De la Cause du Sommeil Lucide

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SÉANCE PREMIÈRE

PRÉFACE

1. — La publicationd'une production de l'es­prit suppose toujours dans l'auteur l'intention, ou dedécouvrir des vérités nouvelles, ou de dégager des erreurs les vérités connues.Je le plains sincèrement s'il y joint aussi l'amour de la gloire ;l'espoir de la célébrité dans les lettres est toujours mêlé d'amertume.

En mettant au jourmes réflexions sur le sommeil lucide et ses accessoires, je suis bien éloignéd'être animé par la moindre de ces pré­tentions. Je pense que ce qui y aattiré mon attention, a pu aussi attirer celle des autres, et sans doute avecplus de succès que je ne dois en attendre. En sondant au contraire mesforces je sens que tout doit m'effrayer. La langue dont je me sers m'estétrangère, et les connais­sances auxquelles ce sujet se lie, me sont peufamilières : deux écueils plus que suffisants pour ébranler le couragele plus indomptable.

Je ne vise danscette entreprise, qu'à éclairer sur mon compte plusieurs classes depersonnes, dont les unes n'ont vu dans ma conduite que de la témérité ; lesautres des prestiges ; d'autres de la futilité ; et quelques-unes aussi ungoût pour la sorcellerie.

Ceux qui sequalifient de magnétiseurs croyent que mes tentatives étaient moinsutiles que per­nicieuses. Des journalistes ont prononcé irrévo­cablement endisant que ce que je faisais était tout à fait illusoire et peu digned'une attention sérieuse : beaucoup d'autres esprits, qui, quoi­que doués deconnaissances profondes n'ont examiné que très superficiellement l'étatdu sommeil lucide, n'y ont vu qu'un amusement puéril : des membres du clergén'ont enfin trouvé dans les accessoires du sommeil lucide qu'une interventiondes génies malfaisants toujours occupés de nuire à l'espècehumaine.

Je compte pleinementdésabuser ces derniers; mais je ne prétends pas convaincre d'erreur tous lesautres ; ce serait aspirer à remplir le tonneau des Danaïdes,puisque des vérités évidentes pour tout le monde ne sont pour eux que desproblèmes insolubles. Je veux du moins leur faire voir qu'une attentionsérieuse de ma part sur des phénomènes qui semblent étourdir làraison humaine me faisait un devoir d'appro­fondir les secrets de la nature. Jelaisse à d'au­tres à prononcer si j'y suis parvenu : du moins ilest certain que des effets réels ne devaient pas être regardés commeindifférents par celui qui se consacre à l'étude de la philosophie.

Je compte donc surl'indulgence de mes lec­teurs pour ce qui concerne ma diction dans ce travail :je ne cherche qu'à me faire entendre. Je les invite donc às'attacher à mes sentiments et non aux mots. Pour ce qui est desramifica­tions de mon sujet avec les sciences qui me sont peu connues, jesubirai la chance que courent tous ceux qui s'occupent d'entretenir de leursmédi­tations le public impartial. Ce qui peut y déplaire aux uns peut plaireaux autres, et tout n'est pas toujours erreur dans un écrivain, aux yeux detout le monde.

2. — Ceux quiconsacrent une portion de leur temps aux observations sur le sommeil lucideavaient certes moins le droit que personne de taxer mes occupations d'inutiles,de téméraires et de pernicieuses. Dans une recherche où ils conviennenteux-mêmes que tout est mystérieux, obscur, indéchiffrable, il m'étaitpermis tout aussi bien qu'à eux de faire usage de tous les moyens avouéspour atteindre mon but... Pour­quoi donc m'afficher dans leurs feuilles périodi­quescomme un ennemi qui avait porté dans leur champ le ravage et la désolation?Tantôt ils ménagent mon nom ; mais ils me désignent dans leurs calomnieusesattaques sous des traits si caractéristiques que personne ne peut s'y mé­prendre: tantôt ils me nomment en toutes let­tres ; mais ils accompagnent cettehonorable mention de satires si absurdes sur la publicité de mes séances,qu'ils engagent le monde à ne s'en rapporter qu'à eux seuls dansla provoca­tion du sommeil lucide.

Que faisais-je dansces séances ? je pratiquais en public, mais sans doute avec plus de simpli­citéet moins d'appareil, ce qu'ils pratiquaient eux devant un cercle plus étroit ;et ce que pra­tiquaient une grande partie d'entre eux n'était que ce qu'ilsavaient puisé dans mes expérien­ces ; car beaucoup parmi eux n'avaient adjurél'incrédulité sur les phénomènes du sommeil lucide qu'en assistantà mes séances, et en y trouvant des motifs de conviction.

Si leur but danscette carrière était réellement l'étude de cet état merveilleux etl'utilité de l'hu­manité souffrante, il me semble qu'ils devaient m'encouragerdans ma marche, plutôt que de me décrier sans ménagement. Je n'ose dire qu'ilsignoraient ce qu'ils blâmaient en moi. Lors­qu'on se vante hautement qu'onconnaît plus que personne la nature du sommeil lucide, et qu'on donne desleçons sur ce sujet dans les feuilles périodiques, il ne me siérait pas certesde dire, sans témérité, qu'on ne sait pas ce qu'on ensei­gne. Du moins il mesera permis de penser qu'ils avaient dans leurs attaques un autre but que lebut apparent.

