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Le Magnetisme Animal

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CHAPITRE XII

Les paralysies par suggestion. — Paralysies motrices.

I

Les paralysies motrices par suggestion forment un des cha­ pitres les plus intéressants et les mieux étudiés de l'hypnotisme. Nous dirons d'abord quelques mots de l'historique de ces paraly­sies, dont la découverte n'appartient pas à l'hypnotisme, mais à la clinique.

C'est en 1869 que, pour la première fois, M. Russell Reynolds (1) signala l'existence des troubles moteurs et sensitifs développés sous l'influence d'une idée. Les troubles de la motilité consistent quelquefois en spasmes, en mouvements ataxiques ou incoordon­ nés, mais le plus souvent en paralysies portant sur les membres supérieurs; et Erb les décrit sous le nom de paraplégies par ima­ gination (2).

Le type de ces paraplégies nous est fourni par la première ob­ servation de M. Reynolds, dans laquelle il s'agit d'une jeune fille qui devint paraplégique dans les circonstances suivantes:

Elle vivait seule avec son père qui avait subi des revers de for­ tune, et qui, à la suite de chagrins prolongés, devint paralytique. Elle subvenait aux besoins du ménage en donnant des leçons qui la forçaient de faire de longues courses dans la ville. Sous l'in­fluence de la fatigue déterminée par ces marches, l'idée lui vînt qu'elle pourrait devenir paralysée elle-même, et qu'alors la situa-( l) Russell Reynolds, Remarks on paralysis and other disorders of mo- tion and sensation dependent on idea (Brit. med. journ., t. II, 1869, p. 378, 835, 2 octobre et 6 novembre. )

tion serait terrible. Sous l'influence de cette idée persistante, elle sentit ses membres inférieurs s'affaiblir; et au bout de peu de temps, la marche devint complètement impossible. M. Reynolds comprit la pathogénie de l'affection et lui imposa un traitement purement moral; à la suite d'essais répétés, il finit par con­ vaincre la malade qu'elle pouvait marcher, et le fait est qu'elle marcha.

M. Reynolds rapporte encore un cas remarquable dans lequel, sans impuissance motrice véritable, il existait une incoordination motrice telle que la marche était impossible. C'est à propos d'un cas de ce genre que M. Charcot a été amené à étudier à son tour ces paralysies psychiques, et il s'est appliqué à montrer que l'interprétation donnée par l'auteur anglais est des plus légitimes. A cette occasion, le professeur de la Salpétrière a mis une fois de plus en lumière le parti que l'on peut tirer de l'hypnotisme pour l'étude expérimentale des phénomènes qui se présentent sponta­ nément chez les sujets sains ou malades.

Si l'on impose à une somnambule l'idée qu'elle est paralysée du bras droit, on voit qu'en effet ce membre perd la faculté de se mouvoir; et, si la suggestion a été provoquée d'une façon appropriée, la paralysie persiste après le réveil. M. Charcot a montré que ces paralysies présentent souvent des caractères ob­ jectifs qui permettent de les rapprocher des paralysies orga­ niques.

En outre, comme le fait remarquer M. Bernheim, beaucoup de sujets qui ont été hypnotisés antérieurement peuvent, sans être hypnotisés de nouveau, présenter à l'état de veille l'aptitude aux mêmes phénomènes suggestifs (1), c'est-à-dire que l'on peut chez certains sujets hypnotisables provoquer à l'état de veille des pa­ralysies par suggestion. Mais ce n'est pas tout, M Bottey, con-fi rmant les recherches de M. Bernheim, a montré que chez certains sujets qui n'ont jamais été soumis au sommeil somnam- bulique, on peut provoquer des paralysies en leur inculquant fortement l'idée qu'ils vont être paralysés (2). Nous voici donc revenus expérimentalement à la paralysie psychique de M. Rus- sell Reynolds.

M. Ghareot, après avoir répété ces diverses expériences, montre qu'en somme entre la somnambule et Je sujet suggestible à l'état de veille, il n'y a point de saut, mais des transitions graduelles, qui permettent de faire comprendre les paralysies psychiques accidentelles, et démontrent leur réalité.

Les expérimentateurs de la Salpêtrière se sont attachés surtout à mettre en relief, selon la méthode d'expérimentation indiquée plus haut, les caractères cliniques dont le membre paralysé est le siège. Ces caractères cliniques sont d'autant plus importants à connaître qu'ils servent de preuve de la réalité de l'expérience, et qu'ils permettent de comprendre, dans une certaine mesure, la nature de ces paralysies par idée.

Nous allons faire le récit d'une suggestion de paralysie chez un de nos sujets, en ayant soin d'insister sur les phénomènes somatiques dont nous venons de parler.

La malade est mise en léthargie par la pression oculaire, et ensuite en somnambulisme par la friction sur le vertex. On lui affirme alors que son membre supérieur droit est complètement paralysé. Il faut mettre de l'insistance et de l'autorité dans l'affir­ mation, car la malade résiste ; elle secoue la tête, remue son bras pour montrer qu'il est libre, et répond à l'expérimentateur: « Mais non, je ne suis pas paralysée, » On lui répète plusieurs fois, sans se lasser: « Votre bras est paralysé; il est lourd; vous ne pouvez plus le. soulever; il retombe le long de votre corps. > A mesure qu'on répète ces paroles, la malade remue son bras avec une difficulté croissante. Bientôt, tout est fini, la paralysie est complète, et la malade est rendue incapable d'exécuter le plus petit mouvement.

Les choses étant à cet état, on lui dit: « Vous conserverez cette paralysie après votre réveil. » Puis, on la réveille en lui soufflant légèrement sur les yeux. En général, elle est fort surprise de se trouver un bras paralysé, car son esprit n'a gardé aucun souvenir de la suggestion qui lui a été faite pendant le somnambulisme. Elle prend avec son autre main le bras para­ lysé qui pend, et le met sur ses genoux.

