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Le Magnetisme Animal

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CHAPITRE VI

Les périodes hypnotiques.

Essai nosographique de M. Charcot. — La catalepsie. — La léthargie. — Le somnambulisme. — Signification des trois états. — Leurs variations. — Les états intermédiaires.

Les différents phénomènes qui forment la symptomatologie de l'hypnotisme peuvent soit exister isolément, soit se présenter associés dans un certain ordre. M. Charcot et ses élèves ont observé que chez les grandes hystériques ces symptômes ont une tendance à former trois groupes distincts. Nous croyons devoir résumer ici l'essai nosographique de M. Charcot (1).

ESSAI D'UNE DISTINCTION NOSOGRAPHIQUE DES DIVERS ÉTATS NERVEUX COMPRIS SOUS LE NOM D'HYPNOTISME

« Les phénomènes si nombreux et si variés qui s'observent chez les sujets hypnotisés ne répondent pas à un seul et même état nerveux. En réalité, l'hypnotisme représente cliniquement un groupe naturel, comprenant une série d'états nerveux, différents les uns des autres, chacun d'eux s'accusant par une symptomato- logie qui lui appartient en propre. On doit, par conséquent, suivant en cela l'exemple des nosographes, s'attacher à bien définir, d'après leurs caractères génériques, ces divers états nerveux, avant d'entrer dans l'étude plus approfondie des phéno­mènes qui relèvent de chacun d'eux. C'est faute d'avoir spécifié, au préalable, l'état particulier du sujet chez lequel ils ont relevé une observation, que divers observateurs arrivent trop souvent à ne point s'entendre et à se contredire les uns les autres sans motifs suffisants.

« Ces différents états» dont l'ensemble représente toute la symp- tomatologie de l'hypnotisme, semblent pouvoir être ramenés, suivant M. Charcot, à trois types fondamentaux, à savoir: 1° l'état cataleptique; 2° l'état léthargique et 3° l'état de somnam­bulisme provoqué; chacun de ces états, comprenant d'ailleurs un certain nombre de formes secondaires et laissant place pour les états mixtes, peut se présenter d'emblée, primitivement, isolé­ ment; ils peuvent encore, dans le cours d'une même observation, chez un même sujet, se produire successivement, dans tel ou tel ordre, au gré de l'observateur, par la mise en oeuvre de certaines pratiques. Bans ce dernier cas, les divers états signalés plus haut représentent en quelque sorte les phases ou périodes d'un même processus.

« Laissant de côté les variétés, les formes frustes, les états mixtes, on devra se borner, dans cet exposé, à indiquer d'une façon sommaire, les traits les plus généraux de ces trois états fondamentaux qui dominent en quelque sorte la symptomatologie si complexe de l'hypnotisme.

« 1 ° État cataleptique. —Il peut se produire: a, primitivement, sous l'influence d'un brait intense et inattendu, d'une lumière vive placée sous le regard, ou encore, chez quelques sujets par la fixation plus ou moins prolongée des yeux sur un objet quel­ conque, etc.; — b, consécutivement à l'état léthargique lorsque les yeux, clos jusque-là, sont, dans un lieu éclairé, découverts par l'élévation des paupières. — Le sujet cataleptisé est immo­ bile; il paraît comme fasciné. Les yeux sont ouverts, le regard fixe; pas de clignement des paupières; les larmes s'accumulent bientôt et s'écoulent sur les joues. Assez fréquemment anesthésie de la conjonctive et même de la cornée. Les membres et toutes les parties du corps gardent souvent pendant un temps fort long les positions, les attitudes même les plus difficiles à maintenir, qu'on leur a communiquées. Ils paraissent d'une grande légèreté lorsqu'on les soulève ou les déplace, et l'on n'éprouve aucune résistance à les fléchir ou à les étendre. La « flexibilitas cerea » , et ce que l'on appelé « la raideur du mannequin des peintres *, n'existent pas. Les réflexes tendineux sont abolis. L'hyperexcita- bilité neuro-musculaire fait défaut. — H y a analgésie complète, mais certains sens conservent du moins en partie leur activité (sens musculaire, vision, audition). — Cette persistance de l'activité sensorielle permet souvent d'impressionner de diverses façons le sujet cataleptique et de développer chez lui, par voie de suggestions, des impulsions automatiques et de provoquer des hallucinations. Lorsqu'il en est ainsi, les attitudes fixes artificiel­ lement imprimées aux. membres ou d'une façon plus générale aux diverses parties du corps font place à des mouvements plus ou moins complexes, parfaitement coordonnés, en rapport avec la nature des hallucinations et des impulsions provoquées. Abandonné à lui-même, le sujet retombe, bientôt dans l'état où il était placé au moment où on l'a impressionné par suggestion.

