idées que nous exposons. Un jour qu'une hystérique était en état de somnambulisme, il s'approcha d'elle, et lui montrant un cliché qu'il tenait à la main, et qui représentait une vue des Pyrénées avec des ânes gravissant une côte, il lui dit: « Regardez, c'est votre portrait, vous êtes toute nue, »

A son réveil, la malade aperçut par hasard le cliché, et, furieuse de s'y voir représentée dans un état trop voisin de la nature, elle sauta dessus et le brisa. Mais on avait déjà tiré de ce cliché deux épreuves photographiques, qui furent conservées avec soin. Chaque fois que la malade les aperçoit, elle trépigne de colère, car elle s'y voit toujours représentée nue. Au bout de deux ans, l'hallucination dure encore. Cette survie extraordinairement longue de l'hallucination s'explique bien par la théorie du point de repère. La photographie offre en réalité à la malade un nombre Immense de points de repère qui, s'étant associés à l'image hallu­ cinatoire, l'évoquent avec une force invincible, en accumulant leurs effets. Ce qu'il y a de plus curieux dans cette observation, c'est que la malade ne voit pas ces points de repère, ou plutôt ne se rend pas compte de leur nature, car il faut bien qu'elle les voie pour projeter son hallucination; mais elle n'arrive pas à reconnaître qu'ils forment, par leur réunion, une vue des Pyrénées. On s'est efforcé vainement de la tirer d'erreur; elle ne voit sur la photographie que son portrait.

!! y a dans l'observation de M. Londe un second point à relever. Cette hallucination du portrait existe à la fois sur toutes les épreuves d'une même photographie. Son premier siège a été le cliché; quand on a tiré des épreuves de ce cliché, elle s'est transportée sur les épreuves; autant d'épreuves, autant de por- traits imaginaires. Cette multiplication de l'hallucination par la multiplication des points de repère rappelle un peu le phénomène de la réflexion dans le miroir; en tout cas, elle prouve bien avec quelle force l'image fictive s'associe avec la vue de la photographie, puisque la présentation d'une photographie nouvelle, mais entiè­ rement semblable à la première, est apte à suggérer la même hallucination.

En résumé, si on crée l'hallucination d'un portrait sur une photographie réelle, et qu'on présente à la malade une seconde épreuve de la même photographie, sans faire intervenir de sug­ gestion nouvelle, elle y découvrira le même portrait. Cette expé­ rience qui s'est faite toute seule nous conduit à en imaginer une seconde, qui en dérive logiquement. Si on photographiait un car­ ton blanc sur lequel la suggestion aurait fixé un portrait imagi­ naire, qu'arriverait-il ? Dans une expérience que nous avons faite, la malade a reconnu instantanément le portrait imaginaire, lorsque nous lui avons présenté la photographie du carton blanc. Mais il est évident que les expériences de ce genre sont trop délicates pour réussir toutes les fois à coup sûr. Puisqu'il y a des expériences qui ratent en physique, comment n'y en aurait-il pas en physiologie cérébrale ? Celle qui nous a réussi a toutefois une grande valeur démonstrative, car c'est la première. Nous avons fait une seconde tentative qui a complètement échoué. Nous nous en sommes tenus là.

Cette même théorie du point de repère est encore apte à nous donner d'autres explications; elle nous fait comprendre pour­ quoi l'hallucination hypnotique persiste après le réveil, chez beaucoup de malades, tandis que le souvenir de ce qui s'est passé au même moment du sommeil s'efface complètement, à moins qu'on n'emploie certains artifices pour le réveiller. Le contraste est assez frappant. On a fait exécuter un assassinat à l'hypno­ tisée, et quand on la réveille elle ne se souvient ni de l'ordre reçu ni de l'acte accomplit; si à celle même malade, on donne l'hallu­ cination d'un oiseau, cette hallucination sera au réveil presque aussi vive que pendant le somnambulisme. Pourquoi cette diffé­rence ? Si l'hallucination est une image, le souvenir aussi est une image. C'est vrai, mais l'hallucination est une image, plus quelque chose, plus un point de repère extérieur; c'est ce point de repère qui, restant toujours présent, rappelle l'image hallucina­ toire par association d'idées, comme un nœud fait à un mouchoir.

L'existence de ce point de repère établit une transition naturelle entre l'hallucination et l'illusion hypnotiques. Ces deux phénomènes se produisent également par suggestion verbale; la seule différence qui les sépare, c'est que l'illusion a un substratum qui manque à l'hal­ lucination; il y a dans toute illusion un objet réel, qui est plus ou moins défiguré par la suggestion. Or il faut convenir que cette diffé­ rence n'est pas essentielle, car la suggestion peut transformer de mille manières cet objet, faire d'un livre un chapeau, un chien, une personne, et créer exactement les mêmes apparences sans le secours d'aucun objet. Pour qui admet la théorie du point de repère, cette différence entre l'illusion et l'hallucination hypnotiques s'efiace tout à fait, et l'illusion hypnotique apparaît comme une halluci­nation à laquelle on aurait pris soin de choisir, par suggestion spéciale, un point de repère qui n'est autre chose qu'un objet réel. De là quelques conséquences intéressantes; l'illusion hypno-t ique se modifie comme une hallucination quand l'objet réel sur lequel elle est appliquée se modifie.

On a vu que, pour l'hallucination, ces modifications consistent dans des phénomènes de déviation, dédoublement, etc., provoqués par des instruments d'optique. Dans l'illusion le point de repère, étant non pas un point, mais un objet réel et souvent une per­ sonne, peut se modifier spontanément, ce qui ajoute une compli­ cation nouvelle à l'expérience. On a transformé par suggestion M. X... en chien. La malade ne voit plus M. X..., il n'existe plus, mais elle attribue tous ses gestes, tous ses mouvements, au chien qu'on lui a suggéré. Il en résulte que l'illusion hypnotique ne présente pas cette fixité habituelle à l'hallucination, elle varie sans cesse, car elle subit le contre-coup de tous les changements qui surviennent dans son substratum. Nous disons un jour à une de nos somnambules, en lui désignant M. X...: regardez cette personne, c'est une nourrice, elle tient un enfant dans les bras. Au réveil, l'hallucination persiste, et la malade observe avec un intérêt tout féminin la nourrice et l'enfant. Chose curieuse, elle voyait les gestes que faisait M. X..., et les attribuait à la nourrice; le réel et l'imaginaire se mélangeaient intimement. M. X... ayant levé les mains en l'air, elle lui dit d'une vois courroucée: « Malheureuse! c'est ainsi que vous tenez votre enfant ! Vous voulez donc le tuer? »

L'illusion hypnotique nous amène par une transition logique à l'illusion des sens ordinaire, physiologique, qui se reproduit dans tant de circonstances diverses, et que tout le monde connaît par expérience. La cause de ces deux illusions n'est pas la même, car celle de l'hypnotisme est produite par suggestion verbale, c'est-à- dire par le dedans, et celle de la vie ordinaire est provoquée le plus souvent par la perception vicieuse des objets extérieurs, c'est-à-dire par le dehors. Mais il n'est pas douteux que, malgré cette différence dans le procédé de formation, toute illusion sans distinction est pareillement formée par la synthèse de deux élé­ments, l'objet extérieur et l'image fausse forgée par l'esprit et extériorisée sur l'objet. Ajoutons que l'illusion ordinaire peut être, comme l'autre, agrandie par une lorgnette, réfléchie par une glace, etc. Nous avons quelques observations qui le prouvent. Ces modifications optiques paraissent ici très naturelles puisque l'image fausse est associée à un objet extérieur Mais il n'en est pas moins intéressant de constater qu'une loi commune régit toute cette série de phénomènes, l'hallucination, l'illusion hypnotique et l'illusion ordinaire.

