De la Cause du Sommeil Lucide

Back to Index

SÉANCE II

INTRODUCTION

1. — Unphénomène aussi ancien que le ber­ceau de l'homme est remarqué depuisquelques années en Europe par l'observateur philosophe. Quoique naturel, il lefrappe d'etonnement dans son développement, et met à la torture sonesprit dans la découverte de sa cause. Connu des anciens, du moins dans tout cequ'il a d'utile à la société humaine, il avait dans 1 écoulement dessiècles disparu, comme tant d'autres belles inventions de la catégoriedes lumières natu­relles chez les peuples civilisés. Des nations,regardées comme barbares, le provoquent à volonté, le cultivent etl'appliquent à différents usages de la vie, sans interruption depuis untemps immémorial.

Ce phénomèneconsiste à déceler dans certai­nes personnes, pendant leur sommeil, deuxpropriétés extraordinaires qui n'étaient point à la connaissance desphilosophes et des physio­logistes : l'une regarde le corps et l'autre l'espritou l'âme.

Celle qui regarde lecorps démontre que ces êtres privilégiés dominent, au commandement de celui qui les dirige, sur le mouvement néces­saire avecla même facilité que celle avec laquelle, dans l'état de veille, onmaîtrise le mouvement libre. Celle qui regarde l'esprit développe en eux desconnaissances sublimes qu'ils n'ont jamais acquises par l'étude, et qui de plusem­brassent tout espace de temps et de lieux ; c'est-à-dire le passé,l'avenir et toutes les distances. Elles sont certes souvent mêlées degraves erreurs, mais elles n'atteignent pas moins par­fois des véritésconstantes.

On ne fut, enFrance, témoin de ce phéno­mène que sous l'appareil imposant d'un baquetforgé par Mesmer ; et encore les effets que ce moyen présenta d'abord àla vue, ne s'étendi­rent qu'à soulager les malades et à lesguérir aussi quelquefois. Le sommeil lucide qui, dit-on, n'était connu que deMesmer seul et d'un petit nombre de ses partisans, et qu'on croyait pro­venirde l'action de cette machine mystérieuse, resta inconnu au public jusqu'aumoment où M. le marquis de Puységur en constata l'exis­tence. AinsiMesmer, sans le savoir précisément, ne fit voir le pouvoir de l'homme que surle mouvement nécessaire du corps et sur l'étendue des connaissancesextraordinaires de l'esprit.

Néanmoins persuadéque ces effets ne prove­naient que de l'influence du baquet, on ne fit nulledifférence de même qu'on n'en fait encore aucune, entre ce qu'unepersonne éprouvait dans son état de veille et ce qu'elle éprouvait dans sonétat de sommeil. La conversation de l'action d'une volonté externe et d'unfluide magnétique qui accompagnait les influences du baquet dans lesystème de Mesmer, n'a rien changé   actuellement dans l'abolition de son échafaudage : elle n'a fait qu'élaguer un superflu remplacépar certains gestes et certains attou­chements et rapporter ses vertus tantôtà ces deux agents, tantôt au premier seul, et tantôt à unechaleur animale. Pour ce qui concerne la sublimité des connaissances de l'âmependant le sommeil, on croit ne rien hasarder, en avouant que c'est unmystère impénétrable, quoiqu'il y ait des personnes qui le déduisentd'une volonté externe et d'un fluide magnétique, comme le voulait aussi Mesmer.

2. — Cettemanière de faire du bien aux mala­des, et même de leur procurer lesommeil lucide par l'échafaudage d'un baquet, fut d'abord appelée le mesmérisme,du nom de Mesmer : ensuite, à la suppression des baquets, elle futnommée le magnétisme animal. La dénomina­tion de mesmérisme, pourcaractériser cette action par laquelle on soulage les malades et l'on provoquele sommeil, semble avoir dû être le seul mot propre pour exprimerune idée indéterminée ; parce que n'ayant point de signi­fication précise, ilétait apte à ajouter à la pre­mière idée, et mêmeà la changer au besoin en sens contraire.

Mais je ne trouverien qui puisse justifier l'action d'endormir et de procurer un bien-êtreaux malades. Le mot magnétisme exprime l'ac­tion de l'aimant sur le fer,et avec l'addition animal, il ne peut signifier qu'un aimantisme entreles êtres animés ; c'est-à-dire une attrac­tion par laquelle unanimal est attiré vers un autre. Y a-t-il quelque chose de semblable entre ceseffets et l'action qui, dit-on, provoque le sommeil et procure unbien-être aux malades?

Le mot magnétismeanimal aurait plus techni­quement pu signaler le penchant qui existe entreles deux sexes que ce que trop gratuite­ment on veut exprimer.

L'observation faitesur une personne qui, étant dans le sommeil lucide, suivait à unedistance précise tous les mouvements de son directeur, n'est pas suffisantepour justifier une adoption pareille : outre qu'elle est absolument inexacte,elle est de plus singulière, et par là dépourvue de tout droità fixer une dénomination générale.

