De la Cause du Sommeil Lucide

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SÉANCE IV

SUITE ET FIN DES DEUX PRÉCÉDENTES

1. — Je pense que cequi a été dit de la con­centration occasionnelle suffit pour donner uneidée générale du sommeil lucide et de tout ce qui le concerne. Nous allons nousoccuper maintenant de dire quelques mots de la concen­tration nécessaire, pourfaire sentir la différence entre elle et la précédente. Il est inutile que nousnous entretenions de la concentration libre, comme celle qui est communeà toute l'espèce humaine elle est étrangère au sujet quenous avons entrepris de traiter.

Nous avons dit quela concentration néces­saire est une abstraction des sens, mais provo­quée parune cause interne, indépendante de la volonté propre. Elle ne dérive que de ladensité du sang, conséquemment d'une cause tout à l'ait opposée àcelle qui produit la concentration occasionnelle, et qui dérive toujoursde la liqui­dité extraordinaire de ce fluide. La concentra­tion nécessaire netombe donc que sur les per­sonnes qui s'évanouissent, soit momentanément soitpour un certain laps de temps, comme sont les cataleptiques ; parce quel'abstraction des sens où ils sont plongés pendant leur crise est toutà fait étrangère à leur volonté.

C'est cet état quiest proprement une crise, et non l'état de sommeil lucide. La crise n'estqu'un état contraire au cours ordinaire de la nature ; et le sommeil lucide,qui n'est qu'un sommeil naturel, mais plus profond que le som­meil ordinaire etcommun à la plus grande par­tie de l'espèce humaine, est siconforme au cours de la nature, que dans sa privation, elle ne pourrait pasfaire autrement que d'en éprouver de funestes suites. Les spasmes et lesmalaises qui parfois l'accompagnent, ne proviennent pas de sa nature : ilsappartiennent foncièrement aux préventions de l'épopte. Ceux qui l'appellentcrise, en le distinguant du repos que la nature exige toutes les nuits, ne fontdonc qu'abuser du mot, en le jugeant sur les apparences.

L'évanouissement, etconséquemment la cata­lepsie qui n'en est qu'un complément malheu­reux, sontréellement des crises, parce qu'ils sortent des bornes de l'état naturel del'homme. Quoique le sommeil lucide soit aussi une mala­die, néanmoins c'est unemaladie qui entre dans la catégorie de celles qui sont inséparables de lacondition humaine. Nous avons déjà remar­qué que l'homme, en naissant,doit appartenir, par une nécessité fatale, ou à l'état de faiblesse, ouà celui d'engorgement : l'état d'équilibre est devenu pourlui un état absolument fantastique. L'évanouissement et la catalepsierenchérissent sur les maladies ordinaires, et sont étrangères àces deux états capitaux : ils placent l'homme, en certaine façon, hors desefforts ordinaires de la nature.

2. — La catalepsieet, en général, tout éva­nouissement diffèrent du sommeil lucide, etdans l'exercice des facultés physiques, et dans celui des facultésintellectuelles. Le mouvement néces­saire y est absolument insubordonnéà l'empire de la volonté, quelques efforts que fasse le directeur pourle maîtriser. La conviction intime, qui est la source de toutes les actionscorpo­relles ou intellectuelles dans les époptes, n'existe, ni ne peut existerchez les cataleptiques ; parce que la densité du sang, qui est la cause domi­nantede leur état, n'est pas compatible avec l'existence de cette modification del'âme qui exige dans le sang une liquidité extraordinaire.

L'intuition dans lescataleptiques est, par une raison contraire, beaucoup plus claire et plus netteque dans les époptes. Toujours assujettie par la nature à ignorer laprécision du temps et des lieux, ainsi qu'à être moins exacte dansla connaissance de l'intérieur des corps opaques que celui des corps animés,qui pour les êtres intuitifs ont une espèce de diaphanéité,l'intuition des cataleptiques dévoile le passé, découvre à distance, etprévoit l'avenir sans direction, et accompagne ses annonces de tou­tes lescirconstances caractéristiques des événe­ments. Lorsque nous parlerons de ladifférence qu'il y a entre l'inspiration surnaturelle et la prévision desépoptes et des cataleptiques, nous nous entretiendrons plusparticulièrement en ces entraves qui obstruent leur intuition. Enattendant, nous faisons observer que la liberté interne est, chez lescataleptiques, beaucoup plus étendue que chez les époptes : elle est toujours,dans ces êtres intuitifs, en raison inverse de la liberté externe.

Ce n'est pas direcependant que les catalep­tiques ne puissent, dans leurs crises, agir avecleurs membres. Ils se remuent même parfois avec une souplesse quinaturellement ne con­vient pas à l'espèce humaine. C'est dire seu­lementque tant qu'une impulsion interne spontanée ne leur donne pas cette agilité mer­veilleuse,ils ont dans leurs crises l'air de blocs stupides, plutôt que d'êtresanimés. Ils n'obéis­sent à personne dans le mouvement de leurs membres :ils ne fléchissent pas sous l'empire de personne par le défaut de flexibilitédans leurs muscles.

