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Le Magnetisme Animal

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CHAPITRE VIII

Étude générale de la suggestion.

I. Définition de la suggestion. — La suggestion et le rêve. — Distinction
entre les procédés d'expérimentation par idée et par excitation périphé­
rique. — Les suggestibles. — Les conditions de suggestibilité: inertie
mentale, hyperexcitabilité psychique. — La suggestion pendant l'hypno-
tisme. — La suggestion pendant l'état de veille. — Les diverses espèces
de suggestions. — La parole. — Le geste. — Le sens musculaire. —
L'auto-suggestion. — Rapports entre l'idée suggérée et l'excitation péri­
phérique. — Erreur de ceux qui voient la suggestion partout.

II. La méthode. — La simulation. — La recherche des signes objectifs. —
La simulation d'un individu suggestible. — Les suggestions volontaires.
- La suggestion inconsciente. — La comparaison à établir entre les
phénomènes de suggestion et les faits de la science positive.

III. Effets de la suggestion. — Modifications des fonctions végétatives. — La
suggestion de phénomènes psychiques. — Classification, — Les suggestions
positives, l'hallucination et l'acte. — Analyse psychologique de leur
production. — Loi des suggestions négatives. — Loi d'inhibition psychi­
que. — Hallucinations post-hypnotiques. — Amnésie de l'opération
« suggestion ».

I

Définition de la suggestion. — On a vu que, par son mode de production et par quelques-uns de ses symptômes, le sommeil hypnotique se rapproche du sommeil naturel. Cette comparaison peut nous servir d'introduction à la théorie des faits de sugges­ tion. Au premier abord, on s'étonne de ces faits, on ne les com­ prend pas, quelquefois même on les met en doute. On se demande comment il est possible qu'une personne exerce sur une autre le pouvoir de la faire parler, agir, penser et sentir comme il lui plaît.

Pour mettre un peu d'ordre dans cette étude, il faut procé­ der du plus connu au moins connu. Ainsi que nous l'avons déjà dit souvent, les phénomènes psychiques de l'hypnose ne peu­ vent être compris que si on les compare aux rêve» du sommeil naturel. Les effets développés par suggestion chez les hypno­ tisés ne sont pas autre chose qu'un rêve évoqué et dirigé par les assistants. Ce qui rend ce rapprochement légitime, c'est la possi­ bilité de modifier les rêves d'une personne dormant de son sommeil naturel. Les expériences que M. Maury a faites sur lui-même sont frappantes (I). H priait une personne placée à ses côtés le soir, quand il commençait à s'endormir, de provoquer en lui des sensations sans le prévenir, puis de le réveiller quand il avait eu déjà le temps de faire un songe. Ces songes provoqués au moyen d'excitations sensorielles ne diffèrent nullement des effets que l'on obtient chez les hystériques endormies par sug­gestion. Un jour, on lui fait respirer de l'eau de Cologne; il rêve qu'il est dans la boutique d'un parfumeur, et l'idée du parfum éveille celle de l'Orient; il est au Caire, dans la boutique de Jean Farina. On lui pince légèrement la nuque; il rêve qu'on lui pose un vésicatoire, ce qui réveille le souvenir d'un médecin qui le soigna dans son enfance. On approche de sa figure un fer chaud: il rêve des chauffeurs. Une autre fois, pendant qu'il est assoupi, on prononce ces mots d'une voix forte: « Prenez une allumette. * H fait un rêve dans lequel il s'imagine aller de son propre mouvement chercher une allumette.

Ou peut établir un second rapprochement d'une autre nature entre les phénomènes psychiques du sommeil naturel et ceux du sommeil nerveux. Ainsi que l'un de nous l'a montré (2), chez beaucoup de malades, l'idée pathogène, la première manifestation du délire, peut prendre naissance pendant la veille, mais elle est en général renforcée par le rêve du sommeil naturel, qui joue à son égard le rôle d'une caisse de résonance. L'observation clini­ que nous fait donc voir, se réalisant spontanément dans le sommeil normal, les expériences que l'on fait avec une si grande facilité dans le sommeil artificiel.

Le domaine de la suggestion est immense. Il n'y a pas un seul tait de notre vie mentale qui ne puisse être reproduit et exagéré artificiellement par ce moyen. On comprend le parti merveilleux que le psychologue peut tirer de cette méthode, qui introduit l'expérimentation en psychologie.

Mais avant d'aller plus loin, il faut préciser l'étendue et les limites de la suggestion, en précisant la définition un peu trop vague et trop sommaire que nous venons d'en donner. À parler rigoureusement, la suggestion est une opération qui produit un effet quelconque sur un sujet en passant par son intelli­ gence. Toute suggestion consiste essentiellement à agir sur une personne par une idée; tout effet suggéré est le résultat d'un phénomène d'idéation; mais il faut ajouter tout de suite que l'idée est un épiphénomène; prise en elle-méme, elle est seule­ ment le signe indicateur d'un certain processus physiologique qui seul est capable de produire un effet matériel.

Avec ce caractère, on peut reconnaître en général ce qui est de la suggestion et ce qui n'en est pas, bien que la question soit souvent fort délicate. Ainsi, quand on contracture le bras d'une hystérique léthargique, en percutant les tendons ou en malaxant les masses musculaires, on ne fait pas de suggestion, parce que la contracture résulte d'une action physique à laquelle l'esprit du sujet semble rester étranger. Au contraire, quand on aborde l'hypnotique et qu'on lui dit, sans la toucher: « Votre bras se fléchit, il devient dur, vous ne pouvez plus l'étendre, » la con­ tracture qui s'établit à la suite de ces paroles résulte d'une action psychique; l'injonction de l'expérimentateur ne produit son effet qu'en passant à travers l'intelligence de l'opéré; c'est Vidée de contracture qui, insinuée dans l'esprit de l'hypnotique, produit la contracture: voilà bien de la suggestion. A ce point de vue, on peut dire que la théorie de la suggestion rajeunit la vieille question philosophique de < l'action du moral sur le physique », et qu'elle éclaire en même temps le grand groupe, encore si confus, des maladies par imagination.

Autre exemple. De même que la contracture, la paralysie motrice peut être provoquée par deux voies tout à fait différentes. Si on applique sur certains points de la voûte du cr â ne, chez un sujet hystérique, l'extrémité fixe d'un diapason en vibration, on amène dans le bras du sujet une excitation passagère de la force motrice qui ne tarde pas à faire place à la paralysie complète cl flaceide (1); dans ce cas, la paralysie résulte directement du mouvement vibratoire transmis par le diapason à travers l'épais­seur du crâne jusqu'au cerveau; l'intelligence du sujet n'intervient pas; l'expérience, bien que faite sur son corps, reste étrangère à son esprit; il n'y a point de suggestion. — Au contraire, si on inculque au sujet l'idée que la paralysie frappe son bras, la paralysie qui s'ensuit est de nature psychique, car elle résulte uniquement de la conviction qu'a le sujet d'être paralysé; elle est le résultat, non d'un choc physique, d'un traumatisme, mais d'un phéno­ mène d'idéation; ou a fait de la suggestion.

L'analyse de ce dernier exemple permet d'éviter une confusion commise par quelques auteurs; on a admis trop facilement que tout processus hypnotique qui a son siège dans le cerveau est le processus d'un phénomène de suggestion, ce qui a conduit à considérer la léthargie, la catalepsie et le somnambulisme hysté­ riques provoqués, qui sont peut-être des réflexes d'origine cérébrale, comme des produits purs et simples de la suggestion. Le fait que nous venons d'exposer dissipe cette erreur. La paralysie par vibration physique et la paralysie suggérée résul­ tent très probablement de modifications qui se produisent dans la substance corticale du cerveau; ce sont, par conséquent, des réflexes cérébraux. Mais quelle différence dans les deux cas! La paralysie par suggestion exige le concours de l'intelligence du sujet; si la fonction d'idéation était suspendue par une cause quelconque, une paralysie de cette espèce ne pourrait plus se produire.

On pourrait diviser l'élude de l'hypnose en deux parties, se distinguant par la mise en œuvre de procédés différents: la pre­ mière partie comprenant les phénomènes hypnotiques produits par les excitations physiques ou sensations, que nous avons étudiées dans les deux chapitres précédents; la seconde partie compre­ nant les phénomènes hypnotiques produits par des idées, c'est-à-dire la théorie de la suggestion. Ce sont là deux modes d'expé­ rimentation parallèles; il serait difficile de dire lequel des deux a le plus d'étendue.