Les plaques et lespoudres sympathiques, appelées aussi, à juste titre, magnétiques, quiavaient contribué à des guérisons miraculeuses, et qu'on a évoquées ensa faveur pour justifier l'adoption du mot magnétisme animal, neprê­tent aucun appui à l'inexactitude de la dénomi­nation. Ellesavaient une vertu réelle qui attirait les maux des malades par leur force aimantique.A-t-on jamais prouvé qu'il existât une pareille vertu dans les procédés enusage ? On n'a fait que la supposer, avec la prétention de donner unedémonstration de la cause du sommeil lucide.

Nous avons remplacéle mot magnétisme ani­mal par le mot concentration. On verra dansla suite que ce mot renferme dans sa signification naturelle la cause que nouscherchons du som­meil lucide. Ainsi les mot magnétiseur et magné­tiserseront exprimés par les mots concentrateur et concentrer. Demême, le mot somnambule sera caractérisé par le mot grec épopte,qui signifie : celui qui voit tout à découvert. Il étaitemployé dans le même sens qu'on attache au mot somnambule par lesanciens dans la célé­bration de leurs mystères, comme nous le verronsdans la suite. Il est question ici de con­naître l'état de l'âme et non celuidu corps, comme l'exprime le mot somnambule. On con­naît déjàl'acception du mot sommeil lucide pour remplacer le mot somnambulisme.Il n'est pas question ici de savoir pourquoi l'on marche dans le sommeil,comme l'exprime ce dernier mot: cela n'arrive qu'accidentellement aux épop­teset à certains époptes. Il s'agit de connaître et de caractériser 1 étatgénéral de tous dans l'abstraction de leurs sens.

3. — Je ne puis pasconcevoir comment l'es­pèce humaine fut assez bizarre pour aller cher­cherla cause de ce phénomène dans un baquet, dans une volonté externe, dansun fluide magné­tique, dans une chaleur animale et dans mille autresextravagances de ce genre, tandis que cette espèce de sommeil est communeà toute nature humaine par les songes, et à tous les individusqui se lèvent, qui marchent, ou qui parlent en dormant. Il est vrai quela cause de cet effet était inconnue ; mais il est vrai aussi que cette causene peut, ni n'a jamais pu être attri­buée à ces inventionscapricieuses et arbitraires. Il était plus glorieux d'avouer ingénument sonignorance dans l'inutilité de ces recherches, que d'induire en erreur la bonnefoi par l'orgueil. C'est le vulgaire qui croit qu'un effet naturel qui étonnene peut provenir que d'une cause com­pliquée : le savant qui veut en instruired'autres ne doit pas ignorer que la marche de la nature est toujours simple, etque toutes ses produc­tions ne cessent d'être merveilleuses aux yeux del'homme que dès qu'elles deviennent ordi­naires.

La source de cetteaberration gisait certes dans la persuasion où l'on était que le sommeillucide avait une nature différente de celle du sommeil habituel. On le penseencore, et peut-être môme généralement, en le caractérisant par le nom dusommeil magnétique, pour le distin­guer du sommeil naturel. Cependant lapropre expérience a du dire cent fois à ces esprits revè-chesqu'on ne fait pas d'époptes toutes les fois qu'on le veut, mais seulement quandon trouve des sujets aptes ; c'est-à-dire, des sujets qui sontdéjà des époptes naturels. On ne produit pas chez eux un sommeil lucidequi n'existait pas ; mais, on ne fait que le développer, parce qu'il existedéjà en raison des dispositions requises.

Toutes lesobservations déposent jusqu'à l'évi­dence que le sommeil lucide et lesommeil natu­rellement profond font une môme chose. Ils ne se distinguent entreeux qu'en raison de la direction, de môme qu'un épopte nouveau se distingue delui-môme par l'exercice. Du reste tous les résultats, soit corporels, soitintellec­tuels, qui, dans les époptes de l'un et l'autre genre, se distinguentdans le développement de leur étendue, ne se distinguent pas dans lecaractère de leur nature. L'observation même démontre qu'aucun desépoptes développés, quelque lucide qu'ils aient pu être, n'a jamais faitce que des époptes naturels ont parfois exé­cuté, comme de parler des languesétrangères avec toute la facilité propre aux seuls indigènes. Jene cite que cette seule particularité, pour évi­ter d'entrer ici dans lesdétails des autres bran­ches de leur lucidité.

4. — En indiquantcomme cause du sommeil lucide, la concentration que nous avons substi­tuéeau mot magnétisme, nous n'avons voulu que signaler la cause immédiatequi provoque le sommeil en général. La concentration n'est qu'une abstractiondes sens ; et l'on ne s'endort pas tant que l'esprit est occupé, soit parl'agita­tion du sang, soit par des inquiétudes ou par des soucis, ou par unecertaine densité dans ce fluide, qui empêche également l'espritd'être dans l’apathie.

Les sommeils ontleurs nuances et leurs degrés : celui qui est le plus profond est ce qui nousavons appelé le sommeil lucide. Ce sommeil n'existe qu'avec une extrêmeliquidité du sang, et cette liquidité ayant ses degrés particuliers, le sommeillucide aussi a son échelle de perfec­tion. Toutes les fois donc que nousparlerons simplement de la liquidité du sang, nous préve­nons que nousn'entendons énoncer que cette liquidité qui est extraordinaire dans ce fluide,et qui s'oppose aussi à sa densité extraordinaire.