Ils jouissent ausside l'intuition dans la crise, comme parfois les époptes sans le sommeil ; maisleur intuition, quoique plus claire que celle de ces derniers, n'y est jamaisaussi précise que dans les crises. On peut môme dire que les cataleptiques sontdes êtres constamment intui­tifs, tant que dure leur maladie ; parcequ'ils sont presque toujours absorbés en eux-mêmes, et abstraits dessens. Aussi, toutes les fois qu'on leur soumet des questions sur les événe­ments,ils en donnent la solution sur-le-champ même ou après un peu detemps nécessaire pour s'abstraire des sens.

La supériorité del'intuition des cataleptiques sur celle des époptes provient de la conditionmême, de leur état, qui n'est plus subordonné aux lois de la marcherégulière de la nature. L'intuition de l'état du sommeil commenceoù finit l'abstraction des sens dans l'état de veille ; l'intuition dela catalepsie commence où finit l'abstraction des sens dans le sommeil ;et l'in­tuition pure commence où finit l'abstraction des sens dans lacatalepsie. C'est dire que la catalepsie et la mort sont limitrophes. Il paraitque l’intuition pure se développe dès qu'on est agonisant ; parce qu'ilest des annonces de moribonds qui portent le cachet des prévi­sions exactes.

3. — Mais il estavantageux de développer ici comment le sang, dans ses modifications dia­métralementopposées, produit des effets sem­blables, quoique non identiques. Il faut remar­querd'abord que nul être animé ne peut vivre avec le sang également épaispartout, ni égale­ment liquide. Ceux chez qui il est épais dans la plus grandepartie de sa masse, en ont toujours une liquidité du moins dans le diaphragme,et peut-être dans quelques autres organes inter­nes ; et ceux chez qui ilest liquide dans la majorité de sa masse, en ont toujours une den­sité dansquelques parties du corps qui sont indéterminées, et qui varient suivant la com­plexiondes personnes.

Il faut remarquerensuite que cette densité et cette liquidité générale, qui ont leurs nuances etleurs degrés, sont en opposition diamétrale avec cette portion de sang qui,dans quelques parties du corps, diffère de leur nature. C'est dire queplus le sang est épais dans la majorité de sa masse, plus il est liquide dansla mino­rité où il se recèle, et vice versa ; de sorte queceux chez qui il est passablement plus épais qu'il ne doit l'être dans lamajorité de sa masse, n'en ont qu'une liquidité passablement supérieureà celle qu'il doit avoir par sa nature dans la mino­rité où il serecèle et vice versa.

Il faut remarquerque lorsqu'on dit que le sang est épais dans certaines parties du corps, etliquide dans les autres parties, on n'entend parler que de ce sang qui,extravasé des veines, vivifie les chairs. Il est indubitable que le sang quicircule dans les artères, a constamment et invariablement la mêmedensité dans toute par­tie donnée du corps. La majorité et la mino­rité de samasse, dont il est question ici, ne regardent que celui qui se trouve hors desa cir­culation périodique.

On n'a pas besoind'observer que la nature de la majorité de la masse de sang extravasé dans leschairs suit toujours l'intensité de celui qui circule dans les artèreset dans les veines. Ce n'est qu'un flux, que l'économie animale procureà tout le corps pour sa vivification et pour sa conservation, de lasource principale, destinée par la nature à répandre les bienfaits deson arrosement sur toute l'étendue de sa merveilleuse course. Les parties ducorps qui ne se conforment pas à la nature et à l'intensité de ceflux, indiquent qu'il existe des entraves survenues qui en empêchent lacommunication et l'expansion ; et il y en a toujours qui, dans tous lesindividus de l'espèce humaine, s'écar­tent constamment de l'uniformitéavec le reste du corps, en raison du défaut d'équilibre dans ses solides et sesfluides.

4. — Toutévanouissement, et plus particu­lièrement la catalepsie, sont des effetsde la den­sité du sang dans la plus grande partie de sa masse. Dans lacatalepsie, surtout, cette densité est si frappante qu'elle rend la circulationdu sang imperceptible. Souvent les cataleptiques paraissent aux sens privés dela palpitation, de la pulsation et la respiration. Aussi il est arrivé plus d'une fois qu'on en a enterré comme morts, pendantqu'ils ne demandaient qu'à vivre.

Par contre-coup, laliquidité du sang dans le diaphragme, et peut-être ailleurs, est chez euxsi extraordinaire qu'elle dépasse dans sa nature la liquidité du sang de toutautre individu de l'espèce humaine. C'est là où cesinfirmes don­nent les signes de vie, toutes les fois qu'on leur parle en yappliquant la bouche. Nous avons déjà observé que l'intuition estproportionnée à la liquidité du sang. Il est donc clair qu'étant plusgrande chez les cataleptiques que chez les époptes, elle doit aussi provoquerune intui­tion supérieure chez les premiers à celle des seconds.