On pourra s'étonner que lorsque les sujets se réveillent ainsi avec une difformité grave ou dégoûtante, c'est à peine s'ils marquent du chagrin. S'il ne s'y joint pas une sensation fausse de douleur, il est rare qu'ils s'affligent; il semble qu'il sont par faitement rassurés sur l'issue de l'accident. Mais il ne faut pas oublier qu'il s'agit d'hystériques et que les hystériques supportent avec la plus grande indifférence toutes les misères qui surviennent spontanément du fait de leur maladie; on en voit, par exemple, rester contracturées de plusieurs membres pendant des mois, sans marquer d'impatience, sans se plaindre de leur sort, comme le feraient des malades atteints de la même infirmité par suite d'une lésion organique. C'est là une particularité bien connue du caractère des hystériques.

Examinons maintenant les phénomènes dont le membre para­ lysé est le siège. Ce qui frappe tout d'abord, c'est l'abolition complète de la motilité. Le sujet est dans l'impuissance d'exé­ cuter le moindre mouvement. Si on l'engage à remuer son bras, il fait des efforts inutiles, des contorsions qui n'aboutissent à rien. Quelquefois cependant il arrive que le sujet, en voulant remuer le bras droit qui est paralysé, exécute des mouvements involon­ taires et inconscients avec le gauche.

De même qu'il ne peut soulever son membre, de même il ne peut le, soutenir quand une main étrangère le soulève; le bras abandonné à lui-même retombe comme une masse inerte. La flaccidité est complète.

Cette paralysie motrice est accompagnée en général d'une perte de la sensibilité cutanée, et même de la sensibilité profonde, lorsque la malade n'est pas anesthésique avant l'expérience. On peut impunément la pincer, la piquer, sans provoquer la moindre réaction. Si l'on juge l'épreuve insuffisante, on peut recourir à l'électricité et faire circuler à travers le bras paralysé des cou­ rants extrêmement intenses; la malade ne se plaint pas, elle reste complètement impassible.

H y a une remarque à faire sur la distribution de l'anesthésie. M. Charcot a constaté dernièrement que l'anesthésie présente, chez quelques sujets, exactement l'étendue de la portion paralysée. Si on ne paralyse que l'articulation et les mouvement de l'épaule, cette région seule devient insensible; le bras, l'avant-bras, le poi­ gnet et les doigts conservent leur sensibilité normale. Si on paralyse l'articulation de l'épaule et celle du coude, l'anesthésie descend et s'avance jusque vers le milieu de lavant-bras; si on paralyse aussi le poignet, l'anesthésie s'étend encore; et enfin, elle gagne l'ex­ trémité du membre, quand les doigts ont été paralysés à leur tour.

En même temps que la sensibilité au toucher et à la douleur la sensibilité musculaire est abolie. Cela veut dire que la malade perd la notion de la position occupée par son membre paralysé, et des mouvements passifs qu'on lui communique. En fermant les y eux de la malade, on la rend incapable de retrouver avec sa main libre la main de son bras paralysé: pour y arriver, elle est obligée de recourir à un expédient; c'est d'aller chercher son épaule et de descendre en tâtonnant tout le long du bras jusqu' à la main. Lorsqu'on ne lui permet pas d'user de ce moyen, elle met beaucoup de temps dans sa recherche; et on peut même allonger ce temps d'une manière indéfinie en éloignant la main paralysée de la main libre qui la cherche.

A l'inverse, si, au lieu de suggérer une perte de motilité, on affirme au sujet qu'il a perdu dans tout le membre la sensibilité cutanée et profonde, que sa peau ne sent plus le contact, la piqûre, etc., on détermine, par association de symptômes, un désordre plus ou moins grand dans la fonction motrice. Chez certains sujets, on voit se produire une paralysie complète; chez d'autres, l'effet est plus superficiel, et cependant plus curieux encore; le sujet dont on a frappé le bras droit d'anes- thésie ne sait plus se servir de ce bras, quand on lui tient les yeux, fermés; si on l'invite à porter la main droite à son front, il exécute le geste commandé avec sa main gauche. Il faut que la vue intervienne pour corriger cette confusion entre les deux mains; l'œil ouvert et fixé sur son membre, le sujet ne se trompe pas. Nous n'insistons pas davantage sur cette particularité, qu'on retrouve dans un certain nombre de faits pathologiques.

Tous les phénomènes qui précèdent sont purement subjectifs; en voici d'autres qui se traduisent par des signes extérieurs.

Le membre paralysé est froid; la malade éprouve une sensa­ tion de froid, qui peut quelquefois être objectivée par l'explora­tion thermométrique.

Nous avons à enregistrer maintenant les signes moteurs. La paralysie motrice est accompagnée d'une exagération des réflexes l endineux, qui peut être mise en relief par les procédés d'inves­ tigation les plus simples. Au bras, il suffit de percuter les ten­dons en arrière du coude ou du poignet pour provoquer dans le membre des secousses qu'on ne rencontre pas à l'état normal. Cette exagération des réflexes se révèle encore plus facilement au membre inférieur par la percussion du tendon rotulien qui provoque une secousse très considérable (Charcot).

Le caractère précédent rapproche la paralysie par suggestion des paralysies de cause organique. Toutefois, de même que les paralysies hystériques spontanées, les paralysies par suggestion peuvent offrir quelques variétés dans leurs formes sympto- tnatiques.

MM, Richer et Gilles de la Tourette ont entrepris quelques expériences fort intéressantes sur la forme de la secousse muscu­ laire au moyen de la méthode graphique de Marey. Ils ont constaté que pendant la période paralytique la secousse aug­ mente, pour diminuer avec le retour des mouvements volontaires. Dans quelques cas, en outre de l'augmentation de la hauteur de la secousse, ils ont vu la ligne de descente interrompue et pro­longée simuler une tétanisation incomplète,

On sait que lorsqu'on détermine pendant la léthargie une contracture par l'excitation d'une branche nerveuse ou par la malaxation des muscles, cette contracture léthargique présente la curieuse propriété de se résoudre et de s'effacer complètement quand on porte l'excitation sur les muscles antagonistes des muscles contractures. Les contractures et les paralysies produi­ tes pendant le somnambulisme ou l'état de veille ne présentent pas les mêmes caractères. Si l'on plonge la malade en léthargie, elle conserve la contracture ou la paralysie qu'on lui a donnée, et l'excitation des muscles antagonistes ne produit aucun effet sur le phénomène. Pour le faire disparaître, il faut recourir à la cause qui l'a produit, la suggestion.