La liquidité dans lesang contribue non seule­ment à la profondeur du sommeil, mais aussià sa promptitude.

Cette liquidité dusang n'est qu'une marque de sa faiblesse ; et l'expérience m'a fait voir quel'extraction d'une certaine dose de ce fluide ren­dait époptes dansvingt-quatre heures ceux qui n'y avaient aucune disposition antérieure.Voilà la véritable cause de ce qu'on appelle le som­nambulisme naturel; cause jusqu'à présent regardée comme mystérieuse parmi les enfantsd'Ësculape. Il est clair maintenant qu'en épais­sissant le sang par quelquestisanes fortifiantes, on peut détruire cet état du somnambulisme naturel,qui présente tant de dangers pour la vie. Le sang n'est donc extraordinairementliquide qu'autant qu'il est extraordinairement faible.

La promptitude dusommeil ne tient à la liqui­dité du sang, que parce que cet état dépenddu calme, et le calme de la liquidité. Deux tasses pleines, l'une d'eau etl'autre de chocolat, éga­lement bouillants, et exposés à l'air enmême temps, se refroidiront, c'est-à-dire, se calmeront en destemps différents. Le refroidissement de la première sera plus prompt quecelui de la seconde, par la seule raison que la substance qu'elle contient estplus liquide que l'autre.

Le sang liquide estaussi facile à s'exciter qu'à se calmer ; et, en raison de cettepropriété, il se trouve être plus subordonné à l'influence de lavolonté propre, que le sang épais. Pour peu qu'un épopte soit exempt d'agitations,de cha­grins, d'inquiétudes, il doit donc calmer son sang aussitôt qu'il leveut, et conséquemment dormir. La force de l'empire absolu de la volonté pro­presur le sang de cette nature, et conséquem­ment sur toutes les parties du corps,est une vérité qui sera évidemment développée dans la suite même del'introduction.

5. — Le sommeil queprovoque la lassitude a un autre caractère que le sommeil ordinaire.Celui-ci est libre et l'autre est nécessaire ; néan­moins l'un etl'autre sont les mêmes dans leur nature, quoiqu'ils diffèrent dansleurs causes médiates.

Toute espècede sommeil suit toujours une transpiration humide ou sèche,conséquemment sensible ou imperceptible. Elle affaiblit la ten­sion desmuscles, et par là elle entrave le jeu des ressorts des membresexternes. La transpiration par la fatigue étant beaucoup plus abondante, elleproduit aussi dans les muscles une faiblesse beaucoup plus accablante, et c'estce qui exprime la nature de la lassitude. Les muscles épuisés fléchissent lesuns sur les autres, et privent les membres de la faculté d'exercer leursfonctions ordinaires. Le sang, qui par le mouvement irrégulier du travail a étédélié, tend graduellement au calme. L'esprit, qui est essentiellement actif netrouve plus de souplesse dans la désobéissance des nerfs, seuls messagers deses ordres, et se voit forcé à une apathie violente ; mais comme undéfenseur vigilant, il se plie à la satisfaction de ses besoins, ainsiqu'aux besoins d'une partie de son individu.

Voilà commentune concentration, nécessaire dans ses causes médiates, devient volontaire danssa suite, et pourquoi un sommeil, qui est le même quant à tanature des autres sommeils, a un caractère particulier qui l'endistingue. La personne lasse ne cherche plus que le moment de se concentrerpour dormir, non seulement pour obéir à la loi impérieuse de lanécessité, mais plus encore pour se procurer une jouis­sance délicieuse,préférable à toutes ses jouis­sances connues. Toutes les causes médiatesétant déjà disposées ainsi pour produire le sommeil, la personneharassée de fatigue n'a plus qu'à vouloir dormir, sans redouter desentraves qui s'opposent à sa résolution ; et elle dort aussitôt qu'ellese concentre.

Il est àremarquer ici que toutes les privations forcées que l'homme éprouve de sesjouissances ordinaires se convertissent pour lui en plaisirs et en agrémentsdès que la nature le commande pour le motif direct ou indirect de laconserva­tion de son individu. Un goutteux voudrait bien se livrer àl'exercice de ses membres, comme le commun de ses semblables ; mais prévoyantla peine qui doit chez lui accompagner cette satisfaction, il préfèreavec plaisir son état de repos à l'usage et au mouvement de ses mem­bres.Il en est de même d'un gourmand qui, par une indisposition, se sentmaîtrisé par la nausée des aliments, et d'un jeune homme dis­sipé qui, passantles nuits au bal et au jeu, se voit entraîné au repos par le sommeil.

C'est pour cetteraison que même toutes les autres opérations nécessaires de la nature nesont jamais exemptes d'une certaine volupté ; et par là, elles serendent toujours conformes à la volonté, parce qu'elles tendent toujoursà la conservation de l'individu.

6. — Cependant ilest toujours vrai que le sommeil naturel, tout en contribuant aubien-être de l'espèce humaine, ne lui fait pas le même bienque le sommeil provoqué par l'art. Les époptes mêmes, en mettant uneénorme diffé­rence entre l'un et l'autre, conviennent de la vérité de cetteobservation déjà trop fortifiée par l'expérience.

