De la Cause du Sommeil Lucide

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SÉANCE XIII

DE L'ABSURDITÉ DE L'ACTION D'UNE VOLONTÉ
EXTERNE DANS LA PROVOCATION DU SOMMEIL LUCIDE.

1. — La volonté, quiest un acte interne de l'âme, n'est ici appelée externe que parce qu'on prétendque les époptes ne dorment pas par leur volonté propre, mais par celle de leursconcentrateurs, et que celle-ci est la cause de tous les phénomènes quise développent chez eux.

Avant qued'approfondir la nature de cette faculté, nous exposerons ici quelques faitscon­nus, pour voir s'ils peuvent être expliqués par cette cause gratuiteet arbitraire. On a rien accordé à la raison dans cette recherche. Ons'est contenté de quelques faits mal saisis pour établir une théorie générale,et l'on exige tyran­niquement que tous ceux qui parcourent la car­rièredu sommeil lucide s'y soumettent sous peine de passer pour des Jongleurs. Ilest donc utile de démontrer que ce moyen qui répugne à la philosophie nesatisfait même pas les obser­vations et les expériencesjournalières.

Nous avonsdéjà remarqué que nul épopte n'est occasionnel que parce qu'il a étéépopte naturel. Je défie tous les magnétiseurs de l'univers d'endormirquelqu'un oui n'a pas les dis-positions requises. La seule direction est ce quidistingue le premier du second ; et encore, ce que celui-ci a quelquefoisdéveloppé spontané­ment n'a jamais pu être obtenu de celui-là,précisément pour cause de la direction, comme nous le verrons dans la suite. Cequ'il y a de certain, c'est qu'on noue conversation avec l'un de mêmequ'avec l'autre dans leur sommeil naturel, en sachant s'y prendred'après la con­naissance de l'état des époptes. Si des effets identiquesne peuvent jamais provenir de causes différentes, de quelle volonté externedéduira-t-on le sommeil lucide des époptes naturels ?

Je sais que tous lesépoptes occasionnels, mais non sans exception, assurent que, lorsqu'ils dormentpar ordre de leurs concentrateurs, ils jouissent d'un autre sommeil que n'estleur som­meil naturel. Mais cet aveu, qui n'est point général, peut-il suffire,de la part des personnes qu'on sait évidemment être équivoques dans leursannonces, pour être érigé en principe c'est-à-dire, en une véritéuniverselle?

Les principesn'admettent point les exceptions qui sont le partage des règles seules.Les époptes ont un motif pour trouver de la différence entre l'un et l'autresommeils, et les observateurs dérogent aux lumières de la raison, ens'en étayant pour consolider leurs combinaisons. Les premiers, en dormantoccasionnellement, se livrent au sommeil avec un but précis; et en dormantnaturellement, ils ne s'y livrent que par habitude. L'expérience démontrejusqu'à satiété que cette idée de leur part n'ajoute ni ne dérogeà l'identité de leur état, parce que consultés dans l'un et dans l'autre sommeil, ils décidenttoujours avec là facilité qui leur est habituelle. Les observateurs ytrouvent-ils quel­que cheville pour en déduire la différence?

2. — Il m'est arrivésouvent de trouver que des personnes que je n'avais jamais vues se sontendormies sur le seuil même de mon salon, seulement en m'apercevant,avant que j'eusse pu les remarquer. Il m'a fallu même quelque­foisaccourir, en laissant en suspens mes occu­pations du moment pour empêcherqu'il n'en tombât quelqu'une à la renverse ; et d'autres fois ce malheurserait sans doute arrivé, s'il ne se fut trouvé quelqu'un pour les soutenir, enles croyant évanouies.

Dans mes séances,ceux qui se sont endor­mis ou qui sont tombés dans les crispations et dans lesdéfaillances, pendant que, sans y pen­ser, je m'occupais à en endormird'autres, sont si nombreux qu'ils rempliraient un long catalo­gue et seraienttrès propres à charmer les loisirs des amateurs desphénomènes du sommeil lucide. Il y en a même qui sont sortis dusalon et sont tombés à la renverse dans l'antichambre, sans d'autre motifde leurs malaises que ma pré­sence. Aussi quand je paraissais devant eux pourleur donner du soulagement, j'étais repoussé avec frayeur comme un ennemi deleur repos.

L'existence de ceuxqui, sans aucun concours étranger s'endormaient et s'éveillaient à leurgré, ayant la précaution d'annoncer dans le sommeil précédent le moment précisdu sommeil suivant, et qui y donnaient des consultations, du moins sur leursmaladies propres, a été annoncée par plusieurs feuilles publiques. Celle de lademoiselle Julie, dont un journal intéres­sant a rendu célèbres lessommeils spontanés les consultations précises et la complète guéri-son,est parfaitement connue en Allemagne et en France.