La prétenduepublicité de mes séances n'était donc qu'un prétexte ; et le discrédit dusommeil lucide, dont ils me gratifiaient si généreusement (moi qui depuis sixà sept ans, ai donné une si vigoureuse impulsion à sapropagation) provient de toute autre source de mes travaux. Ce sujet est plusélevé qu'on ne le pense, et il exige pour le soigner d'autres lumièresque celles dont on est communément doué. Des femmes qui, dépourvues del'éducation la plus com­mune, disposent des baquets pour rétablir les charmesprintaniers dans les beautés surannées; des hommes qui, sans autresconnaissances que de celle de conduire le train d'un honnête métierqu'ils ont embrassé, ne peuvent certes pas faire une réputation àl'utilité du sommeil lucide.

Il faut que je fasseremarquer ici que mes séances n'étaient pas aussi publiques que le sont lesécrits où quelques-uns de ces zélateurs du sommeil lucide donnent desméthodes d'endor­mir. Ce qu'il y a à observer, c'est que tout eninculquant une doctrine infaillible, ils se per­mettent d'avouer qu'ilsignorent la théorie de ce phénomène. Comment concilier cet aveu avecl'assurance de leurs connaissances ? Ce que je faisais dans mes séancespubliques était toujours fait avec la certitude d'écarter tout danger, et cettepublicité n'embrassait jamais qu'une assemblée de cent et quelques personnestout au plus. Par quelle convenance m'était-il donc défendu de faire mesexpériences devant un si petit nombre de spectateurs, tandis qu'ils prê­chaienthardiment devant l'Europe entière, sur le même sujet, une doctrinenon seulement dou­teuse, mais même dangereuse ?

3. — Mais s'ils necherchaient, par leurs écrits, qu'à propager la connaissance del'utilité du sommeil lucide, pourquoi me blâmaient-ils de la publicité de messéances qui n'avaient point d'autre but ? Je répondais à leurs efforts,en démontrant par une pratique sûre et calme ce qu'ils enseignaient parune théorie, suffisante à la vérité, mais désastreuse. Je ne prétendspas être infaillible dans mes aphorismes : du moins j'ai été conséquentdans le compte que je ren­dais des effets que j'obtenais devant lesspectateurs. Au lieu qu'une doctrine, qui, tout en don­nant des préceptespositifs, déclare qu'elle ne dérive pas de la théorie de son sujet, ne mérited'être considérée que comme une fable forgée à plaisir.

Cependant je regrettesincèrement, et je le dis avec franchise, d'avoir montré indistincte­mentla facilité de provoquer le sommeil lucide. Tout le monde s'en mêle commed'un objet de récréation, sans connaître les graves dangers qui y sontattachés. Je n'avais pas encore fait la découverte de tous les écueils dontcette car­rière est hérissée ; je suivais les lumières faus­sesde ceux qui m'avaient devancé, et le mal était fait avant moi par lapublication des métho­des d'endormir, quoique peu exactes mais tou­jours suffisantes.

M. le marquis dePuységur avait déjà fait des prosélytes au sommeil lucide par ses ouvra­ges.La naïveté qui y respire avait donné à beau­coup de monde de laconfiance sur ce phé­nomène ; mais, par la crainte du ridicule, on nes'en occupait qu'en silence et dans la retraite.

M. Deleuze avaitaussi contribué à cette propa­gation par son Histoire critique. Elleparut quel­que temps avant mes séances, quoiqu'il prétende qu'elle leur estpostérieure. Ecrite avec grâce et pureté, elle ne pouvait pas manquer de fairedes partisans à son sujet ; mais on n'en suivit publiquement la doctrineque lorsqu'en bravant les persécutions, les sarcasmes et les plaisante­ries, jejetai le gant au public, pour l'assurer des vérités que prêchaient cesillustres écrivains. Les éditions de leurs ouvrages ne s'épuisèrent quedès qu'on voulut consulter les suffrages de ces auteurs, en faveur desphénomènes qu'on remarquait dans mes séances.

Les objectionsauxquelles donna lieu cette époque étaient des preuves de la faveur que cephénomène acquérait dans le monde, et non de son discrédit. On voulaitune démonstration, qui n'a pas encore été faite, des effets qui cho­quant ousemblent choquer les principes reçus, et par là, on faisait voir qu'ons'en occupait sérieusement dans les cabinets des savants. Les objets desoccupations de Galilée, de Christo­phe Colomb et du Dr Pomme,n'acquirent de la célébrité que dès qu'ils devinrent le sujet descontradictions et de l'entretien du monde savant et studieux.

4. — Il étaitnaturel que des rédacteurs de journaux s'occupassent de la critique d'un phé­nomènequi semble confondre la raison humaine, alors surtout qu'ils manquaient desujets pour remplir leurs longues feuilles. Mais leur entre­tien sur moncompte, n'étant surtout qu'un tissu de calomnies et d'insultes, qu'avait-il decom­mun avec les phénomènes du sommeil lucide ? En lisant parfoisquelques-uns de leurs articles qui me concernaient, je crus réellement metrouver parmi des hordes sauvages, plutôt que sur un sol où germe la politessefrançaise. Ils avaient oublié qu'en voulant faire les littérateurs ils avaientpris l'attitude de gladiateurs.