Mais il fautremarquer que cette différence existe réellement dans le motif du sommeil etnon dans la nature. Celui qui dort naturellement la nuit ne pense, en selivrant au sommeil, qu'à satisfaire un besoin d'habitude, communà toute l'espèce humaine ; au lieu que celui qui dort y étantengagé ne se livre au sommeil que pour être utile àlui-même, ou à d'autres. Aussi, il en résulte qu'il remplit satâche, et atteint son but, et lorsqu'il allie à ce motif principald'autres motifs particuliers d'une crainte panique et d'in­quiétudes chimériques,il s'agite dans son som­meil, et en trouble le calme naturel. Ce dernier effet,qui est presque commun à presque tous les époptes dans leurs premierssommeils, se dissipe ensuite avec le temps lorsque, par leur propre expérience,ils apprennent que ce qu'ils redoutaient au commencement n'était qu'une vaincappréhension, dépouillée de tout motif réel.

Voilà lasource de la différence que trouvent les époptes entre l'un et l'autresommeils. Toute­fois, pour sentir l'erreur de leur prévention à ce sujet,on n'a qu'à comparer leur sommeil habituel de la nuit avec le sommeildéveloppé par l'art, et l'on verra qu'ils sont également aptes à remplirdans l'un et l'autre, toutes les fonctions utiles à eux-mêmes età d'autres. Leur sommeil naturel et leur sommeil provoqué n'ont doncentre eux aucune différence réelle.

La raison pourlaquelle le sommeil naturel ne fait pus le même bien que le sommeilprovoqué, gît dans la différence même du motif de l'un et de l'autre.Nous la développerons amplement dans la suite, en indiquant simplement ici quec'est elle qui fait le sujet de cet ouvrage.

Le sommeil naturel,néanmoins, produit tou­jours du bien en réparant les forces perdues la veille,mais ce bien n'est jamais égal au dom­mage, et par le défaut de motifs requis,et par la différence de son caractère. C'est la réunion du reste de cespetits maux non réparés, qui fait, dans la suite, des explosions proportionnéesà leur nature, par des maladies, ou éphémères, ou chroniques.

Cependant ce n'estpas à dire que le sommeil lucide répare les maux, comme s'ils n'eussentjamais existé. Tout mal, quelque léger qu'il soit détraque toujours la machined'une manière irréparable ; et c'est de là que résulte la dissolu­tionfinale. Le sommeil lucide répare ces maux autant qu'ils peuvent êtreréparés, et recule cette catastrophe qui doit enfin abattre l'homme pourl'éteindre.

7. — On peutmaintenant comprendre aisé­ment la raison pour laquelle on ne peut pas pro­curerle même bien-être aux malades qui ont, et à ceux qui n'ont pointde dispositions au som­meil lucide, par une action externe, qui a été appeléele magnétisme animal, et que nous carac­térisons du mot de concentration.Ce bien-être entre ces différents malades est le même àpeu près que celui qui résulte du sommeil lucide provo­qué, et dusommeil naturel. L'un et l'autre font toujours du bien, mais en mesuresdifférentes.

Quoique dans laconcentration des malades qui n'ont point les dispositions requises, il y aittoujours le même motif de direction externe que dans la concentration desmalades qui sont aptes au sommeil lucide, néanmoins ce motif n'agit pas demême indistinctement sur eux, par des causes qui seront développées dansla suite, et qui sont différentes dans les uns et dans les autres. Toutefois laconcentration peut opérer une guérison complète des malades pri­ves desdispositions requises, mais à la longue et avec beaucoup de temps ; aulieu qu'elle en opère une plus prompte dans les malades qui sont aptesau sommeil lucide. Le bien-être, dans les malades privés des dispositionsrequises, a toujours une progression graduelle ; en raison du motif de ladirection dans la concentration, progression qui n'existe pas dans le sommeilnaturel, par l'absence de ce même motif; et c'est seulement ce qui fait ladifférence, diffé­rence à la vérité extrêmement sensible, entre lebien-être provenant de la concentration des malades sans dispositions, etle bien-être pro­venant du sommeil naturel.

Le bien-êtreprovenant de la concentration des malades aptes au sommeil lucide, estextrê­mement prompt et décisif. Souvent il est sen­sible avantvingt-quatre heures, et même au bout de deux heures et d'une heure. Ceseffets ont besoin de leur être annoncés d'avance, sous peine d'êtreréduits à ne se développer qu'avec lenteur, et dans une progression gra­duelle; et c'est ce qui mène à la connaissance de la cause précise dela concentration et du som­meil lucide avec tous ses accessoires.

Il ne faut pascroire que tous les malades de cette espèce aient besoin de se trouverdans le sommeil pour jouir de ces effets. Ils les éprou­vent dans le plein étatde veille, pourvu qu'ils aient dormi une seule fois du sommeil lucide.Autrement, avec toute leur aptitude, ils ne les éprouvent que par une gradationlente mais puls prompte que celle par laquelle s'amé­liorent et se guérissentles malades qui n'ont point les dispositions requises. Ce qui sera déve­loppédans la suite fera complètement connaître la raison pour laquelle lesépoptes, aptes au sommeil, ont besoin d'être instruits d'avance de cequ'ils doivent éprouver pour l'amélioration de leur état de maladie et pour lerétablisse­ment de leur santé.