J'ajoute un autrefait à ceux-ci ; il doit être décisif pour celui qui de bonne foicherche la vérité dans son éclat. Une dame, dont j'ignorais absolumentl'existence et qui ne me connaissait que de nom, s'endormit profondément aumilieu d'une nombreuse société en faisant les honneurs de la table, pendant quela conversation géné­rale roulait sur les expériences du sommeil lucide, et quemon nom y était répété sans cesse. Interrogée sur la cause de son sommeil, ellen'eut rien de plus empressé que de dire que c'était moi qui 1 avais voulu.Après plusieurs autres questions, on l'éveilla et on lui rapporta toutson entretien pendant son sommeil. Le lendemain elle vint chez moi pour sefaire endormir ; j'employai pendant une heure tous les procédés en usage, etelle s'en retourna sans avoir même éprouvé un engourdissement.

Tous ceux quideviennent époptes occasion­nels, ordinairement s'éveillent en sursaut dansleurs premiers sommeils, lorsqu'on leur adresse la parole, malgré toutes lesprécautions qu'on prend pour les affermir. Ils ne se consolident

que par l'exercice.Je puis maintenant deman­er aux magnétiseurs, aux faiseurs desystème pour expliquer le mode des perceptions de l'âme humaine, si cetattirail de faits peut être rangé avec l'action d'une volonté externe.

3. — Il ne suffitpas que pour développer un phénomène nouveau et inconnu, on adopte comme théorie, unprincipe qui ne rend compte que de quelques-unes de ses branches. Chacun sentl'absurdité d'une pareille marche : elle n'a pas besoin de réfutation. Il fautque le principe adopté satisfasse les moindres circonstances de ce qu'il tendà expliquer : autrement il n'est pro­pre qu'à encombrer denouvelles ténèbres la chose obscure qui demande à êtreéclaircie ou qu'on cherche à éclaircir.

Pour avoir observéque des époptes, sans être prévenus, s'endormaient au moindre signe de lavolonté de leurs concentrateurs, à travers les plus épais obstacles età des distances éloi­gnées, on a conclu péremptoirement, sans s'ê­tredonné la moindre peine de vérifier si tous les époptes étaient susceptiblesd'éprouver le même effet, que le sommeil lucide ne connais­sait pourcause que l'action d'une volonté externe. De là le célèbre adage: croyez et veuil­lez ; adage étranger à l'objet, maisplein de sen­timent, toutefois disputé par un autre partisan de l'action d'unevolonté externe, et dont l'ou­vrage, d'après le jugement du rédacteur duJournal de Paris, passa pour le seul classique dans l'état du sommeillucide. Celui-ci exige qu'on dise : Veuillez et croyez ; parceque d'a­près lui l'entendement ne prononce qu'à la suite de ladétermination de la volonté.

Nous avonsdéjà donné ailleurs la raison pour laquelle des époptes s'endormentà des distances éloignées, au simple acte de la volonté de leursconcentrateurs. Mais cette volonté externe se­rait-elle la cause de leursommeil ? est-ce une raison pour qu'elle le soit de tout sommeil lucide ? Cequ'il y a de plus décisif contre les partisans de cette cheville, c'est quel'expérience démontre qu'on endort les époptes avec la volonté, sans la volontéet même avec une volonté contraire, mais non exprimée. Je dis avec unevolonté contraire non exprimée, parce qu'autrement les époptes suivent lesidées et non l'action inefficace d'une volonté externe.

Il fallait toutconsidérer, dans le sommeil lucide et dans ses accessoires, que leur déve­loppementse lie à des causes sensibles à la fois et purementintellectuelles. Voulant donc l'ex­pliquer par la détermination d'une cause mys­tiqueet inintelligible, on se charge anti-philo­sophiquement de rendre plusobscur ce qui est encore passablement clair. Qu'est-ce que c'est qu'une volontéexterne ? Peut-elle, dans quel­ques circonstances au moins, exercer en vertu desa puissance sur d'autres, une action coerci­tive ? Il faut absolumentapprofondir ces deux questions pour savoir qu'elle ne peut être qu'unecause gratuite du sommeil lucide.

4. —D'après les notions de la pneumatolo­gie, l'entendement et la volonté nese distin­guent entre eux qu'en raison de leurs objets et non en raison de leurprincipe ; ce ne sont que des modifications de la même âme qui juge parl'une et veut par l'autre. Dire donc qu'une vo­lonté externe agit sur un autreêtre, ce n'est que prétendre qu'une forme a la vertu d'agir sur un autreêtre plutôt que la substance dont elle se modifie. Conséquemment c'est lamême chose que d'avancer qu'un médicament n'a d'action qu'étant pris dansun verre et non dans une tasse.

L'entendement et lavolonté sont des facultés qui conviennent à tout être qui pense ;conséquemment elles sont le partage de toute brute. Toute la différence qu'il ya entre leurs innom­brables classes se réduit à ce que les unes lesexpriment, de quelque manière que ce soit, mieux que les autres. L'hommea la préroga­tive exclusive de les surpasser toutes par des sons articulés,mais jamais d'une manière exacte qui réponde à toutes leursnuances.