Nous ne sommes pas encore au bout de la série. L'illusion des sens ordinaire se rattache directement à la perception extérieure, c'est-à-dire à l'acte normal par lequel nous entrons en l'apport avec les objets extérieurs et présents. M. Taine a appelé la per­ ception extérieure une hallucination vraie, 11 est certain que cette opération est comme l'illusion une synthèse de sensations venues du dehors et d'images venues du dedans. L'un de nous, en étudiant le mécanisme de la perception, a constaté qu'elle pré­ sente en petit les phénomènes que l'on retrouve si singulièrement amplifiés dans l'hallucination hypnotique: déviation, dédouble­ ment, agrandissement des images mentales.... L'hallucination serait donc une maladie de la perception extérieure (I).

La théorie du point de repère que nous venons d'exposer doit être étendue aux hallucinations à longue échéance, faits singu­liers qui s'éloignent tellement des connaissances acquises qu'on les a mis en doute. M. Bernheim dit, pendant le sommeil, au som­ nambule S... ancien sergent: « Quel jour serez-vous libre dans la première semaine du mois d'octobre ? Il dit: le mercredi. — Eh bien, alors, écoutez-moi bien. Le premier mercredi d'octobre vous irez chez le D r Liébeault et vous trouverez chez lui le Pré­ sident de la République qui vous remettra une médaille et une pension. — J'irai, dit-il. » A son réveil, il ne se souvient de rien. Le 3 octobre (63 jours après la suggestion) S... arrive chez le D r Liébeault à onze heures moins dix. Après avoir salué en entrant M. F..., qui se trouvait sur son chemin, il se dirige vers la gauche de la bibliothèque, sans faire attention à personne, et on l'a vu saluer respectueusement, puis il a prononcé le mot « Excellence ». Comme il parlait assez bas, M. Liébeault est allé immédiatement à lui: en ce moment, il tendait la main droite et répondait: « Merci, Excellence. » M. Liébeault lui a demandé à qui il parlait: * Mais, répondit-il, au Président de la République. » M. Beaunis a communiqué à la Société de psychologie physiologique (avril 1885} un second exemple d'hallucination post-hypnotique, se réa­ lisant six mois après la suggestion; il annonce, le 14 juillet 1884, à une jeune fille endormie qu'elle le verra, le 1 er janvier, entrer dans sa chambre et lui souhaiter la bonne année. C'est ce qui eut lieu en effet. La jeune fille vit le jour de l'an entrer dans sa cham­ bre M. Beaunis (lequel était ce jour-là à Paris), il lui souhaita la bonne année et disparut. On a encore donné des suggestions de rêves à faire dans une nuit ultérieure. Nous croyons, pour les avoir observées, que ces hallucinations à longue échéance sont parfaitement réelles. Ce qui est surprenant, c'est moins la longueur de l'échéance que la réalisation à heure fixe.

Les hypnotiques possèdent-ils donc une faculté de mesurer le temps in abstracto ? Nous croyons plus probable que l'éclosion de l'hallucination an moment assigné d'avance est produite par une circonstance extérieure: enlevez cette circonstance qui joue le rôle de stimulus, et l'hallucination prolongera indéfini- psychologiques que ces faits d'hallucination comportent. A. Binet, la Psychologie du raisonnement, in-18, Paris, F. Alcan, l886. ment sa vie latente. On remarquera dans les expériences de MM. Bernheim et Beaunis que le jour fixé pour l'échéance porte une marque distinctive: c'est le premier mercredi d'octobre, ou encore c'est le premier janvier. Ces dates servent peut-être de point de repère à la malade; c'est comme si on lui disait: quand je frapperai dans mes mains, vous aurez votre hallucination. L'ar­rivée du moment choisi est une espèce de signal. Au reste, notre interprétation est toute provisoire et nous laissons cette question ouverte, comme tant d'autres.

III

Nous nous proposons d'exposer maintenant une série d'expé­ riences d'hypnotisme qui nous paraissent jeter quelque jour sur le problème encore si obscur de la physiologie des hallucinations; en effet, les phénomènes nouveaux que nous allons faire connaître semblent prouver que l'hallucination est produite par une exci­tation des centres sensoriels. Cette conclusion, pour n'être pas nouvelle, n'en est pas moins intéressante; car, si elle a été souvent présentée par les aliénistes, on n'a jamais pu en faire la preuve complète. C'est cette preuve que fournit l'étude appro­fondie des phénomènes hypnotiques.

Au reste, disons-le bien vite, nous songeons moins à développer une thèse qu' à enregistrer un certain nombre de faits qui sont intéressants par eux-mêmes, en tant que faits. Les conclusions que nous en lirons sur la physiologie des hallucinations sont simplement un lien qui sert à rattacher ensemble des observations très diverses. Les observations seules ont quelque valeur. Un phé­nomène régulièrement observé est un point qui demeure définiti­ vement acquis à la science, quoi qu'il arrive; quant aux théories, on sait ce qu'elles deviennent.

1° L 'achromatopsie. — Nous appellerons tout d'abord l'atten­ tion sur les effets de l'achromatopsie ou perte du sens des couleurs. M. Paul Richer a montré le premier, dans ses Études cliniques sur l'hystéro-épilepsie, que chez la plupart des hysté­riques hypnotisées, il est impossible de suggérer des hallucina­ tions colorées par l'œil achromatopsique. L'œil qui a perdu la sensibilité chromatique ne voit plus les couleurs d'un objet imaginaire.

La même règle paraît s'étendre, comme l'on de nous l'a montré, aux hallucinations spontanées de l'aliénation mentale; nous avons observé, dans le service du docteur Magnan, à l'asile Sainte-Anne, une hystérique aliénée qui était obsédée continuellement par l'image d'un homme habillé de rouge; cette femme était hémia- nesthésique et achromatopsique du côté gauche du corps; lorsqu'on lui fermait l'œil droit, elle continuait à percevoir son hallucination avec l'œil gauche, mais l'homme qui lui apparaissait n'était plus rouge, il était gris et comme entouré d'un nuage (1).

Le fait étant bien prouvé, il reste à l'interpréter. Quel contraste étrange ! dira-t-on; on peut donner à la malade en état de som­ nambulisme toutes les hallucinations que l'on veut, et la suggestion n'est pas même limitée par l'absurde; dans l'espace de quelques minutes, nous faisons passer devant ses yeux étonnés, un bal, une fête publique, une voiture qui se renverse, une foule qui s'ameute, une insurrection, la lutte sur une barricade, puis le calme, la nuit, la lune qui se lève et qui éclaire les morts... La malade voit tout cela; elle rit, pleure, s'étonne, pousse des cris de terreur suivant la nature des scènes qui se déroulent devant elle; mais quand il s'agit de lui montrer un objet coloré par un œil achro­ matopsique, le pouvoir de l'expérimentateur s'arrête tout à coup; cette automate, qui est si docile pour tout le reste, affirme avec obstination qu'elle ne voit pas les couleurs qu'on lui suggère; si l'œil qu'on lui laisse ouvert a perdu par exemple la perception du violet, il est impossible de faire entrer le violet dans aucune de ses hallucinations, à moins d'ouvrir l'autre œil, qui a conservé le sens de cette couleur. Évidemment, le contraste est frappant, mais il ne paraît bizarre que lorsqu'on n'y réfléchit pas assez long­ temps; il s'explique, au contraire, d'une manière très satisfai sante, lorsqu'on tient compte du siège de l'achromatopsie et du siège probable de l'hallucination.