Les suggestibles. — La suggestion n'agit pas avec la même
intensité sur tous les individus. Affirmez à une personne éveillée,
normale, en possession d'elle-même, qu'elle a faim, elle vous
répond que vous vous trompez; essayez de lui suggérer une
hallucination visuelle en lui affirmant qu'elle a un livre entre
Binet et Féré.

 

les mains, elle déclare qu'elle ne le voit pas. L'affirmation ne produit dans son esprit qu'un état faible, bientôt corrigé; elle produit l'idée du phénomène, et non le phénomène.

En somme, cela se comprend, la suggestion n'influence pas plus une personne saine que l'ouverture de ses yeux ne la met en catalepsie.

Pour que la suggestion réussisse, il faut que le sujet se trouve spontanément ou soit jeté artificiellement dans un état de récepti-vite morbide; mais il est assez difficile de déterminer exactement les conditions de la suggestibilité: on en a cité deux,

La première, c'est l'inertie mentale du sujet. Chez l'hypnotique, a-ton dit, le champ de la conscience est complètement vide; un état est suscité; et comme rien ne l'entrave, ni pouvoir d'arrêt, ni état antagoniste, l'idée suggérée règne seule sur la conscience endormie. Cette explication a été donnée par Heidenhain, Richet, R ibot et bien d'autres; nous doutons cependant qu'elle convienne à tous les faits. Si l'état de monoidéisme est réalisé complètement chez les cataleptiques, il existe beaucoup plus rarement chez les somnambules. Aussi croyons-nous qu'il faut chercher dans un second phénomène, dans l'hyperexcitabilité psychique, la cause de l'aptitude aux suggestions. A notre avis, si l'idée suggérée exerce un pouvoir absolu sur l'intelligence, les sens et les mou­ vements de l'hypnotique, c'est avant tout par son intensité. Cependant, nous reconnaissons que la question est difficile à résoudre, et bien volontiers nous la laissons ouverte.

Le nombre des sujets suggestibles est immense; on ne les rencontre pas seulement dans l'hypnotisme et dans le sommeil naturel, mais encore dans certaines intoxications (alcool, has- chich), et à l'état de Teille. Nous n'avons à nous occuper ici que des hypnotisés.

L'hypnotisme développe dans de» proportions considérables l'aptitude aux suggestions; ainsi que nous l'avons déjà dit, on ne peut pas faire de la suggestion dans toutes les phases de l'hypnose, mais seulement dans la catalepsie et le somnambu­ lisme. Les suggestions faites à la cataleptique sont simples, automatiques, fatales; celles du somnambulisme sont plus raison-nées; la malade les discute, les commente, les amplifie; quelque­ fois même elle y résiste. Nous tiendrons compte de ces nuances toutes les fois qu'il s'agira de suggestions intéressantes; le plus souvent, nous nous contenterons de décrire les suggestions du somnambulisme.

Après le réveil, le sujet reste encore sensible à la suggestion; ce fait est connu depuis longtemps; on le trouve dans Braid, comme le reste; pendant ces dernières années, il a été étudié p ar MM. Richet, Bernheim, Bottey, etc.

Il est possible de suggestionner non seulement des sujets après le réveil, mais encore des personnes qui n'ont jamais été hypnotisées. Ces dernières expériences ont ému les philosophes; elles ont soulevé de leur part des doutes et des inquiétudes. On a admis facilement les suggestions chez les hypnotisés, car ce sont des malades; mais comment comprendre qu'on suggestionne des individus éveillés, sans hypnotisme, et cela par des moyens d'action tels que ceux que nous exerçons journellement les uns sur les autres? Les individus suggestibles à l'état de veille sont-ils donc sujets, dans leur vie ordinaire, à subir automatiquement l'influence des autres individus? Sont-ce des esprits faibles? Quel est leur état physique et moral? En quoi consiste leur état de veille? Quels sont leurs antécédents héréditaires? Telles sont les questions posées par M. Janet; on n'y a pas encore répondu. On devra toutefois admettre la possibilité de la suggestion chez les sujets normaux, si, avec l'un de nous, on ramène la suggestion au processus de l'attention: quand l'attention est suffisamment intense, le temps de réaction peut être nul ou même négatif, c'est-à-dire que la réaction précède l'excitation; une représenta­ tion mentale intense, qu'elle soit née spontanément ou provoquée par suggestion, peut donc déterminer une réaction en dehors de toute excitation (1).

Les diverses espèces de suggestions. — Si le propre de la sug­ gestion est de s'adresser à l'intelligence du sujet, il en résulte qu'il y a autant de formes de la suggestion qu'il y a de moyens d'entrer en rapport avec une autre personne.

Tout d'abord l'expérimentateur peut se servir de la suggestion parlée ou écrite. C'est le moyen le plus simple et le plus commode. Quand on veut produire une hallucination, il suffit de nommer l'objet imaginaire, de dire au sujet: « Il y a un serpent à vos pieds! » pour que l'hallucination se manifeste aussitôt. L'affirmation verbale est aussi le procédé le plus étendu, car on peut suggérer par cette voie tout ce que la parole humaine peut exprimer. C'est, enfin, le procédé le plus précis.

Le geste, que certains expérimentateurs emploient assez souvent, est un moyen très inférieur. Sans doute, il réussit assez bien sur des sujets entraînés. On peut leur donner, sans pronon­ cer la moindre parole, l'hallucination d'un serpent, en faisant avec le doigt un mouvement d'ondulation, ou plus simplement encore en attirant leur regard vers le sol. On arrive môme, avec le geste, à donner des ordres; on oblige le patient à marcher, à suivre l'expérimentateur, on l'attire vers soi, on le fait mettre à genoux, etc... On dirige l'index vers un chapeau, le malade le prend; on dirige ensuite l'index vers la tête du malade, il met le chapeau sur sa tête. On pourrait aussi bien lui faire prendre un objet dans la poche de quelqu'un. J'ai vu, dit M. Pitres, certains sujets deviner avec une étonnante perspicacité la signification du plus léger mouvement des doigts, des lèvres ou des yeux. Mais ces procédés manquent complètement de précision; quoiqu'il soit assez vraisemblable que le geste agit le plus souvent sur le sujet par son caractère psychique et expressif, c'est-à-dire par les idées qu'il éveille, on ne sait pas au juste s'il ne se produit pas autre chose. 11 faut en dire autant des passes. Quand on suggestionne un sujet par des passes, on ne sait pas ce qu'on fait. Mais si la suggestion par le geste est souvent peu précise, elle peut être très intense. Lorsqu'on donne à un sujet une suggestion verbale de mouvement, on évoque dans son esprit une image motrice; cette image, si intense qu'elle soit, reste toujours inférieure à la sensation qu'on donne au même sujet, en exécutant soi-même le mouvement devant ses yeux. Aussi le résultat des deux expé­ riences est-il très différent (1). 11 a été constaté maintes fois que si on place dans la main droite du sujet un dynamomètre et qu'on lui donne l'ordre de le serrer de toutes ses forces, cette suggestion verbale n'augmente que de quelques degrés sa force dynamométrique normale. Mais si on imite devant ses yeux l'acte de fermer énergiquement le poing, sa force musculaire est non seulement augmentée, mais doublée; tant il est vrai que la suggestion par le geste donne, dans certains cas, des résultais d'une intensité qu'on n'obtiendrait pas avec de simples paroles.

Parfois, il est utile de combiner la suggestion par le geste avec; la suggestion verbale ou la présentation d'un objet. Par exemple, on présente à la malade un objet réel dont on change la nature par la parole. On lui fait manger du papier, en lui disant que c 'est un gâteau, ou on lui suggère qu'une des personnes présentes a un faux nez. La combinaison du mot au geste précise la suggestion.

La suggestion par le geste s'adresse à la vue. Les autres sens peuvent aussi être impressionnés; en faisant résonner doucement un tamtam près de l'oreille de l'hypnotique, on lui fera croire qu'elle entend des cloches; en la piquant ou en la pinçant, on peut éveiller l'image d'animaux qui la mordent. Mais tous ces procédés restent inférieurs à celui de la parole.

Dans tous les cas où l'idée éveillée chez le sujet émane d'une suggestion directe d'un opérateur, le sujet se trouve vis-à-vis de cette personne dans un véritable état de sujétion. Cet état n'est point en contradiction avec ce qu'on observe pendant la veille; il s'agit seulement d'une exagération de phénomènes, qui permet de mieux comprendre ce qui se passe chez les sujets regardés comme sains d'esprit, et qui subissent d'une manière inconsciente l'influence d'une volonté étrangère se substituant à la leur. D'ailleurs, un simple coup d'œil sur les relations sociales ne montre-t-il pas que les individus se répartissent assez bien en deux catégories, les meneurs et les menés, c'est-à-dire les sug- gestionnistes et les suggestionnés ?