Jusqu'ici, nous avons borné notre étude au membre paralysé. Mais pendant que la suggestion paralyse un membre, il se passe un fait intéressant dans le membre du côté opposé: ce membre acquiert une augmentation do force, qui compense, jusqu'à un certain point, la paralysie de l'autre.

Un de nos sujets, prié de serrer un dynamomètre, donne avant toute expérience:

Avec la main droite ........ 39

Avec la main gauche ....... 27

On le plonge ensuite dans le somnambulisme, et on lui donne par suggestion une paralysie du bras droit. On obtient alors par pression du dynamomètre:

Avec la main droite 0

Avec la main gauche..... 37

On petit interpréter ce résultat en disant que l'inhibition provoquée à droite par suggestion a déterminé à gauche de la dynamogènie. Cette production simultanée d'inhibition et de dynamogénie dans des points symétriques a été signalée maintes fois par M. Brown-Séquard, dans ses expériences de vivisection. Cet auteur dit: « Les diminutions et les augmentations de puissance et d'activité (du système nerveux) coexistent généralement, sinon même toujours. La même excitation d'un point du système nerveux, qui, se propageant à distance, produit l'inhibition d'une propriété ou d'une activité dans certaines parties des centres nerveux, dans certains nerfs et dans certains muscles, d'une moitié du corps, produit aussi de la dynamogénie dans les parties homologues de l'autre moitié. Ceci a lieu quand la lésion excitatrice est unilatérale. » Exemple: « la section d'un des nerfs sciatiques augmente, en général, l'excitabilité des centres moteurs de la surface cérébrale du côté correspondant, en même temps qu'elle diminue l'excitabilité des parties homo­logues du côté opposé. Des effets analogues et d'ordinaire plus énergiques s'observent après la section transversale d'une moitié latérale de la moelle épinière, et surtout du bulbe rachidien ou de la protubérance annulaire (1). »

Ces phénomènes semblent démontrer qu'une modification produite artificiellement dans un hémisphère tend à déterminer dans l'autre une modification de signe contraire. Il y aurait donc entre les deux hémisphères, ou, comme on a dit, entre les deux cerveaux , non seulement indépendance fonctionnelle, mais encore, dans des conditions qui restent à déterminer, suppléance. On se rappelle qu'au sujet des hallucinations, nous avons déjà rencontré des faits du même ordre.

Dans les cas précédents, nous avons parlé uniquement des para­ lysies totales qui envahissent le membre entier, depuis son extré­ mité jusqu'à sa racine. On peut, par une suggestion donnée différemment, restreindre la paralysie à un groupe de muscles qui sont associés dans un mouvement habituel. On peut dire à la malade qu'elle ne peut plus fléchir un doigt. Dans ce cas, la paralysie n'est pas totale, elle est partielle: elle permet de voir quelques faits intéressants, qui ne se produisent pas avec la para­lysie totale. En voici un exemple:

Nous suggérons à un sujet qu'il ne peut plus fléchir le pouce de la façon qu'on lui indique. Au bout d'un instant, quand la paralysie suggérée a eu le temps de se réaliser, nous réveillons la malade, qui ne se souvient de rien et ne se doute pas de sa paralysie, puis nous l'engageons à faire un grand effort pour fléchir son pouce; elle essaye, prend son élan, mais le résultat produit est exactement l'inverse du résultat commandé et voulu; au lieu de fléchir le pouce dans la paume de la main, elle l'a violemment étendu. L'expérience continue ensuite toute seule, et le pouce se contracture dans l'extension; peu à peu l'index cesse de pouvoir se fléchir, puis le médius, puis l'annulaire, et, à mesure, ces doigts s'étendent et se contracturent légèrement dans l'extension.

Ainsi, la malade voulant fléchir son pouce l'a au contraire étendu. Il nous paraît utile d'insister en passant sur l'importance de cette espèce de quiproquo moteur. L'expérience mérite d'être rapprochée de celle de l'anesthésie systématisée. On a vu qu'un sujet à qui on a supprimé par suggestion la vision d'un carré rouge obtient, en regardant fixement ce carré, une image com­ plémentaire verte. Dans l'expérience présente, la paralysie d'un groupe de mouvements a déterminé, quand le sujet a voulu ("aire ces mouvements, la production du mouvement antagoniste. Ne peut-on pas comparer ce mouvement à l'image consécutive? Ne peut-on pas dire qu'il y a entre les mouvements antagonistes le même rapport qu'entre les couleurs complémentaires ?

Une autre preuve peut être citée.

On se rappelle que l'application de l'aimant produit des para­ lysies sensorielles comme la suggestion le fait, mais en leur impri­ mant un caractère particulier; ainsi la vision d'une croix rouge, sous l'influence de l'aimant, se change en vision d'une croix vide, entourée de vert. Au contraire, quand par suggestion on sup­prime la vision consciente de la croix rouge, le sujet voit une croix verte. Eh bien ! les paralysies motrices produites par l'aimant diffèrent par des caractères analogues aux précédents des para­ lysies motrices produites par suggestion. Si, en affirmant au sujet qu'il peut fléchir son pouce, et en appliquant l'aimant, on produit une paralysie du mouvement de flexion, on s'aperçoit en outre que la malade ne peut pas étendre son pouce; elle ne peut ni le fléchir, ni l'étendre, elle ne peut rien en faire. Au contraire, si la paralysie de la flexion est produite par suggestion, le mouvement d'extension est conservé. On peut dire que la paralysie par l'aimant, qui comprend les deux mouvements antagonistes, est comparable à la croix vide, où il y a paralysie des deux couleurs complémen­ taires, et que la paralysie par suggestion, qui laisse intact le mouvement antagoniste d'extension, est comparable à la croix verte, qui conserve intacte la couleur complémentaire.