8. — La promptitudeavec laquelle les mala­des aptes au sommeil lucide éprouvent ces effetssalutaires, et d'autres qui seront détaillés dans la suite, exige toujours uneconcentration, môme dans l'état de veille.

La concentrationdoit être envisagée sous trois points de vue. Elle est ou libre, ouoccasionnelle, ou nécessaire. La concentration libre estune abstraction des sens, provoquée au gré et à volonté avec larestriction de la liberté interne. Elle est commune à tout individu quidort tou­tes les nuits et qui, sans dormir, se distrait de tout objet sensibleou intellectuel, pour ne s'oc­cuper que d'un seul. Dans ce dernier cas, la libertéinterne n'éprouve pas, à la vérité, de dommage ; mais aussi cetteconcentration n'est pas telle dans toute la rigueur de son acception. Lorsquele sommeil ordinaire n'est pas une suite de la concentration libre, il annoncel'existence d'obstacles indépendants de l'empire de la volonté. Tels sontl'épaisseur du sang, les inquiétudes, les chagrins, les agita­tions. Du reste,on ne s'endort que parce qu'on le veut ; et si l'on ne s'endort pas toujoursaussitôt qu'on le veut, c'est qu'on n'a pas dans le sang les dispositionsrequises pour le mettre dans le calme.

La concentrationoccasionnelle est une abstra-ction des sens provoquée au gré et à lavolonté, avec la restriction de la liberté interne, mais en raison d'un motiffourni par une influence externe. Elle ne convient qu'aux personnes qui ont lesang extrêmement liquide. Par elle on dort quand on le veut, toutes lesfois que l'influence fournit le motif. Voilà la cause immédiate dusommeil lucide. Toutes les fois qu'un épopte dort au commandement, il ne dortque parce qu'il le veut, mais prévenu qu'il ne dort que par la force etl'influence du motif. Aussi il doit, loin du concentrateur, dormir àl'heure dite et au signe donné, comme de toucher à un de ses doigts, deregarder une bague, de penser à son directeur.

L'épopte ignorel'existence de la faculté de dormir à volonté en lui-même : ilpense qu'on ne doit dormir qu'aux heures précises, et dans son lit,d'après l'usage de toute 1 espèce humaine, malgré les exemplesfréquents qui lui montrent que souvent on s endort sur un fauteuil dans le coind'un salon, et au milieu des cercles. C'est pour cette raison que d'ordinaireil lui faut un motif qui l'engage au sommeil. Cependant il est des époptes qui,étant intruits de l'existence de ce pouvoir en eux-mêmes, s'endormentaussitôt et chaque fois qu'ils le veulent, sans aucun motif fourni par uneinfluence externe.

La concentrationnécessaire est aussi une abs­traction des sens, avec la restriction de laliberté interne, mais provoquée immédiatement par une cause interne,indépendante de tout empire de la volonté propre. Elle ne convient qu'aux per­sonnesévanouies et aux cataleptiques. Cette concentration provient de causesabsolument contraires à celles de là concentration précédente etelle en diffère aussi dans ses effets corporels et intellectuels,quoique ceux-ci aient l'appa­rence d'être les mêmes que ceux del'intuition des époptes. L'intuition des personnes évanouies et descataleptiques, dont nous exposerons inces­samment la signification, est beaucoupplus pré­cise et plus étendue que l'intuition des époptes.

9. — Sitôt qu'on estapte à la concentration occasionnelle, on est apte aussi àjouir de l'intui­tion et à maîtriser tout mouvement nécessaire ducorps à la volonté du concentrateur. C'est la raison pour laquelle nousavons intitulé cet ouvrage : De la cause du sommeil lucide et de sesaccessoires, et non de ses effets, parce que la faculté de jouir del'intuition et de maîtriser tout mouvement nécessaire du corps, existedéjà avant le sommeil lucide sous des conditions déterminées,c'est-à-dire dans les parties seule­ment où le sang est liquide.

Aussi tout époptejouit de l'intuition dans son état de veille et de la faculté de maîtriser lemou­vement nécessaire du corps, surtout après le pre­mier sommeil. Jedis surtout après le premier sommeil, parce que la confiance d'oùdérive l'exercice de ses facultés, n'existe pas, en géné­ral, dans lespersonnes qui ont des dispositions requises au sommeil lucide, et qui n'ont pasdormi occasionnellement. Cependant il y en a qui exercent aussi cesfacultés sans avoir jamais dormi, et sans pouvoir même le faire. Cet exer­cicehors du sommeil n'est pas néanmoins aussi complet que dans le sommeil, soit ence qui con­cerne l'intuition, soit en ce qui concerne l'em­pire sur lemouvement du corps.

L'expériencedémontre que la confiance qui règle la facilité de cet exercice nes'établit, en général, que par le sommeil ; et plus elle se con­solide par larépétition des actes, plus elle rend usuelle la jouissance de ces facultés.Nous ver­rons dans la suite que, si nulle confiance ne se commande, celle quipréside à l'économie de la conduite des époptes est encore plus indépen­dantede toute influence : elle provient absolument de la liquidité du sang, ets'accommode à ses degrés et à ses nuances ; de môme qu'elle dispa­raitet s'évanouit avec elle.