On peut considérer aujourd'hui comme à peu près certain que l 'achromatopsie hystérique résulte d'un trouble fonctionnel de l'écorce cérébrale, et non d'une lésion de la rétine ou des voies conductrices visuelles. Toutes les notions que nous possédons sur les perturbations nerveuses de l'hystérie portent à croire que ces troubles divers ne sont pas le fait des conducteurs. Donc, considérons l'achromatopsie comme un trouble fonctionnel des cellules corticales affectées à la perception des couleurs. Que résulte-t-il de cette manière de voir ? C'est que si ce trouble fonc­ tionnel met le même obstacle à l'hallucination qu'à la perception d'une couleur donnée, cela tient vraisemblablement à ce que les deux phénomènes, perception et hallucination, emploient le même ordre d'éléments nerveux. En d'autres termes, l'hallucina­ tion se passerait dans les centres où sont reçues les impressions des sens; elle résulterait d'une excitation des centres sensoriels.

On objectera peut-être qu'il y a des hystériques hypnotisées chez lesquelles l'achromatopsie n'empêche pas la suggestion d'hallucinations colorées. Mais il nous parait facile d'expliquer cette dérogation à la règle. Nous remarquerons simplement que l'achromatopsie chez les hystériques est une dépendance de l'hé- mianesthésie; que cette lésion n'a rien de définitif; que c'est moins une paralysie qu'une parésie, une paresse des éléments nerveux. Ces éléments ne répondent plus à l'appel de leur excitant normal, la lumière colorée; mais il n'y a rien d'étonnant à ce qu'ils réagissent lorsqu'ils sont attaqués par un autre côté, par une excitation qui vient des centres auditifs, et qui n'est autre chose que la suggestion verbale.

2° Les phénomènes de contraste. — Voici un second fait qui montrera, mieux encore que le précédent, que l'hallucination et la sensation ont le même siège cérébral: c'est la propriété que possède l'image hallucinatoire de provoquer les mêmes effets de contraste que la sensation. M. Parinaud, chef du laboratoire ophtalmologique de la clinique des maladies nerveuses, à la Sal- pêtrière, a bien voulu nous communiquer la note suivante, relatant des expériences inédites qui sont du plus grand intérêt:

L'hallucination d'une couleur peut développer des phénomènes de contraste chromatique aussi bien, et même d'une manière plus intense, que la per­ception réelle de la couleur.

Si par exemple on présente à une malade en état de suggestion une feuille de papier divisée en deux parties par une ligne et qu'on lui donne sur une des moitiés l'hallucination du rouge, elle accuse sur l'autre moitié la sensation du vert complémentaire. S! 1» sensation du rouge persiste après le reveil, celle du vert persiste également

Pour comprendre la signification de ce fait, il faut se reporter à l'expérience suivante que j'ai fait connaître dans une communication relative au contraste chromatique. (Société de biologie, juillet 1882. )

Un carton moitié blanc et motié vert sur une de ses faces, complè­ tement blanc sur l'autre, porte à son centre, sur les deux faces, un point destiné à immobiliser le regard. Vous fixez pendant une demi» minute la face blanche verte, puis, retournant le carton, le point cen­ tral de la face complètement blanche. Vous voyez sur la moitié qui cor­ respond à la surface verte une teinte rouge qui n'est autre que limage consécutive définitive, et sur l'autre moitié la teinte verte complé­ mentaire. L'image consécutive rouge a donc développé, par induction, l a sensation du vert dans une partie de la rétine qui n'a été impres­sionnée que par du blanc. Cette expérience que 1 on peut varier de différentes manières, de façon à bien établir qu'il ne s'agit pas d'er- reur de jugement, mais bien des sensations positives, démontre que toute impression de couleur se traduit par une modification plus ou moins persistante des éléments nerveux, qui donne lieu à l'image consécutive, et que cette modification détermine, dans les parties non impressionnées, une modification de sens contraire qui développe la sensation complémentaire, par un phénomène analogue à ce qui se passe dans un corps que l'on aimante.

Limage de l'hallucination se comporte comme l'image consécutive; elle peut déterminer comme elle une sensation induite, elle corres­pond donc à une modification matérielle des centres nerveux.

Il est nécessaire pour que l'expérience réussisse que la malade ait conservé la perception de la couleur dont on lui donne l'hallucina­ tion (on sait que la perception des couleurs est fréquemment altérée dans l'amblyopie hystérique). S'il y a un certain degré de daltonisme pour cette couleur, la sensation suggérée est confuse cl la sensation induite ne se produit pas. Lorsque la malade distingue toutes les couleurs à l'état de veille, elle trouve ainsi la complémentaire de chacune d'elles. Si la cécité ne porte que sur certaines couleurs, ce qui est fréquent, le résultat est singulier. Une malade voit le rouge, je suppose, et ne voit pas le vert; on ne peut pas, en lui donnant l'hallucination du vert, développer ta sensation induite du rouge; maïs, en lui donnant l'hallucination du rouge qu'elle voit, ou déve­loppe la sensation induite du vert qu'elle ne voit pas.

Il résulte clairement de ces expériences qu'au point de vue da contraste simultané, l'image hallucinatoire se comporte absolu­ ment comme une sensation réelle. Ne peut-on pas en conclure que les deux phénomènes mettent ea vibration les mêmes touches du clavier cérébral ? Une différence les sépare; c'est la suivante: lorsqu'on éprouve réellement une sensation de couleur, celte sensation résulte d'une excitation qui part de la rétine et arrive au centre de la vision en suivant les voies conductrices visuelles, le nerf optique, le chiasma, les bandelettes, etc., tandis que la sensation de couleur suggérée par la parole (ou image hallucina­ toire) résulte d'une excitation qui part de l'oreille et se réfléchit dans le centre des sensations auditives avant d'arriver au centre visuel. Mais, sauf cette différence dans le parcours de l'excitation, il semble bien, nous le répétons, que l'hallucination et la sensation correspondent à la même action physiologique: sinon comment pourrait-il y avoir dans les deux cas les mêmes effets de con­ traste chromatique ?

les sensations subjectives, — Les recherches de M. Parinaud sur le contraste simultané conduisaient assez naturellement à re­ chercher si les hallucinations donnent lieu à des sensations subjec­ tives, car ces deux ordres de phénomènes sont intimement liés.

Pour bien fixer les idées, nous rappellerons qu'on désigne par sensations objectives de la vue les images qui succèdent à l'im­ pression visuelle d'un objet lumineux ou éclairé. Suivant les conditions dans lesquelles on est placé, l'image consécutive est positive ou négative. L'image positive offre la représentation de l'objet tel qu'il est avec conservation de sa couleur et de l'inten­sité lumineuse relative de ses parties. Dans l'image négative tout est renversé; les clairs de l'objet paraissent foncés, et les parties foncées paraissent claires; de plus, la coloration de l'objet est remplacée par la couleur complémentaire.

La production des images consécutives est un phénomène nor­ mal qui accompagne constamment, mais à des degrés variables, l'exercice de la vision externe. Nous avons constaté que la vision hallucinatoire est soumise aux mêmes conditions; toute halluci­ nation qui dure un certain temps laisse à sa place, quand elle disparait, une image consécutive, comme le font les sensations rétiniennes ordinaires (1).

Ce phénomène a été observé pour la première fois, il y a déjà longtemps, par le physiologiste Gruithuisen, qui, rendant compte de ce qu'il a remarqué dans ses rêves, rapporte que « tantôt une image fantastique très brillante laissait à sa place une figure de même forme, mais obscure; tantôt, après avoir rêvé du spath fluor violet sur des charbons ardents, on apercevait une tache jaune sur un fond bleu (1) ».