La suggestion par le sens musculaire présente ce caractère de naître en quelque sorte chez l'hypnotisé lui-même. Si on place les membres d'une malade dans une attitude tragique, l'émotion correspondante se manifeste; si on ferme les poings, le sourcil se (ronce et la figure se met en colère; si on fait faire aux membres le commencement d'une action, le sujet la continue; on peut ainsi le faire grimper ou marcher à quatre pattes; en mettant une plume ou un travail de couture entre ses mains, on le fait écrire ou coudre. Si on élève sa main et qu'on courbe son index, l'idée lui vient qu'un oiseau est perché sur son doigt, et l'hallucination se développe. On peut continuer cette suggestion silencieuse en faisant un léger mouvement. Le sujet s'imagine alors que l'oiseau voltige, et il court dans la chambre en essayant de le rattraper. En ramenant les mains d'une hypnotique sur son sein, on lui suggère l'idée qu'elle tient un enfant. Tous ces faits entrent dans la même formule; l'attitude imprimée aux membres du sujet s'accompagne d'impressions musculaires définies qui éveillent dans son cerveau des idées en rapport avec elles.

Puisque toute suggestion prend son origine dans une impres­ sion sensorielle subie par le sujet, il n'est pas difficile de conce­ voir que cette impression pourrait être provoquée par un objet extérieur sans l'intervention d'un opérateur. On ne recherche pas souvent cette forme de suggestion, qui serait fort incommode, mais elle se présente quelquefois toute seule. Bennett a rapporté le cas d'un boucher qui voulut suspendre à un crochet au-dessus de sa tête une grosse pièce de viande; il glisse, le crochet entre dans son bras et il reste suspendu. On l'emporte à demi-mort; on coupe sa manche, et quoiqu'il se plaigne de souffrir beaucoup, quand le bras est à nu, on le trouve absolument intact: le crochet n'avait pénétré que dans le drap. Voilà un exemple de suggestion sans expérimentateur. Plusieurs autres pourraient être cités. Nous aurons à parler bientôt des paralysies qu'on obtient chez les hypnotiques par suggestion. Il est probable qu'un certain n ombre de paralysies hystériques dites traumatiques, c'est-à-dire s e produisant à la suite d'un choc, sont aussi le résultat d'une suggestion, le malade se disant sans cesse qu'après une si forte secousse, il ne peut manquer de devenir paralysé.

Ces derniers faits se confondent graduellement avec ceux aux­quels on applique le mot d'auto-suggestion. Il est des cas où la suggestion prend son point de départ dans l'intelligence du sujet: il se suggère lui-même. Au lieu d'être le résultat d'une impres­ sion du dehors, comme dans le cas de suggestion verbale, la suggestion est le résultat d'une impression du dedans, telle qu'une idée fixe, une conception délirante. Quelques exemples nous feront mieux comprendre que de sèches définitions. Une malade, dans une vision imaginaire, avait lutté corps à corps contre l'hallucination de l'un de nous, et lui avait appliqué un violent coup de poing en pleine figure. Le lendemain matin, comme son prétendu adversaire entrait dans la salle, elle s'aperçut qu'il portait une ecchymose à la joue. Cette hallucina­ tion, qui dérive d'une première hallucination, comme une conclusion dérive de ses prémisses, est un exemple type d'auto­ suggestion. En effet, la malade a dû exécuter, sous une forme inconsciente, un raisonnement analogue à celui-ci: je lui ai donne un coup de poing à la joue: donc il doit en porter la marque. — Une autre malade, au sortir d'une phase de léthargie profonde qui n'avait duré que cinq ou six minutes, s'imaginait qu'elle avait dormi pendant plusieurs heures. Nous favorisons cette illusion en lui affirmant qu'il est deux heures de l'après-midi: il était réellement neuf heures du matin. A cette nouvelle, la malade ressent la faim la plus vive, et nous supplie de la laisser partir pour aller manger. C'est là une sorte d'hallucination organique, l'hallucination de la faim, que la malade s'est suggé­ rée elle-même. Elle a en quelque sorte exécuté inconsciemment un raisonnement analogue à celui-ci: Il est deux heures de l'après-midi, je n'ai pas mangé depuis mon lever, donc je meurs de faim. Ajoutons que cette faim imaginaire fut facilement appai- sée par un repas également imaginaire. On fit apparaître par suggestion sur un coin de la table une assiette de gâteaux que la malade dévora; au bout de cinq minutes, elle n'avait plus ni faim ni appétit. Les exemples précédents d'auto-suggestion sont tous empruntés aux hallucinations. En voici un qui appartient à un ordre d'idées différent. On s'approche d'une malade endormie et on lui fait un récit animé comme celui-ci: « Il vient de vous arriver un grave accident tout à l'heure. Vous le rappelez-vous ? Vous traversiez la cour; votre pied a glissé, et vous êtes tombée sur la hanche. Vous avez dû vous faire bien mal. » A la suite de ces paroles, la malade ressent une vive douleur dans la han­ che, elle se met à geindre; de plus, se suggérant à elle-même les suites logiques de sa chute, elle se donne en quelque sorte une légère paralysie du membre; à son réveil elle boite.

La conclusion générale qui ressort de tous ces faits et de toutes ces expériences, c'est que la suggestion consiste à introduire, cultiver et renforcer dans l'esprit du sujet en expérience — une idée. Qu'est-ce donc qu'une idée, et quelle force latente renferme-t-elle pour produire sur certains individus de si puissants effets ? Ainsi que nous l'avons déjà dit, l'idée se résout en images, et l'image se résout en sensations rappelées. La suggestion agit donc comme un rappel de sensations; elle consiste dans le renouvellement psychique d'une excitation périphérique que le sujet a déjà éprouvée. Dès lors on comprend sa puissance; l'idée, à proprement parler, n'est qu'une apparence; mais der­ rière elle se cache l'énergie développée par une excitation physique antérieure.

Ce qui corrobore ce point de vue, c'est qu'il est possible de produire, par de simples excitations physiques, c'est-à-dire par des sensations, à peu près tous les effets qu'on a produits jus­ qu'ici par suggestion, c'est-à-dire par des idées. Ainsi, au Heu de provoquer ou de détruire une paralysie par la parole, on peut la produire par un choc sur le membre ou sur le crâne (Charcot), ou par l'application d'un diapason sur le crâne, et la supprimer en employant le même procédé. Les vibrations du diapason, en s'additionnant, représentent le choc unique du traumatisme. Les anesthésies hystériques peuvent aussi être provoquées et suppri­mées par des procédés analogues (1). Les mouvements peuvent aussi, dans certains cas, être provoqués par l'excitation du crâne. Nous ne pouvons pas entrer ici dans des détails complets. Mais nous tenons à montrer comment la suggestion doit être ramenée à l'excitation périphérique dont elle dérive. C'est pré­ cisément parce qu'elle détermine dans les centres nerveux de certains sujets les mêmes modifications dynamiques, que la sug­ gestion est capable de produire tous les phénomènes qui résul­ tent des excitations périphériques. C'est le cas de rappeler un ancien adage, qui ne nous parait pas démodé: « Nihil est in intellectu quod non prius fuerit in sensu. »

Dans ces derniers temps, la puissance de la suggestion a été si bien établie que certains esprits en sont arrivés à soutenir que c'est à elle qu'il faut attribuer l'action des agents esthésiogènes, dynamogènes et autres, employés comme excitations périphé­ riques. On en vient à nier la réalité du processus de la guérison par ces agents; on explique par la suggestion l'existence du transfert, ce curieux phénomène découvert par M. Gellé et étudié tout d'abord par la commission de la Société de biologie; on attribue aujourd'hui à la suggestion ce que M, Carpenter attribuait à l' expectant attention. Cette erreur a pour principal fondement l'idée que si on peut reproduire par suggestion tel phénomène attribué d'abord à une excitation physique, c'est la suggestion qui en est la véritable cause. Mais qui ne sent la faiblesse d'un tel raisonnement? De ce qu'on peut apaiser la faim d'une somnambule avec un repas imaginaire, s'ensuit-il que les aliments ne lui soient jamais d'aucune utilité ?