Symptômes secondaires. Aphasie. — Au cours de cet exposé sommaire, on a pu s'apercevoir que la suggestion sert à pro­ voquer chez un sujet non seulement un symptôme isolé, mais une maladie complète. C'est en effet un fait très remarquable que lorsque le symptôme suggéré fait partie d'un complexus de symptômes, le complexus entier tend à se réaliser chez le malade soumis à l'expérience. Exemple: une de nos malades est dans le sommeil sonmambulique provoqué; nous lui inculquons l'idée qu'à son réveil son bras droit sera paralysé. Notre étonnement fut grand quand, à son réveil, nous la trouvons non seulement avec une paralysie flasque du bras droit, mais dans l'impossibilité d'articuler un mot: l'intelligence était intacte; elle comprenait parfaitement tout ce qu'on lui disait; mais la pointe de la langue était fortement attirée à gauche, et se mouvait difficilement. Le sujet ne pouvait pas deviner que cette coïncidence, intéressante à plus d'un titre, fût possible. Cette association s'explique par le voisinage des centres moteurs du membre supérieur droit et des muscles qui concourent à la fonction du langage articulé dans l'écorce de l'hémisphère gauche du cerveau (1).

Jusqu'ici, il n'a été question que des paralysies avec flaccidité. On peut produire avec le même procédé des paralysies avec contracture, qui sont, d'ailleurs, soumises aux lois des paralysies flaccides et déterminent notamment une augmentation de puis­ sance musculaire dans le membre de l'autre coté. Ce qu'il y a de particulier dans les contractures suggérées, c'est la possi- bilité de leur imprimer le caractère de systématisation qui appar- tient aux contractures léthargiques. Nous avons vu que, pendant la léthargie, l'excitation d'un nerf provoque la contracture des muscles qu'il innerve; l'excitation du nerf cubital, à son passage dans la gouttière du coude, provoque la griffe cubitale bien connue. Ce que fait l'excitation mécanique, la suggestion peut le refaire; en suggérant au sujet l'idée d'une pression exercée au niveau de son coude, on lui donne une griffe cubitale qu'il serait impossible de distinguer d'une griffe léthargique. Il est possible de varier l'expérience. Dessinons sur l'avant-bras de ce sujet en léthargie un petit cercle à la plume, et exerçons avec le doigt une pression au centre du cercle; un certain nombre de muscles se contracturent. Après avoir fait passer le sujet de la léthargie au somnambulisme, nous lui disons: À votre réveil, vous senti­ rez une forte pression au centre du petit cercle qui est dessiné su r votre avant-bras. Réveillée, la malade se plaint d'une dou­ leur siégeant au point que la suggestion a indiquée, et bientôt sa main se contracture en reproduisant exactement la même atti­ tude que pendant la léthargie. Cette expérience prouve que l'idée suggérée d'une excitation, image d'une excitation cutanée, peut produire des effets aussi intenses, aussi exactement loca- lises que l'excitation réelle.

Est-ce à dire que la contracture léthargique est une contracture produite par suggestion ? Nullement; la suggestion et l'impres­ sion physique constituent deux méthodes parallèles, et il serait d'autant plus illogique de ramener la méthode par excitation physique à la méthode par suggestion, que cette dernière n'est qu'un dérivé de la première.

Une fois produites, les paralysies par suggestion pourraient se perpétuer indéfiniment. Nous en avons vu une qu'on a laissée subsister vingt-quatre heures; le sommeil naturel ne l'avait pas modifiée. Lorsqu'on voulut la faire cesser, elle présenta plus de résistance qu'une paralysie récente; il n'est pas douteux que si on n'était pas intervenu, elle serait devenue plus profonde et plus difficile à guérir. Le moyen le plus ordinaire de supprimer les paralysies psychiques est de suggérer l'idée adverse de puissance motrice; le plus souvent, un simple mot ne suffit pas; il faut insister, revenir souvent à la charge, et répéter un grand nombre de fois à l'hypnotique qu'il est capable de mouvoir son membre, s'il en a la volonté. Sous l'influence excitante de cette suggestion, le sujet fait des efforts pour soulever le membre engourdi; peu à peu le mouvement revient, et la circulation nerveuse se rétablit; certains signes objectifs de la paralysie, tels que l'exagération des réflexes tendineux, subsistent encore pendant un certain temps.

Il est un moyen souvent plus efficace et plus rapide que la suggestion pour guérir la paralysie motrice; c'est de donner à l'hypnotique la représentation du mouvement au moyen des mouvements réels que l'opérateur exécute devant ses yeux ou au moyen de mouvements passifs que l'opérateur imprime au mem­ bre paralysé.

L'influence de ces opérations est bien démontrée par le fait que, chez un sujet sain, la représentation d'un mouvement provoquée par un des moyens indiqués est capable d'augmenter la puissance motrice (1).

Un procédé plus efficace encore est d'engager le sujet à faire des mouvements avec son membre valide, et à s'efforcer de les imiter avec son membre paralysé. De cette façon, le sujet refait son éducation motrice à la fois par le sens musculaire et par le sens de la vue.

En terminant cette étude clinique des paralysies par suggestion, il faut remarquer que les caractères somatiques relevés dans nos descriptions ne sont pas absolument constants; beaucoup d'expé­ rimentateurs ne les ont pas retrouvés chez leurs sujets. Mais leur rareté n'exclut pas leur valeur ni leur importance. Toutes les expériences précédentes ont été faites sur des sujets types, c'est-à-dire sur des hystéro-épileptiques présentant tous les caractères du grand hypnotisme. L'avantage de ces sujets est de présenter, avec un grossissement considérable, des symptômes qui restent rudimentaires ou font défaut chez les sujets ordinaires. C'est à ce point de vue qu'on a pu dire que les grandes hypnotiques consti­tuent des cas analytiques, éminemment favorables aux études de nosographie.