Une substance quijuge et veut ne peut avoir d'autorité que dans le ressort de sa juridiction, etcette juridiction ne peut s'étendre qu'à ce qui précisément constitueson individu. Si l'ex­périence ne confirmait pas assez cette vérité, la raisondémontrerait encore que l'individualité ne serait autrement qu'un mot vide desens. Tout ce qu'un être pensant juge et veut ne peut donc avoir d'effetque dans la circonférence de l'enveloppe qu'il anime. Vouloir le pousser, mêmequelques lignes plus loin, c'est boule­verser l'ordre et confondre tous lesindividus.

Cependant l'hommeayant la prérogative d'ex­primer à ses semblable», mieux que les autresanimaux, ses jugements et ses désirs, a aussi l'avantage d'attirer dans sonsens ceux qu'il per­suade. Cette persuasion, qui n'est qu'une adhé­sion del'esprit à sa foi, est souvent fondée aussi sur l'espoir des récompensesou sur la crainte des punitions. Telle est quelquefois celle des sujets, desenfants et des domestiques, par rapport aux princes, aux parents et auxmaîtres. Mais, dans aucun cas, cette adhésion de l'esprit ne dérive d'unecontrainte interne : elle suit toujours les convenances et les stipulations ;de sorte qu'aucune action externe de quelque genre qu'elle soit, ne peut priverl'homme de sa liberté interne, mais seulement des causes naturelles. Telle estla condition de l'âme dans son union avec l'enveloppe qu'elle informe, soitchez les hommes, soit chez les brutes. Maîtresse de son empire, elle seule ydomine en souveraine.

5. — Nous avons dit,à la vérité, que l'âme humaine circonscrit l'espace, et n'est point cir­conscritepar son enveloppe, mais nous avons dit aussi que les idées qu'elle acquiertloin de l'action des sens externes, appartiennent éga­lement au corps ; parcequ'elle les acquiert toujours par l'intermédiaire du sang:, et que,quoiqu'elles soient ordinairement intuitives mix­tes, néanmoins elles seconvertissent parfois en pressensations d'une manière obscure etindé­finie. Il n'y a donc aucune circonstance où le corps, avec quil'âme humaine pendant son union fait un seul individu, ne partage avec elletoutes ses opérations naturelles.

Ainsi l'âme humaine,dans son état d'intui­tion mixte, peut former des idées loin du corps, niaisjamais agir sans lui sous peine de cesser d'être un seul individu aveclui. Aussi nul épopte, quoiqu'il plane par tout l'espace et se rende témoin detout lieu nommé, n'a jamais été, ni n'est apte à donner la plus petiteimpulsion, même à un brin d'édredon. Cette observation seulesuffirait, s'il n'y avait d'autres raisons déci­sives, pour démontrer que l'âmene peut aucu­nement agir là où le corps n'agit pas.

A plus forte raisonelle ne peut donc pas agir, dans l'état de sensations, là où lecorps n'agit pas. Elle ne peut y former que les idées des objets que l'étenduedes sens embrasse dans leur circonscription. Encore, dans l'action qu'elle yexerce avec le concours du corps, elle nepeut avoir plus d'influence que celle qui con­vient aux êtres animés, outout au plus aux êtres raisonnables ; elle ne peut jamais y fléchirà son gré le principe moteur qui lui est étran-

ger, à soninsu et malgré lui, d'après ce qui a té dit plus haut, concernantl'individualité.

Je sens que cettedoctrine ne s'allie pas exac­tement avec ce que nous avons rapporté desfantômes absolus ; mais nous parlons ici de l'état naturel de l'âme humaine etnon de son état extranaturel, pendant son union avec le corps. Toutefoisy serait-elle encore dans son état naturel, elle n'y agit pas au dehors sans l'enveloppequ'elle informe ; elle ne s'y rend accessible qu'aux sens ; parce que étant, enrai­son de ses propriétés ineffables, tout entière dans la moindre desparties idéales de son tout, elle peut avoir l'apparence de multiplier sonexistence sans multiplier son individualité et conséquemment sans nullementdéroger à la na­ture de son union. Que sait-on d'ailleurs des mouvementsinternes de son enveloppe, des sentiments confus de l'homme, dont l'âme subitces métamorphoses apparentes ?

6. —Il est toujourscertain que l'âme ne peut, dans aucune circonstance, agir nullement du corpssans le corps. Comment pourra-t-on main­tenant comprendre qu'une volontéexterne est la cause non seulement du sommeil lucide, mais aussi de l'empiresur le mouvement nécessaire des époptes, et de leur intuition qui embrasse lepassé, l'avenir, le présent, sans distances de temps et de lieux 7 Je veuxpenser que cette volonté ne soit que l'âme même sous la modifi­cationde vouloir.    Mais entend-on comment ellepeut agir, même, avec le corps, d'une ma­nière si extraordinaireet si inintelligible ?