De plus, cette opinion n'a pas pour elle, comme on l'a prétendu, l'avantage de la simplicité, car il est tout aussi difficile de com­ prendre comment la simple idée de paralysie peut paralyser que de comprendre comment un choc sur le crâne produit le m ê me effet. En outre, on ne saurait attribuer un rôle exclusif à l'idée, sans méconnaître que c'est là un phénomène secondaire et dérivé; soutenir que l'idée est tout et que l'excitation périphé­ rique n'est rien, revient à soutenir que l'idée est un phénomène entièrement étranger aux fonctions de sensibilité; c'est, en somme, s'insurger contre la grande théorie des rapports des sensations et des images qui domine la psychologie contem­ poraine. Une telle opinion est aussi en contradiction avec la physiologie qui nous montre qu'un grand nombre de fonctions, l a sécrétion de la sueur et des larmes, etc., peuvent être mises en jeu par des causes physiques tout aussi bien que par des causes morales, et que la réalité des unes n'exclut pas celle des autres.

II

Nous arrivons maintenant à la grave question de la méthode.

Un livre tel que celui-ci ne pourra jamais contenir dans son cadre étroit les détails véritablement innombrables des expéri­ mentations hypnotiques. Forcés de nous limiter dans l'exposition des faits, nous nous croyons obligés, comme compensation, de mettre en lumière les questions de méthode, qui constituent le côté philosophique du sujet.

L'hypnotisme constitue une étude hérissée de difficultés; c'est ce dont ce se doutent pas les nombreuses personnes qui ont cru trouver dans ces questions l'occasion d'un succès aussi brillant que facile; si rien n'est plus simple que d'imaginer des expé­ riences dramatiques qui frappent le vulgaire d'étonnement et d'effroi, en revanche, il est fort difficile, dans bien des cas, de trouver la vraie formule de l'expérience qui donne un résultat précis et probant.

D'une manière générale, la méthode est la même pour l'étude des phénomènes somatiques et pour celle des phénomènes do suggestion. Pour obtenir des résultats constants qui puissent être vérifiés à volonté par tous les autres observateurs, il faut déterminer avec la dernière précision les conditions physiolo­ giques et pathologiques des sujets d'expérience et la nature des procédés opératoires. Toutes les fois qu'une de ces deux règles est violée, on commet une faute de méthode; on s'expose à voir le résultat qu'on annonce démenti par un autre observateur, qui n'a pas pu le reproduire; de là une confusion des questions, de là des discussions personnelles nécessairement stériles, et finalement le scepticisme du public.

Il faut d'abord déterminer l'état somatique des sujets; nous croyons préférable d'expérimenter, comme nous l'avons fait, sur des hystériques, présentant, très nettement accusés, les carac­ tères du grand hypnotisme. Tous ceux qui voudront vérifier les nouvelles expériences de suggestion que nous rapportons devront s'adresser seulement à ces sujets. Il est très important d'indiquer l'état somatique des sujets en expériences, c'est le seul moyen de permettre la comparaison des résultats. Il est vrai qu'aucun état morbide ne se présente d'une façon constante sous le même aspect. Chaque individu imprime à l'état morbide qu'il subit un cachet tout particulier. Toutes les maladies se présentent sous des formes variables, suivant la constitution du sujet, et on peut même dire que chaque fonction organique offre des varia­ tions individuelles. H n'y a donc rien de surprenant à ce que l'hypnose se montre sous des aspects variés et plus ou moins caractéristiques; mais c'est une raison de plus pour ne comparer que les faits similaires, sous peine de confusions déplorables.

Il est moins facile de déterminer avec précision les procédés opératoires; car il arrive souvent que l'expérimentateur se trompe sur les moyens d'action qu'il emploie. Il croit suggérer telle idée, mais au même moment il en suggère à son insu une seconde qui altère la première, eu bien le sujet intervient d'une manière active pour simuler certains phénomènes et tromper l'observa­ teur. La simulation et la suggestion inconsciente sont les deux principaux écueils à éviter dans une étude des faits de suggestion.


Il faut le reconnaitre, la simulation, qui est déjà un écueil dans l'étude de l'hystérie, n'est nulle part aussi redou­ table que dans l'étude qui nous occupe. Tant qu'il s'agit de phé- aomènes physiques, l'expérimentateur est en sécurité. Il n'en est pas de même pour un grand nombre de faits de suggestion. Rica de plus facile pour le sujet que de simuler une hallucination ou un délire. Ce sont là des phénomènes intérieurs qu'on ne peut pas voir, toucher et palper, comme un fait objectif; ce sont des phénomènes subjectifs, personnels à celui qui les éprouve, et par conséquent facilement simulables. Avant de les étudier, il faut avoir la preuve qu'ils existent. Avant de rechercher les caractères d'une hallucination provoquée, il faut être certain que le sujet éprouve réellement une hallucination.

On ne pare pas à ce danger en cherchant à prouver que le sujet sur lequel on opère est réellement plongé dans l'hypnotisme; car, ainsi que nous l'avons déjà dit, simulation et somnambu­ lisme ne sont pas des termes qui s'excluent forcément. M. Pitres a constaté que le sujet qui dort peut encore tromper. Il faut donc demander aux faits de suggestion eux-mêmes la preuve de leur réalité.

À la rigueur, on pourrait invoquer des preuves morales; mais ces preuves n'ont guère de valeur que pour celui qui connaît les malades, elles lui restent personnelles. De plus, à ceux qui se contentent de preuves morales on a le droit de rappeler l'aventure de l'honnête Hublier que sa somnambule Emélie trompa pendant quatre années consécutives. Cette his­ toire renferme une leçon de prudence que l'on fera sagement de recueillir.

La methode qu'on doit suivre en pareille circonstance est coute tracée; elle se résume d'un mot: c'est la méthode expé­ rimentale, comprenant les procédés les plus perfectionnés de l'observation clinique et de l'expérimentation physiologique.

Les anciens magnétiseurs se contentaient d'observer; beaucoup d e modernes les imitent en ce point. Après avoir provoqué par suggestion tel phénomène psychique, ils le regardent., et ensuite l e décrivent. À notre avis, ce n'est là qu'une préparation de l'expérience et non l'espérience entière. Pour s'assurer de la sincérité du sujet, il ne suffit pas de l'observer passivement. Pour se démontrer la réalité de l'hallucination suggérée, il ne

suffit pas de regarder ce que fait l'halluciné et d'écouter ce qu'il dit. Il faut pousser l'investigation plus avant, et soumettre le phénomène suggéré à une expérimentation régulière, afin d'en dégager les signes objectifs. Ainsi c'est l'expérimentation qui nous a appris que la vision hallucinatoire est modifiée par les instruments d'optique comme la vision réelle, que l'hallucination d'une couleur provoque les mêmes effets de contraste coloré que la couleur réelle, que l'anesthésie systématisée donne lieu aux mêmes phénomènes de couleur que l'achromatopsie spontanée des hystériques, que la paralysie motrice suggérée s'accompagne des mêmes caractères physiques qu'une paralysie de cause orga­ nique, etc. On voit que ces caractères cachés, et révélés par l'expérimentation, sont d'une nature fort compliquée; pour les comprendre, il faut être au courant de la physique, de la psycho­logie et de la physiologie du système nerveux. On ne s'explique pas les effets de contraste produit par l'hallucination de couleur, quand on ne connaît pas l'histoire des couleurs complémen­ taires; on ne s'explique pas davantage les signes cliniques des paralysies motrices par suggestion, quand on ne connaît pas les paralysies organiques, et ainsi de suite. Il n'y a donc pas à craindre que les malades inventent ces caractères de toute pièce, pour tromper l'expérimentateur; nous sommes à peu près certains qu'elles ne simulent pas, et cela pour deux raisons: ou bien elles ne savent pas, ou bien elles ne peuvent pas. Les signes objectifs dont nous parlons sont donc fort précieux; ils s'imposent à tout le monde et démontrent d'une manière irréfutable la réalité de l'expérience.

En résumé, la méthode à suivre dans les faits de suggestion est l'expérimentation sur les phénomènes psychiques provo­ qués, et le but à atteindre est l'objectivation de ces troubles subjectifs.

Il s'élève toutefois, au sujet de la simulation, un curieux pro­ blème qui n'a encore été examiné par aucun observateur. Les règles de méthode que nous venons d'opposer à la simulation sont très efficaces, quand le simulateur est une personne qui n'éprouve à aucun degré le phénomène simulé; ainsi, si le sujet prétend qu'il a une hallucination visuelle à un moment où il ne voit absolument rien, les épreuves multiples fournies par les in­struments d'optique, les couleurs complémentaires, etc., n'auront pas de peine à déjouer la fraude. Mais la question est de savoir s i la simulat ion d'un sujet suggestible ne peut pas faire tout c e que fait la suggestion.