« 2° Etat léthargique. — Il se manifeste: a, primitivement sous l'influence de la fixation du regard sur un objet placé à une cer­ taine distance; b consécutivement à l'état cataleptique, par la simple occlusion des paupières, ou par le passage dans un lieu parfaitement obscur.

« Fréquemment, au moment où il tombe dans l'état léthargique, le sujet fait entendre un bruit laryngé tout particulier, en même temps qu'un peu d'écume se montre aux lèvres. Aussitôt il s'af­ faisse, dans la résolution, comme plongé dans un sommeil profond.

•  Il y a analgésie complète de la peau et des membranes mu­
queuses accessibles. Les appareils sensoriels conservent cepen­
dant parfois un certain degré d'activité; mais les diverses
tentatives qu'on peut faire pour impressionner le sujet par voie
d'intimidation ou de suggestion restent le plus souvent sans effet.

•  Les membres sont mous, flasques, pendants, et, soulevés, ils
retombent lourdement lorsqu'on les abandonne à eux-mêmes.
Les globes oculaires sont, au contraire, convulsés, les yeux clos
ou demi-clos, et l'on observe habituellement un frémissement
presque incessant des paupières. — Les réflexes tendineux sont
exagérés; l'hyperexcitabilité neuro-musculaire est toujours pré­
sente, bien qu'à des degrés divers. Elle peut être générale, c'est-
à-dire s'étendre à tous les muscles de la vie animale, face, tronc,
membres, ou au contraire, partielle, c'est-à-dire occuper seule­
ment les membres supérieurs, par exemple, à l'exclusion de la
face. Le phénomène en question est mis en évidence en excitant
mécaniquement par pression, à l'aide d'un bâton, d'un manche de
plume, par exemple, le tronc d'un nerf: alors les muscles qui
sont tributaires de ce nerf entrent en contraction.

« Les muscles eux-mêmes peuvent être directement excités de lumême façon sur les membres, le tronc, au cou, les excitations un peu intenses et prolongées déterminent la contracture des muscles mis en jeu; à la face, au contraire, les contractions sont passagères, elles ne s'établissent pas à l'état de contracture du­rable. Les contractures se produisent encore sur les membres, par le fait de la percussion répétée des tendons. Ces contractures produites, soit par l'excitation des nerfs ou des muscles, soit par la percussion exercée sur les tendons, se résolvent rapidement sous l'influence de l'excitation des muscles antagonistes.

« Chez le sujet plongé dans l'état léthargique, on peut, ainsi qu'on l'a dit plus haut, développer instantanément l'état cataleptique, lorsque, dans un lieu éclairé, on met l'œil à découvert en soule- vont les paupières supérieures,

« 3° Etat de somnambulisme provoqué. — Cet état peut être déterminé directement, chez certains sujets, par la fixation du re­ gard, et aussi par diverses pratiques qu'il est inutile d'énumérer ici. On le produit à volonté chez les sujets plongés au préalable, soit dans l'état léthargique, soit dans l'état cataleptique, en exer­ çant sur le vertex une simple pression ou une friction légère. Cet état parait correspondre plus particulièrement à ce qu'on a appelé le sommeil magnétique.

« Les phénomènes très complexes qu'on peut observer dans cette forme se soumettent difficilement à l'analyse. Ils ont été, pour beaucoup d'entre eux, provisoirement relégués sur le deuxième plan dans les recherches faites à la Salpêtrière. On s'est attaché surtout à déterminer, autant que possible, les caractères qui sé­ parent l'état du somnambulisme des états léthargique et catalep­ tique, et à mettre en évidence la relation qui existe entre ce troi­ sième état et les deux autres.