Nous avons dit,à la vérité, que dans les épop­tes il faut, pour leur intuition, que lamajorité de leur sang soit extraordinairement liquide ; mais il faut remarquerque c'est cette majorité qui ajoute aux degrés de son intensité. Aussi uneintuition claire ne dérive pas de la quantité de sang liquide, mais del'intensité qui en résulte. En exigeant donc dans les époptes la majorité de lamasse de leur sang extraordinai­rement liquide, on ne cherche que ce degré deliquidité qui est susceptible d'intuition, et qui autrement ne se développepas.

Toutefois, dans toutévanouissement en géné­ral, l'âme n'a sur le corps qu'une action res­treinte,tandis qu'elle y a une action expansive dans le sommeil lucide.

Pour bien comprendrece que c'est que cette action restreinte et expansive de l'âme,il faut savoir que ce principe moteur n'agit pas de la mêmemanière dans l'état de sensations sur tou­tes les parties du corps. Ilagit plus particulièrement sur le cœur, sur le diaphragme, sur laglande pinéale, et sur quelques autres organes internes, que sur tout le restedu corps. Aussi toute impression externe qui serait légère ail­leurs,est toujours grave dans ces parties, appe­lées avec raison les parties nobles,parce que ce sont elles qui contribuent à la conservation de l'aptitudede la machine au mouvement vital.

5. — La simplicitéde l'âme n'empêche pas qu'elle n'agisse simultanément et à la foissur plusieurs lieux de son enveloppe. C'est pour ne s'être pas formé unejuste idée de sa nature, qu'on s'est occupé vainement dans les écoles d'endéterminer le siège précis. Ce qui est incons­criptible àl'espace peut-il être circonscriptible à un lieu ? Ce que le corpsn'enferme pas peut-il avoir un siège dans le corps.

Il est hors de douteque 1 esprit ne peut agir immédiatement sur la matière. Celle-ci ne semeut que par contact, et l'esprit étant simple, est hors d'état de toucher lescorps. Il n'agit donc sur eux que par. un intermédiaire qui, quoique matérielaussi, est néanmoins destiné par la nature à ce genre exclusif defonctions. Tels sont ces esprits animaux, ce fluide vital ou nerveux,dont nous avons déjà parlé plus haut, et dont nous parlerons plusamplement dans la suite. Toutefois, la manière dont l'âme agit sur lesparties nobles du corps, n'est pas la même que celle dont elle agit surle reste.

Une piqûre quiserait légère et imperceptible ailleurs, est toujours grave ou du moinspénible sur le cœur, sur le diaphragme, sur la glande pinéale. Cettedifférence fait voir que l'action de l'âme est plus directe sur ces parties quesur tout le reste du corps, et que là où elle est indi­recte, lesimpressions externes, dans la propa­gation de leur mouvement, perdent beaucoupde leur intensité primitive ; de sorte que souvent une impression égaleà quatre ne produit pas une sensation égale à deux.

C'est en raison decette inégalité des sensa­tions dans l'égalité des impressions externes, quenous appellerons immédiate l'action de l'âme sur les parties nobles ducorps, et médiate celle qui s'étend partout ailleurs, quoique dans larigueur du terme ce principe moteur ne puisse jamais agir immédiatement surla matière.

Dans le sommeillucide, l'action de l'âme est expansive, c'est-à-dire, immédiatesur toutes les moindres parties du corps qui sont exemptes de sang épais,et suivie de la restriction de sa liberté interne ; de sorte que ce principe,intel­ligent dans sa distraction, est autant étranger à toute sensationmême légère d'une impression vive, que dans son attention il estsusceptible d'une sensation vive de toute impression la plus légère. Lesépoptes donnent tous les jours des preuves évidentes de cette économie danstous leurs sommeils.

Toutefois, cetteaction expansive n'est pas aussi énergique dans le sommeil lucide surtous les corps, qu'elle l'est ordinairement sur les parties nobles dans l'étatde sensations ; parce que la circulation du sang qui s'y ralentit, force lesorganes internes de se relâcher de l'exercice de leurs fonctions habituelles,et que tout en donnant une nouvelle vigueur aux autres par­ties du corps, touten contribuant à restreindre la liberté interne, elle ne prive pas lecœur, le diaphragme, et la glande pinéale, du droit inaliénabled'entretenir dans la machine le mou­vement vital.

Dans lesévanouissements, l'action de l'âme est restreinte, c'est-à-dire immédiate,seulement sur le diaphragme, et peut-être aussi sur le cœur etsur la glande pinéale, mais elle est presque nulle sur les autres parties ducorps. Aussi les cataleptiques, dans leurs crises, sont-ils inaccessiblesà toute espèce de douleur dans le reste de leur corps. Chez eux,le sang ne cir­cule qu'avec une lenteur imperceptible en rai­son de sa densitéextraordinaire ; et ce motif suffit non seulement pour priver l'âme de sonaction expansive, mais encore pour la rendre étrangère auxperceptions correspondantes aux impressions que peut recevoir le reste ducorps.