Nous en avons assezdit pour démontrer que cette action est naturellement impossible. Néan­moins,supposons qu'elle existe contre toute expérience et contre tout bon sens ; maispeut-on lui rapporter des effets qui n'ont aucune analogie avec elle? Peut-onconcevoir comment un magnétiseur, par sa volonté ou par son âme,maîtrise tous les ressorts du mouvement néces­saire de ses époptes, tandisqu'il est inapte à dominer sur le moindre des siens propres ? Peut-onconcevoir comment cet être merveilleux peut par sa puissance magiquemontrer à ses élèves ce qui se passe aux Antipodes et dans lesplanètes, tandis qu'il est stupidement étranger même à cequi se trouve derrière lui ? Peut-on concevoir comment cet instituteurincomparable peut par son talent sublime, inspirer à d'autres mu;science infuse et universelle, tandis qu'il est lui-même dépourvu,peut-être, des premières connaissances naturelles ?

Sur quoi est doncfondé l'affinité d'une vo­lonté externe avec le sommeil lucide et sesaccessoires ? Est-ce sur ce qu'avance l'auteur du mode des perceptions de l'âmehumaine, que la volonté de l'homme peut agir à distances, de mêmeque l'électricité, l'attraction et le galva­nisme ? C'est la même choseque de dire que Paris est brillant, parce qu'il a plu abondon­ment àOtahiti, et que l'océan nourrit d'innom­brables poissons, parce qu'il plaît auxhordes errantes de sauvages de ne vivre que de venai­son. Quel rapport y a-t-ilentre la volonté hu­maine et l'action de l'électricité, de l'attraction et dugalvanisme ?

Eh ! la volontéhumaine ou une volonté externe est la cause du sommeil lucide et de sesaccessoires, non parce qu'elle a jamais convaincu quelqu'un de son efficacité ;mais parce qu'elle a été une fois avancée imprudemment comme telle ; et ilappartient à l'amour propre de sou­tenir son propre ouvrage, mêmeen dépit de l'évidence contraire. Je suis profondément con­vaincu qu'il n'y apas un magnétiseur qui, tout en défendant de toutes ses forces, ce dogmefondamental de sa profession, ne l'ait vu démenti sans cesse par ses propresexpériences.

7. — Si l'onconsidère ensuite l'atteinte tyrannique que porte l'action d'une volontéexterne a la liberté individuelle, dogme naturel, prouvé plus par le sentimentde la conscience propre, que par la marche de l'ordre social, ou ne peut pass'empêcher de dire au fond de son cœur que l'auteur d'un paradoxe sirévoltant et si immoral ne peut être qu'un génie infernal ou un hommetout à fait dépourvu de bon sens. Ceux qui se le déguisent par le seulmotif que, suas éprouver lu moindre contradiction, on en parle librement dansles cercles, n'ont pas moins contre eux leur raison, qui sans cesse le leurreproche.

L'action d'unevolonté externe n'est que l'exercice d'un pouvoir absolu sur la volontéd'autrui a son insu et malgré lui ; c'est-à-dire en dépit de touterésistance. Pour peu qu'on suppose que ce tyran ne maîtrise que de concert avecl'adhésion du patient, on renonce do suite à lui déférer l'honneurd'une cause efficiente, qui est le sujet do la discussion.

Quelle loi,d'après cette doctrine, peut exiger de l'homme qu'il cède minutieusement à toutesses injonctions si, dans le bien et le mal qu'il fait, il ne peut pas agir parson arbitre, subor­donné au premier venu qui veut s'en emparer ? Serait-ilsupportable de penser que l'être infini­ment juste le soumette au prix derécompenses ou de peines à des préceptes dont il ne connaît quel'observance peut-être indépendante de sa volonté délibérée. Ne serait-cepas se jouer de la misérable humanité de la part d'un Dieu aussi puissant queplein de bonté ?

Il faut doncétablir, bon gré mal gré, ou que tout se régit par un aveugle hasard, ou que lasupposition de l'action d'une volonté externe sur tout individu est nonseulement absurde dans son application, mais impie aussi dans ses funestesconséquences. Encore l'athée même ne conviendra jamais que l'homme, dansses actions, est forcé de se conduire par une impul­sion semblable. Il voitque, dans l'ordre social l'autorité humaine n'a, avec sagesse, décerné desrécompenses à la vertu, et infligé des peines au crime, que parcequ'elle est pleinement con­vaincue que les membres de la société sont natu­rellementaptes à remporter les unes et à éviter de mériter les autres.

Mais pourquoi avoirrecours à des preuves externes pour établir la liberté individuelle del'homme ? N 'en est-il pas intimement con­vaincu, en ne sentant le maître d'agir, de ne pas agir, et d'agirmême en sens contraire ? Ceux des sophistes qui ont mis ce point enproblème y ont plutôt exercé leur génie, que cherché a y découvrir unevérité méconnue. Mais les magnétiseurs qui veulent absolument y trouverun principe complètement démenti par l'expérience, perdent inutilementleur temps, surtout en s'y embarquant plutôt par obstina­tion, que par l'espoird'atteindre leur but. Il faut chercher la vérité où elle est, et nonoù il nous plait qu'elle soit.