La sottise ne méritepas de réponse. Je ne cherche ici qu'à leur montrer que le sommeillucide renferme de quoi occuper un esprit avide de connaissances neuves, etqu'il déve­loppe des vérités aussi utiles que sublimes. Je ne puis me dispenserde leur rappeler, à cette occasion, ce dont Socrate faisait ses délices: c'est que s'ils consultent leur conscience, ils doivent y trouver que ce qu'ilssavent est si peu de chose en comparaison de ce qui leur reste à savoir,que je puis leur attester sans crainte d'erreur qu'ils sont beaucoup pluséloignés du faite de la sagesse que la vérité ne l'est du men­songe. Condamnerdonc d'un trait de plume ce qui ne cadre pas avec leurs idées, c'est dire tropprécipitamment qu'à l'exception de ce qu'ils enseignent, il n'y a que del'absurde et du ridi­cule.

Ces instituteurs dugenre humain doivent savoir que, outre l'inconcevable absolu, il existe aussiun inconcevable relatif. Celui-ci ne résulte que du défaut de connaissance dela science de combiner. Si ces juges sans mission pensent réellement qu'ils neconnaissent pas tous les mystères de la nature, ils doivent souvent trou­verdans leur chemin que l'on n'écrit pas tou­jours conséquemment pour savoirmettre l'or­thographe.

Le sommeil lucide ettous ses accessoires n'ont rien qui dépasse les bornes de la raison humaine ;ils s'y accommodent même comme une partie à son tout, et encorrigeant une foule d'er­reurs. Toutefois la connaissance de cette analo­gieexige des méditations profondes ; et vouloir la saisir comme on saisit lesnouvelles, c'est s'exposer à insérer dans son journal des nou­vellesapocryphes pour des nouvelles authen­tiques.

En leur donnant cesavis que dictent et la saine logique et une étude critique, je préviens tousles journalistes, tant les antagonistes que les indifférents, que je n'en suispas moins l’un des a dmirateurs de leurstalents et de leur mérite. Je ne suis pas sévère au point de prétendrequ'on s'égare toujours, lorsqu'on s'égare quel­quefois. Je lis avecsatisfaction leurs feuilles et j'y puise des leçons utiles et agréables.

5. — Il y a aussid'autres esprits qui me font une loi de publier mes observations sur cette matière,quelque puisse en être la réussite. Ces esprits n'ont rien publié ouécrit contre le sommeil lucide ; mais ils ont tant décrié dans les cercles sonexistence, qu'ils sont parvenus à séduire de ceux même qui, parleur propre expérience, en avaient converti d'autres. Ces derniers soit par uncertain ton, soit par une honte déplacée, soit enfin par d'autres motifsparticuliers, n'ont pas craint le témoignage des spectateurs présents, pourdire hautement dans ces mêmes assemblées, qu'ils n'avaient feint dedormir dans mes séances que pour mieux me mystifier. Voilà encore uneautre source du dis­crédit de l'utilité du sommeil lucide.

De ce nombre est M.le comte de la T. d'Au... homme aussi illustre par sa naissance que distin­guépar ses lumières. Non seulement il dormit chez moi dans toutes lesformes requises pour constater son sommeil : mais il analysa aussi sa maladie,se prescrivit les médicaments conve­nables, et signa de sa main son ordonnance.Il y convertit des dames du plus haut rang, qui ne pouvaient pas revenir deleur admiration et de leur surprise : néanmoins, dès le lendemain il sevanta publiquement d'être un incrédule sur ce phénomène, tout ensuivant le traitement qu'il s'était prescrit, comme je l'ai appris dans la suite.

M. le colonel J...suivit le même exemple. Il dormit tout aussi bien que M. le colonel B...devant une assemblée nombreuse et illustre. Le prince Volkonski, aide de campde l'empe­reur Alexandre, était du nombre des spectateurs. A son réveil, ildonna, avec le compagnon de son aventure extatique, toutes les preuves desaccessoires du sommeil lucide. Toutefois il déclara le lendemain dans un autrecercle qu'il n'avait fait que mystifier.

M. V... aprèsavoir subi de pareilles épreuves pendant son sommeil, dans une autre séanceaussi nombreuse, poussa devant les témoins mêmes la prétention de rendrel'effet qu'il venait d'éprouver, du moins problématique. Dans une secondeexpérience, pendant la même séance, je le soumis à une convulsionsi violente, qu'il se vit forcé de se rouler par terre dans un étatd'aliénation. Cependant au lieu de rendre hommage à la vérité, il osaencore publier dans le monde que c'était moi qui avais été la dupe de sapénible mystification.

Plusieurs autrespersonnes, dont le nombre serait incalculable, se sont plu à suivre lamême route. Mais n'auraient-elles fait que feindre de dormir, pourquoileur témoignage doit-il pré­valoir sur celui de tant d'autres, qui sont aussicroyables qu'elles, qui les valent en mérite et qui les surpassent de beaucoupen nombre ? Si, d'après les principes de la saine dialectique, lepositif ne peut jamais être infirmé par le néga­tif, pourquoi ladénégation des premières doit-elle prévaloir sur l'affirmation dessecondes?