6. —De cette différencede l'état physique entre les cataleptiques et les époptes, il résulte queceux-ci, malgré l'imperfection de leur intui­tion, peuvent se guérir de toutemaladie sans traitement, et que les premiers ont toujours besoin de médicamentseffectifs, quoique indi­qués par eux-mêmes. La raison en est déjàconnue : c'est la différence du sang qui ne se modifie pas de la mêmemanière aux ordres du directeur, ou, pour mieux dire, qui, dans lescataleptiques, est toujours rebelle à la modifica­tion voulue, en raisondu défaut d'exercice de leur liberté interne.

La liberté externedans notre sujet est une faculté de maîtriser au. gré du concentrateur tous lesmouvements libres et nécessaires du corps ; et la liberté interne est celle dereplier l'attention au gré des désirs et du besoin sur tout objet qui sourità l'esprit. La liberté externe dans ces êtres intuitifs est enraison inverse de la liberté interne, c'est-à-dire : plus la libertéexterne est étendue et plus la liberté interne est rétrécie, et vice versa. Ils'ensuit que la luci­dité est toujours en raison directe de la liberté internec'est-à-dire : plus la liberté interne est étendue et plus la luciditéest solide.

La liberté externene s'entrave qu'autant que s'affaiblit le commerce de l'âme avec le corps. Parlà, comme dans cette progression décrois­sante, l'âme, en se concentrantautant que pos­sible, se dégage du corps et prend son essor vers la jouissancede ses facultés spirituelles ; elle trouve sa liberté interne en oppositionavec sa liberté externe, et sa lucidité suit les degrés de la première.Voilà la raison pour laquelle les cataleptiques en crise, et en généraltoutes les personnes évanouies qui sont plus con­centrées que celles quidorment du sommeil lucide, sont plus exactes dans leurs annonces et plusentravées dans le mouvement de leurs membres que ces dernières.

Toutefois, laplénitude de la liberté interne n'est jamais compatible avec aucune de cesespèces de concentrations. Elle n'existe, ni ne peut exister hors del'état de parfaite jouis­sance des sens, ou de la pure spiritualité de l'âmeaprès sa séparation d'avec le corps. Même dans l'état desensations, elle est encore incom­plète, quoique suffisante pourêtre responsable du mérite et du démérite, comme nous le verrons dans lasuite. La liberté interne perd autant que l'âme s'écarte de son intuition puredans son union avec l'enveloppe qu'elle informe. C'est pour cette raison quenous avons déterminé dans la définition générale de la concentration, que c'estune abstraction des sens avec la res­triction de la liberté interne.

7. — La raison pourlaquelle la densité du sang dans les cataleptiques, et en général dans lespersonnes évanouies, contribue plus à l'abstraction des sens que saliquidité dans le sommeil lucide, peut être puisée dans la consi­dérationmême de la nature des deux concentra­tions. Le sommeil qui se divise enengourdis­sement, en assoupissement et en un sommeil proprement dit, esttoujours un état naturel ; et il appartient à la nature de conserverdans son intégrité, autant qu'il dépend d'elle, l'ouvrage qu'elle dirige etsurveille au milieu des vissici­tudes auxquelles il est assujetti. Mais puisquel'état naturel de l'homme est la jouissance des sens, la nature tâche que laconcentration dont elle est obligée de faire usage pour la réparation desforces perdues, ne dépasse pas les bornes de ses droits et de sa juridiction.Il faut donc que, quelque profonde que soit dans le sommeil l'abstraction dessens; elle se lie toujours, du moins indirectement, à l'état desensations. Aussi tout épopte, étant engagé à replier son attention surlui-même pour ce qui concerne ses annonces et ses décisions, garde auréveil une parfaite mémoire de tout ce qui lui a été recommandé pendant sonsommeil.

Cet effort n'estnullement compatible avec les cataleptiques et les personnes évanouies. Ils setrouvent en raison de leur position, hors des droits et de la juridiction de lanature indi­viduelle. Toute maladie qui entrave l'exercice des fonctions del'espèce humaine est toujours contraire au but de sa surveillance ; etpar là il est clair que l'intuition même dont ces maladesjouissent, appartient plus à la proximité de la séparation des deuxsubstances qu'à l'intimité de leur union. Quoique le danger n'y soit pastoujours imminent, il y a néanmoins toujours un isolement marqué entre l'âme etle corps.

La densité du sangqui le provoque ressemble plus à une coagulation générale de toute samasse, qu'à cette épaisseur qui est compatible avec l'état naturel del'homme. L'âme ne pou­vant agir que sur quelques parties du corps aveclesquelles se trouve interceptée toute corres­pondance régulière dureste, se voit abandonnée à elle-même. C'est dire que les sensexternes étant paralysés plutôt qu'engourdis, comme dans le sommeil ; que tout mouvementexterne étant suspendu ; que la respiration, la palpi­tation du cœur, lacirculation du sang deve­nant imperceptibles au point d'être considéréscomme arrêtées, l'âme tout en tenant encore, comme par un fil àson enveloppe, a l'appa­rence d'appartenir moins à l'ordre physiquequ'à l'ordre intellectuel.

