La médecine psychologique

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3. - La moralisation médicale

On peut réunir sous le titre de « moralisation médicale » un ensemble d'écoles qui se sont développées en Europe et en Amérique au début de ce siècle et qui ont pour caractère commun de traiter les malades par des raisonnements et par des exhorta­tions morales. L'expression la plus complète de ces doctrines, dans leur exagération même, me paraît contenue dans les ouvrages d'un médecin suisse, Dubois (de Berne), les psycho-névroses et leur traitement moral, 1904, L'éducation de soi-même, 1909.

 

Cette thérapeutique comprend d'abord une partie négative, car Dubois se montre sévère pour la plupart des traitements usuels : les diverses interventions chirurgicales à propos des affections du ventre ou des maladies des organes des sens lui semblent le plus souvent exagérées et fâcheuses. Les pratiques hydrothérapiques dont on a tant abusé ne trouvent pas grâce devant lui, les massages, les injections sous-cutanées, les traitements par les extraits d'organes, tout cela est traité de charlatanisme. « Il faut supprimer tout cela et s'avancer vers la maladie sans armes, sans médicaments, cela donne au malade plus de conviction qu'il n'y a pas de danger, ce qui est extrêmement important. La seule arme doit être la parole entraînante ».

Nous sommes donc réduits aux seuls traitements moraux, mais même parmi ceux-ci, il faut faire des exclusions. Bien entendu, les traitements miraculeux comme ceux de Lourdes, sont tournés en dérision. Mais surtout les critiques les plus sévères sont dirigées contre l'hypnotisme et la suggestion. L'essentiel du traitement consiste « dans une conversation intime et quotidienne qui vaut mieux pour le malade que les douches et que le chloral... le vrai médecin fait plus de bien par sa parole que par ses ordonnances... aussi doit-il se borner à s'asseoir près du malade pour le guérir par des entretiens moralisateurs ». Il est curieux de remarquer l'analogie de ces expressions avec celles de P.-P. Quimby et de Mrs. Eddy.

Quel va être l'objet de ces entretiens ? « Leur objet principal doit toujours être la raison et la vérité ». Mais encore quelle vérité allons-nous communiquer au malade ? « La vérité sur sa maladie qu'il faut lui faire comprendre : cela est très important, car il arrive avec des idées fausses sur les troubles dont il souffre... Par une discussion prolongée et infatigable, il faut lui démontrer son erreur : ni son estomac, ni son intestin, ni son cerveau, n'ont en réalité aucune lésion. Les troubles qu'il a constatés sont simplement des troubles fonctionnels, ils n'ont en eux-mêmes ni gravité, ni importance. L'essentiel, c'est de ne pas en tenir compte et de ne jamais parler de douleurs ni de sensations pénibles ». Au moins, les troubles moraux dont souffrent ces malades sont-ils plus sérieux? Pas davantage, « ce ne sont pas de vrais malheurs qui troublent leur âme, ce sont des riens, de petites contrariétés, des piqûres d'épingle de la vie : un peu de philosophie facile à inculquer suffit à rétablir l'équilibre mental ».

Prenons comme exemple le sentiment de fatigue dont les nerveux se plaignent constamment. Il est évident que ce problème de l'épuisement des névropathes qui, pour moi est si compliqué, est au contraire aux yeux de M. Dubois étonnamment simple. « Il ne s'agit que de fausses fatigues, de convictions de fatigue et non pas de fatigues vraies ». Au fond il n'y a rien de réel dans toutes ces maladies en dehors des idées fausses elles-même : le pauvre homme « est dans l'erreur », comme les malades de Mrs. Eddy.

Ce sont ces notions qu'il faut faire bien pénétrer dans la tête du patient. On y parviendra d'abord par notre attitude vis-à-vis des symptômes que l'on ne prendra pas au sérieux, que l'on ne traitera pas et surtout par la discussion persuasive : « La persuasion par la voie logique est une vraie baguette magique ». En même temps que l'on poursuit cette discussion médicale et psychologique, il faut éveiller dans l'esprit du malade l'idée de la guérison. Sans doute il peut paraître bizarre de parler de guérison à un individu quand on a commencé par lui prouver qu'il n'avait aucune maladie. Mais on peut lui accorder, comme Mrs. Eddy, qu'il avait l'illusion de la maladie et qu'il doit guérir de cette illusion. Il faut lui inculquer l'idée fixe qu'il guérira, il faut maintenir la fixité de cette idée jusqu'à la guérison complète.