Prenons l'exemple le plus important. Par suggestion, on peut donner à quelques sujets des paralysies motrices; est-ce que le sujet ne pourrait pas, dans te but de tromper l'operateur, simuler «ne paralysie motrice ? Et est-ce que cette paralysie simulée présenterait les mêmes caractères objectifs que la paralysie suggérée? Nous croyons que le fait est possible, car en somme, dans les paralysies par suggestion, la véritable cause de l'impotence fonctionnelle, c'est Vidée d'une paralysie; dès lors, que cette idée provienne de la suggestion de l'opérateur ou de la simulation du sujet, peu importe; l'essentiel, c'est qu'elle soit suffisamment intense pour produire des troubles de la moti- lité. C'est ainsi que, selon nous, les phénomènes simulés peuvent, dans certains cas, se confondre absolument avec des phénomènes réels.

Cette question de la simulation chez un individu suggestible n'est à vrai dire qu'un des aspects d'une autre question beaucoup plus grande: celle de l'action de la volonté sur les phénomènes de la suggestion. Un individu suggestible peut-il créer en lui, modi­ fier et détruire de sa pleine volonté des effets comparables à ceux que la suggestion développe? Les faits que nous connaissons nous permettent de répondre affirmativement. Nous avons vu des malades qui peuvent faire l'appel volontaire de l'image halluci­ natoire à l'état de veille; en regardant une feuille de papier blanc avec attention, ils y déterminent l'apparition d'une couleur quelconque, rouge, bleu, vert, etc.; la couleur évoquée apparaît avec assez de netteté pour donner naissance consécutivement à une couleur complémentaire, dont le sujet indique très exacte­ ment le nom. Ce remarquable phénomène de visualisation diffère de l'hallucination provoquée en un point: c'est qu'il exige un effort volontaire de vingt secondes à une minute, tandis que l'hallucination suggérée naît presque instantanément. Nous avons rencontré un second exemple de suggestions volontaires dans les paralysies psychiques. Une malade à qui l'on a donné une paralysie complète du bras arrive à s'en débarrasser elle-même au bout de cinq minutes d'efforts volontaires pour remuer le membre paralysé. la suggestion inconsciente. — Nous n'avons pas encore eu l'oc­ casion de parler de cette dernière espèce de suggestion qui a une tendance à s'introduire, comme un parasite, dans les suggestions volontaires de l'expérimentateur, et qui en dénature complète­ment les résultats. Il faut savoir que certaines hystériques, une fois endormies, deviennent des sujets si sensibles, des réactifs si délicats, qu'aucun mot prononcé ou aucun geste esquissé devant elles n'est perdu; elles voient tout, elles entendent tout, et elles retiennent tout comme des appareils d'enregistrement perfec-t ionnés. Il peut donc arriver, et il arrive en fait, que l'opérateur qui cherche à obtenir un résultat quelconque mette le sujet sur lu voie par un mot ou un geste imprudent. Supposons que l'expé­ rimentateur ait provoqué une hallucination visuelle; il veut en­ suite examiner si ce trouble sensoriel a produit une modification dans la sensibilité des téguments de l'œil, qui, avant l'expé­ rience, étaient insensibles. Avant de faire cet examen, il dit à un des assistants: je vais voir si la cornée et la conjonctive sont deve­ nues sensibles. La malade a entendu ce mot; et dès lors, il pourra arriver, non pas à coup sûr, mais assez facilement, que ces mots entendus par le sujet lui suggèrent directement le symptôme que l'on cherche, de telle sorte que l'expérimentateur sera exposé à prendre pour un effet de l'hallucination ce qui n'est qu'un effet de suggestion. Le sujet sera d'aussi bonne foi que l'opérateur, il n'y aura pas eu de simulation, et cependant Terreur qu'on peut commettre est considérable.

Ce danger de la suggestion inconsciente n'existe pas à tous les degrés de l'hypnose, chez les grands hypnotiques; il est moindre pendant la léthargie et pendant la catalepsie; quelquefois m ê me, chez certains malades, on ne l'y trouve pas, ces phases étant complètement fermées à toutes les espèces de suggestions. Le domaine d'élection de la suggestion inconsciente est dans le som­nambulisme. Quand l'opérateur a devant lui une somnambule, il doit toujours songer à cette cause d'erreur; c'est à lui à s'en garantir. Les preuves morales tirées de l'honorabilité du sujet ne servent à rien, puisqu'il ne s'agit pas de simulation. L'opérateur fera bien d'expérimenter en silence, de préparer les expériences en dehors de la présence du sujet, et de les exécuter devant un petit nombre de témoins. Un ou deux suffisent. A ce propos, nous ne saurions assez répéter qu'il n'y a que les premières expériences qui soient probantes, car ce sont à la rigueur les seules qui soient pratiquées sur un sujet vierge, à l'abri de la suggestion inconsciente. À mesure qu'une expérience se répète, il se rencontre des assistants qui font des commentaires à haute voix; ils produisent à leur insu des suggestions qui peuvent altérer la pureté du phénomène; ce qu'on obtient ainsi perd une grande partie de sa valeur. Outre cette cause d'erreur, il y en a une autre; c'est qu'à la seconde expérience le sujet se rappelle la première; si par exemple on a produit une fois tel phénomène chez le sujet en employant tel agent, il pourra arriver que la seconde fois, la présence de cet agent ou simplement son simulacre produise un rappel de sensation qui troublera l'expérience actuelle.

Pour toutes ces raisons et pour bien d'autres encore, nous avons toujours pris soin de donner dans nos publications sur l'hypnotisme tes résultats de la première expérience, quoique ces résultats fussent souvent beaucoup moins nets et moins par­ faits que les suivants.

Nous croyons que l'opérateur qui suit les règles de méthode que nous venons de tracer, qui détermine exactement la condition physique et mentale de ses sujets, qui prend des mesures pour éliminer complètement la simulation et la suggestion inconsciente, obtiendra des résultats que tout le monde pourra vérifier.

Il est un dernier précepte qu'il ne faut pas perdre de vue, ni dans la recherche des faits, ni dans l'exposition des expériences: c'est de rapprocher les phénomènes de suggestion des faits qui sont déjà connus et qui font partie de la science positive.

Un grand nombre d'expérimentateurs ont oublié ce précepte de bon sens, et les pages qu'ils ont écrites sur la suggestion ne sont qu'un recueil d'anecdotes amusantes, qui semblent faites plutôt pour piquer la curiosité que pour instruire. M. Paul Janet a signalé avec force les graves conséquences de cette omission:

« Ce qui nous a frappé dans les écrits les plus récents qui ont été publiés sur la matière de la suggestion et qui étaient tous plus ou moins destinés au public (conférences, lectures, articles de Revue, etc. ), c'est qu'au lieu de s'appuyer tout d'abord sur les faits les plus élémentaires et les plus grossiers (comme s'ils étaient par trop connus, tandis qu'ils sont absolument ignorés), on a surtout cherché à mettre en relief les faits les plus extraordinaires et les plus saisissants pour l'imagination. Rien de plus facile à comprendre. Celui qui s'adresse au public cherche surtout te succès: il aime bien sans doute la vérité pour elle-même; mais il n'est pas fâché non plus que la vérité soit pour lui un moyen de aire de l'effet. Plus il prépare son auditoire ou son lecteur, plus l'effet est affaibli; moins il le prépare, plus l'effet est grand. Cette tendance à mettre surtout en relief l'extraordinaire et l'inattendu, excellente au point de vue littéraire et dramatique, a beaucoup d'inconvénients au point de vue scientifique: car, d'un côté, l'étonnement, quand il est trop violent, incline l'esprit au scepti­cisme et éloigne de l'examen. Ce qui a si longtemps éloigné du magnétisme les esprits éclairés, c'est précisément le merveilleux et le mystérieux. Or, quoique les faits nouveaux s'appuient ou croient s'appuyer sur une méthode vraiment scientifique, cepen­ dant leur ressemblance avec ceux du magnétisme tend à produire une disposition analogue, c'est-à-dire une disposition à l'éloigné- ment et à l'hostilité. En même temps, par un effet réciproque et contraire et qui n'est pas moins fâcheux, il arrive que chez d'autres personnes ces phénomènes singuliers dont on ne devine pas la cause apparaissent avec le même prestige d'inconnu et de mystérieux que les phénomènes du magnétisme. Les uns condui­ sent aux autres; et le public, qui n'est pas versé dans les méthodes scientifiques, confond bien vite tous les domaines, de sorte que l'on retombe dans le mal que l'on aurait voulu éviter (1). »

La méthode à suivre consiste, comme nous l'avons dit, à montrer tout d'abord que la suggestion n'est pas un phénomène à part dans l'histoire de l'intelligence, un fait isolé qui ne se rattache à rien, qui ne s'explique par rien et qui reste suspendu en l'air. Il faut insister sur les rapports si étroits qui relient les phénomènes suggérés aux faits déjà admis et faisant partie de la science positive; il faut faire voir clairement que les premiers se rattachent aux derniers, dont ils ne sont qu'une exagération et une déviation pathologique.