« Les yeux sont clos ou demi-clos; les paupières se montrent en général agitées de frémissements; abandonné à lui-même, le sujet parait endormi, mais même alors la résolution des membres n'est pas aussi prononcée que lorsqu'il s'agit de l'état léthargique. L'hyperexcitabilité neuro-musculaire, telle qu'elle a été défiais plus haut, n'existe pas, ou autrement dit, l'excitation des nerfs, des muscles eux-mêmes, ou encore la percussion des tendons ne détermine pas la contracture. Par contre, on peut, par diverses manœuvres, entre autres à l'aide de légers attouchements promenés à plusieurs reprises sur la surface d'un membre (passes), ou encore, à l'aide d'un souffle léger dirigé sur la peau, dévelop­ per dans ce membre une rigidité qui differe de la contrac­ ture liée à l'hyperexcitabilité musculaire, en ce qu'elle ne se résout pas comme celle-ci, par l'excitation mécanique des antago­ nistes, et de l'immobilité cataleptique par la résistance même qu'on rencontre au niveau des jointures lorsque l'on essaye d'imprimer au membre raidi un changement d'attitude ( flexibilitas cerea). Pour la distinguer de l'immobilité cataleptique proprement dite, l'on propose de désigner cette rigidité particulière à l'état som- nambulique, sous le nom de rigidité cataleptoïde; on pourrait encore l'appeler pseudo-cataleptique.

« Il y a analgésie cutanée, mais en même temps hyperacuité fort remarquable de certains modes de la sensibilité de la peau, du sens musculaire et de quelques-uns des sens spéciaux (vue, ouïe, odorat). Il est, en générai, facile, par voie d'injonction ou de sug­ gestion, de déterminer chez le sujet la mise en jeu d'actes auto­matiques très compliqués; on assiste alors aux scènes du som­ nambulisme artificiel proprement dit.

« Lorsque chez un sujet amené à l'état somnambulique, on exerce à l'aide des doigts appliqués sur les paupières, une légère compres­ sion des globes oculaires, l'état léthargique avec hyperexcitabilité neuro-musculaire peut remplacer l'état somnambulique; si, au contraire, relevant les paupières, on maintient, dans un lieu éclairé, les yeux ouverts, l'état cataleptique ne se produit pas. »

Cette description, est-il besoin de le dire, a été faite d'après na­ ture, et il existe presque constamment à la Salpêtrière des malades chez lesquelles il est facile de constater les trois états, avec tous leurs caractères. Pour retrouver ces états chez un sujet oeuf, il faut se placer dans les mêmes conditions que les expéri­mentaient» de la Salpêtrière; ces conditions, nous les avons déjà signalées, elles sont au nombre de deux: 1° il faut opérer sur le m ê me genre de sujets, c'est-à-dire sur des hystéro-épileptiques; 2 ° il faut employer les mêmes procédés opératoires, c'est-à-dire les procédés les plus simples, fixation du regard, pression du vertex. rayon électrique, etc. Tout changement introduit dans une de ces deux conditions altère les conditions des expériences et par conséquent modifie les résultats.

Il faut admettre que, même en agissant sur des hystéro-épileptiques, on obtiendrait des résultats différents de ceux de M. Charcot, si on soumettait les malades à un modus operandi différent, si, en d'autres termes, on leur donnait une éducation hypnotique différente.