Nous avons eu l'occasion de vérifier l'exactitude de cette obser­ vation, en opérant sur des hypnotiques, ces précieux sujets d'expérience. On prie la malade en état de somnambulisme de regarder avec attention un carré de papier blanc, au milieu duquel on a marqué un point noir, afin d'immobiliser son regard; en même temps, on lui suggère que ce carré de papier est coloré en rouge, ou en vert, etc. Au bout d'un instant, on lui présente un second carré de papier, qui présente aussi au centre un point noir; il suffit d'attirer l'attention de la malade sur ce point pour que spontanément elle s'écrie que le point est entouré d'un carré c oloré; et la couleur qu'elle indique est la complémentaire de celle qu'on lui a fait apparaître par suggestion. Cette couleur complémentaire est l'image négative laissée par l'hallucination colorée; elle dure peu de temps, s'efface, se perd, meurt, comme disent les malades; elle a bien les allures d'une image négative ordinaire.

Cette expérience a été répétée devant un nombreux auditoire par M. Charcot, dans une de ses leçons sur l'aphasie. L'éminent professeur a montré que, pour réussir à coup sûr, il faut avoir la précaution de déterminer avec soin la nature de la couleur qu'on suggère; si, par exemple, on se contente de suggérer du « rouge », la malade peut se représenter soit le rouge qui a pour complémentaire le vert, soit un rouge orangé dont la complémen­taire est le bleu. Résultats contradictoires qui deviennent impos­ sibles toutes les fois qu'on précise par une comparaison la cou» leur qu'on veut faire voir à la malade.

Remarquons-le en passant: cette expérience est une réponse péremploire à ceux qui croient encore à une simulation géné­ rale. On ne peut pas soutenir raisonnablement qu'une femme hystérique qui sait à peine lire et écrire connaît sur le bout du doigt la théorie des couleurs complémentaires. Nos malades ont toujours répondu juste; et de plus, ce que nous tenons à faire observer, c'est qu'elles ont répondu juste dès la première expé­rience (2).

(11 Cité par Burdach ( Traité de physiologie, t. V, p. 206). (2) Une de nos malades nous a présenté un fait intéressant. Cette malade a perdu pour les deux yeux la perception du violet; elle voit le

Il est à propos de rappeler qu'on retrouve des phénomènes analogues dans la vision mentale des individus normaux. L'idée persistante d'une couleur brillante développe une image consé­ cutive de couleur complémentaire comme le ferait une sensation réelle (1). Si, les yeux fermés, nous tenons l'image d'une couleur très vive longtemps fixée devant l'esprit, et qu'après cela, ouvrant brusquement les yeux, nous les portions sur une surface blanche, nous y verrons durant un instant très court l'image contemplée en imagination, mais avec la couleur complémentaire. L'un de nous a réussi à répéter cette expérience, qui est difficile et exige de la part du sujet un grand pouvoir de visualisation ; il arrive à se représenter l'idée du rouge d'une manière assez intense pour voir, au bout de quelques minutes, une tache verte sur une feuille de papier; mais, chose curieuse, ce ne fut qu'après des efforts multipliés qu'il put associer un contour à la couleur et reproduire sous forme d'image subjective l'idée d'une croix ou d'un cercle colorés.

Ces faits nous montrent le rapport étroit de parenté qui unit la sensation, l'hallucination et le souvenir; ces trois phénomènes ont évidemment pour base la même opération physiologique, se réalisant dans un même point des centres nerveux. Ainsi, soit qu'on ait l'impression réelle de la couleur rouge, ou qu'on se représente cette couleur par le souvenir, ou qu'on la voie dans une hallucination, c'est toujours la même cellule qui vibre.

Mélange des couleurs imaginaires. — Comme il est assez intéressant de développer une expérience, afin de considérer un fait sur toutes ses faces, nous avons cherché ce que pourrait donner le mélange des couleurs imaginaires. Nous avons voulu savoir si une hypnotique peut faire du blanc avec le mélange du rouge et du vert suggérés. Le procédé qui nous a paru le plus commode, après plusieurs tâtonnements, n'exige point de grand appareil. On place deux carrés de papier coloré, à quelque dis­ tance l'un de l'autre, sur une table, et on tient devant son œil un e plaque de verre inclinée, de telle façon qu'on voie directe­ ment au travers de la plaque un des cartons, et qu'on obtienne

violet en noir. Or, lorsqu'on lui donne l'hallucination du jaune, elle a une image consécutive qui est noire, au lieu d'être violette (le violet est la complémentaire du jaune). en même temps une image réfléchie du second carton; on amène ensuite très facilement les deux images à se superposer, et leurs couleurs se mélangent. On peut varier un grand nombre de fois le résultat en employant des cartons de couleurs différentes. Les choses étant ainsi disposées, on montre à l'hypnotique une série de cartons blancs, et on lui suggère qu'ils sont colorés; on a soin chaque fois de préciser la couleur qu'on suggère en mon­ trant à la malade, à titre d'échantillon, un des carions colorés qui ont servi à l'expérience préparatoire; de telle sorte que les couleurs imaginaires des cartons blancs sont absolument sem­ blables aux couleurs réelles des autres cartons.

La malade peut alors faire, avec une plaque de verre et sa collection de cartons colorés par suggestion, les mêmes mélanges que l'expérimentateur, et celui-ci vérifie chaque fois l'exactitude du résultat en opérant sur des couleurs réelles. Lorsqu'on se place dans ces conditions rigoureuses, qui ne Misent rien au hasard des suggestions mal faites, les couleurs imaginaires donnent des teintes résultantes, qui sont toujours conformes aux lois de l'optique.

Ne paraît-il pas permis d'en conclure que l'hallucination d'une couleur est une sensation suggérée qui occupe le même siège cérébral que la sensation réelle ?

Phénomènes observés du côté de l'œil. — Nous arrivons à une série bien enchaînée d'observations cliniques et d'expé­ riences, qui fourniront à notre thèse un argument précieux, et peut-être le plus décisif de tous.

Il est très remarquable que, lorsqu'une lésion cérébrale déter­ mine des troubles sensitifs des tégument de l'œil, on trouve égale­ ment, pour peu qu'on les cherche, des troubles visuels, comme de l'achromatopsie, des rétrécissements concentriques on latéraux du champ visuel. C'est ce dont plusieurs observations font foi (1).

Cette relation curieuse entre la sensibilité générale de l'œil et sa sensibilité spéciale est particulièrement apparente dans l'hémianesthésie des hystériques. En effet, chez ces malades, l'insensibilité d'une moitié du corps s'étend non seulement à la peau et aux muqueuses, mais ordinairement aussi aux organes des sens; la vue, l'odorat, l'ouïe, sont également diminués du même côté; en nu mot, il s'agit, en général, d'une hémianesthésie sensitivo-sensorielle. Or, on constate dans ces conditions que la sensibilité générale de l'œil, c'est-à-dire la sensibilité de la conjonctive et de la cornée, est constamment eu rapport avec la sensibilité spéciale de l'organe. Ainsi les hystériques hémianes- thésiques que nous avons observées et qui ne présentaient ni rétrécissement du champ visuel ni achromatopsie conservaient la sensibilité spéciale de leur conjonctive; celles qui ont perdu la vision d'une ou de plusieurs couleurs et ont un rétrécissement plus ou moins régulièrement proportionnel du champ visuel ont perdu la sensibilité conjonctivale; celles enfin qui ont une achro-m atopsie complète, avec un champ visuel presque nul, ont perdu non seulement la sensibilité de la conjonctive, mais encore celle de la cornée. Dans ce dernier cas, si, pendant que la malade regarde fixement un objet, on fait avancer au contact de la con­jonctive et de la cornée une bandelette de papier, on voit l'œil et les paupières rester immobiles, tant que le corps étranger n'est pas arrivé dans le champ pupillaire; le réflexe oculo-palpébral qui se produit alors est déterminé exclusivement par l'excitation de la rétine, qui a perdu la perception des couleurs, mais dis­ tingue encore le clair de l'obscur.