6. — De cesprédicateurs incrédules qui décrient l'utilité   du sommeil lucide et de ses procédés, les uns, en cherchant àséduire de ses partisans, pensent que, dans les occasions où l'on n'a pules satisfaire dans leurs deman­des et leurs prétentions indiscrètes,c'est parce qu'on n'a pu employer la connivence d'habi­tude entre celui quidort et celui qui endort, et les prestiges en usage pour cause de leur sur­veillanceactive. Ils en concluent que ceux qui s'en montrent les partisans ne sont queles victimes de leur propre erreur ou de la dupli­cité de leurs séducteurs.

On n'a jamais vouluentendre que les effets qui proviennent d'une cause indépendante ne peuvent pasêtre provoqués à volonté. Si quel­qu'un qui a écrit sur ce sujet adit le contraire, il s'est trompé certes dans ses aphorismes et dans sescombinaisons. La nature opère d'a­près ses dispositions et nond'après le désir de celui qui veut la contempler. C'est elle-mêmequi est cette cause indépendante dans notre sujet. Lors donc qu'il est arrivéque des incré­dules n'ont pu être témoins des effets qu'ils dési­raientvoir, mais des effets tels qu'en produit la nature, c'était à euxà redoubler de zèle et non à la nature, pour assister plusfréquemment aux séances jusqu'à ce qu'ils fussent ou pleine­mentsatisfaits, ou pleinement désabusés. Ce sont les écoliers qui doivent chercherl'instruc­tion : l'instruction ne court jamais après les écoliers.

Dans ceux quidorment du sommeil lucide, des chagrins, des inquiétudes, une nourrituremalsaine, en un mot tout ce qui peut agiter, altérer, épaissir le sang, suffitpour en empê­cher le développement, ou pour le moins en obstruer l'intuition, ou la manière de voir. On doit sentir que la direction deces ressorts est entièrement indépendante de toute volonté humaine.

C'est doncprécipiter son jugement avec trop de légèreté que de conclure que cequ'on n'a

pas vu est unesupercherie, lors surtout que le témoignage d'un poids le recommande au respectet à la vénération. Il faut plutôt avouer que des considérationsparticulières, autres que le défaut de motifs de crédibilité,empêchent certaines personnes de rendre hommage à la vérité ; etil faut convenir que les prétextes qu'elles allèguent pour justifierleur incrédulité sont plus difficiles à concevoir que ne leur parait inconcevablele phénomène en question.

Les termes deconnivence et de prestiges dont ces incrédules veulent pallier le développementdu sommeil lucide et Futilité de ses pro­cédés ne présentent aucune idée quiappuie leurs vues. Depuis plus de trente ans, ce phé­nomène occupe lesesprits de presque toute l'Europe, et Ton n'a pas encore entendu dire quequelqu'un de ceux qui dorment ou endor­ment ait dévoilé cette supercherie. Siune super­cherie pareille peut exister entre tant de person­nes acéphales,indépendantes les unes des autres et si différentes de mœurs, de religion,d'intérêts, de sexe, d'âge et de condition, il faut aussi ériger enprincipe que tout ce que font les hommes dans leur commerce social sous lesyeux les uns des autres n'est qu'une superche­rie continuelle.

7. — Les autres deces incrédules qui tour­nent en dérision le sommeil lucide et ceux qui s'enoccupent seront toujours incorrigibles, et leur erreur ne cessera qu'avec leur existence. Pour eux,tout défaut de réussite est un triom­phe éclatant de leur opinion, et lesuccès ne leur prouve qu'une feinte de la part de ceux qui dor­ment. Ilsveulent, pour se convaincre de la réa­lité, éprouver sur eux-mêmes leseffets si vantés, et lorsqu'on en trouve qui ont les dispositions requises, ilss'occupent, sous les procédés, de tout autre chose que de ce qu'ils doiventfaire en prétendant que le sommeil ne doit être que l'ouvrage de celuiqui les soigne.

Ils disentmême parfois qu'il leur est permis d'exiger que, si tout le monde n'estpas susceptible de dormir du sommeil lucide, leur opinion d'incrédulité soitregardée comme inébranlable et évidente, Je n'ose pas les blâmer tout àfait, d'après l'idée qu'on s est plu à répandre que la volontéexterne était la cause de ce phénomène. Il est clair que s'il existe un magnétismeet des magnétiseurs, il doit nécessairement exister aussi des effetsqui dérivent de leur action ; car l'axiome dit qu'une fois la cause mise enjeu, il doit indispensablement s'ensuivre l'effet.

Toutefois, la sourcede cette obstination me semble être la même que celle de cesjournalistes dont j'ai parlé plus haut. Ces esprits revêches sont,à mon avis, profondément pénétrés que ce qu'ils ne conçoivent pas nepeut être conçu de per­sonne; et d'après cette base présomptueuse,ils pensent que tout le monde conspire à les trom­per, quand on leurparle de l'existence du som­meil lucide et de son utilité. Il est trèsconsé­quent que ceux qui sont tant prévenus en leur faveur, ne trouventplausible que ce qui se rattache à leurs principes.