Nous aurons à ce sujet à faire des parallèles nombreux entre les faits de suggestion et les faits de psychologie, de physiologie et d'aliénation mentale. L'étude comparée de la suggestion et des phénomènes psychologiques nous montrera que l'hypnotique n'est pas soumis à des lois psychologiques qui lui sont propres, et qu'il ne présente aucun symptôme dont on ne retrouve le germe à l'etat normal. L'étude comparée des phénomènes de suggestion et de l'aliénation mentale montrera en outre que les troubles psychiques suggérés chez l'hypnotique offrent un grand nombre de caractères communs avec les troubles spontanés, non provoqués, de l'aliéné: que l'hallucination hypnotique par exem­ ple ne diffère pas essentiellement des autres.

Grâce à ces comparaisons multipliées, l'opérateur s'oriente dans les études parfois si délicates de l'hypnotisme; en s'appuyant sur les résultats acquis de la science positive, il y trouve un contrôle, une direction, et l'hypnotisme, au lieu de servir de divertissement aux oisifs, devient une méthode utile d'expérimen­ tation en psychologie et en médecine mentale.

La suggestion est une opération qui agit sur le système nerveux du sujet, en produisant des modifications analogues à celles qui sont déterminées par les excitations périphériques. Mais on est loin de connaître tous les effets que peut produire l'idée qu'on introduit par suggestion dans le cerveau de l'opéré; il est même probable qu'on n'en connaît pas la millième partie. Loin de vouloir cacher ces lacunes de la théorie de la suggestion, nous croyons utile de les signaler à chaque instant. L'étude de la suggestion en est encore à ses débuts; elle nous réserve sans doute bien des surprises.

Il nous parait assez probable qu'en s'adressant à un sujet approprié, la suggestion est capable de produire toutes les actions qui sont sous la dépendance du système nerveux. Nous émettons là une assertion qui n'est que vraisemblable, car les preuves directes nous manquent. Et, lut-elle démontrée, il resterait encore à connaître l'étendue et les limites de l'influence du système nerveux sur le reste de l'organisme. La question de la suggestion se. confond ici avec une grosse question de physiologie qui est encore passablement obscure.

Un chapitre nouveau de l'histoire de la suggestion s'est ouvert dans ces derniers temps. Divers observateurs se sont occupés des suggestions qui exercent une action non pas sur la vie psychique du sujet, mais sur des fonctions dites végétatives, circulation, calorification, sécrétion, digestion, etc.

Nous n'insisterons pas sur les faits vulgaires, comme ceux de purgation par suggestion, qui sont connus depuis fort longtemps, et qui ne présentent rien de particulier, puisque l'on sait que certaines émotions morales produisent, à l'état normal, les mêmes effets.

La plus importante de ces perturbations organiques produites par une idée est l'expérience de vésication par suggestion, faite par M. Focachon, pharmacien à Charmes; cet expérimentateur applique sur l'épaule gauche de son sujet endormi des timbres- poste maintenus par quelques bandes de diachylon et par une compresse; il lui suggère en même temps qu'on lui applique un vésicatoire, puis le sujet est gardé en surveillance. Vingt heures après, on enlève le pansement, qui est resté intact: Au dessous, l'épiderme épaissi et mortifié présente une couleur blanc jau­ nâtre; cette région de la peau est entourée d'une zone de rou­ geur intense avec gonflement. Cet état fut constaté par de nom­breux médecins, parmi lesquels M. Beaunis, qui présenta à la Société de psychologie physiologique, le 29 juin 1885, les photo­ graphies de ce vésicatoire (1).

Peu de temps après, le 11 juillet 1885, M. Dumontpallier a communiqué à la Société de biologie des expériences dans lesquelles il a produit par suggestion chez des hystériques endor­ mies des élévations locales de température de plusieurs degrés; fait curieux, dont nous retrouverons l'analogue dans les sugges­ tions de phénomènes psychiques, la région symétrique du corps présentait en même temps un abaissement de température.

Dans la même séance, MM. Bourru et Burot, professeurs à l'École de Rochefort, publiaient des faits d'épistaxis et même, de sueur de sang, provoqués par suggestion chez un hystérique mâle hémiplégique et hémianesthésique. Un jour, l'un de ces expérimentateurs ayant endormi le sujet, traça son nom avec l'extrémité mousse d'un stylet de trousse sur ses deux avant-bras; puis il lui fit le commandement suivant: « Ce soir, à quatre heures tu t'endormiras et tu saigneras aux bras sur les lignes que je viens de tracer. » A l'heure fixée, le sujet s'endormit; au bras gauche les caractères se dessinèrent en relief et en rouge vif sur le fond pâle de la peau et même des gouttelettes de sang perlèrent sur plusieurs points. A droite, côté paralysé, il ne se produisit, abso­ lument rien. Plus tard, M. Mabille a vu le même sujet, dans dos attaques spontanées d'hystérie, se donner à haute voix l'ordre de saigner au bras, et présenter quelque temps après les hémorra - gies cutanées déjà décrites. Ces curieux phénomènes rappellent et expliquent les stigmates sanguinolents qu'on a observés à plu­ sieurs reprises chez les extatiques religieux pendant qu'ils se représentaient la passion du Christ.

A la Salpêtrière, M. Charcot et ses élèves ont produit fréquem- ment chez les hypnotiques des brûlures par suggestion. L'idée de brûlure ne produit pas son effet instantanément, mais après quelques heures d'incubation. On peut se demander si toutes les fonctions organiques peuvent être ainsi modifiées par la sugges­ tion; il règne encore beaucoup d'obscurité sur ces questions.

Tout dernièrement l'un de nous (1) a pu constater, au moyen de procédés analogues à ceux de M. Mosso, que par le seul fait qu'une hystérique, même à l'état de veille, fixe son attention sur une partie de son corps, cette partie change de volume. Cette observation importante ne s'ajoute pas seulement aux précé­ dentes, elle les explique, en montrant l'influence que peut exercer, chez des sujets hyperexcitables, un simple phénomène d'idéation sur les vaso-moteurs qui sont en cause dans toutes les expériences de ce genre.

Parmi les effets de la suggestion, il n'y en a guère qu'une classe qui ait fait l'objet de recherches régulières; ce sont les faits psychiques. On les a étudiés de préférence aux autres, parce que ce sont les premiers qui aient été exploités par les charlatans. Nous allons les examiner à notre tour, en essayant de les définir et de les classer avec tout le soin possible.

Si, avant d'entrer dans les détails de ce sujet, on le considère dans son ensemble, on voit qu'il s'agit d'étudier le rôle des idées dans les modifications de l'intelligence; il s'agit de voir ce que produit ce facteur, quand il agit isolément. D'après une opinion qui est généralement admise en psychologie, l'idée n'est qu'un facteur secondaire; le plus souvent, l'idée est une résultante, un point d'arrivée; les phénomènes psychiques se développent, eu quelque sorte, de bas en haut; ils ne commencent pas dans les centres supérieurs de l'idéation, ils s'y achèvent (1). Aussi, les phénomènes suggérés, qui, par un mécanisme agissant à rebours, se développent de haut en bas, sont plus superficiels, plus éphémères que les phénomènes spontanés. On peut suggérer à un sujet qu'il ressent la faim la plus vive; mais ce sentiment, dicté par une idée, sera moins profond que celui qui est produit par un besoin organique. De même, on peut transformer la personnalité du sujet, le changer, par exemple, en chien ou en loup; mais cette personnalité d'emprunt plaquée sur la person­nalité réelle ne change pas le fond du caractère. Pour que la suggestion produise des modifications durables, il faut qu'elle soit répétée souvent; elle finit alors, au moins dans certains cas, par créer des habitudes. Une malade à qui on avait fait de fréquentes suggestions de paralysies motrices disait que souvent en rêve elle se voyait paralysée d'une moitié du corps. Les suggestions de crimes expérimentaux ne doivent pas être faites à la légère; on ne sait pas toujours ce qui en reste.