C'est là un fait que nous avons eu fréquemment l'occasion de relever dans nos recherches; il nous a paru d'autant plus signifi­catif, que nous opérions sur des sujets de la môme catégorie que ceux qui avaient servi à établir la doctrine des trois états. Citons quelques exemples. L'ouverture des yeux n'est pas, comme on pourrait le croire, un Symptôme nécessaire de la catalepsie. Nous avons vu que si on produit une hémicatalepsie et une hémi- léthargie, et qu'on transfère ces deux hémi-états, on obtient une moitié du corps cataleptique bien que l'œil correspondant reste formé. La catalepsie les yeux fermés peut donc exister dans le grand hypnotisme. De même, il est possible de provoquer chez les mêmes sujets une léthargie profonde dans laquelle il ne reste plus trace d'hyperexcitabilité musculaire. Nous avons constaté qu'en approchant un aimant du bras d'une malade dormant du sommeil naturel, ou du vertex d'une malade plongée en léthargie, on produit un état nouveau qui n'a de commun avec la léthargie décrite plus haut que la résolution des muscles; l'excitation mé­ canique des nerfs, des muscles et des tendons, la pression des zones hypnogènes ou hystérogènes, restent complètement inef­ ficaces; l'ouverture forcée des paupières ne produit aucun changement; la respiration est insensible, l'insensibilité complète, c'est vraiment l'image de la mort. M. Pitres (1) a eu l'occasion d'observer un état de léthargie aussi profonde citez une de ses malades qui était sujette à des attaques spontanées de sommeil. Quand son attaque la surprenait pendant la léthargie avec hy- perexcitabilité, cette phase de l'hypnose devenait plus profonde, et toute réaction musculaire disparaissait. Enfin, nous l'avons déjà remarqué, l'hyperexcitabilité neuro-musculaire n'est pas un signe exclusif de la léthargie; souvent chez les grandes hypnotiques on peut provoquer pendant l'état de veille des contractures dont la précision ne le cède en rien à celle de la léthargie.

Ces faits prouvent seulement que le complexus symptomatique du grand hypnotisme peut être incomplet ou altéré, comme peu­vent l'être tous les complexus morbides.

Le nombre des états ou des périodes peut aussi varier pour pour chaque hypnotique; en général, on en compte trois: la léthargie, la catalepsie et le somnambulisme; mais ce nombre n'a rien de fixe; ainsi que l'ont montré depuis longtemps M. Du- montpallier et ses élèves, et comme chacun peut le vérifier, il existe entre chacune de ces périodes des étapes de transition, véritables états mixtes, que l'opérateur peut parvenir à rendre permanents, par l'emploi de manœuvres appropriées. On pour­ rait créer ainsi six, neuf états différents, et même un plus grand nombre. Il est. vraisemblable qu'en inventant de nouveaux pro­ cédés d'expérimentation, en soumettant les hypnotiques à de nou­ veaux genres d'excitations, on réussirait à produire des mani­ festations entièrement nouvelles et différentes de celles qu'on a décrites jusqu'à ce jour L'hypnotisme n'est pas en effet une névrose spontanée; c'est un état nerveux expérimental, dont les symptômes peuvent varier avec les manœuvres qui les font, naitre, sans sortir d'ailleurs du cadre de la physiologie générale du sys­ tème nerveux.

Faut-il en conclure que la description de M. Charcot est une œuvre artificielle? Ce serait mal la comprendre. Cette description n'a pas eu pour but de représenter l'hypnose dans toutes ses formes, dans tous ses détails. A l'époque où elle, a été faite, il s'agissait, qu'on ne l'oubli*! pas, d'établir la réalité d'un certain nombre de phénomènes hypnotiques et de démontrer l'existence d'un état nerveux, expérimental par des caractères tellement grossiers qu'ils ne pussent échapper à personne. M. Charcot a choisi des sujets qui montraient ces caractères sous une forme excessive pour que le doute ne fut pas permis. La méthode a eu un plein succès, puisque ceux-là même qui n'acceptaient tout d'abord qu'avec répugnance le grand hypnotisme eu sont venus à étudier ses formes frustes.

La doctrine des trois états ne contient donc qu'une part de la vérité. Mais cette part est telle qu'elle a ouvert la voie à toutes les recherches scientifiques qui se sont faites depuis sur cette question; et le grand hypnotisme est encore aujourd'hui le seul état dans lequel nous trouvons des caractères objectifs tels que la discussion ne peut pas s'égarer très loin. D'ailleurs l'École de la Salpêtrière a moins eu pour bat de donner une description définitive que de montrer que l'hypnotisme peut être étudié suivant les procédés les plus perfectionnés de la clinique et de la physiologie expérimentales et que c'est exclusivement avec les caractères fournis par ces procédés d'étude que la science petit se faire. Tant qu'il existera de grandes hystériques, on pourra vérifier la plupart des résultats obtenus par l'Ecole de la Salpêtrière.

L'histoire du grand hypnotisme nous sera un guide précieux pour trouver notre chemin dans la niasse confuse des observations recueillies en dehors de la grande névrose.

 

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