8. — Je n'ai pasbesoin d'ajouter ici que les cataleptiques sont plus en état de soigner lesmalades que les époptes, en raison de la supé­riorité de leur intuition, etconséquemment de leur lucidité, mais non par ce prétendu rapport dont onn'a jamais su déterminer l'idée ; ou si on l'a déterminée quelquefois, on nel'a fait qu'en y attachant de nouvelles erreurs. Dans l'étude du sommeillucide, on a souvent adopté des mots, sans trop s'embarrasser des idées qu'ilsdevaient exprimer, ainsi que nous l'avons déjà fait observer dans unefoule d'autres dénomi­nations.

Ces êtresintuitifs n'atteignent pas les objets par leur sens comme l'espècehumaine dans son état de veille. La condition naturelle de l'homme exige qu'ilne puisse former l'idée de chacune des propriétés des corps que par les cinqsens qui y répondent. Le médecin, en tâtant le pouls d'un malade, n'y trouveprécisément que ce qui concerne le sens de palper ; c'est-à-dire, lacélé­rité ou la lenteur ; la force ou la faiblesse de la circulation du sang ;et il en conjecture ensuite la situation du malade et l'état de la maladie. Iln'entend sûrement pas le son par ce procédé ; il ne flaire pas l'odeur,il ne goûte pas la saveur, il ne voit pas la couleur, la quantité et lesdistan­ces ; parce que la connaissance de ces objets est un apanage exclusifdes quatre autres sens et non celui du palper.

Si les cataleptiqueset les époptes ne prennent pas connaissance des objets externes par les sens, maispar l'intuition, c'est-à-dire, par une faculté qui leur donne unejouissance simultanée des fonctions semblables à celle des cinq sens etau delà, sans distance ni de temps ni de lieux ; il est clair qu'ilsn'ont pas plus besoin de toucher un objet externe que de l'entendre, de leflairer, de le goûter, de le voir, pour Je connaître. Ils doiventl'atteindre tout aussi bien étant à plu­sieurs centaines de lieues d'euxque s'il était devant eux.

Ce qu'on a vouluentendre par le mot rapport n'est donc autre chose que la précision detout ce qui détermine un individu et le distingue de la masse générale del'espèce humaine. C'est pour cette raison qu'un tactile qui est imbibédes miasmes individuels fait connaître à ces êtres intuitifs unepersonne qui serait aux Anti­podes, comme si elle était en contact avec eux. Letactile ne devient équivoque qu'en raison du mélange de miasmes étrangers quioffrent à leur, esprit une personne pour une autre.

Les époptes surtoutne demandent à toucher les malades ou toute autre personne qui veulentles consulter que lorsqu'ils veulent fixer leur incertitude sur la précisiondes individus. L'es­prit des personnes abstraites des sens est beau­coup plusvacillant et volage que dans l'état de veille ; dans ce dernier état, il n'eststable et constant que par des efforts continuels.

9. — L'observationla plus importante que présenteront ici toutes ces considérations surl'abstraction des sens, est qu'il faut avoir recours à d'autresprincipes pour en expliquer la nature qu'à ceux qu'on puise directementdans les con­naissances sensibles. Développer le sommeil lucide, n'est pointune science qui appartienne au concentrateur. On sait que de tout temps lesenfants dans les collèges, les soldats dans leurs casernes, les matelotssur leurs vaisseaux, ont fait parler de leurs camarades, ou en touchant unepartie quelconque de leur corps, ou en leur adressant simplement la parole. Ilarrive même souvent que sous le léger attouchement des bar­biers et desperruquiers, on se sent entraîné à un doux sommeil, tandis que cesconcentrateurs, loin d'y penser, désirent au contraire que ceux qu'ils soignentprêtent toute leur attention à leur habileté et à leurstalents. La chose la plus épineuse est d'y savoir démêler la véritéd'avec l'erreur, et de la lier avec les principes égale­ment reçus par tout lemonde.

Il est certain queles êtres intuitifs ne voient les objets que par les espèces ; etil est également certain qu'ils lisent parfois la pensée d'autrui. Comment cequi n'a pas de forme sensible peut-il être accessible à uneintuition mixte ?

Il est certain queces oracles voient souvent une chimère pour une réalité ; de sorte qu'onpeut regarder comme une personne extrême­ment lucide celle qui dans centannonces réus­sit à dire dix vérités, même susceptibles d'in­terprétation.Comment connaîtra-t-on que, dans la solution d'une question posée, elle aprononcé de science certaine, d'autant plus que deux de ces êtresintuitifs, tout en annonçant une vérité réelle, sont rarement d'accord entre euxdans le sens de leurs énonciations?

Il est certainqu'une de ces personnes abstrai­tes des sens, étant même dépouillée detoute prévention, voit présent le passé, l'avenir et ce qui est àdistance de lieux, à moins qu'elle n'ait dans son esprit une échelle deleur mesure. Elle voit de la même manière qu'un curieux contempleun tableau qui retrace le commence­ment ; la suite et la fin d'une aventurehistori­que ; et le plus souvent cette représentation ne se lie pas avec sesidées de l'état de veille. Comment démêlera-t-on de ce chaos inextri­cablela vérité annoncée ?