Chez les hémianesthésiques pures, ou chez les anesthésiques totales avec prédominance d'un côté, on peut, par l'aimantation, par l'électrisation statique, etc., provoquer un transfert de l'anesthésie, qui permet de faire une contre-épreuve donnant des résultats constants.

Ce rapport entre l'insensibilité cutanée et l'insensibilité senso­ rielle existe non seulement quand l'anesthésie est étendue à toute la moitié du corps, mais encore lorsqu'elle est plus ou moins limitée. Lorsqu'on a fait disparaître l'anesthésie hystérique par l'électrisation statique, on voit au bout d'un temps variable reparaître l'insensibilité sur une région l7ocalisée, variant suivant les sujets et n'ayant aucun rapport avec les distributions ner­ veuses. Chez une de nos malades, la sensibilité revient d'abord par une zone limitée qui entoure l'œil, comprenant la cornée et la conjonctive, et l'anesthésie sensorielle se reproduit en même temps que l'anesthésie limitée de la peau M).

(1) Ce que nous venons de dire de l'œil se vérifie également pour les Le rapport qui existe entre la sensibilité spéciale de l'œil et la sensibilité de la conjonctive nous parait encore trouver une preuve dans une observation que nous avons pu faire à la Salp ê - trière sur trois hystériques hypnotisables. On peut distinguer dans la catalepsie deux phases, en ce qui concerne l'œil: 2° dans la catalepsie profonde, celle qu'on obtient, par exemple, par un bruit soudain, les yeux restent fixes, sans clignement de pau­ pières. Dans cet état, on peut toucher impunément la conjonc­ tive sans provoquer de réflexe; 2° en agitant plusieurs fois un objet devant les yeux de la cataleptique, on arrive à fixer son regard et à lui faire suivre les mouvements que l'on fait. Si alors on touche la conjonctive, les paupières réagissent immédiatement comme chez un sujet sain, tandis que la sensibilité générale reste abolie sur tout le corps. On peut, en replongeant la malade dans la catalepsie profonde, répéter l'expérience autant de fois qu'on le veut, le résultat est toujours le même; sitôt que l'œil perd sa fixité, la sensibilité de la conjonctive reparaît. L'objet mis en mouvement devant l'œil excite la sensibilité spéciale de l'organe, comme, dans d'autres circonstances, une forte excitation locale ramène la sensibilité cutanée et, avec la fonc­tion visuelle, la sensibilité de la membrane externe de l'œil a reparu.

Ces faits semblent indiquer qu'il existe dans des régions indé­ terminées de l'encéphale des centres sensitifs communs aux or­ganes des sens et aux téguments qui les recouvrent (1).

Nous arrivons enfin, après ce long préambule, aux observa-t ions qui nous intéressent directement, au point de vue de la physiologie des hallucinations. L'un de nous a constaté que lors­ qu'on donne à une cataleptique une hallucination visuelle, la sen­ sibilité générale de l'œil est souvent modifiée d'une manière pro­fonde. Nous venons de voir que, dans l'état cataleptique, la con­ jonctive et la cornée, en dehors du champ pupillaire, sont en général insensibles; eh bien! chez la nommée P..., par exemple, sitôt qu'on a développé une hallucination visuelle, la sensibilité des membranes externes de l'œil revient dans l'état où elle existe pendant la veille; on ne peut toucher les membranes avec un

autres sens. Nous n'insistons pas. Pour plus de détails, voy. l'ouvrage cité de Ch. Féré.

corps étranger sans provoquer de réflexes palpébraux (1). L'hal­ lucination réveille la sensibilité générale de l'œil, exactement comme le fait la vision d'un objet réel qu'on agite devant les yeux du sujet. Ce fait ne prouve-t-il pas que l'hallucination visuelle in­téresse le centre de la vision ?

Une seconde expérience nous présente le même fait sous une forme différente. Chez la nommée M..., l'hallucination visuelle persiste généralement pendant trois à quatre minutes après le réveil; cette malade, une fois réveillée, se plaint d'avoir mal aux yeux et les frotte sans relâche; elle cesse d'y porter les mains au moment où l'hallucination disparaît. Nous avons vu cette malade répéter ce manège plus de quarante fois, et nous n'y attachions aucune importance, tant il est vrai qu'on ne voit bien que ce qu'on est préparé à voir. Cependant il y a là un phénomène cu­ rieux; c est une hyperesthésie, ou plutôt une dysesthésie des té­ guments de l'œil, qui est provoquée par l'hallucination visuelle, qui dure autant que l'hallucination et disparaît avec elle. Ne sem- ble-t-il pas que si une hallucination peut exercer cette modifica­tion sur la sensibilité cutanée de l'œil, c'est qu'elle excite la sen­ sibilité spéciale de l'organe, c'est-à-dire le centre de la vision (2). Chez une troisième malade, la malade X..., nous avons en­ core observé le même phénomène sous une forme nouvelle. Nous donnons à notre sujet l'hallucination d'un oiseau posé sur son doigt et en même temps nous lui suggérons qu'elle voit l'oiseau exclusivement de l'œil droit. Après le réveil, l'hallucination per­ siste, la malade caresse l'oiseau; mais elle ne s'aperçoit pas qu'elle le voit seulement d'un œil, car elle a les deux yeux ou­ verts et ne pense pas à en fermer un. Au bout de quelque temps, elle se plaint de douleurs dans l'œil droit: elle dit: c J'ai comme du sable dans cet œil », et effectivement elle ne porte la main qu'à cet œil seulement. On remarquera cette expression: j'ai comme du sable... Les personnes atteintes de conjonctivites ne parlent pas autrement. La localisation de la douleur dans l'œil qui est seul halluciné prouve bien que cette dysesthésie est sous la dépendance de l'hallucination.

•  Ch. Féré, les Hypnotiques hystériques comme sujets d'expérience en
médecine mentale, etc. (Archives de neurologie, 1883, t . VI, p. 122).

•  Chez cette malade, l'hallucination de l'ouïe détermine une douleur localisée dans le conduit auditif.

Chacun de ces faits, pris isolément, est un peu menu; mais ils concordent entre eux, ils s'enchaînent logiquement et paraissent démontrer que l'hallucination visuelle a son siège dans le centre sensoriel de la vision.

Puisque nous venons d'étudier l'influence de l'hallucination sur l 'état des organes des sens, et sur l'œil en particulier, nous devons rappeler l'observation faite par l'un de nous (1) sur l'état de la pupille chez les hallucinés. Il avait d'abord observé que dans les hallucinations qui accompagnent la troisième période de la grande attaque hystérique, le diamètre de la pupille varie avec la distance présumée de l'objet hallucinatoire. Ce fait inté­ressant se retrouve dans les hallucinations provoquées de l'hyp­ notisme.

« Chez deux hystériques avec lesquelles on peut entrer en com­ munication par la parole pendant la catalepsie, voici ce que nous avons observé: lorsque nous leur ordonnons de regarder un oi­seau au sommet d'un clocher ou s'élevant tout en haut dans les airs, la pupille se dilate progressivement jusqu'à doubler, ou peut s'en faut, son diamètre primitif; si nous faisons redescendre l'oi­ seau, la pupille se rétrécît graduellement; et on peut reproduire le même phénomène autant de fois que l'on évoque l'idée d'un objet quelconque qui se meut.