II

Les paralysies systématiques différent des paralysies totales pur un degré supérieur de complexité. Elles consistent dans la perte de mouvements spéciaux, de mouvements adaptés. Le sujet qui en est atteint ne perd pas complètement l'usage de son membre; il est seulement incapable de s'en servir pour exécuter un acte déterminé, et cet acte seul. C'est ainsi qu'on peut enlever à l'hypno­ tique lu faculté d'exécuter les mouvements nécessaires pour l'ac­ tion de coudre, de dessiner, d'écrire, de fumer, de chanter, de jouer du piano, etc. , tout en respectant les autres mouve­ ments. On lui dit avec autorité: « A votre réveil, vous ne pourrez plus écrire » et ces simples paroles, quand elles sont répétées suffisamment, produisent, par un mécanisme encore inconnu, une paralysie de l'écriture, c'est-à-dire l' agraphie.

C'est à l'expérimentateur à choisir la forme qu'il veut donner à la paralysie systématisée; on peut les varier à l'infini, comme on peut varier à l'infini la forme des hallucinations. La suggestion peut reproduire tous les phénomènes physiologiques. Les an­ ciens magnétiseurs ont souvent exploité ces phénomènes. Ils disent à leurs sujets: « Vous ne pouvez plus avancer » et le sujet fait de vains eforts pour avancer. — « Vous ne pouvez, plus sortir de ce cercle que je tract: autour de vous » et le sujet reste cloué sur place malgré toutes ses tentatives physiques pour sortir du cercle. — « Vous ne pouvez plus prononcer votre nom » , et le sujet ouvre vainement la bouche, et n'arrive pas à émettre une seule des syllabes de son nom. Le D r Philips, qui donna des séances publiques d'hypnotisme à Paris en 1860, suggéra un jour

Fig. 15

a l'un des assistants, qui s'appelait Laverdant, qu'il ne pourrait plus prononcer ni écrire les a de son nom. Le sujet essaya vaine­ ment d'écrire son nom, et il traça les caractères ci-dessus dont le fac-similé a été conservé (fig. 15).

Au premier abord, la paralysie systématique ne paraît avoir rien de commun avec la paralysie totale. Lorsqu'on donne à une hypnotique la suggestion qu'au réveil elle ne saura plus écrire, on ne produit dans son bras droit aucune modification visible. La paralysie dont on la frappe reste en quelque sorte latente; elle ne se révélera pas à la conscience du sujet avant le moment décisif où il prendra une plume et essayera de tracer des carac­ tères. Jusque-là son bras droit paraît être aussi complètement libre que le gauche, il ne présente rien de commun avec la flacci­ dité d'une paralysie totale. Cependant ces deux genres de para­ lysie ne diffèrent que par le degré; la paralysie totale est la perte de toutes les espèces de mouvements d'extension, de flexion, de rotation, d'abduction et d'adduction, etc.; dans la paralysie systé­ matique., la perte ne porte pas sur tous les mouvements, mais sur quelques-uns, sur ceux qui sont nécessaires à l'exécution d'un acte déterminé.

Mais ici, il faut préciser. Nous disons que, lorsqu'on enlève à un sujet la faculté d'exécuter un acte, tous les mouvements qui font partie de cet acte sont paralysés par la suggestion. Voilà le fait grossier. H reste à savoir si les mouvements sont paralysés en tant que groupe, en tant que série, ou s'ils sont paralysés individuellement, chacun à part. Supposons que la suggestion ait supprimé un acte dans lequel se trouve un mouvement d'exten- sion de l'index. Est-ce que la malade, qui ne peut plus faire l'acte entier, est incapable d'étendre son index dans un mouve­ ment isolé ? Pour être plus précis, la paralysie systématique est- elle une perte de mouvement, ou une perte du pouvoir de coor­ donner certains mouvements en vue d'un acte ?

L'expérience seule peut répondre a cette question. Donnons une suggestion d'agraphie à un sujet. Au réveil, examinons sa main droite. On constate facilement qu'il a conservé le pouvoir de fléchir et d'étendre les doigts, quoique une grande partie de ces mouvements fassent partie de l'acte d'écrire; ce n'est donc pas tel mouvement individuel qui est perdu, c'est la possibilité de coordonner ces mouvements pour accomplir un acte déterminé. Autre exemple, qui rend le fait plus saisissant encore. Enlevez à une hypnotique la faculté d'écrire le mot « non ». Au réveil, priée d'écrire ce mot, elle prend la plume, mais tout à coup un obstacle invisible l'arrête, elle ne peut pas écrire « non » . Cependant, au même moment, elle écrit sur notre demande une foule d'autres mots, et même des mots qui contiennent des n et des o, ce qui prouve qu'elle n'a pas perdu la faculté de tracer chacun de ces caractères isolément, mais la faculté de les grouper. La paralysie systématique consiste donc dans un trouble de coordi­ nation motrice; elle ne frappe pas les mouvements, mais l'asso­ciation des mouvements, elle produit une dissociation de mouve­ments primitivement associés.

Il est utile de comparer la paralysie systématique à l'anesthésie systématique, dont nous avons présenté plus haut une légère esquisse; ces deux phénomènes se correspondent; l'un est dans la série des faits moteurs ce que l'autre est dans la série des faits sensitifs. Dans les deux cas, il y a paralysie, et, dans les deux cas, cette paralysie a un caractère de systématisation. La paralysie totale d'un membre a pour pendant la cécité complète d'un œil, et l'incapacité d'accomplir un acte déterminé et cet acte seul a pour pendant l'incapacité de percevoir un objet déterminé et cet objet seul. Nous refusons donc d'appliquer à l'anesthésie sys­ tématique le nom d'hallucination négative, qui nous parait sin­ gulièrement mal choisi, puisqu'il ne s'agit pas d'hallucination du tout. Appeler l'anesthésie systématique une hallucination négative, c'est à peu près comme si on donnait à la paralysie systématique le nom d'impulsion motrice négative. Ecartons cette terminologie vicieuse qui ne sert qu'à embrouiller les idées.

La comparaison que nous venons d'indiquer mériterait d'être poussée plus loin; mais la place nous manque. Nous devons nous borner à signaler une conclusion qui en découle: c'est que l'anes­ thésie systématique, étant faite à l'image de la paralysie, con­ siste probablement en grande partie dans un trouble de coordi­ nation.