Il est certain queces êtres intuitifs ne voient pas les lieux relatifs d'un objet donné, etcon­séquemment ils ne voient pas non plus son lieu absolu. Par là ilstrouvent souvent à gauche ce qui est à droite, et vice versa ;et s'ils voient un tout, ils n'en voient pas les parties, et vice versa. Mêmeils voient souvent les parties détachées de leur tout et vice versa. Commentconciliera­t-on ce genre d'existence avec les principes de l'expérience ?

Mille autresparadoxes de cette nature déri­vent de l'abstraction des sens : ils ne se lientpas directement avec les connaissances sensibles ; mais ils existent et exigentune explication, pour recommander la science et la prétendue puissance desconcentrateurs.

10. — Ce n'est pasici le lieu de développer tous ces étonnants effets de l'intuition mixte : nousremplirons dans la suite cette tâche qui entre dans les branches de notreentreprise. Mais nous observons ici qu'il est des personnes qui décidentpéremptoirement que cet état d'abs­traction des sens est un état d'aberrationet de démence, sans nullement se douter de leur igno­rance, et prétendent quec'est contre la raison, parce que c'est au-dessus de la raison. Quoiqueles faits mêmes démontrent, dans notre sujet, le sentiment qu'exprimentces mots sous la fas­tueuse dénomination de principe ; néanmoins il est utileici, pour l'honneur de la saine philoso­phie de relever toute l'absurditéqu'ils énoncent.

Ce qui est au-dessusde la raison est toujours une chose qui existe : et cequi est contre la raison, n'est qu'une chose qui répugne à exister.Dire donc que ce qui est au-dessus de la rai­son est contre la raison, c'esténoncer que ce qui existe répugne en même temps à exister.

C'est aussi énoncerune contradiction en sen­timent, d'après ce que nous avons déjàdit plus haut ; c'est-à-dire que la conception humaine ne peut pasêtre la mesure de l'existence d'une vérité; parce que la raison conçoit, ne répond qu'aux impressions qui frappent lesorganes externes ; et ces impressions existent parfois sans aucune action deleur part, d'après la nature de la condition humaine. Ainsi dans ce quemême la raison conçoit, elle conçoit quel­quefois une vérité pour uneerreur, et une erreur pour une vérité.

Le prétendu principe: Ce qui est au-dessus de la raison est contre la raison, n'est doncqu'une absurdité en termes et en sentiments. Il n'a été forgé que de la fausseconsidération de l'assimilation de l'inconcevable avec le con­tradictoire.L'inconcevable n'est tel que par le défaut d'aptitude de l'esprit ; au lieu quele contradictoire est inconcevable par les termes mêmes. Le premier estau second ce qu'est le genre à ses espèces ; c'est-à-direque l'inconce­vable embrasse le contradictoire avec d'autres espèces.

Ce n'est donc qu'enrestreignant la latitude de ce qui est inconcevable à ce qui est contra­dictoirequ'on conclut abusivement, contre tout principe de raisonnement que ce quiest au-des­sus de la raison est aussi contre la raison. Il y a cettedifférence entre l'un et l'autre ; c'est que l'idée du premier est positive enelle-même et négative en représentation, et que celle du second estnégative et en elle-même et en repré­sentation ; et c'est ce qui le rendinconcevable pour être absurde.

11. — L'idée du pointet de la ligne, chez les géomètres, est positive enelle-même et néga­tive en représentation, parce que dans la pre­mièreacceptation elle offre à l'esprit un principe des quantités positives, comme le commence­ment d'unelongueur sans étendue et une lon­gueur sans largeur ; et dans la seconde accep­tion,elle ne présente à l'esprit que l'absence de toute étendue et de toutelargeur.

Au contraire, l'idéedu néant et de l'absurde n'est en elle-même et enreprésentation que la conception de leur impossibilité d'exister, et par celamême de leur négation absolue.

Celui quiprétendrait déduire d'une négation relative une négation absolue, ne feraitqu'in­férer des prémisses affirmatives une conclusion négative. Si unpareil raisonnement est admis­sible dans la recherche de la vérité ou dans ledéveloppement de l'erreur, il n'y aura plus aucune circonstance où unediscussion contra­dictoire puisse être défectueuse dans l'un des deuxsens opposés.

Ce qui est au-dessusde la raison est donc si loin d'être contre la raison, qu'il est, au con­traire, conforme à la raison; parce qu'il la forcede reconnaître la restriction de sa conception. Elle sent qu'il est quelquechose qu'elle ne con­çoit pas : avouer que cette chose existe ou qu'elle peutexister, c'est précisément ce qu'on appelle une chose outre la raison ;et elle est à l'inconcevable ce que sont à peu près lestours de la jonglerie à l'admiration du vulgaire. Au lieu que ce qui estoutre la raison tient à la res­triction du génie de l'homme, dontles bornes sont marquées au seul coin du sensible.