Pour éviter les recherches il faut remplacer les idées absurdes des névropathes par de hautes pensées philosophiques. Il faut faire comprendre au malade « l'importance de la pensée, la puissance de son âme, la supériorité de l'esprit sur le corps. La morale est indispensable à ces malades, elle seule peut amener un changement profond dans leur mentalité ». Le petit livre, sur « l'éducation de soi-même » contient de belles pages sur la tolérance, l'indulgence, la modération, la pitié, la bonté ; ces excellents sermons écrits pour des malades seraient peut-être à mon avis encore plus utiles pour les individus bien portants. Dubois insiste sur le raisonnement, mais il y joint sans cesse l'action clé tous les sentiments ; il veut que l'on fasse constater au malade tout ce qu'il y a en lui de beau et de bon, que l'on obtienne sa confiance, « qu'on l'entoure d'une sympathie si vivante, si enveloppante qu'il aurait vraiment mauvaise grâce a ne pas guérir ».

Dans mon étude historique plus complète, j'ai montré qu'en Allemagne et en Suisse de nombreux auteurs exprimèrent à ce moment des pensées du même genre. Je rappelle seulement les excellents conseils de A. Forel. « Si on veut arriver autant que possible à une vieillesse heureuse, il faut avant tout ne jamais renier son optimisme, secondement ne jamais perdre son temps à ruminer sur le passé ni à pleurer ses morts, troisièmement travailler jusqu'à son dernier soupir afin de maintenir l'élasticité de son activité cérébrale ». On reconnaît dans ces ouvrages la même inspiration: la santé et le bonheur sont encore obtenus par « l'hygiène de l'âme», par le développement de l'intelligence et par l'exercice des vertus morales.

Des écrivains français, comme Déjerine, ont été les disciples immédiats du pro­fesseur, de Berne et n'ont fait que reproduire mot à mot son enseignement avec des modifications insignifiantes. Ce qui est plus curieux, c'est que la plupart des auteurs qui s'étaient rattachés avec enthousiasme à l'hypnotisme l'ont abjuré et se sont tournés avec le même enthousiasme vers cette nouvelle médecine morale. M. Bernheim lui-même répète maintenant que la suggestion n'est rien et qu'il n'a jamais voulu faire que de la persuasion. A une époque récente, tout traitement à la mode devait être fait par éducation rationnelle.

C'est encore aux États-Unis d'Amérique qu'il nous faut revenir pour trouver un développement plus original de la méthode de la moralisation. Mrs. Eddy avait voulu accaparer pour elle seule les idées de P.-P. Quimby sur le traitement moral. Mais plusieurs disciples de Quimby avaient conservé et développé cet enseignement sans se mettre à la remorque de Mrs. Eddy. Les travaux de W. T. Evans, de J. A. Dresser, de M. Wood sont devenus l'origine du « New thought movement » et de ses nom­breuses variétés. Plus récemment, cette forme de la psychothérapie a pris en Améri­que un développement bien plus considérable à la suite d'un fait assez inattendu, l'alliance qui a été établie entre les représentants de la religion et ceux de la médecine. Mrs. Eddy a réveillé les pasteurs et les médecins de leur inertie et de leur sommeil dogmatique. Le développement invraisemblable de la « Christian science » atteignait les églises constituées auxquelles il enlevait des fidèles et les médecins officiels à qui il enlevait des clients. La peur de l'ennemi commun fait les alliances les plus inattendues.

En octobre 1906, MM. Elwood Worcester et Samuel Mc Comb, recteurs de l'église Emmanuel, église épiscopale de Boston ont organisé ce qu'ils appellent « Emmanuel church health class » destinée au traitement des désordres nerveux. Ce qu'il y a d'original dans la tentative de l'église de Boston, c'est que le traitement des maladies pratiqué par des prêtres dans des temples, cesse pour la première fois d'être en antagonisme avec la thérapeutique des médecins décorés de diplômes officiels. Le mouvement Emmanuel se présente comme une association de pasteurs et de méde­cins. Ce caractère est bien manifeste dans les règlements officiels de l'œuvre rédigés par un comité où se trouvaient quatre médecins et par la collaboration active des médecins qui consentirent même à prendre la parole dans les temples.