Une étude approfondie de la suggestion montre que ce mot ne répond pas à un fait unique, mais à deux faits principaux qui forment en quelque sorte les points cardinaux de toute la théorie. Il y a deux espèces fondamentales de suggestions: l'une, qui a pour effet de produire un phénomène actif ou impulsif, comme une sensation de douleur, une hallucination, un acte; l'autre, qui a pour effet de produire un phénomène paralytique, comme la flaccidité d'un membre, la perte de la mémoire, l'anesthésie d'un sens. Ce sont là deux procédés tout différents, on peut même dire inverses, car l'un défait ce que l'autre fait. H est impossible de les ramener à la même loi psychique, et de leur imposer une explica­tion commune.

Examinons d'abord les suggestions positives, dont les deux principales sont l'hallucination et l'acte. Une grande partie de ces phénomènes paraît s'expliquer par la grande loi de l'association des idées. On a déjà remarqué que toutes les suggestions s'adres­sent aux organes sensoriels du malade, et exigent la participation de son intelligence pour atteindre le but visé. Allant plus loin, nous constaterons que chaque suggestion comprend trois choses: d'abord, il y a une impression que l'on fait subir au sujet et qui est, suivant les cas, une sensation de la vue, de l'ouïe (suggestion verbale), du toucher ou des autres sens; cette impression initiale, qu'on pourrait appeler l'impression suggestive, a pour effet d'éveiller dans le cerveau de l'hypnotique une seconde impression, qui s'appelle l'état suggéré; c'est, par exemple, l'image halluci­natoire. La première impression est le moyen, la seconde est le but. Maintenant comment la première impression, qui est direc­ tement produite par l'expérimentateur, peut-elle susciter la seconde, qui est tout interne et sur laquelle l'expérimentateur n'a aucune prise directe? En se plaçant au point de vue psycho- logique, il faut répondre: C'est par association d'idées. La sug­ gestion à forme positive n'est pas autre chose que la mise en œuvre d'une association mentale préexistant dans l'esprit de l'hypnotique.

Prenons un exemple. On dit à la malade: « Regarde?,; vous avez an oiseau sur votre tablier. » Aussitôt que ces simples paroles ont été prononcées elle voit l'oiseau, elle le sent sous ses doigts, et quelquefois même elle l'entend chanter. Les personnes inexpéri­ mentées peuvent trouver merveilleux et m ê me inexplicable qu'il suffise de parler à certains sujets pour créer dans leur cerveau une vision imaginaire. 11 n'en est pas moins vrai que la suggestion (l'hallucination est un fait dont l'association des idées rend bien compte. La parole que prononce l'expérimentateur est associée par l'éducation, par la répétition, en un mot, par l'habitude, à l'image mentale d'un oiseau, et voilà pourquoi elle provoque cette image, voilà pourquoi l'hallucination surgit. C'est la loi que lorsque deux impressions ont été souvent reçues ensemble, simultanément ou dans une succession immédiate, la présence de l'une tend à ressusciter l'autre. La production de l'image hallucinatoire par affirmation verbale ne fait que réaliser cette loi bien connue. En insistant un peu, on constaterait que cette espèce de suggestion rentre dans le groupe des associations par contiguïté.

Au lieu de nous servir de la parole, nous prenons le regard de notre sujet, et lorsque ce regard, devenu mobile, suit docilement tous nos mouvements, nous faisons avec la main le simulacre d'un objet qui vole; bientôt le sujet s'écrie: le bel oiseau! Comment un simple geste a-t-il produit un effet aussi singulier? Toujours par association d'idées. Nous avons éveillé l'image de l'oiseau par une imitation grossière, en figurant avec la main le mouvement d'un objet qui vole. Ici, l'association qui entre en jeu diffère de la précédente, c'est une association par ressemblance.

Ainsi s'explique, pour le psychologue, le mécanisme de la suggestion hallucinatoire, qui consiste essentiellement dans la mise en oeuvre d'une association. Elle n'est qu'un cas particulier de la grande loi qui se formule ainsi: Lorsqu'une image est réveillée dans l'esprit, elle tend a reproduire toutes les images qui lui ressemblent, ou qui se sont trouvées ensemble avec elle dans un acte antérieur de conscience. En un mot, une image suggère l'autre. M. Paul Janet remarque à ce propos: « Quelques psychologues écossais, par exemple Th. Brown, avaient m ê me proposé d'appeler cette loi loi de suggestion, et cette expression eût été beaucoup meilleure que l'autre. Je ne doute pas que ce ne soit de cette origine qu'est sortie l'expression de suggestion introduite par Braid dans la théorie de l'hypnotisme (1). »

De môme que l'association du mot à l'image explique la sug­gestion d'hallucinations, de même l'association de l'image au mouvement explique la suggestion des actes.

Lorsque, devant les yeux d'une hypnotique, on exécute un mou­ vement quelconque, comme de frapper ses mains, on provoque dans son esprit la représentation de ce mouvement; lorsque, restant immobile, on se contente de dire au sujet: « Frappez vos mains », on éveille encore dans son esprit, par l'association des paroles avec les idées, la représentation du même mouvement: et si dans les deux cas indifféremment le sujet accomplit l'acte indiqué, si en d'autres termes l'image du mouvement devient mouvement, c'est que cette image est associée par l'habitude à des mouvements; ou plutôt elle est comme le commencement, comme le premier degré du mouvement qu'elle représente; c'est grâce à ce fait que le sujet exécute comme un automate

1) Revue politique et littéraire, août 1884.

l'acte qui lut est ordonné, quand môme cet acte serait dangereux, immoral, ou simplement ridicule. M. Richet raconte qu'un jour, faisant des expériences sur un de ses amis qu'il avait endormi, ii 1 obligea à ramasser vingt fois de suite un morceau de craie qu'il jetait sous la table. En somme, la suggestion d'acte est peut- ê tre, de tous les phénomènes suggérés, celui qui se rapproche l e plus de l'état normal; elle consiste simplement dans un ordre exécuté servilement.

Mais il faut présenter une observation, au sujet de ce que nous venons de dire. Nous nous sommes efforcés de rattacher ces quelques faits de suggestion, les impulsions et les hallucinations, aux faits de la science positive, qui peuvent leur servir de preuve et de contrôle. Mais nous sommes loin de croire que cette méthode suffise à donner de ces phénomènes une explication complète. C'est une grande vanité de croire qu'on a tout expliqué. Il suffira d'un mot pour montrer combien il reste encore d'obs­ curités dans ce sujet. Admettons que la suggestion d'un mouve­ ment s'explique par l'association du mouvement à son image à sa représentation. Peut-on en dire autant de la suggestion d'un acte ? Quand on charge le cerveau do la malade endormie de cette idée étrangère: » A votre réveil, vous déroberez à monsieur un tel son mouchoir, » et qu'au réveil la malade accomplit le vol ordonné, croit-on que, dans tout cela, il n'y a rien de plus qu'une image associée à un acte ? En réalité, la malade s'est approprié, assimilé l'idée de l'expérimentateur; elle n'exécute pas passivement un ordre étranger, l'ordre a passé chez elle à l'état actif; nous voulons dire par là que la malade a la volonté de voler; état fort complexe, fort obscur, dont personne jusqu'ici n'a donné l'explication. Nous reviendrons sur ce point plus tard, afin de l'examiner de près.

Si l'on rencontre autant d'énigmes dans le domaine des sug­ gestions impulsives, qui sont les plus claires et les plus intelli­gibles, que sera-ce quand on aborde le domaine des suggestions inhibitoires ? Ici, le psychologue le plus superficiel s'aperçoit qu'il met le pied sur un terrain absolument nouveau. Les faits de paralysie par suggestion bouleversent complètement la psycho­ logie classique. L'expérimentateur qui les produit si facilement ne sait en réalité ni ce qu'il fait ni comment il le fait.