Ainsi celui quiconclurait que Dieu, l'esprit, l'éternité et d'autres vérités de cette hauteur,sont des chimères parce qu'elles sont inconce­vables, ne ferait queprétendre que les causes précises du feu, de l'or, de l'électricité, dugalvanisme n'existent pas, parce qu'elles sont inconnues et conséquemmentinconcevables. L'ignorance qui n'est point invincible dans la recherche de cesdernières, et l'impossibilité qui ne peut pas être surmontée dansla concep­tion des premières, ne dérogent en rien à l'exac­titudede la similitude ; parce qu'au moment où l'esprit ignore les unes et neconçoit pas les autres, la raison est également dépourvue des moyens d'encombiner les rapports avec les principes démontrés.

La considération dela condition humaine même démontre donc que, pour saisir certainesvérités qui sont inconcevables, il faut avoir re­cours à une autreraison qu'à la raison commune.

12. — Mais ce quel'abstraction des sens développe est bien loin d'entrer dans la catégo­rie desvérités inconcevables, comme on le verra dans la suite ; et quoiqu'il soitmêlé de mille erreurs, il présente encore néanmoins plus de ressourcespour découvrir des vérités nécessaires, que le seul ministère des sens,étayé de la raison commune. C'est toujours un réservoir de lumièressublimes : avec de la peine, des pré­cautions et de l'adresse on peut toujoursy pui­ser ce qui manque au perfectionnement de toutes les sciences humaines ;parce que cet état n'embrasse rien moins qu'une science uni­verselle.

En morale, parexemple, ce que les philoso­phes avec faste et pompe nous étalent d'érudi­tion,se réduit simplement à une mesquine théo­rie des vertus et de leursramifications. Etait-ce là nous instruire de ce qu'est la source de lamoralité des actions humaines? Ce qui en est la nature est toute autre choseque ce qu'en sont les moyens. Pour notre utilité et pour le progrès desconnaissances naturelles, il fallait nous apprendre comment on devait s'y prendrepour s'en donner et pour s'en rendre la pratique fami­lière. Un vraiphilosophe qui doit expliquer les effets par les causes et les causes par leseffets, aurait par cet effort rempli sa tâche ; et en démontrant la liaison deces vertus avec le phy­sique de l'homme, il en aurait facilité l'exercice. Onaurait connu par ce travail que la moralité des actions qui dépend de laliberté, dépend aussi de la disposition de l'enveloppe, et qu'elle y estparfois si intimement liée, que celle-ci étant une fois dérangée de sasouplesse, affaiblit aussi l'arbitre et rend l'action nécessaire.

L'Evangile certesn'avait pas le but d'instruire les hommes dans les sciences naturelles, et ilest le seul qui, en ce qu'il fallait pour la pratique des vertus morales, aittouché, sans raisonner, la théorie de la moralité des actions humaines. Il secontenta de conseiller toute espèce de privations des sens, pourréprimer la chair, et il démontra par l'exemple de milliers de ses partisansque c'est la seule manière de faire prévaloir sur les passionsdésordonnées l'empire de la raison, étant surtout étayée de la pratique de sesmaximes.

Cette marche simplevers l'exercice des ver­tus morales n'avait assurément pas besoin du poids del'autorité divine pour être suivie comme certaine et infaillible : unregard réflé­chi sur la nature humaine suffisait pour la découvrir et pour ensentir l'utilité, la néces­sité et l'efficacité. Quelques philosophes avantl'Evangile avaient déjà   démêlé ce secret qui, pourêtre palpable, n'en était pas un ; mais ils en avaient si fort ignorél'application à l'usage et à la pratique qu'ils semblaient avoirpris à tâche d'outrager la nature.

13. — Entre autres,Brahma, législateur des Indes orientales, avait pressenti bien avant le divinfondateur du christianisme, que la morti­fication des sens était la seulerègle de la mora­lité des actions humaines. Il était persuadé quel'obéissance de la chair à la raison, étant surtout dirigée par despréceptes positifs, en était une suite nécessaire, et à son tour la sourcedes vertus morales. Mais ces armes utiles, maniées par une raison farouche, nepouvaient que tran­cher avec désavantage et sans ménagement. Une épée entre lesmains inexpertes d'un enfant peut-elle présenter plus de moyens de sûretéque de dangers ?

Aussi ce que celégislateur conseille à ses sec­tateurs pour la perfection desmœurs ou pour l'expiation des crimes, est si supérieur aux for­ces de lanature, que si les attestations répétées des voyageurs ne rendaient pas dignesde foi les pénitences volontaires ou canoniques des fakirs, on aurait de lapeine à croire que des hommes pétris d'os et de chair puissent se sou­mettreà un pareil genre de vie.

Je ne sache pas qued'autres philosophes qui se sont mêlés de la législation, aient tenu lejuste milieu qui brille tant dans le code de l'Evangile, pour inculquerà leurs prosélytes les moyens de pratiquer les vertus morales ; mais jesais que nul d'entre eux ne s'est avisé de pro­noncer sur ce qui attire leshommes moins vers la vertu que vers le vice. Il me semble qu'avant de donnerdes préceptes sur les mœurs, il fal­lait décider :

Pourquoi l'affluencedes délices asservit la raison ?