Pour moi, je suis convaincu de ne pouvoir influer enrien sur ces caractères, avec tous mes principes, mes raisonnements etmes citations. Je leur proteste que leurs dérisions, leurs sar­casmes et leursplaisanteries seront toujours pour moi une dette que je n'acquitterai jamais,en leur faisant voir leur égarement au sujet de ma conduite. Néanmoins, sicette impénitence ne les poursuit pas jusqu'à la tombe, j'ai tout lieud'espérer qu'en jetant quelques coups d'œil sur cet écrit, dans lesmoments de retour à la réci-piscence, Us verront que j'ai fait tout cequi m'était possible pour leur prouver que le sujet de mes occupations, n'étaitni absurde, ni ridi­cule. Il demande, à la vérité, d'autres forces queles miennes pour être traité avec l'éclat qui lui convient ; mais je chercheraià l'ébaucher, du moins de manière à ce qu'il puisseêtre sensible.

8. — Je ne sais sil'auteur de la trop célèbre Magnétismomanie avait publié saproduction pour exprimer son opinion d'incrédulité, ou pour répondre àl'aiguillon d'une spéculation lucrative. Quoi qu'il, en soit, je dois leprévenir, ainsi que le directeur et les acteurs, qu'ils sont aussi l'objet demon travail. Ils ont besoin de savoir que ce qui est intrinsèquement uneaffaire d'importance ne peut pas être un sujet d'amu­sement pour lepublic.

A propos de Magnétismomanie,ne puis-je pas demander ici quelles étaient les lois qui autori­saient cemoderne Térence à désigner sur la scène un étranger inconnu pourêtre l'objet de la risée publique ? Je pense que les sauvages mômes auraientrougi d'insulter comiquement un particulier, et un particulier qui n'arien de commun avec les acteurs et le théâtre. Est-il permis en France àses habitants de spéculer avec impunité sur la réputation de qui bon leur sem­ble?Il n'y a que les lois de circonstances qui varient : celles qui sont organiquessont tou­jours invariablement obligatoires chez toutes les nations du globe.

Je recommandeà l'auteur de la pièce de se souvenir que, dans une semblableoccasion, la farce de Calicot, qui n'attaquait qu'une classe decitoyens, sans signaler aucun individu, changea pendant la représentationmême son titre comi­que en tragique. Je blâme hautement les auteurs dutrouble ; mais je suis flatté de savoir qu'un contre-temps semblable ait donnéune utile leçon au directeur du théâtre, aux acteurs et aux pourvoyeurs desfarces. Il est des maux qui par­fois font beaucoup de bien à ceux quisavent en connaître l'utilité : les obstinés ne se corrigent que par despunitions légales.

Loin de penserà troubler le cours des plaisirs du public, j'aurai même ajoutéà la Magnétis-momanie une nouvelle scène extrêmementpiquante, si mon état ne me l'eut pas défendu, et si mon aversion pour cetteespèce d'amuse­ment ne m'eût pas éloigné des théâtres : je suiscertain qu'elle aurait infiniment amusé le public, dérouté l'auteur de lapièce, et semé dans la troupe comique une confusion inextricable.C'était d'endormir sur la scène même quelqu'un des acteurs qui,par sa propre expérience, con­naissait déjà le poids et la valeur du motdormez, et d'accompagner ce sommeil d'une violenta convulsion, quil'aurait forcé de se rouler sur la scène en désorienté. On sent bien quece sommeil aurait dès lors cessé d'être comique, tout enprêtant à rire; et ce coup de théâtre aurait suffi pour corrigertoute la langueur de la pièce. Le public, avide de voir les procédés del'art d'endormir, y accourrait en raison de la nouveauté du titre, etnégligerait de prendre la connaissance d'un ouvrage où l'auteur avaitcompté plus sur la nature de son sujet que sur la suffisance de ses forces.

9. —Quelques membresdu clergé, qui ont cru découvrir dans mes occupations un goût pour lasorcellerie et la magie, entrent aussi pour beau­coup dans la tâche que je mesuis proposé dans le présent travail, et m'en font même un devoirindispensable. Trop timorés pour voir par eux-mêmes, ce qui semble sortirde l'ordre cons­tant de la nature, ils ont prononcé sur le rap­port d'autresqui ne s'y connaissent pas plus qu'eux. Eh ! une découverte qui doit faire épo­quedans les annales humaines exige, pour être appréciée à sa justevaleur, des forces plus que communes dans les juges et dans leurs délé­gués !

Ces ministres de lareligion verront que rien de ce que développe le sommeil lucide ne sort de lacirconscription de La nature, et que, loin de s'opposer aux moindres vérités dela révéla­tion, il en relève l'éclat et s'allie à une partied'entre elles. Il consolide la démonstration de l'existence de lapremière cause, et sape jusque dans ses fondements la monstrueusechimère de l'athéisme. Il réduit à une évidence expérimen­talel'inconcevable spiritualité de l'âme humaine, et couvre de confusion dans sesmisérables sophismes le matérialiste présomptueux. Il explique même desdogmes qui semblaient être inaccessibles à touteexplication, et, en dernière analyse, jette un grand jour sur beaucoupde vérités physiques qui sont encore en question.

Ceux qui avaientconçu des terreurs paniques, quoique louables, sur la nature du sommeil lucide,ne s'étaient réglés que sur l'opinion vul­gaire, qui donne de trop étroitesbornes au physique. Les réflexions que provoque ce phé­nomène,démontrent que ce n'est que le surna­turel qui s'oppose à son étendue,et non le spirituel. Celui-ci les rapproche l'un de l'autre, et décèleque le sensible est au physique ce qu'est une espèce à son genre,et non ce qu'est un synonyme à son relatif. Ces lumières quisympathisent complètement avec les principes naturels, et ne répugnentnullement à la révéla­tion, doivent rassurer les esprits timides et reli­gieuxsur le sommeil lucide et ses accessoires. Ce qui en dérive peut frapperl'esprit, mais il ne doit pas l'alarmer ; parce que tout l'ensemble en estrenfermé dans le sein même de la nature : et ce n'est que la naturemême qui est la cause propre de son merveilleux développe­ment.