Ceux qui n'ontjamais dormi du sommeil lucide par occasion et qui cependant y ont desdispositions requises, exercent quelquefois natu­rellement ces facultés sanss'en douter ; mais ils regardent celle qui concerne le corps comme uneindisposition réelle, et celle qui concerne l'esprit comme une illusion dessens. C'est ce qui, par une expression banale est appelé, dans le premier cas :une maladie imaginaire et, dans le second, des chimères del'imagination. Cepen­dant ce ne sont souvent rien moins que des avis réelsde vérités exactes, plus proprement carac­térisés par les personnes sensées,sous la déno­mination de pressensations et de pressentiments.

Il est dans l'ordre qu'étantprévenu que rien dans le monde ne peut maîtriser le mouvement nécessaire ducorps sans violence, et que rien de même ne peut fournir desconnaissances à l'esprit sans une action réelle des objets pré­sents surles sens ; on regarde ces effets comme indépendants de sa volonté, et commetout à fait étrangers à sa propre influence.

10. — Mais n'est-cepas un paradoxe que de dire qu'on influe sur ses propres actions, et qu'onignore sa propre influence ? Non : c'est une vérité exacte, mais peu remarquéepar les physiologistes et les philosophes. Avant de la développer, il fautexpliquer ici ce que c'est que l'intuition, la lucidité et lesdifférents états de l'àme humaine.

L'intuition, en général, est une jouissance simultanée des fonctions semblables àcelles des cinq sens et au delà,sans entraves d'aucune distance de temps ni de lieux. C'est dire qu'elleatteint toutes les propriétés des corps qui sont accessibles à l'homme,et beaucoup d'autres qui lui sont inaccessibles, sans que le passé, 1 avenir etl'éloignement, y mettent le moindre obstacle.

La lucidité engénéral, est une faculté d'ap­pliquer conséquemment à un but lesconnaissan­ces intuitives; et elle est à l'intuition ce que la raisonest aux connaissances sensitives.

L'intuition, et consequemment la lucidité ne sont pas dans les époptes lesmêmes que dans les purs esprits, indépendants de toute influence de lamatière. Dans ceux-ci elles sont pures et infaillibles ; dansceux-là elles sont mixtes et sujettes aux erreurs. Il est aisé de sentirque dans les époptes la spiritualité à laquelles elles appartiennent estsoumise aux influences de la matière. Aussi chez eux l'intuition neremplit ses fonctions que par l'intermédiaire des espè­ces, c'est-à-diredes images, de la même manière, à peu près que lessensations dans l'état natu­rel de l'homme ; au lieu que dans les esprits, enraison de leur indépendance de toute matière, l'intuition tend àatteindre les objets soit intel­lectuels, soit matériels, d'une manièretout à fait différente de celle qui convient aux épop­tes. L'homme lasent seulement par sa raison, mais il est hors d'état de la concevoir par sonintelligence.

La spiritualité,assujettie aux influences de la matière, n'est donc qu'un moyen derapprocher du physique le surnaturel, comme nous l'ap­profondironsincessamment, pour mettre toute la netteté dans les termes qui expriment les idées. Elle jouit de tout ce qui convient à l'es­prit,comme esprit, sans se dégager de ce qui convient à l'esprit enveloppédans la matière et soumis à l'intermédiaire des sens. Ainsil'é-popte dévoile le passé, découvre à distance et prévoit l'avenircomme esprit, mais avec des espèces et non autrement comme homme.

C'est ce qui nousforce d'introduire ici la dis­tinction entre l'une et l'autre intuition. Nousappellerons intuition mixte celle qui convient aux époptes, et intuitionpare celle qui convient aux esprits. Nous n'emploierons ces additions queprécisément lorsqu'il faudra faire cette différence entre l'une et l'autreintuitions ; autre­ment la simple énonciation d'intuition dans les époptesn'exprimera toujours que l'intuition mixte. Nous prévenons de môme quela simple énonciation d'épopte n'exprimera qu'un épopte développé par l’art ;autrement il sera caracté­risé avec l'addition de naturel ou d'occasionnel.

11. — Les différentsétats de l'âme humaine se réduisent à trois modifications marquées quine se confondent pas entre elles. Ce sont la modification intuitive-pure, lamodification sen-sitive et la modification intuitive-mixte.

L'âme humaine étantpar sa nature spirituelle et immortelle, elle doit nécessairement avoiraprès sa séparation d'avec le corps, un état d'existence commune auxesprits. Voilà la modi­fication intuitive-pure de l'âme humaine.Nous ne pouvons que conjecturer négativement cet état sans pouvoir dire cequ'il est précisément dans sa nature et dans son exercice. Jouissantessentiellement d'une science infuse, elle sera alors exempte de toute erreur ;néanmoins ses connaissances auront des bornes marquées par son rang dansl'ordre intellectuel, et sous une mesure dont est susceptible sa nature.

Nous savons de plusque cette substance intel­ligente devant être indépendante de tout inter­médiairedes sens, ne pourra plus former les idées des objets sensibles qu'avec une exactitudequi réponde à la réalité, et non par des espèces qui dérogenttoujours à leur nature par des additions ou des soustractions. Parlà nous pou­vons relever avec certitude l'absurdité de l'opi­nion deSocrate et de Platon sur la préexis­tence des âmes humaines avant les corpsqu'elles informent ou qu'elles ont informés.