8. — D'aprèstout ce que nous avons exposé jusqu'à présent, on a dû déjàsentir qu'elle est la cause précise du sommeil lucide et de ses accessoires ;et ce que nous dirons dans la suite la rendra aussi intelligible qu'elle peutl'étre. Toutefois, nous dirons péremptoirement que l'action d'une volontéexterne y est aussi étran­gère que l'agriculture l'est à l’artmilitaire, et qu'on cherchera en vain cette source, si on la cherche ailleursque dans les époptes mômes. Oui, ce sont eux qui la recèlent, et quid'après lu variété de leur complexion, y donnent tant de nuancesdifférentes.

Aussi, tous, ou dumoins une grande partie d'entre eux, qu'au commencement de leur som­meil les magnétiseursprétendent être souples sous l'empire de leur volonté, résistent dansla suite avec une obstination que ces hommes puissants ne parviennent jamaisà rompre. Quand ils n'auraient d'autres preuves que celle-ci del'incompatibilité de leur cause avec les effets qu'ils veulent expliquer, n'enauraient-ils pas assez, étant de bonne foi, pour se désister de leur prétentionabsurde et impie ?.

Il est certain queles époptes ne dorment que lorsqu'on le leur commande. Mais s'ensuit-il que lavolonté de celui qui le leur prescrit soit la cause de leur sommeil, comme il ya des magné­tiseurs qui le prétendent, même avec un air detriomphe ? Combien n'y a-t-il pas d'époptes qui dorment, quand, et toutes lesfois qu'ils le veu­lent ? Et ne dorment-ils pas tout naturellement la nuit,sans être assujettis à aucuns action externe, toujourssusceptibles de s'acquitter de tout ce qu'ils exécutent dans leurs sommeilsoccasionnels ?

Il est reçu dans lacorruption du langage de confondre souvent les causes occasionnelles avecles causes efficientes. Dans les discussions sérieuses il n'est questionque des secondes et non des premières lorsqu'on les nomme abso­lumentsans addition qui leur donne une autre détermination particulière. Levulgaire dit qu'un jardinier est la cause des fleurs d'un parterre ; que lebeau temps est la cause de la prome­nade des citoyens et que l'obscurité desnuits est la seule cause des vols et des meurtres. Cependant il est constantque des parterres en friche produisent aussi parfois des fleurs ; que descitoyens se promènent aussi parfois dans un mauvais temps, et qu'oncommet aussi parfois des vols et des meurtres publiquement en plein jour. Est-ceque les mêmes effets peuvent pro­venir do causes si opposées ?

Les époptes nedormiraient pat certes quand on le veut si on ne le leur recommandait pas ; etnéanmoins ils auraient le pouvoir de dormir, s'ils le voulaient. L'ordre desconcentrateurs

n'est donc qu'unecause occasionnelle et non efficiente, c'est-à-dire, unecause qui engage la cause réelle et précise à se mettre en action pourproduire l'effet qui lui est propre et natu­rel, mais qui lui est insuffisanteà la produire par elle-même.

9. — Il fautà cette occasion dire quelques mots sur la cause efficiente quiest la cause pro­prement dite, et établir la différence entre elle et ce qu'onappelle le principe.

Cette cause doittoujours précéder ses effets, et doit lui être antérieure. Voilàpourquoi les dispositions au sommeil lucide, existant avant toute action d'unevolonté externe, annoncent leur cause ailleurs que dans cette misérablecheville. Aussi, a-t-on une connaissance cer­taine des caractères deceux qui, pour être épop­tes naturels, sont aptes à être desépoptes oca­sionnels. Ce sera un sujet de développement qui nous occuperaailleurs, lorsque nous parle­rons des indices de l'existence du sommeil lucideet de ses accessoires.

On doit entendremaintenant que nul effet ne peut exister sans le concours de la cause efficiente,et que s'il en existe quelqu'un indé­pendamment de son influence, ilappartient à une autre cause qu'à la cause désignée.

Le principe est ce d'où l'on connaît qu'une chose est ou existe. Cetteexposition doit faire voir que toute cause efficiente qui recèlele même caractère est aussi toujours un principe, et que leprincipe ne peut jamais être une cause efficiente, parce qu'il n'apas ce qui la consti­tue. Nul effet ne peut donc être attribué àun principe, de même que nulle conséquence ne peut être rapportéeà une cause. Toutefois il est beaucoup moins incohérent d'entendre direqu'un effet provient d'un principe, que d'enten­dre dire qu'une conséquencedérive aune cause, parce que nul principe n'est jamais cause, et que toutecause est toujours principe.

Il est aisémaintenant de comprendre que si les effets sont toujours postérieurs àleurs causes, les conséquences sont toujours concomitan­tes de leursprincipes ; de sorte qu'un principe, aussitôt qu'il est énoncé, donne de suiteà entendre les conséquences qu'il recèle ; mais il n'en est pasde même d'une cause par rapportà ses effets. Le principe est un signalement caractéristique de toutesles conséquences qui s'y lient par leur existence ; et la cause n'est que l'indicationd'une source susceptible seulement de produire.