< Ces modifications de la pupille que l'on provoque ainsi chez une cataleptique, qui ne cesse pas d'ailleurs d'offrir tous les phénomènes propres à la catalepsie, montrent que, dans cette hallucination, l'objet fictif est exactement vu comme s'il existait, et provoque, par ses mouvements, des efforts d'accommodation suivant les mêmes lois que si c'était un objet réel. Il s'agit donc bien d'une hallucination véritable, qui n'a rien à faire avec la su­ percherie. »

IV

Il nous reste à étudier l'action des esthésiogènes sur l'halluci­ nation.

Nous avons eu souvent l'occasion de parler des esthésiogènes On appelle de ce nom un certain nombre d'agents, qui, d'après les observations faites par Burq et confirmées et étendues depuis par de nombreux observateurs, ont la propriété d'agir sur la sensibilité et la motilité d'une certaine catégorie de sujets. L'esthésiogène auquel nous avons eu le plus souvent recours dans nos éludes est l'aimant; cet agent n'offre rien de mystérieux; assimilé par la physique à un solénoïde, il agit sur le système nerveux comme un courant électrique faible, produisant une excitation périphérique continue. Son mode d'action a, d'ailleurs, été nettement établi par des recherches de l'un de nous (1).

Nous n'avons pas à prouver ici la réalité de l'influence des esthésiogènes, pour répondre à ceux qui ne voient dans ces agents que des effets de la suggestion et de l'attention expectante; c'est un point sur lequel nous avons déjà eu l'occasion de nous expliquer. Il nous reste seulement à montrer que, dans les expériences qui vont suivre, nous avons pris des précautions suffisantes pour éliminer la suggestion et l'attention expectante. Voici les points sur lesquels nous insistons: 1° Engagés dans des recherches nouvelles, nous étions incapables de prévoir dans beaucoup de cas, notamment pour la polarisation des émotions, ce qui allait se produire; nous n'avons donc pas pu faire de la suggestion; 2 ° Nous avons répété les expériences sur des sujets complètement neufs, et obtenu les mêmes résultats; 3° Nous avons dissimulé l'aimant sous un linge, et les mêmes effets se sont produits; 4° Nous avons rendu l'aimant invisible par sugges­ tion, et le même effet a continué à se produire; 5 ° Nous avons employé un aimant en bois, et rien ne s'est passé; si, d'ailleurs, il s'était passé quelque chose, ce résultat n'aurait rien prouvé contre nous, car il aurait pu s'expliquer par un rappel de l'excitation périphérique antérieure; 6 ° Nos expériences faites pendant le somnambulisme se relient logiquement à celles qui ont été faites pendant la léthargie et la catalepsie; or, dans ces deux derniers états, nous n'avons jamais pu donner de suggestion compliquée à nos sujets. Ces motifs nous paraissent démontrer que nous avons obtenu, dans nos recherches, des effets dus à des esthésiogènes et non à une suggestion inconsciente.

Il se trouvera certainement beaucoup d'observateurs qui essayeront de contrôler nos expériences et qui, ne réussissant pas, les déclareront fausses, ou produites par la suggestion. C'est le cas de rappeler avec Claude Bernard qu'use expérience négative ne prouve le plus souvent qu'une chose, c'est qu'on n'a pas su s'y prendre. Il est clair que les esthésiogènes n'agissent que sur une certaine catégorie de sujets; c'est ce qui a été vu dès le début par tous les observateurs qui se sont occupés de celte question. Or nos expériences sur les esthésiogènes, n'étant que le développement logique des expériences de Burq et de ses successeurs sur la métaliothérapie, sont évidemment soumises aux mômes conditions. On n'infirmera donc en rien nos recherches en montrant que sur le premier sujet venu elles ne réussissent pas; ce serait là une argumentation puérile. Doute-t-on du phénomène de l'hyperexcitabilité neuro-musculaire, parce qu'on ne sera pas capable de le produire chez un sujet sain, nullement hystérique? Nous nous faisons un devoir de donner à nos contra­ dicteurs présents et futurs le conseil d'opérer exclusivement sur des hystériques, présentant les caractères du grand hypnotisme, et chez lesquels la sensibilité et la force musculaire sont modifiées par les applications aimantées.

Nous avons observé que l'hallucination unilatérale, chez cer­ taines malades atteintes de grand hypnotisme, peut être transfé­rée par l'aimant, comme une contracture ou une paralysie hysté­rique (1).

Contrairement à ce qui se passe pour les contractures, l'hallu­ cination visuelle transférée n'est pas symétrique de l'hallucination initiale. On donne au sujet la suggestion qu'il voit sur un carton un portrait de profil, et que ce profil est tourné vers la droite; on ajoute qu'il voit cette figure de l'œil droit seulement, et pas du tout de l'œil gauche. Par l'application de l'aimant, on tait passer l'hallucination du côté gauche, et on l'enlève à l'œil droit. Si alors on demande à la malade de quel côté est tourné le profil qu'elle voit sur le carton, elle répond qu'il regarde vers la droite, comme auparavant; la symétrie voudrait qu'il regardât vers la gauche.

Pendant la durée du transfert, le sujet se plaint spontanément d'une douleur de tète oscillant d'un côté du crâne à l'autre. Cette douleur de transfert n'est pas diffuse, elle a un siège fixe, et ce siège est des plus remarquables. Grâce aux notions de topogra­ phie cranio-cérébrales établies par l'un de nous (1), on peut constater que le point douloureux, indiqué sans aucune hésitation par la malade, coïncide pour certains genres d'hallucinations avec les centres sensoriels de l'écorce cérébrale, tels qu'ils ont été fixés par les recherches physiologiques et anatomo-cliniques de ces dernières années (fig. 9). Il en est ainsi notamment pour les hallu-

Fig. 8. — Topographie cranio-cêrêbrale. — B, Bregma; — C, Point qui correspond à l'extrémité externe do la suture coronaje; — I., Lambda, correspondant à la scissure perpendiculaire externe; — CS, Scissure de Sylvius; — RR', Sillon do Rolando: R, son extrémité antérieure à 3 centimètres environ en arrière de l' extrémité externe de la suture coronale. — R', son extrémité postérieure à 45 millimètres en arrière du bregma; — AA. Plan alvéolo-condylien; — OM. Plan auriculo-bregmatique; — GL, Plan passant par le diamètre transverse frontal mi­ nimum et le lambda; — KE, Section passant entre les 2 plis de la 3* circonvo­ lution frontale au point C qui correspond à l'extrémité externe de la suture coronale, et effleurant la téte du noyau caudé; — R'H, Section passant par l'extrémité postérieure du sillon de Rolando et en arriére de la limite postérieure de la couche optique; — NM, Plan horizontal passant par la lac© supérieure du corps calleux et au-dessus des noyaux gris.

cinations les plus importantes, celles de la vue et de l'ouïe. Ainsi, dans le transfert de l'hallucination visuelle, le point est situé un peu en arrière et au-dessus du pavillon de l'oreille; il corres­ pond à la région dont la destruction détermine la cécité verbale et l'hémianopsie; c'est donc la partie antérieure du lobule pariétal inférieur.

Bans le transfert de l'hallucination de l'ouïe, le point doulou­ reux est situé au milieu de l'espace compris entre la partie anté­ rieure du pavillon de l'oreille et l'apophyse orbitaire externe; la douleur répond à peu près à la partie moyenne du lobe temporo- sphénoïdal, et approximativement à la région dont la destruction produit la surdité verbale. Pour le goût, le point est au-dessus de la crête occipitale externe, à deux centimètres en dehors de la ligne médiane; pour l'odorat, il est à un centimètre au-dessus et un peu en dedans. Ces deux dernières localisations sont en con­tradiction avec les résultats des recherches anatomo-cliniques; elles méritent d'être contrôlées.