Après cette courte digression, continuons l'étude de la paraly­ sie systématique. Il est un caractère qui la rapproche de la paralysie totale: c'est que, généralement, elle est accompagnée d'un affaiblissement du pouvoir moteur. Le malade à qui on a donné de l'agraphie — nous conservons toujours le même exemple, car c'est le plus simple — ce malade se plaint en général de sentir sa main droite un peu lourde et paresseuse. Ces sensations subjec­ tives sont confirmées par l'examen direct. Si on prie l'agraphique de serrer le dynamomètre avec sa main droite il donne souvent une pression inférieure à sa normale. Cette légère parésie a été relevée par M. Pitres dans une observation clinique très détaillée; l'agraphie artificielle, produite par suggestion, offre donc ce ca­ ractère en commun avec l'agraphie spontanée.

Nous avons relevé un second signe physique qui nous paraît aussi très important. De même que la paralysie totale, la para-l ysie systématique produit une manifestation de dynamogénie dans le membre symétrique. Quand on suggère une agraphie de la main droite, la main gauche devient capable de donner au dynamomètre un chiffre plus élevé qu'auparavant. La perte d'un côté est compensée par un gain de l'autre côté.

L'expérience peut même être poussée plus loin. La paralysie systématique d'un membre ne détermine pas seulement dans l'autre membre une augmentation dans l'intensité de la contrac­tion musculaire, mais une augmentation dans la précision et la perfection des mouvements. Une malade étant rendue agraphique de la main droite, par suggestion, on la prie au réveil de tracer des chiffres avec sa main gauche. Elle y consent, et les chiffres qu'elle écrit en miroir sont presque irréprochables au point de vue calligraphique.

Tous ces caractères sont tracés d'un seul mouvement, d'une seule coulée, sans que la malade s'arrête pour réfléchir. Nous avons recueilli un autre jour, chez cette même malade, l'écriture normale de la main gauche, quand la droite n'est pas agraphique. Elle écrit alors de la main gauche avec beaucoup de peine; cha­ cun des chiffres exige au moins une demi-minute de réflexion; de plus, le résultat est assez défectueux.

L'agraphie du bras droit a donc pour conséquence d'augmen­ ter dans le bras gauche le pouvoir coordonnateur des mouve­ ments de l'écriture. On pourrait aussi interpréter cette expé­ rience, en disant que, par suite de l'agraphie suggérée, la faculté d'écrire acquise par la main droite à la suite d'un long apprentis­ sage est transférée à la main gauche.

Ces faits rappelleront certainement au lecteur une expérience de transfert par l'aimant que nous avons reproduite plus haut. On y a vu que, lorsqu'on soumet à l'aimant un sujet à qui on a donné la suggestion d'écrire avec la main droite, on transfère l'impulsion de droite à gauche; la malade écrit avec la main gauche en miroir et, en même temps, elle devient gauchère, c'est à dire agraphique, de la main droite. La suggestion directe de l'agraphie amène un résultat analogue; et cela s'explique, en somme, car, quelle que soit la nature de l'excitant, suggestion ou application de métal, le cerveau reste le même et réagit toujours suivant les lois qui lui sont propres. Cette même raison sert à expliquer pourquoi M. Brown-Séquard obtient sur des chiens et sur des cobayes, avec une double lésion organique, des résultats semblables au transfert chez les hystériques.

Nous terminerons en signalant un dernier caractère des para­lysies systématisées, qui appartient aussi aux paralysies totales. L'observation suivante a été prise par M. Richer, qui n'était pas prévenu de son importance, mais qui ne l'a pas moins enregis­ trée avec sa conscience d'observateur scrupuleux. Elle n'eu est que plus significative (1).

Pendant que X... est plongée es somnambulisme, nous lui affirmons qu'elle ne peut plus écrire... Une fois réveillée, nous la prions d'écrire son nom. Elle saisit la plume avec empresse­ ment. Mais à peine la plume a-t-elle touché le papier qu'il lui est impossible de tracer même un trait, quelque force de volonté qu'elle déploie. La mimique à laquelle elle se livre est très inté­ ressante à étudier. A chacun de ses efforts, ses doigts qu'elle cherche à fléchir sont pris de mouvements d'extension. Son poi­ gnet lui-même s'étend, sa main se soulève. De la main gauche, elle cherche alors à maintenir sa main droite appuyée sur le papier; mais elle ne peut arriver à contenir et à régler les mouvements contradictoires qui surviennent à chaque tentative d'écriture.

Ainsi que nous l'avons déjà fait remarquer, cette production de mouvements antagonistes, qui accompagne la paralysie de certains mouvements, nous paraît devoir être rapprochée de la produc-tion de la couleur complémentaire que l'on observe dans l'achro-m atopsie suggérée. Dans les deux cas, la paralysie d'une fonction détermine une exagération de l'autre. On peut dire qu'il existe entre les mouvements antagonistes le même rapport qu'entre les couleurs complémentaires.

Nous avons insisté, au sujet des suggestions d'actes, sur les formes variées qu'on peut donner à la suggestion. Les suggestions de paralysies sont susceptibles de présenter les m ê mes variations. Tantôt on affirme simplement au sujet que son bras est paralyse; tantôt on lui suggère un oubli des mouvements à faire; tantôt on lui inculque la volonté de ne pas remuer Je bras; tantôt on lui inculque l'idée d'impuissance.

La plupart des observateurs emploient en général cumulative-m ent, et sans distinction, plusieurs de ces suggestions à la fois, et il est très remarquable que des procédés aussi différents donnent des résultats identiques. Il y a un abîme au point de vue psycho- logique entre la situation d'un sujet qui ne remue pas son bras parce qu'il ne le peut pas, et celle du sujet qui ne remue pas son bras parce qu'il ne le veut pas. Mais l'étude clinique de ces deux espèces de paralysies montre qu'elles offrent les mêmes carac­ tères; il est donc probable que dans tous ces cas la suggestion, malgré la diversité de ses formes, produit la môme modification dans les centres moteurs du bras.