La père, dansl'ordre de la nature, est à la fois la cause et le principe de son fils.Gomme cause il existe avant son fila, et comme principe il n'est tel quedès que le fils existe. Il a donc fallu que pour produire le fils, ilexistât avant lui ; mais pour faire connaître comment le fils est tel, il nefaut que le. moment où il est père. Pur là il est clairque le principe d'une maladie n'est pas le même que sa cause, le premiern'existe que dès que la maladie se déve­loppe, et la seconde ne peutêtre telle que parce qu'elle a existé bien avant son développe­ment,ses progrès et son explosion.

10. — Dans, l'ordresurnaturel, le Pète ne peut pas être la cause du Fils, mais bienle principe; de même qu'ils sont l'un et l'autre le principe duSaint-Esprit, et non la cause parce que par la nécessité de l'action d'unenature infiniment parfaite qui exclut toute succession, aucune de ces personnesne pouvaient exister l'une avant l'autre. La conception humaine n'établit entreelles un ordre do primauté qu'en raison de la priorité de principe et non decelle du temps, de même qu'elle l'établit dans la faculté d'entendre avantcelle de vouloir chez l'homme, quoique l'une et l'autre soient unemême âme.

Le vulgaireincrédule qui regarde l'ineffable mystère de la trinité comme unparadoxe, me force à faire sur ce sujet quelques réflexions purementphilosophiques, indépendantes de toute doctrine révélée. Si on lui demande lemotif de sa répugnance à l'admettre, il croit répondre victorieusementen disant que la pluralité des personnes repousse l'individualité d'une nature.Mais sait-on que la pluralité des personnes dans une nature infiniment parfaiteest conforme à la raison humaine, et que ce qui s'y confond n'est que laprécision du nombre ternaire. Aussi rapporte-t-on qu'un ancien métaphysicien adit que si Dieu existe, il n'est pas seul.

Quoi qu'il en soit,il est toujours certain que Dieu a pensé, pense et pensera éternellement,permanemment et invariablement ; et il n'a pensé, ni ne pense, ni ne penseraà d'autre objet qu'à lui seul. Ce qui n'est pas susceptible dechangement est, d'après tous les philosophes, une substance. La penséede Dieu est donc une substance, et une substance qui est la même enindividualité que sa nature, parce que l'objet de cette pensée n'est que cettemême nature. Néanmoins ce Dieu qui pense, se distingue de l'objet de sapensée, comme tout principe pen­sant se distingue de ce qui alimente sa pensée,Voilà la seconde personne distincte de la pre­mière, mais qui estla même dans sa nature sin­gulière. La raison humaine pourrait demême en déduire d'autres innombrables, sans s'arrê­ter jamais dansses recherches, si elle continuait à prendre pour base de sa marche lesdonnées de sa première conséquence.

C'est ici oùla révélation se prononce, en déclarant qu'il n'y a dans la nature divine niplus ni moins de trois personnes, et que ce nombre ternaire est apte àconsommer une action infinie. La raison humaine qui y démêle la plu­ralitédes personnes» ne pouvant pas en déter­miner le nombre doit donc nécessairementse confondre devant la précision de la trinité, non comme impossible àexister, mais comme inac­cessible à ses efforts. Ceux qui pensent que lacroyance dans le mystère de la trinité est absurde, parce qu'une naturesingulière ne peut pas sup­porter la pluralité des personnes, portentdonc un jugement téméraire sur un sujet qu'ils ne connaissent pas.

11. — Revenons maintenant au point d'oùnous sommes parti pour examiner quelques observations dont les défenseurs del'action d'une volonté externe croient pouvoir tirer parti en faveur de leurprétention.

Au rapport de Mmela baronne de Staël, dans son Allemagne, on pense dans le Nord que lavolonté humaine ou l'âme agit sur les mé­taux, de sorte qu'une bague d'or,suspendue en l'air par un fil, prend la direction que veut lui donner un agentlibre. J'ai assisté en France à de pareilles expériences, et j'ai vuqu'en effet le succès répond à l'annonce. Mais il faut remar­querque l'événement ne justifie plus le prin­cipe des qu'on interpose une certainedistance entre le métal et l'agent, et à plus forte raison des que ladistance dépasse tes bornes de la circonscription des sens. On ne peut donc pasen conclure que le principe qui agit sur les mé­taux est le même quecelui qui endort à toute distance quelque éloignée qu'elle puisseêtre.

Il est certain quel'esprit ne peut pas agir immédiatement sur la matière sans un intermé­diaire,comme nous le verrons plus clairement clans la suite. Ce n'est donc pas lavolonté où l'âme qui agit sur les métaux, mais un intermé­diairemù par elle. Il est très possible que les émanations visuellessoient subordonnées à la direction de sa volonté, et qu'elles ne provo­quentun effet perceptible qu'à raison de la petitesse des distances et desmasses, sans nul égard aux qualités spécifiques de ces dernières.

Nous avonsdéjà observe que l'âme, dans son union avec le corps, ne peut pas agirau dehors sans son concours, sous peine de cesser d'être un individu.Aussi l'on remarque que dans l'expé­rience précipitée l'effet n'a pas lieudès que le corps est hors d'état d'y exercer son influence.