Cette coïncidence, comment faut-il l'interpréter ? Prouve-t-elle que le processus physiologique correspondant à l'hallucination siège dans les centres sensoriels de l'écorce cérébrale, en arrière de la zone motrice ? Ou bien ne faut-il y voir qu'un de ces réflexes auxquels on donne en physiologie le nom de douleurs en écho ?

Nous ne trancherons pas la question.

Tout ce qu'on peut dire de certain, c'est qu'il existe chez cer­tains sujets un rapport spécial entre certains points du cuir che­ velu et certains centres nerveux dont l'emplacement exact reste à déterminer. A ce titre, le siège de la douleur de transfert a la valeur d'un signe objectif.

Nous avons vu, dans une autre expérience sur les mêmes ma­ lades, la démonstration du même rapport entre certains points du cuir chevelu et certaines fonctions sensorielles. Nous voulons parler des expériences de somnambulisme partiel (1). Si l'on plonge le sujet en catalepsie totale, et qu'on vienne à exciter mécaniquement, avec le doigt ou un corps mousse, les points du crâne qui sont douloureux pendant le transfert, on produit de curieux effets. Si on excite le point du crâne correspondant au centre visuel, on somnambulise les deux yeux de la malade, qui perdent leur fixité cataleptique et suivent les mouvements du doigt. Si on excite de la même façon le point correspondant du centre auditif, on somnambulise cette fois l'appareil de l'ouïe, et la malade, jusque-là complètement insensible à la voix, entend les ordres qu'on lui adresse, et essaye de les exécuter, dans la mesure où le lui permettent ses membres, qui restent eu cata­ lepsie.

On vient de voir l'effet que l'esthésiogène exerce sur des hallu­ cinations unilatérales; il les déplace et leur fait subir une série d'oscillations. Quand l'hallucination est bilatérale, le résultat est différent; ce n'est pas un transfert, c'est ce que nous avons appelé une polarisation (1). Citons quelques expériences.

On donne à une malade en somnambulisme l'hallucination ba­ nale d'un oiseau posé sur son doigt. Pendant qu'elle caresse l'oi­ seau imaginaire, on la réveille, et on approche un aimant de sa tête. Au bout de quelques minutes, elle s'arrête tout à coup, lève les yeux et regarde de tous côtés avec étonnement. L'oiseau qui était sur son doigt a disparu. Elle le cherche dans la salle, et le trouve enfin, car nous l'entendons qui dit: « C'est comme ça que tu me quittes. » Après quelques instants, l'oiseau disparaît de nouveau; mais il reparaît ensuite. La malade se plaint de temps en temps d'un mai à la tête dans un point que nous avons décrit antérieurement comme correspondant au centre visuel.

L'aimant exerce le même effet suspensif sur une perception réelle. Par exemple, une de nos malades étant réveillée, on lui montre un gong chinois et le tampon qui sert à le frapper. A la vue de l'instrument, la malade a peur. On frappe un coup de gong; la malade tombe instantanément en catalepsie. Après cette expérience préparatoire, on la réveille et on la prie de regarder attentivement le gong; pendant ce temps, on approche de sa tête un petit aimant. Au bout d'une minute, elle prétend qu'elle ne voit plus l'instrument, il a complètement disparu pour ses yeux. Alors, on frappe le gong à coups redoublés, et, malgré l'énergie du bruit, la malade ne tombe pas en catalepsie; elle regarde seu­ lement de côté et d'autre, avec un air un peu étonné.

Ainsi, l'aimant paralyse en quelque sorte la vision du gong, il remplace la perception de cet objet par une anesthésie correspon­ dante, ce qui fait que le bruit du gong ne produit plus de cata-l epsie, oos avons constaté, en outre, que l'aimant supprime le souve- nir évoqué, comme il supprime la vision imaginaire, comme il supprime la vision réelle. Cette analogie d'effet se comprend, car tous ces phénomènes ont un fond commun. Qu'est-ce qu'un sou­ venir? une image. Qu'est-ce qu'une hallucination? une image. Et, enfin, qu'est-ce qu'une image ? une copie affaiblie d'une sea- sation antérieure.

Ce qui distingue le souvenir, l'hallucination et la perception vraie, ce sont les états de conscience secondaires qui accompa­gnent la suggestion de l'image. Dans le souvenir, ces états con­sistent en jugements qui localisent l'image dans le passé. Dans l'hallucination et dans la sensation, ces états consistent en juge­ments qui localisent l'image dans le monde extérieur. Mais ces localisations dans l'espace et dans le temps sont des actes secon­daires, accessoires, surajoutés.

Une expérience de polarisation démontre bien le lien de parenté de ces trois phénomènes. Une de nos malades étant dans l'état de veille, nous lui parlons du tam-tam, en la priant de nous en décrire la forme, la couleur, la grandeur, l'usage, etc. Elle nous dit à plusieurs reprises qu'elle le voit très nettement dans son esprit. Quand son attention est bien fixée sur l'idée de cet objet, nous appliquons l'aimant. Au bout d'une minute, elle a de la peine à s'imaginer le tam-tam et finit même par ne plus com­ prendre lorsque nous lui en parlons. A ce moment, nous prenons le tam-tam placé sur une table voisine et nous le présentons à la malade: elle ne le voit pas. On peut même le faire résonner, en le frappant avec force, sans provoquer autre chose qu'un léger tres­ saillement. Mais, si on attend quelques secondes, on assiste à une oscillation consécutive; le souvenir du tam-tam revient, en même temps la vision de l'instrument se rétablit, et il suffit alors d'un léger coup de gong pour plonger la malade en catalepsie.

Ainsi, la suppression du souvenir ou plutôt la paralysie du sou venir, déterminée par l'application de l'aimant, a entraîné une paralysie correspondante de la perception de l'objet. La malade, rendue incapable de se représenter le tam-tam, est devenue inca­ pable de le voir quand on le lui a présenté.

Dans tout ce qui précède, on a vu l'aimant agir sur une sensa­ tion, une hallucination, un souvenir, en les supprimant et en les remplaçant par une paralysie correspondante. La polarisation contient un élément de plus, production d'un phénomène com­ plémentaire. C'est ce que montrera l'observation suivante, à laquelle nous sommes forcés de nous restreindre. Nous avons rappelé plus haut que, lorsqu'on a regardé attentivement une croix ronge et qu'on porte le regard sur un espace blanc, il

Fig . 10. — Croix rouge.

se produit comme sensation consécutive une croix verte; dans l'image subjective, la couleur primitive est remplacée par sa com- plémentaire, mais la forme persiste, c'est toujours une croix. Il en est de même lorsque l'on provoque l'hallucination d'une croix

Fig. 11. — Crox rose et rayons verts entre les branches de la croix.

rouge ou lorsqu'on peut imaginer la même figure coloriée avec u ne intensité suffisante.

Si à un de nos sujets, W ou C, indifféremment, et à l'état de veille nous Inculquons que la croix (fig. 10) que nous venons de dessiner sur un papier blanc est colorée en rouge, et si nous l'invitons à considérer avec attention cette croix rouge pendant qu'an aimant est placé derrière sa tête à son insu, voici ce qui se passe: le sujet voit apparaître des rayons verts entre les bras de la croix (fig. 11); peu à peu ces rayons verts s'allongent, et, à mesure qu'ils s'allongent, la croix devient plus rose, sa teinte primitive se dégrade. Un instant, la croix parait verte, puis toute couleur disparaît dans l'étendue de la figure primitive, le sujet voit une croix vide, un trou en forme de croix entouré de rayons verts qui persistent (fig. 12). Si à ce moment on place une croix en papier rouge au milieu de la figure, le sujet ne la voit pas. L'aimant produit des effets analogues sur le souvenir d'objets colorés.