Ce mouvement ne tarda pas à se développer, de l'église Emmanuel (le Boston il gagna un grand nombre d'autres villes, des livres importants furent publiés de divers côtés. Nous trouvons dans cette étude la préoccupation constante d'écarter les exagé­rations qui ont fait le ridicule de la Christian science, nous y trouvons aussi, plus que dans les ouvrages de Dubois, un intérêt plus grand accordé aux études des psycho­logues, des pédagogues, des criminalistes. Un point particulier appartient en propre à cette école, c'est la part considérable que l'on donne dans ce traitement aux exercices religieux. « Les services hebdomadaires, les réunions, les prières, les hymnes chantés en commun sont des exercices très fructueux... La plus haute forme de l'acte religieux est la prière qui ne sert pas seulement à obtenir les dons de Dieu, mais qui joue un très grand rôle par elle-même... La prière religieuse donne le calme et guérit l'inquiétude ».

Mal-ré leurs efforts pour se distinguer, ces théories psycho-thérapeutiques présen­tent une ressemblance curieuse avec celles de Mrs. Eddy. C'est au point de départ la même idée plus ou moins avouée que la maladie est une erreur ou une faute et que l'on peut en sortir par un enseignement ou une éducation morale. C'est la même négation du mal : Mrs. Eddy dit que le corps n'existe pas et Dubois répète que la lésion corporelle n'existe pas. La négation n'est pas plus logique dans un cas que dans l'autre, car, si mon corps n'existe pas, pourquoi me fait-il souffrir et si je n'ai aucune maladie, pourquoi suis-je un infirme et pourquoi dois-je me faire soigner ? C'est le même détournement de l'attention vers l'esprit et les conduites élevées. Vraiment l'ouvrage de bien des moralisateurs semble être le livre de Mrs. Eddy laïcisé.

Il y a cependant des différences importantes : la Christian science prétend tout guérir et ne distingue aucune maladie, les moralisateurs, bien qu'ils aient une concep­tion fort vague des psycho-névroses, ne s'attaquent qu'à des maladies spéciales dans lesquelles les idées du malade ont réellement un rôle important. Les erreurs dont parle la Christian science sont des erreurs philosophiques d'une importance douteuse, les erreurs que discutent les moralisateurs sont des erreurs de conduite et de croyance que l'on peut plus facilement modifier et dont la modification peut avoir des effets plus inintelligibles. L'idéalisme de Mrs. Eddy n'est qu'un moyen de supprimer la matière, les actes généreux et élevés que demande Dubois (de Berne) exigent de l'attention et de l'effort et doivent réellement développer la puissance morale. Il ne s'agit plus seulement de pensée vraie, il s'agit de pensée bonne, le bien moral s'ajoute à la vérité philosophique.

Mais surtout il y a un -rand progrès dans l'interprétation de la puissance mysté­rieuse qui agissait dans les miracles à l'insu des primitifs opérateurs et de leurs malades. Mrs. Eddy sait qu'il s'agit d'une puissance qui réside dans l'esprit, mais elle ne le révèle pas ; les malades qu'elle traite peuvent prendre au sérieux sa métaphy­sique et se figurer qu'il S'agit d'une puissance miraculeuse. Les malades de Dubois ne peuvent commettre la même erreur, car il leur explique parfaitement les forces qu'il essaye de mettre en oeuvre.

Sans doute on retrouve dans les deux doctrines l'influence du magnétisme animal, l'horreur de Dubois pour l'hypnotisme et les rages de Mrs. Eddy contre le magnétisme malicieux, ont le même point de départ. Mais les moralisateurs ont ajouté au magné­tisme le sentiment véritable de la religion et de la morale. Comme cela arrive souvent, c'est l'ouvrage le plus laïque en apparence qui contient le plus de sentiment religieux. Quelles que soient les insuffisances et les erreurs qu'il est trop facile de relever dans les théories de ces médecins moralistes, il ne faut parier de leur œuvre qu'avec respect et sympathie. Car ces hommes de grande valeur scientifique et morale ont entrepris une tâche difficile avec conviction et désintéressement et ils ont fait faire à la psychothérapie de grands progrès.

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