A-t-on jamaisentendu dire que ce qu'on appelle le somnambulisme naturel ait alarméles consciences ? le sommeil lucide n'est que ce même phénomène,mais développé avec art, dirigé avec sagesse, et cultivé avec précaution. Iln'y a d'autre différence entre l'un et l'autre que celle qui existe entre uneplante des champs et la même plante soignée dans un jardin. Je conviensque la doctrine des magnétiseurs doit effaroucher les consciencesdélicates et timides ; mais qu'importe un système désastreux, forgé sanscombinaison, devant un fait évident qui le dément ? Si le somnambulisme natureln'a pas le droit d'alarmer, pourquoi le sommeil lucide alarmerait-il ?

10. — La sorcellerieet la magie, dont ces ministres vénérables avaient soupçonné l'in­fluence surles phénomènes du sommeil lucide, ne peuvent pas y être reconnuesplus que dans les actions libres de l'espèce humaine. Par un zèleindiscret pour la religion, quelques esprits mal avisés ont conclu que, parcequ'au premier abord on ne pouvait pas en rendre un compte satisfaisant, ilfallait y admettre un concours de génies malfaisants. Eh ! si tout ce qui nepeut pas être expliqué dans les effets de la nature, devait toujoursêtre rapporté aux causes surnaturelles, que resterait-il à l'hommeen apanage de ses connaissances ? Que sait-il qui ne l'arrête tout courtdans l'explication de la gradation de ses causes ? S'il voulait franche­ment serendre justice, il n'aurait lieu d'être glorieux que de sa présomptueuseignorance.

Mais ils savent, cesmembres du clergé, que la sorcellerie et la magie, qui les effrayent tant dansle phénomène en question, loin d'être pour les magnétiseurs desvérités démontrées sont pour eux au contraire, des problèmes suscepti­blesd'une sérieuse discussion : même il y en a qui les regardent comme descontes de fées, plutôt que comme des sujets dignes d'une atten­tion réfléchie.Ces esprits pieux et timorés n'avaient donc rien à craindre dans laconduite d'aucun de ceux qui s'occupent du sommeil lucide ; car les génies desténèbres d'ordinaire ne s'associent pas à qui ne les cherche paset moins encore à qui ne croit même pas à leur existence.

Peu jaloux del'approbation des hommes, si inconstants et si versatiles dans les principesqui la règlent, je ne chercherai qu'à être d'ac­cord avecma conscience, qui seule dirige ma conduite. L'existence des démons et leurasso­ciation avec les hommes pervers et immoraux est un dogme évangélique, maisun dogme qui en même temps a pour lui le témoignage de tous lessiècles et de tous les peuples chrétiens et infidèles. Il ne mesera pas difficile de montrer aux uns que le caractère desénergumènes, des possédés, et des obsédés, a des marquesdistinc-tives différentes de celles du caractère de ceux qui dorment dusommeil lucide ; et aux autres qu'en raison de ce caractère, quidistingue un état de l'autre, et qui ne peut nullement con­venir àl'homme ni dans son état naturel, ni dans son état de maladie, ils sont forcésd'ad­mettre l'existence des esprits malfaisants et leur influence sur lesactions de certains hommes corrompus. Le philosophisme, en rendant dumoins problématique cette vérité de la croyance générale de l'espècehumaine, n'a pas encore démontré, ni ne démontrera jamais, que toutes lesannales de tous les peuples de la terre en ont imposé à cet égardà la postérité.

Qu'il est difficilede capter la bienveillance générale ! les uns, pour croire trop, me trouventsuspect ; les autres, pour ne pas me croire assez, me trouveront, sanscontredit, au moins supers­titieux, et les autres pensent tenir la vérité !

11. — Ces membres duclergé verront même de plus que loin de partager l'opinion des magnétiseursdans aucun point de leur doctrine, je leur montrerai qu'en confondantavec les accessoires du sommeil lucide les extases de sainteThérèse et de Jeanne d'Arc, dite la Pucelle d'Orléans, ils ne nousrendent compte de ce phénomène que comme les sourds jugent des sons etles aveugles des couleurs. La répres­sion de cette attaque qui, de la part deces der­niers, ne tend à rien moins qu'à décrier indi­rectementl'inspiration surnaturelle des pro­phètes, fera connaître aux premiersque mon but, dans l'étude du sommeil lucide, était tout autre que celui qu'onme suppose.

Les inspirationsparticulières, comme étran­gères à la doctrine des livrescanoniques de l'Eglise, n'engagent certes qu'à une pieuse croyance.Néanmoins toute défaveur sur le prin­cipe, qui est le même dans lesprévisions de l'un et l'autre genre, détruit toujours la confiance desfidèles sur la base du christianisme. Les magnétiseurs veulentinsinuer implicitement que si sainte Thérèse et Jeanne d'Arc n'ontannoncé les vérités sublimes et précieuses que par le sommeil lucide, on peuten penser tout autant, sans crainte d'erreur, des apôtres et desprophètes.