Un esprit doitessentiellement avoir des intellections pures, non celles que les écolesattribuent à l'âme humaine pendant son union avec le corps, mais cellesqu'exprime le mot ; c'est-à-dire exemptes de toute espèce ouimage. Cette manière de s'énoncer des écoles était plutôt unedéclaration de ce qui convient à un pur esprit, qu'un développement dece qui peut con­venir à l'âme humaine, pendant son union avec le corps.L'âme humaine, chez l'homme naturel, n'a aucune idée qui n'y soit entréemédiatement ou immédiatement par les sens. Celles mômes qui, comme infuses, sedéveloppent par son intuition mixte, sans être entrées par les sens,portent toujours les marques des idées sensibles. Les intellections pures sont donc tout   à fait incompatibles avecl'âme humaine dans son état d'unionavec le corps.

Mais un esprit qui apréexisté au corps qu'il informe, n'a dû former les idées que par des intellectionspures. Il répugnait à sa nature d'en former par des espècesou des images, étant exempt de toute influence de la matière. Quipeut empêcher que cet esprit ne forme les mêmes idées qui lui sontnaturelles, par le moyen de la concentration, après son union àla matière, s'il a préexisté au corps qu'il informe ? Etant donc vraique l'âme humaine n'a aucune idée qui ne soit sensible, même de cellesqui ne sont nulle­ment entrées par le sens, il est vrai que l'âme humaine n'ajamais pensé que par l'inter­médiaire des sens, et que la décision de l'Eglisequi établit que l'âme humaine n'a commencé à exister qu'après lecorps, ne répugne pas à la raison naturelle, dûment consultée.

12. — La modificationsensitive de l'âme humaine est ce qui constitue l'état naturel de l'hommeou son état de sensations. Elle ne lui fournit les idées que par les sens, etne lui con­vient que dans son état de veille. L'âme humaine, malgre toute sascience infuse et ses autres pro­priétés sublimes, n'en règle lesactions que par les seules idées acquises par cette modification. Il est clairque des préjugés et des erreurs qui m sont aussi un partage indispensable ytien­nent souvent pour elle le rang de vérités démon­trées. Il n'y a que larectitude de ses intentions qui puisse justifier ses écarts et ses égare­ments.

Il est aisé deconcevoir maintenant que la dif­férence de la somme d'idées chez les hommes nedérive que de la différence de leurs travaux, et de leurs études et de leursméditations, quoi­que l'âme soit également savante chez tous dans samodification intuitive. Je dois même ajouter aussi que la différence dela somme d'idées dérive de la différence de leurs complexions ; parce quel'harmonie des solides et la pureté des fluides influent beaucoup sur lafacilité de l'in­telligence. Aussi deux enfants de différente com­plexion avecune égale application ne profitent jamais de même.

Si l'homme neconnaît que ce qu'il a acquis par les sens, il est clair qu'il doit ignorertout ce qui se passe dans l'âme dans sa modification intuitive, quoiquecelle-ci puisse y savoir tout ce qui se passe dans l'homme. Je dis que l'âmepeut le savoir, mais elle ne le sait pas toujours ; par­ce que ne jouissantpoint de toute sa liberté interne, elle ne peut pas replier son attention surtoutes les actions singulières. Parfois même elle ne conserveaucune idée de celles d'entr'elles qui n'ont pas attiré l'attention sérieuse del'homme. Toutefois elle peut, par une réflexion profonde les atteindre toutespar la science infuse.

Lorsque des idéesintuitives deviennent sen­sitives, ce qui arrive très souvent, par lesprès-sensations, les pressentiments et les songes, elles n'influentsur l'homme que comme des chimè­res, ainsi que nous l'avons déjàobservé plus haut.

D'après cesnotions, il est aisé de voir que l'opinion de Locke, qui prétend que toutes lesidées chez l'homme dérivent ou immédiatement ou médiatement des sens externes,et que celle de Descartes, qui enseigne qu'il en est chez lui qui sont innées,sont également fausses. Quoi­que nous ayons dit que l'âme n'a commencé àpenser que par les espèces, c'est-à-dire d'une manièresensible, néanmoins il faut savoir que ces sensations sont indépendantes detoute impression externe, et que ces idées, quoique infuses, ne viennent jamaisnaturellement dans l'usage de la règle de la vie humaine.

13. — La modificationintuitive-mixte de l'âme est cet état de sommeil lucide où l'homme,dégagé des sens, jouit des connaissances subli­mes qu'il n'a jamais acquisespar l'étude. C'est un développement de cette science infuse qui convientà tout esprit, mais qui n'est pas exempte d'erreurs en raison del'influence de l'enveloppe sur cette substance merveilleuse. Cette intuitionest de même nature que l'intuition pure : elle n'endiffère que dans le mode de représentation des objets. Elle en forme desidées par les espèces qui sont cause de ses erreurs ; au lieu quel'autre les forme toujours sans espèces et se rend infaillible.