Du reste, nepourrait-il pas se faire aussi que la provocation de cet effet appartienneà des causes inaccessibles aux sens autres que l'ac­tion de la volontéd'un homme. Les ondulations de l'air produites par le son de la voix de ceuxqui parlent, ou par l'agitation des membres de ceux qui gesticulent, nepourraient-elles pas donner au métal suspendu une direction qu'en­suite uneinterprétation bénigne attribue au sens voulu?

Quoi qu'il en soit,il est certain que quand même les métaux seraient subordonnés àl'ac­tion de la volonté humaine, ils n'offriraient aux partisans de l'action decette faculté pour endor­mir aucun appui en faveur de leur prétention. Lesommeil, qui se développe à toute distance à travers toutobstacle et non sans dès disposi­tions requises, n'a rien de commun avecles métaux suspendus qui ne se meuvent qu'à des distances précises, et,ce qui est plus encore, sans être entravés par des obstacles ; observa­tionque j'avais oublié de faire plus haut.

12. — Ce que lesnaturalistes rapportent au sujet de certaines espèces d'animaux, dontles uns attirent les autres pour en faire leur nour­riture, et dont d'autrestuent l'homme pour le seul plaisir de le détruire, ne peut pas non plus donnerde consistance à l'action d'une volonté externe pour provoquer lesommeil lucide. Ces observations ont consigné dans leurs Mémoires que lacouleuvre attire par son regard le cra­paud dans sa gueule et le crapaud exercela même influence sur le rossignol. On ajoute aussi que l'aspic, par laseule force de sa vue, prive l'homme de tout sentiment de vie, quoique, plusrobuste que son impitoyable agresseur, il soit en état de s'en défendre et dele terrasser. Les magnétiseurs en concluent lestement que cette vertun'existant chez ces brutes qu'en raison de l'action de leur volonté, elleexiste de même chez l'homme pour provoquer le sommeil lucide chez sessemblables.

Il est égalementconstant aussi que des fem­mes, à la vue d'une souris, d'une araignée etde tout reptile, tombent en pâmoison et s'évanouis­sent ; que des personnes detout sexe se cris­pent et tremblent de tous leurs membres devant une exécutioncapitale, et que nul individu ne peut se défendre de détourner la vue d'uncorps mort en putréfaction, à quelque espèce d'ani­maux qu'ilappartienne. Dira-t-on conséquem­ment que la volonté de la souris, del'araignée, des reptiles, des malfaiteurs, des cadavres pro­voquent cessensations affligeantes ?

Ce n'est donc pas lacouleuvre qui attire le crapaud par sa volonté,ni la couleuvre, ni le crapaud qui, par la lueur, attirent le rossignol, nil'aspic qui, parla sienne, abat l'homme. C'est le crapaud qui se trouve saisien voyant la cou­leuvre, c'est le rossignol qui se trouve saisi en voyant lacouleuvre et le crapaud : c'est l'homme qui se trouve saisi en voyant l'aspic.Si ces pré­tendus agresseurs n'avaient qu'à vouloir pour faire desvictimes, il n'y aurait pas un crapaud où il y aurait une seulecouleuvre ; pas un ros­signol où il y aurait un seul crapaud ou uneseule couleuvre, et pas un homme où il y aurait un seul aspic. Il netiendrait qu'à ces ennemis de voir tout et de ne pas être vus,pour porter leurs coups avec assurance et certitude.

Ce saisissement ases espèces différentes. Il en est qui ne produisent que la crainte sansgêner la liberté de la fuite. Tel est celui d'une souris devant un chat.Il en est qui ne produi­sent que l'horreur en laissant encore tout l'exer­cicede la liberté. Tel est celui du témoin d'un meurtre barbare et imprévu. Il enest enfin qui produisent l'effroi en troublant l'esprit, eu dérangeant lacirculation du sang et conséquem­ment, en paralysant tout usage de la liberté.Tel est celui d'un homme qui, étant sans armes, se trouve poursuivi àmort par un ennemi armé.

13. — Il y a dans lanature des êtres qui sont essentiellement sympathiques et antipathiques,de même qu'il y en a d'autres qui ne sont .sym­pathiques ou antipathiquesque par une préven­tion favorable ou défavorable. C'est dire qu'à forcede répétition des actes de l'esprit sur les perfections ou les imperfections dequelqu'un on se prévient en sa faveur oucontre lui. Dans l'un et l'autre cas il y a une conviction intime ; mais aveccette différence que dans le premier cotte conviction est naturelle etconséquemment indomptable et que dans le second elle n'est qu'acquise etconséquemment susceptible d'être changée.