Nous arrivons ainsi à la conclusion que la paralysie du centre moteur est le fait fondamental. L'agent peut interpréter différem­ment ce fait, l'attribuer à une impuissance d'agir ou à une volonté arrêtée de ne pas agir; mais ces interprétations sont des phéno­ mènes secondaires, accessoires, surajoutés, qui ne font pas partie intégrante de l'événement. Toute l'histoire de la volonté tient dans ces deux mots» l'impulsion et la paralysie.

Nous avons à nous demander quels sont les fait» normaux que l'on peut comparer aux paralysies psychiques par sugges­ tion. La paralysie totale, avec sa flaccidité complète et ses autres caractères si accusés, ne parait pas avoir sors pendant dans la psychologie normale; mais il n'en est pas de m ê me des paraly­sies systématiques; ce sont là des phénomènes d'inhibition qui doivent se réaliser chez un individu sain toutes les fois que la volonté aboutit à un arrêt de mouvement. M. Heidenhain dit que, lorsqu'on abaisse son bras élevé, ou réalise une inhibition; c'est ce qui arrive aussi dans les cas où l'on retient les manifesta­ tions d'une violente colère ou d'un sentiment de peur. M. Ribot a done eu raison de considérer la volonté comme étant à la fois un pouvoir d'impulsion et un pouvoir d'arrêt. On témoigne d'une volonté aussi énergique en restant impassible qu'en se laissant emporter au vent de la passion. L'action des esthésiogènes sur les paralysies par suggestion mérite d'être examinée. Quant la paralysie est unilatérale, il y a transfert.; ce qui est fort remarquable, c'est que le membre auquel la paralysie est transférée ne devient paralysé qu'après s'être épuisé dans une grande décharge convulsive, qui ressem­ ble tout à fait à un accès d'épilepsie partielle. Quand c'est une paralysie bilatérale qui est soumise à l'action des esthésiogènes, elle est remplacée par l'impulsion correspondante. En voici un exemple qui suffira:

Nous donnons à X... en somnambulisme la suggestion qu'elle ne sait plus tourner ses pouces. Elle résiste, répond qu'elle peut les tourner, et les tourne; après une suggestion répétée, elle s'arrête. Réveil. On la prie de faire le mouvement indiqué, elle essaye de croiser les mains et n'y parvient pas. On place en haut derrière sa tète, à gauche, et sans qu'elle s'en doute, un petit aimant. Au bout de quelques secondes, elle croise ses mains et tourne ses pouces. Peu après, elle s'arrête, en disant qu'elle ne sait plus comment on fait. Ensuite, elle reprend le mouvement et le continue pendant cinq minutes, sans interruption, tournant ses pouces tantôt dans un sens, tantôt dans un autre. Pendant ce temps, elle cause de ses amies de l'hôpital et ne songe pas à ce que l'ont ses doigts. Nous avons vu plus haut qu'on obtient un effet inverse du précédent en soumettant à l'excitation de l'aimant une malade à qui on a donné Sa suggestion d'une impulsion mo­ trice; c'est alors la paralysie du mouvement qui succède au mouvement.

Rappelons à ce sujet que chez beaucoup de malades une simple excitation périphérique, comme la compression d'un membre, détermine la même inversion de l'état physiologique, remplaçant l'impulsion par la paralysie correspondante et la paralysie par l'impulsion. L'aimant n'agit donc très vraisemblablement que comme une excitation périphérique inconsciente, dont l'efficacité dépend de la condition physique du sujet.

Il faut répéter pour les paralysies motrices ce qui a été dit plus haut pour les hallucinations, les suggestions d'actes, les paralysies de la sensibilité, etc. Ce sont là des phénomènes rela­ tivement simples, objectifs, qui doivent servir d'introduction à l'étude des phénomènes plus délicats et plus complexes. Il nous semble que les paralysies du mouvement, les paralysies systéma­ tisées en première ligue, conduisent naturellement l'observateur à l'étude des paralysies de la volonté, des impuissances de vou-loir, de l'aboulie. Pour fixer les idées sur le sens de ce mot, rappelons l'exemple du malade de Bennett, qui, ayant soif, prie le domestique de lui apporter un verre d'eau; le domestique lui présente le verre sur un plateau, et le malade ne peut se décider à le prendre, bien qu'il ait le désir de boire et que son bras ne soit nullement paralysé.

L'un de nous (1) a observé que les aboulies provoquées par sug- gestion sont capables de devenir le point de départ d'interpréta­ tions délirantes tendant à se généraliser: un sujet qui est rendu incapable de saisir un objet en vient à déclarer que cet objet ne vaut pas la peine d'être pris, et sa réprobation s'étend à tous les objets similaires.

Il reste à mettre en lumière les analogies de l'aboulie avec la paralysie systématique. La distinction des deux phénomènes ne peut être faite par aucun caractère objectif.

On peut dire seulement que l'aboulie est l'état faible de la paralysie, mais que, lorsque l'aboulie est portée à son maximum, elle équivaut à une paralysie. Supposons un aboulique qui, tout d'abord, a éprouvé une certaine difficulté à vouloir prendre une plume pour écrire, et qui, peu à peu, en arrive à être incapable de le faire. A ce moment, son impotence ne peut pas être distinguée d'une paralysie psychique des mouvements adaptés de récriture.

On peut dire encore que l'aboulie est un état plus complexe que la paralysie systématique; car (pour prendre ce m ê me exemple de l'agraphie) il se peut qu'un aboulique puisse tracer toutes sortes de caractères, excepté sa signature, comme ce notaire observé par Billod, tandis que l'agraphique ordinaire ne peut rien écrire du tout. Mais cette différence n'empêche pas que l'aboulie de ce malade consiste dans une paralysie fonctionnelle d'un ordre de mouvements, avec conservation de tous les autres mouvements; c'est, en quelque sorte, une agraphie avec un degré supérieur de systématisation.

Donc, qu'il s'agisse d'une paralysie totale, d'une paralysie systématique ou de l'aboulie, le trouble moteur correspondant est foncièrement le même, et il doit reconnaître une cause analogue par sa nature ou par son siège. L'analogie de ces trois phénomènes peut être mise en lumière par des expériences de suggestion chez les hypnotiques. Nous avons vu que la paralysie totale et la paralysie systématique déterminent, chez certains sujets, une augmentation de force dans Je membre de l'autre côté du corps. 11 en est de même dans l'aboulie.