S'ils eussentexaminé sérieusement, ainsi qu'ils devaient le faire avant que de prononcerdécisivement sur un sujet aussi grave et aussi élevé le caractère desprévisions et des annonces de tous ceux qu'ils endorment, ils auraient vuà peu de frais que celui-ci est si vague, qu'il n'offre que lesprobabilités des événements, sous des conditions requises, et encore soumisesà des erreurs grossières. Ils auraient trouvé que nul d'entre cesdevins ne jouit de la faculté de pré­voir spontanément un cas voulu ; et,d'autres le font naturellement, par cet état qu'on appelle le somnambulisme naturel,ou par celui de catalep­sie, ils brodent un fonds de vérités avec tant decirconstances erronées, qu'au développement de l'événement, on reste toujoursen doute de savoir si c'est l'effet prévu, ou si c'est un autre àattendre. A-t-on jamais caractéristiquement connu dans cette espèced'annonces l'événement dans la prévision,et la prévision de l'événement?

Comment ont-ils doncosé confondre, ces pro­pagateurs du sommeil lucide, avec la prévision quiaccompagne ce phénomène, cette prévision môme gui dérive d'uneinspiration privée et particulière ? Y a-t-on jamais trouvé quelqu'unede ces âmes pieuses extravaguer, délirer et s'égarer, comme le font presquetoujours ces oracles qui ne prévoyent qu'en dormant? Il y a certes des véritésdans leurs annonces ; mais des vérités qui ont besoin d'être interprétéesavec indulgence, soumises à l'épreuve avec sagesse, et dégagées deserreurs avec habileté.

C'est cette pierrede touche qu'avant tout il fallait préciser. Nous en fixerons si clairementla nature, qu'au premier coup d'oeil elle fera aper­cevoir la différence entrel'une et l'autre prévi­sion.

12. — Les recherchessur la cause du som­meil lucide nous mèneront même plus loinqu'à établir cette ligne de démarcation entre la prévi­sion naturelle etl'inspiration surnaturelle, ligne de démarcation peu remarquée par les théolo­gienset par les apologistes du christianisme. Dans la persuasion où ilsétaient que l'avenir contingent n'était que le partage de la seule causeabsolument nécessaire, ils ne s'étaient pas trop donné la peine d'approfondirl'étendue des idées des autres esprits. Ils ont cru que ces intelligences purespensaient de la même manière que l'homme, c'est-à-dire, quel'esprit assujetti aux influences de la matière.

Il n'était réservéqu'au sommeil lucide de rele­ver cette différence, et de parvenir ainsià déci­der une question agitée par les philosophes depuis la plus hauteantiquité, quoique résolue par l'autorité de l'église : savoir, que les âmeshumaines n'ont pas pu préexister aux corps qu'elles informent. Cephénomène fera même sentir à l'orgueil humain que l'homme,par sa constitution physique, est obligé de courir nécessairement la chanceéquivoque du mélange des vérités et des erreurs, et qu'en raison de cemalheureux et honteux partage, il a besoin d'un guide infaillible dans sacarrière morale, comme un enfant en a besoin d'un raisonnable dans sacarrière sociale.

Ce que des ministresde la religion repous­sent avec horreur dans le sommeil lucide aura donc ledroit de mériter leur attention et leur intérêt, s'ils se rendentindifférents aux rapports d'autrui, et approfondissent par eux-mêmes ceque ce phénomène recèle d'utile et à l'homme social età l'homme religieux.

Je suis bien éloignéde penser que les magné­tiseurs mettent de la mauvaise foi dans leursattaques contre les bases du christianisme. J'ai mille fois entendu direà plusieurs d'entr'eux qu'en parcourant cette carrière on ne peuts'em­pêcher de reconnaître l'existence d'une première cause, laspiritualité de l'âme humaine, la néces­sité de la moralité des actions, etmille autres vérités de ce genre dont une franche croyance contribue mêmeau bonheur et à la tranquillité sociale. L'expérience n'amalheureusement que trop prouvé que, délivré de ce frein, l'homme n'est qu'unebrute, et encore plus irraisonnable que la brute même.

Les magnétiseurs,en adoptant aveuglément les aphorismes de Mesmer, n'en avaient pas sentil'absurdité et les funestes conséquences. Mainte­nant ils soutiennent paramour-propre ce qu'ils ont publié par irréflexion. Aussi, je trouve plus facilede convaincre sur la cause du sommeil lucide ceux qui n'y ont rien connu, queles magnétiseurs qui me fréquentent, et qui pré­tendent y savoir tout,sans pouvoir donner aucune raison du moindre de ces phénomènes.

13. — Si, dans ledéveloppement de mes idées et dans l'exposition de mes moyens, je manqued'atteindre mon but, j'aurai du moins le mérite de m'être embarqué danscette entre­prise avec des intentions pures et louables. Je pense néanmoins quece défaut tiendra à l'in­suffisance de mes talents et non àl'erreur de mes idées. Elles m'ont été, pour ainsi dire, dictées parl'expérience et l'observation, et non conçues pour maîtriser la vérité. Toutesles fois que je les range dans mon esprit pour en considérer la liaison, toutesles objections de bonne foi me semblent se briser devant elles, et la cause dusommeil lucide et de ses accessoires me paraît aussi évidente qu'elle peutl'être ; mais mes conceptions peuvent me tromper, et un auteur esttoujours aveugle sur les défauts de ses productions.