Ce que c'est quecette raison ?

Pourquoi étant lejuge du bien et du mal, elle n'est pas la même chez tous les hommes ?

Pourquoi elle a plusd'empire sur un corps énervé par les privations ?

En quoi consistentprincipalement les moyens de la rébellion de la chair contre l'autorité de laraison?

Si elle peut, cetteraison abandonnée à ses propres forces, avoir assez d'ascendant sur lecorps même énervé par les privations ?

La solution de cesquestions et d'autres qui y sont analogues, aurait appris à l'homme quela répugnance qu'il trouve entre son penchant et sa raison dans la pratique devertus morales, tient à une cause dépendante de son arbitre, et que,dans ce sentier délicat et épineux, tout ce qui l'asservit à sespassions est subordonné à son choix et à son option. Il aurait vupar là que les malheurs qui résultent de ses maux moraux sont tous sonouvrage propre, et que les plaintes qu'il élève contre son sort sont denouveaux crimes, dignes de nouveaux châti­ments.

14. — Je ne trouvepas non plus que les phi­losophes aient été plus heureux dans leurs recherchessur le physique que sur l'éthique. Dans l'optique, dans l'acoustique, dans laconnaissance du système cérébral, en un mot dans l'étude de chaquepartie de l'homme, ils se sont toujours   occupes de ce qui en fait l'objet plutôt que des sourcesrespectives qui en font les différences. Cette étude nous aurait désillé lesyeux sur la connaissance de son matériel, et, au lieu de nous rendre lestémoins passifs de ce qu'il a, elle nous aurait appris comment il en use. De lanégligence de ce soin il résulte que tout obstacle qui tend à provo­quersa destruction devient un sujet mystérieux à la science médicale. Lesmoyens que ses pro­fesseurs emploient pour le pénétrer, ne sortent plus de lasphère des conjectures, et s'opposent souvent à l'attente conçue.

L'anatomie engénéral, cette science dans laquelle on croit en Europe l'emporter sur tous lespeuples de la terre, n'est exacte qu'à s'enfermer dans les étroitesbornes que lui pres­crit sa précise étymologie. La dissection des cadavres nefournit à l'étudiant qu'une vaine nomenclature des parties du corpshumain. On croit y avoir appris tout ce qui constitue l'homme, quand on n'afait qu'encombrer la mémoire d'une foule de termes hétéroclites. Elle donne,à la vérité, l'idée des formes de toutes les parties qui composent lamachine humaine, mais nullement du jeu qui seul doit être le but del'étude et des recherches.

L'impulsion quedonne le principe moteur à la machine entière, nous conduirait,étant con­nue, à la science des moyens aptes à l'entretenir, sansinterruption, dans son mouvement, quand même des causes secondaires,malgré toute la vigilance et les précautions, en traverseraient la continuité.Mais cette attente ne peut avoir d'is­sue heureuse qu'en examinant l'harmoniede tous les membres d'un corps vivant ; et il y a moins loin de l'amalgamehétérogène de la fange au métal le plus pur, que d'un corps desséchéà un corps animé.

Le sort des peuplesqu'on appelle barbares en Europe, me semble de ce côté, plus digne d'envie quecelui des nations policées. Ils igno­rent certes la forme des parties quicomposent l'enveloppe humaine ; mais ils ne présentent pas à la vue,comme ces derniers, le hideux spectacle de tant de bossus et de tant de boi­teux,de tant de borgnes et d'aveugles, de tant de fous et d'imbéciles, de tant degoutteux et de paralytiques, de tant de sourds et de muets, et de tant de cesautres infirmes qui, sans avoir un caractère précis de leurs maux,souffrent cruellement pour la vie, avec la désespérante certitude d'êtreinguérissables.

Je ne sais commentils font pour jouir d'une santé constante et uniforme, mais il est certainqu'au milieu de leur stupide ignorance, le prin­cipe de la conservation desoi-même leur a fait connaître plus de moyens de se préserver des mauxordinaires qu'aux nations civilisées, qui cherchent ces maux avec des appareilsimpo­sants. Il faut pour le moins convenir que, dans son matériel, l'homme estle plus connu là où il est le moins étudié, que làoù l'on fait de grands efforts pour l'approfondir.

Si nous entrons dansles autres parties de la physique, nous n'y verrons que des hypothèsesau lieu de théories positives, et beaucoup plus de problèmes que dedémonstrations. Je con­viens que ce que la philosophie a fait est beau­coupplus qu'on ne devait en espérer, en raison des entraves et des difficultésinextricables qu'on rencontre dans cette carrière ; mais elle peut faireencore davantage à l'aide de l'état d'abstraction des sens, ou àcôté d'une foule d'erreurs la nature, en exigeant de l'homme- une étudesérieuse et une méditation profonde, a caché la clef de beaucoup de véritésutiles et lumineuses.

 

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