Fig. 12. — La croix a disparu, laissant un vide. Les rayons verts se sont allongés et sont devenus plus foncés.

Il serait curieux d'appliquer les mêmes expériences aux sens du goût, de l'odorat, de l'ouïe, afin de voir si l'on peut établir pour ces organes sensoriels une théorie des sensations complé­ mentaires comparable à celle qui existe pour la vue. Nous avons eu simplement l'occasion de constater qu'une impression de chaleur suggérée est remplacée, sous l'influence de l'aimant, par une impression de froid, accompagnée de frissons.

Chez quelques sujets, l'hallucination nait et meurt pendant le somnambulisme. Chez d'autres, elle a plus de vitalité et persiste pendant l'état de veille. La durée de l'hallucination post-hypno­ tique est, comme on le comprend facilement, très variable, car elle dépend d'une foule de circonstances.

Chez les sujets dont les hallucinations, provoquées pendant le sommeil, subsistent à l'état de veille, il se pose une question intéressante. Que devient l'hallucination transplantée dans ce milieu nouveau ?

H semble au premier abord que la malade réveillée va corriger son hallucination et l'expulser en quelque sorte de son intelligence. Il n'en est rien. Chez nos grandes hypnotiques, l'hallucination qui continue à l'état de veille entraine une foi aveugle. On ne peut même pas dire à la malade: * Vous êtes le jouet d'une illusion: ce portrait que vous croyez réel est une vision imaginaire. » Si on lui tient ce langage, elle croit qu'on se moque d'elle; si on insiste, elle devient inquiète, prend une expression égarée; nous avons même constaté une fois l'imminence d'une attaque. Ces faits sem­ blent montrer que la conviction dans la réalité de l'hallucination fait partie intégrante du phénomène; l'hallucination ne consiste pas seulement dans une image sensible extériorisée, mais encore dans l'état d'esprit qui accompagne la projection de cette image.

Un jour, nous prévenons la malade, avant de l'endormir, que nous allons l'halluciner, et nous convenons avec elle qu'après son réveil, elle fera tous ses efforts pour corriger son hallucination fit la juger fausse. Après l'avoir endormie, nous lui donnons la sug­ gestion qu'il y a sur la table une pièce de dix francs en or, à l'ef­ figie de Napoléon III. A son réveil, la pièce est toujours là. Nous disons à la malade: « Vous savez ce qui est convenu; nous vous avons donné une hallucination; cette pièce d'or n'est pas réelle. » Alors, elle nous regarde avec stupéfaction, on peut même dire avec stupeur, tant nos paroles lui paraissent étonnantes. L'idée seule qu'on peut douter de l'existence d'une pièce de monnaie qu'elle voit et qu'elle touche, semble jeter le trouble dans son intelli­ gence. Mais bientôt elle revient à elle, et nous affirme avec la; plus grande énergie qu'elle voit la pièce, que c'est une pièce réelle, et que nous nous moquons d'elle en affirmant le contraire. Il ne nous a pas été possible de faire pénétrer le moindre doute dans son esprit. On peut supprimer l'hallucination par suggestion, mais, tant qu'elle subsiste, le sujet y croit de toutes ses forces.

On lit, au contraire, dans plusieurs auteurs qu'il suffit de dire à l'halluciné: « Nous vous avons donné une suggestion * pour qu'il cesse de croire à la réalité de la vision. Nous n'avons rencontré cette soumission chez nos malades que lorsque l'hallucination commence à faiblir et à perdre de son intensité.

Il nous reste à dire comment on détruit une hallucination pro­ voquée. 11 est souvent très important de ne pas laisser de trace d'un trouble sensoriel qui pourrait avoir des conséquences terribles pou r l'entourage du malade. Tout halluciné est dangereux comme une matière explosive.

Chez un grand nombre de malades, l'hallucination s'efface spon­ tanément pendant le somnambulisme. Quelques sujets décrivent fort bien ce mode de disparition. L'objet imaginaire perd la netteté de ses contours, il devient transparent, cesse de masquer les objets réels devant lesquels il est placé, et finalement, semble se fondre dans l'air (Richer).

Chez d'autres malades, la disparition se fait pendant l'état de veilla au bout d'un temps variable. Les unes sont désolées de voir fuir l'objet imaginaire. Une malade à qui le D r Bernheim donne des bagues, des bracelets et des éventails imaginaires, le supplie de lui laisser ces cadeaux, dont l'expérience lui a appris le carac­ tère fugitif. D'autres veulent se rendre compte, à toute force, de cette disparition singulière. X... qui voit, au bout de quelques jours, les portraits imaginaires qu'on lui donne s'effacer et le car­ton devenir blanc, explique cet accident en disant que les photo­ graphies sont mal virées.

Le moyen le plus simple de détraire l'hallucination est d'affir­ mer à l'hypnotique qu'il n'a rien vu, rien entendu, rien senti. Quelquefois le sujet résiste. On peut encore employer l'aimant, si le sujet est sensible à cet esthésiogène; nous avons vu que l'aimant détruit rapidement une hallucination bilatérale.

Le plus souvent, tout disparait à la fois, l'hallucination et te souvenir de l'hallucination: on observe cette amnésie alors môme que l'hallucination a été provoquée à l'état de veille, signe pré- deux pour reconnaître la sincérité de l'expérience.

C'est ici le lieu de parler de quelques phénomènes assez cu­ rieux. On montre à une somnambule, C... par exemple, un flacon réel placé sur une table, puis on le retire, en soutenant à la ma­ lade qu'il est encore au môme endroit. Réveillée, elle voit le fla­ con imaginaire, et quant au flacon réel, elle ne le voit pas, ne le sent pas, ne te perçoit en aucune manière. On peut le lui mettre entre les mains, le promener sur son visage, le choquer avec une clef, sans qu'elle éprouve la moindre sensation. La perception de l'objet réel est complètement paralysée par la vision imaginaire du même objet.

Autre exemple: on suggéra à X... l'hallucination que l'un de nous était présent à un bal que l'on donne tous les ans à la Sal- pêtrière; il paraît qu'elle nous vit distinctement et qu'elle nous parla à plusieurs reprises pendant la durée du bal. Le lendemain matin, nous arrivons dans le service (cette fois, réellement et non en hallucination). La malade nous voit, mais ne nous reconnaît pas, et nous prend pour un étranger. 11 fallut l'endormir pour lui rendre par suggestion la perception de notre personne.

On peut encore supprimer l'hallucination par une simple exci­tation physique. On suggère à une somnambule qu'elle entend répéter une lettre, L par exemple. On la réveille, le son continue. On lui fait ouvrir la bouche, et on constate que sa langue est ani­ mée de mouvements qui coïncident avec chaque audition men­ tale. Si, par une pression énergique, on s'oppose à ce mouve­ ment, l'hallucination disparaît; elle disparaît encore lorsque le sujet projette sa langue hors de la bouche et la lient dans cette attitude forcée, ou enfin lorsqu'on lui donne une contracture. On voit en résumé qu'il est possible d'enlever une hallucination par trois procédés différents, suggestion, excitation physique, aimant. H est probable que les deux derniers agents agissent de même.

L'hallucination, dont nous venons de tracer les principaux caractères, est la tête de ligne d'une série de phénomènes beau­coup plus complexes et beaucoup plus obscurs; elle peut donc servir de préparation et d'introduction à l'étude de ces phéno­mènes supérieurs, parmi lesquels nous citerons les conceptions délirantes.

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