Si nous donnons au sujet la suggestion qu'il ne pourra pas, malgré son désir, ouvrir avec sa main le tiroir d'une table pour prendre une chose qui s'y trouve, et si, après avoir produit celte aboulie unilatérale, nous plaçons an dynamomètre entre les mains du sujet, nous constaterons que la force musculaire du bras droit a diminué et que celle du bras gauche a augmenté.

On peut juger par cet exemple la valeur de la méthode qui consiste à mettre les phénomènes en série. L'aboulie est un fait pathologique trop complexe pour être étudié d'emblée, sans préparation; autant vaudrait commencer la géométrie par l'étude des courbes. On ne peut comprendre l'aboulie qu'après avoir fait l'étude de phénomènes plus simples, dont l'observation et l'analyse sont plus faciles. Or, nous croyons que les paralysies par suggestion constituent précisément ces phénomènes élémen­ taires qui doivent servir de base et d'introduction à une étude de l'aboulie.

En somme, la grande conclusion psychologique qui se dégage de tous des troubles de la motilité, c'est que ces troubles sont commandés directement par des modifications fonctionnelles des centres moteurs; ce sont là les vraies causes des paralysies motrices, que ce soient des paralysies totales, des paralysies systématiques, ou des phénomènes d'aboulie. On peut même ajouter que, dans la paralysie totale par suggestion, les effets qu'on observe sont les m ê mes que si on avait détruit avec un couteau le centre moteur correspondant au membre paralysé. Quant à l'interprétation que le sujet donne du trouble moteur dont il se trouve atteint, elle est tout à fait secondaire; et il importe peu que le sujet explique son impuissance par ce motif qu' il ne peut pas ou qu'il ne veut pas, ou, comme disent certains abouliques, qu'il ne peut pas vouloir, ou enfin qu'il ne sait pas. Si on prenait ce commentaire à la lettre, on serait amené à considérer ces troubles moteurs comme des phénomènes très différents au lieu de reconnaître qu'ils sont de même famille. Quand le malade dit qu'il ne peut pas mouvoir son membre, on verrait dans cette impuissance une. paralysie simplement motrice; quand le malade prétend qu'il voudrait bien, mais ne peut pas vouloir franchir une porte, on diagnostiquerait une maladie de la volonté; enfin, quand le malade dit qu'il a oublié les mouvements de l'écriture, on ferait de cette agraphie une maladie de la mémoire motrice; ce qui aurait pour conséquence logique de méconnaître l'unité, fondamentale de ces trois faits moteurs, qui ne sont, nous le répétons, que des variations d'un même état, la paralysie motrice.

L'étude des faits de suggestion a eu pour but de montrer de quelle importance est l'hypnotisme comme étude de psycho­ logie. Il y a longtemps qu'on a préconisé ces études; mais la cause du magnétisme animal était tellement compromise par les mauvaises méthodes, que personne n'osait s'engager dans ces questions. Lorsque Braid eut démontré la réalité d'un état nerveux provoqué par la fixation d'un objet brillant, et la possibilité de faire naître chez le sujet hypnotisé un grand nombre de phénomènes psychiques par suggestion verbale, on pouvait croire que les psychologues allaient enfin s'occuper de ces nouveaux faits, qui les intéressaient si directement. Il n'en fut rien. A part quelques tentatives qui restèrent isolées, la grande majorité se détourna de ces études fécondes, craignant sans doute de s'y compromettre. Il est vraiment regrettable que les psychologues anglais de l'Ecole a ssociationniste, Stuart Mill, Bain, Spencer, qui, sans être à proprement parler des expérimentateurs, ont toujours eu le plus grand respect pour l'expérience, iraient jamais pensé à mettre en valeur les précieux documents contenus dans l'œuvre de Braid, leur compatriote. Comment n'ont-ils pas compris qu'il y avait là les plus belles illustrations de cette loi générale de l'association des idées qui leur paraissait, à juste titre, si importante?

L'indifférence des psychologues à l'égard de l'hypnotisme était un fait si connu et si bien établi qu'on s'imagina que ces études n'intéressaient nullement la psychologie; aussi, M. Mathias D uval se faisait-il l'interprète d'une opinion courante quand il écrivait , en 1874, son remarquable article sur l'hypnotisme, où il demandait non sans quelque ironie: Où sont les découvertes de l'hypnotisme? Où sont ses analyses? Où sont les résultats de cette nouvelle psychologie expérimentale?

Depuis cette époque, une révolution s'est opérée. Le grand hypnotisme, étudié avec tant de précision par M. Charcot, a triomphé de cette indifférence générale qui tue les questions. On admet aujourd'hui couramment que l'hypnotisme constitue une méthode d'expérimentation en psychologie, présentant le double avantage de grossir et d'isoler les états de conscience.

Le fait est d'autant plus utile à relever que l'hypnotisme noua paraît appelé à combler une lacune. Depuis quelques années, un certain nombre de personnes essayent de fonder en France une psychologie expérimentale, et on l'oppose volontiers à la psycho­ logie classique, qui règne encore souverainement sur tous l es établissements universitaires. Mais jusqu'ici il nous semble que la nouvelle école ne réussit pas à se distinguer nettement de l'ancienne. En effet, qu'a-t-elle de propre? On a dît: D'abord sa haine pour la métaphysique. Mais ce n'est qu'un mot. Ou commence la métaphysique et où finit la science positive ? On a dît encore: la nouvelle psychologie est expérimentale. Mais pour être expérimental, il faut faire des expériences; où sont les siennes ? Elles sont très peu nombreuses en dehors des observa-tions relatives à la mesure des sensations, du temps de réaction, et c. il nous semble que l'hypnotisme, associé à l'observation clinique des maladies mentales et nerveuses, est appelé à donner à l'école nouvelle la méthode qu'elle cherche, et à lui fournir une issue sur l'expérience.

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