Prenons l'exemple d'une anesthésie systématisée. On dit au sujet: « A votre réveil, vous ne verrez plus, vous n'entendrez plus, vous ne percevrez plus en aucune façon M, X... qui est là devant nous; il aura complètement disparu. » Ainsi dit, ainsi fait. Au réveil, la malade voit toutes les personnes qui l'entourent, excepté M. X...; quand il parle elle ne répond pas à ses ques­ tions; s'il lui met la main sur l'épaule elle ne sent pas son con­ tact; s'il se place sur son passage, elle continue à marcher droit devant elle, et s'effraye de rencontrer un obstacle invisible. Comment l'expérimentateur a-t-il produit ce curieux phénomène ? On n'en sait rien. Nous saisissons seulement le fait extérieur, à savoir que lorsqu'on affirme à un sujet sensible qu'un objet présent n'existe pas, cette suggestion a pour effet, direct ou indi rect, de creuser dans le cerveau de l'hypnotique une anesthésie correspondant & l'objet choisi. Mais que se passe-t-il entre l'af­firmation verbale, qui est le moyen, et l'anesthésie systématisée, qui est le but? On ne peut pas faire intervenir ici, comme pour l'hallucination, un rapport d'association entre le mot prononcé à l'oreille du sujet et le phénomène produit. S'il est vrai que l'image d'un serpent est associée aux mots « voici un serpent », on ne peut pas dire de même que l'impossibilité de voir M. X... qui est devant les yeux soit associée aux mois: « M. X... n'existe pas. » Ici, les lois d'association, qui sont d'un si grand secours pour la résolution des problèmes psychologiques, nous abandon­nent complètement. Cela tient probablement à ce que ces lois ne donnent pas l'explication de tous les faits de conscience: elles sont moins générales que ne le pensent les psychologues anglais. On pourrait présenter des réflexions semblables au sujet d'un second exemple de paralysie par suggestion, la paralysie motrice. On peut suggérer par la parole à une personne endormie qu'elle a le bras paralysé. H suffit de répéter plusieurs fois avec une a utorité suffisante: « Votre bras est paralysé » pour voir b ientôt l'impotence fonctionnelle se manifester. La somnambule commence par faire un signe de dénégation; elle essaye de sou-lever le bras, et y réussit; on continue à lui dire: « Vous ne pou­ vez pas le soulever, il retombe » et peu après, par degrés, la paralysie arrive, s'étend et envahit le bras tout entier. La malade ne peut plus le remuer: la flaccidité est complète. Tel est ce curieux phénomène de la paralysie motrice par suggestion. Il est aussi incompréhensible que l'anesthésie, dont il est le pendant. Nous ne croyons pas qu'on puisse l'expliquer par les faits psychiques qui nous sont actuellement connus.

Peut-être toute, celle classe de faits paralytiques est-elle sou­ mise à une loi psychique générale dont les psychologues les plus avancés n'ont pas réussi à dégager la formule, et qui ne serait pas sans analogie avec une action inhibitoire. En suivant cette hypo­ thèse, on pourrait admettre, à titre provisoire et sous bénéfice d'in­ ventaire, que pour paralyser un sujet l'expérimentateur provoque en lui une impression mentale qui exerce une inhibition sur l'une de ses fonctions sensorielles ou motrices, désignée par la suggestion; d'ailleurs il est bien entendu que ce n'est pas à proprement parler l'impression mentale qui produit l'inhibition, mais la processus physiologique concomittant. Il faut, de plus, se souvenir que l'inhibition est un mot qui n'explique rien, et ne doit pas nous dispenser de chercher une explication véritable.

On peut classer encore les suggestions hypnotiques au point de vue suivant: les unes se réalisent seulement pendant le som­ meil et disparaissent avec le retour à l'étal normal; les autres continuent pendant l'état de veille; d'autres enfin sont provo­ quées pendant l'état de veille.

Ainsi, on peut donner à la somnambule l'hallucination d'un oiseau, et cette hallucination, qui se manifestera pendant le som­ nambulisme, se dissipera quand on soufflera sur les yeux du sujet pour le réveiller. Une fois revenue à l'état normal, la malade est complètement délivrée de toute vision imaginaire. C'est ainsi que les choses se passent chez les sujets médiocres ou chez les sujets neufs. La suggestion ne survit pas au sommeil hypnotique. On arrive cependant à faire durer la suggestion après le réveil, en la fortifiant par une suggestion différente. On a soin de dire au sujet endormi, en lui donnant son hallucination; « Quand vous serez réveillé, vous verrez encore cet objet » et souvent cette injonction suffit pour assurer l'existence post- hypnotique de la suggestion.

En général, chez les grandes hypnotiques, chez les sujets bien entraînés, il n'est pas besoin d'une suggestion spéciale pour produire ce résultat. Tout efet suggéré auquel on ne fixe pas un terme, et qui a une forme continue, se prolonge plus ou moins pendant l'état de veille. Il en est ainsi notamment pour les hallucinations, pour les paralysies, etc.

On se trouve alors en présence d'une expérience bien curieuse et bien faîte pour intéresser le psychologue. On a sous les yeux une personne qui est réveillée, qui est revenue à ce qu'on peut appeler son état normal, qui est redevenue capable de réfléchir, de raisonner et de diriger sa conduite, et qui, dans ces conditions, reste sous le coup de la suggestion hypnotique.

La suggestion qui survit pendant l'état de veille présente un caractère intéressant; elle paraît spontanée au sujet qui la subit. Règle générale: l'opération d'où est sortie la suggestion ne paraît pas laisser de trace sur le symptôme qu'elle provoque. C'est un fait très remarquable que l'hypnotique qui reste au réveil en proie à une hallucination suggérée ne garde aucun souvenir de la façon dont on l'a halluciné. Parmi nos sujets, nous n'en avons jamais rencontré un seul qui nous ait dit spontanément: « Si je vois en ce moment un oiseau, c'est parce que vous m'avez affirmé pendant le sommeil que j'en voyais un. » Le souvenir du mot pro­ noncé a complètement disparu, mais l'effet du mot, l'image hallu-c inatoire, subsiste. 11 en résulte que l'hallucination hypnotique a toujours l'apparence d'un symptôme spontané. De là quelques conséquences curieuses: On dit à une malade qu'une personne présente a sa redingote ornée de boutons d'or; le mot « boutons d'or » éveille chez elle l'image sensible de boutons de couleur jaune. Si quelque temps après on lui demande comment les boutons de M. X... sont faits, il lui arrive de répondre: « Ils sont en cuivre. » En fait, le sujet interprète la couleur jaune des bou­ tons qu'il a devant les yeux, et il suppose que ces boutons sont en cuivre; quant au mot « or » qui a figuré dans la suggestion verbale, il est complètement oublié.

Nous pouvons (aire les mêmes remarques an sujet de la sugges­ tion d'acte. Au réveil, le sujet accomplit docilement l'acte qu'on lui a ordonné d'accomplir pendant le sommeil hypnotique, mais il ne se rappelle pas qui lui a donné cet ordre, ni même qu'un ordre lui a été donné. Le plus souvent, si on lui demande pour­ quoi il a exécuté cet acte, il répond qu'il ne le sait pas ou que c'est une idée qui lui est venue. Généralement, il croit agir spon­ tanément et librement; et parfois même il trouve des raisons pour expliquer sa conduite. Tout cela suppose que le souvenir de la suggestion en tant que mot s'est complètement effacé. Les paralysies par suggestion n'échappent pas à cette règle.

Le sujet qui se réveille avec une monoplégie ne comprend pas comment cet accident lui est arrivé; il ne se rappelle aucun mot de la suggestion verbale; il ne se doute pas non plus que s'il est incapable de remuer son bras, c'est parce qu'on l'a convaincu de son impuissance motrice. Bref, la suggestion s'efface de l'esprit du sujet, aussitôt que l'effet est obtenu, et le symptôme qu'elle a pro­ voqué semble évoluer indépendamment de la cause qui l'a produite. L'existence de cette amnésie partielle nous autorisera peut-être à comparer les produits artificiels de la suggestion aux phéno­mènes qui se manifestent spontanément, sans provocation, chez les individus normaux et chez les aliénés, tels que les actes, les phénomènes impulsifs, les hallucinations, etc.

Nous aborderons maintenant l'étude détaillée des faits de sug­ gestion. Il est impossible de les examiner tous; nous nous borne­ rons à choisir un certain nombre de têtes de file, que nous étu­ dierons avec soin. Nous passerons successivement en revue les hallucinations, les actes impulsifs, les paralysies du mouvement et les paralysies de la sensibilité. Les phénomènes que nous ve­nons d'indiquer sont les éléments les plus simples qu'on puisse obtenir à l'aide de l'expérimentation hypnotique. Les étudier, c'est étudier en quelque sorte les propriétés les plus élémentaires des phénomènes suggérés. Si nous en avions la place, nous aurions soin de faire suivre l'étude de ces faits élémentaires de suggestion par l'énumération des composés qui en dérivent. C'est ainsi qu' à l'image hallucinatoire, on peut rattacher tous les faits compris sous la rubrique « intelligence», la sensation, l'associa­tion des images, la mémoire, le raisonnement, l'imagination; à l'acte suggéré se rattachent les sentiments, les émotions, les passions, l'activité volontaire et tous ces phénomènes encore peu connus qui forment la psychologie des mouvements. Enfin aux paralysies par suggestion se rattachent les phénomènes d'in­hibition psychique dont l'étude n'est pas même commencée.

 

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