On voit parlà que c'est un état intermédiaire entre l'homme sensitif et le puresprit ; parce qu'il participe des propriétés de l'un et de l'autre, et montrequ'un esprit qui dans sa pure nature appartient à l'ordre intellectuel,peut aussi appar­tenir à l'ordre physique, étant assujetti auxinfluences de la matière. Cette intuition-mixte est ce moyen qui,dégagé de ses défauts et de ses imperfections, nous mène comme par lamain, à connaître les propriétés de l'âme comme pur esprit, beaucoupplus solidement que tous les raisonnements plausibles des philosophes. Ceux-cin'avaient vu dans l'homme que ce qu'ils voyaient en eux-mêmes ; etl'observation nous démontre que dans les perceptions d'un autre genre quecelles qu'il a dans son état sensitif, il récèle, sans nullement s'endouter, beaucoup plus de motifs de surprise et d'admiration qu'il n'en étale.

La barrièrequi sépare l'état d'intuition mixte d'avec l'état de sensation n'estpas telle qu'elle ne puisse être franchie dans l'état de veille, sans tomber dans le sommeillucide. Toute personne susceptible d'une profonde abstraction des sens, commele sont les époptes et les cata­leptiques, jouit de la faculté de passerà son gré de l'état sensitif à l'état intuitif par la concen­tration,ainsi que nous l'avons déjà observé plus haut. Mais il faut dans cestentatives, renoncer autant que faire se peut, à l'attention sur lessensations externes et sur les distractions internes.

Toutefoisl'intuition qui résulte de cet effort n'est jamais aussi parfaite que celle quise déve­loppe dans le sommeil ; parce que l'abstraction des sens àlaquelle elle est proportionnée, n'y est jamais aussi profonde que dans cetétat de calme. C'est pour cette raison que nous avons dit que les idéesintuitives ne passent jamais naturellement dans l'usage de la règle dela vie humaine ; et lorsqu'elles influent sur l'état sen­sitif, elles n'y existentque comme une impulsion d'instinct, plutôt que comme des principes qui dirigentla conduite. Les idées sensitives passent plus facilement dans les idéesintuitives lors­qu'elles se sont attiré une attention sérieuse de l’homme, etnon autrement.

14. — Pour reprendrele cours de notre mar­che, nous finirons cette séance en donnant une idéeprécise de ce que c'est que l'ordre physi­que, ainsi que nous nous sommesengage à le faire plus haut.

Le physique, dans sa signification étymologi­que et dans son acception philosophiquen'ex­prime que le naturel et non le sensible ou le matériel. Ainsil'homme composé de deux subs­tances,   l'une matérielle et l'autre spirituelle, étant un être naturel,est une partie et une par­tie la plus noble de l'ordre physique. Il seraitridicule de dire que les parties n'appartiennent pas au même ordre auquelappartient leur tout. Aussi les métaphysiciens ont, dans tous les temps appeléinfluence physique, l'action de l'âme sur le corps dans leur commercemutuel ; c'est-à-dire influence réelle et naturelle, et non sensi­ble etmatérielle ; et concours physique, l'action de la première causepour la conservation de l'univers.

Si la philosophie arefondu dans la métaphy­sique la recherche de la nature de l'âme humaine c'estquelle l'a considérée, non comme une par­tie de l'homme, mais comme un espritde l'or­dre intellectuel ; parce qu'il y appartient par sa nature, enmême temps qu'il appartient aussi à l'ordre physique par sacondition. Cet ordre, qui est essentiellement susceptible de change­ment deformes et de dispositions, ne convient plus à un être simple,intelligent et indestructi­ble. L'âme humaine, sous différents points deconsidération, est donc à la fois un être physi­que et surnaturel.

Lors donc qu'on ditvulgairement que le phy­sique agit sur le moral et le moral surle physi-. que, on abuse non seulement des mots, mais aussi des idées.Le moral signifie ce qui appar­tient aux mœurs, et s'opposeà l'immoral : le sensible est ce qui est susceptible detomber sous les sens, et le matériel ce qui est étendu et divisible ; etl'un et l'autre s'opposent au spiri­tuel et à l'intellectuel. Lephysique signifie ce qui est naturel et s'oppose au surnaturel. Lemoral, le physique et le métaphysique font une gradationet non une opposition. Ainsi l'onappelle certitude morale celle qu'il est dans les mœurs des hommesd'admettre comme une règle de conduite : certitude physique cellequi s'atta­che à la constance des lois de la nature : et enfin certitudemétaphysique celle qui étant supérieure à la stabilité des loisde la nature, n'existe pas dans la nature et n'est accessible qu'à laseule conception.

Le moral, dansl'acception naturelle, a donc son degré au-dessous de celui du physique, etcelui-ci au-dessous du degré du métaphysique. Toutes les fois qu'on ditdonc que le moral agit sur le physique, on ne fait rien moins qued'é­noncer qu'il est quelque chose qui agit sur le corps et qui est au-dessousde la matière. Veut-on dire par là que l'âme humaine à quifait allusion le mot moral, n'a même pas le mérite d'être auniveau de la matière ? Je crois que ce sens n'est attaché au mot moralque par les efforts du philosophisme, pour élaguer du lan­gage touteidée du spirituel.

 

Provided Online by http://www.neurolinguistic.com

Back to Index