Ce qui me console,c'est en pensant aux principes avec lesquels je m'étais lancé dans cettecarrière, je m'en trouve si écarté maintenant que j'ai tout lieu decroire que la bonne foi seule a présidé à mes études et à mesmédi­tations. Souple sous les observations, sous les expériences et sur lescombinaisons d'idées qu'elles faisaient naître, j'ai cherché autant qu'ildépendait de moi, à corriger mes erreurs, en renonçant aux sources quiles provoquaient. Ainsi je me suis abstenu jusqu'à présent de ne rienpublier sur ce sujet, quelque plausibles que m'eussent paru mespremières conceptions.

La lecture d'uncours raisonné dont j'accom­pagnais mes expériences de tous les jeudis, portaitle titre de séances, et c'est ce même titre que j'ai conservé dans ladivision de mon sujet. La dénomination seule reste maintenant ; les réflexionsqui en faisaient le fond sont toutes changées, en raison du changement desprinci­pes qui en provoquent d'autres. Il est si difficile, dans les recherchesdes vérités occultes, de pré­voir les nouvelles découvertes qui détruisent lespremières idées !

Ma manière depenser, qui doit paraître para­doxale à toute personne, m'aurait aussiparu telle à moi-même il y a dix ans. J'étais bien éloigné desoupçonner alors qu'on pût adopter un tel genre de système. Maisqui aime la vérité doit fléchir sous les preuves qui l'établissent. Lareligion, la conscience et la raison, loin d'y éprouver la moindre atteintecontre leur auto­rité, y trouvent plutôt de nouvelles armes con­tre lesagressions même gratuites. A moins que l'erreur ne fascine l'esprit, onne peut faire autrement que de s'y rendre. Les hommes ne peuvent juger desvérités que d'après les prin­cipes puisés dans l'expérience propre etdans le commerce social. Toutes les fois qu'il est des vérités qui, pourn'avoir qu'un rapport très caché avec ces principes, deviennentinaccessi­bles à la conception commune, elles ne peuvent manquerd'éprouver des contradictions en reven­diquant le culte et les hommagesqu'elles méri­tent de leur nature.

14. — Les expériences qui nous ont fourni cesréflexions sur le présent sujet ont été ten­tées sur plus de cinq millepersonnes dans l'état de sommeil lucide. Nous y avons vu tout ce qu'il estpossible de voir ; et cependant nous n'y avons rien vu qui ressemble àla netteté de ces faits que périodiquement nous rapportent les feuillespubliques qui s'en occupent. Nous y avons trouvé souvent un fonds de vérités,mais qui n'étaient pas mêmes des copies de leurs originaux. Je sensqu'avec un peu de peine, beaucoup d'expérience et de connais­sances, on peutapprocher d'un grand nombre de vérités obscures, mais non de toutes ni avectoute l'exactitude nécessaire.

Nous avons doncétabli que nul aphorisme, sorti de la bouche de ces êtres extatiques, nepeut ni ne doit servir de base à un système ou même auraisonnement qui tend à une démons­tration. Outre qu'ils n'ont pas toutel'exactitude dans leurs annonces, ils sont encore si discor­dantsentr'eux-mêmes sur une même donnée, qu'on peut aussi dire d'eux cequ'on dit à juste titre de tous les hommes : qu'il est entr'euxautant de sentiments que de têtes.

Ce ne sont donc queles observations qui sont générales, communes et inséparables de l'état dusommeil lucide, qui seules peuvent ser­vir de base à la recherche de sacause. Voilà le point principal sur lequel il fallait porter sonattention avant de former des systèmes et de donner des théories. Ceuxqui ont fait des jour­naux sur les personnes qui dormaient sous leur directionn'ont pas eu tort d'y consigner leurs conjectures sur cette source qui leurparaissait occulte, indéchiffrable et mystérieuse ; mais ceux qui ont publiéleurs présomptions comme des décisions péremptoires qui ne laissaient plus rienà désirer sur ce sujet, ont fait plus de tort à l'humanitésouffrante que ce phénomène ne lui offre d'utilité. Qui peut comptertous les maux qui sont résultés de cette fausse route ? Si l'on nous eûtdonné une feuille publique de toutes les sottises qui, dans cettecarrière ont été commises en raison de cette ignorance, aussi bien qu'onnous en donne une de tous ses prodiges, je suis persuadé d'avance que depuislongtemps le trop célèbre magnétisme, au lieu d'acquérir de laconfiance et de se faire des prosélytes, serait tombé dans une exécra­tiongénérale.

Tout ce qui nousservira au développement de ce sujet sera spécialement puisé dans les principesnaturels, ou tout au plus dans ce qui généralement convient à la naturemême du sommeil lucide. Mais, le plus souvent, tout ce qui dérive de cephénomène ne sera que la con­séquence de principes démontrés, lorsqu'ilsseront susceptibles de démonstration. Toute­fois, ne prétendant pas donner iciun cours élémentaire de philosophie, nous en suppose­rons quelques principesqui sont avoués par la masse des hommes d'esprit, quoique contro­versés par desgens qui veulent des preuves de tout et qui ne prouvent jamais rien.

 

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