On sait déjàque la conviction intime n'est qu'un principe actif qui, d'après sonmotif, entraîne la volonté à exercer son empire sur tous les fluidesinternes. Si ce motif insinue qu'on est forcé d'être aux arrêtsdevant l'être antipathique, on reste aux arrêts : c'est ce quiarrive au crapaud devant la couleuvre. S'il porte que le danger est inévitabledevant lui on cher­che à le fléchir par des accents plaintifs : c'est cequi arrive au rossignol devant la couleuvre et le crapaud. S'il prive enfin detoute liberté de réfléchir et d'agir, en présentant à l'esprit le coupde la mort comme frappé, on meurt sur-le-champ même, ou, pour mieux dire,on tombe en défaillance, et l'on meurt ensuite par défaut de secours opportuns;car la mort subite n'existe pas, comme nous le verrons dans la suite.

Voilà ce quele Français, sans s'embarrasser de la distinction entre la conviction intimequi est naturelle et la conviction intime qui est acquise, énonce dans unproverbe vulgaire, en disant que chacun a sa bête noire. Le senti­mentde cette formule est si exact qu'il peut aussi être étendu auxrègnes végétal et minéral. Tous les corps en ont d'autres avec qui ilssont naturellement antipathiques ; de même aussi qu'en sens contraire,ils en ont d'autres avec qui ils sont naturellement sympathiques ? Ce n'estdonc qu'une loi de la nature, que dans ses trois règnes les êtres se choquent entre eux ets'atti­rent mutuellement.

Toutefois, lerègne animal l'emporte sur les autres règnes par la faculté deréflexion ; et l'homme s'y distingue entre tous les individus par la supérioritéde sa raison. Dans les végétaux et dans les minéraux, l'action de làsympathie et de l'antipathie est absolue et aveugle. Chez les animaux elle estsusceptible d'augmentation et de diminution, étant réglée par des moyens apteset propices. Ainsi ils peuvent élever à l'action d'un effroi quiparalyse tout usage de la liberté une action qui originairement n'a d'au­trepuissance que de produire la crainte ; de même qu'ils peuvent réduireà l'action d'une simple crainte une action qui naturellement a la vertude produire l'effroi. Mais dans aucun cas, ils n'ont la faculté d'anéantir toutà fait une action naturelle de ce choc et de cette attrac­tion.

14. — Le tigre, dansla chasse qu'il fait aux singes, tire habilement parti de cette faculté, enconvertissant en effroi une action simple de crainte. On sait déjà quecet animal indomptable aime moins la chair de sa proie que son sang pourétancher la soif dont il est sans cesse altéré. Lorsque dans ses excursions ilrencontre des bandes de singes, il ne se jette pas sur elles en forcené quiporte ses coups au hasard ; il tâche adroitement d'en isoler quelqu'un de latroupe. Il sait par instinct ou par expérience qu'en atta­quant la foule aumilieu du bois il s'expose à des tentatives vaines, en raison de l'agilitédont le singe est naturellement doué de sauter sur les arbres et de passer del'un à l'autre.

Le tigre écarte deses compagnons l'impru­dent singe qui semble seconder ses desseins; par laseule crainte qu'il sait que sa présence lui inspire, et ne l'assaillevisiblement de front que lorsqu'il le trouve devant des arbres isolés. Lesinge, devant une agression si brusque, n'ayant plus le choix de la retraite,s'abrite sur le pre­mier arbre qui lui offre une sûreté contre le danger,et n'apercevant ensuite qu'il n'a pas la facilité d'éluder les poursuites deson redoutable ennemi en sautant d'un arbre sur un autre, il voit clairementqu'il est cerné. C'est alors qu'il sent le piège, et pendant que,tremblant il se tient fortement aux branches tout en haut de l'arbre oùil sait que son agresseur ne peut pas le joindre, celui-ci paisiblement assissur ses pattes devant le tronc, le fixe de ses yeux étin­celants, sans sepermettre un seul instant de détourner ailleurs ses regards.

Le rusé chasseurconnaît mieux que le singe, quoique pour tout le reste aussi rusé que lui, quepar ce moyen il convertit graduellement sa crainte en effroi et éloigne de luitout espoir de délivrance. Lors enfin que le tigre trouve sa proie au degréd'étourdissement et de trouble inté­rieur où il la désire, il poussetout à coup un hurlement effrayant et horrible pour la surpren­dre etpour produire sur elle un saisissement auquel elle ne s'attend pas. A ce bruitimprévu, le singe perd toute connaissance des moyens de sa défense, et tombeplus mort que vivant sous les griffes mêmes de l'adversaire qu'il voulaitéviter avec tant de soins.

Il ne faut pascroire cependant que ce que nous avons dit de la sympathie et de l'antipathiesoit naturelle, soit acquise, annonce toujours et constamment une réciprocitéégale entre les objets de relation. Quelquefois de deux objets dans les troisrègnes de la nature, l'un repousse l'autre, tandis que celui-ci tendà attirer celui-là. Ainsi la couleuvre qui attire le crapaud est naturellementrepoussée par lui. Néanmoins, on peut établir que le plus souvent lesêtres qui se repoussent ou qui s'attirent ont toujours une réciprocitéquelconque. Le crapaud qui inspire de l'horreur à l'homme en éprouve demême devant lui. On dit que des crapauds sont morts pour avoir été,pendant quelque temps, fixés par le regard humain, quoiqu'on attribue cet effetà l'action de la simple volonté.

 

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