La médecine psychologique

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3. - Les interprétations inexactes

Ces conclusions générales ne sont d'ailleurs pas contestées sérieusement et personne ne nie que des influences psychologiques n'aient déterminé sur des malades dans des circonstances particulières des résultats excellents. Mais on se borne à accepter le fait sans lui accorder d'importance, sans admettre qu'il faille chercher à le reproduire, à l'utiliser. Sans doute la plupart des médecins font de la psychothérapie, mais ils la pratiquent sans le savoir ou, s'ils en ont une demi-conscience, ils préfèrent se mentir à eux-mêmes et se persuader qu'ils emploient des thérapeutiques entière­ment physiologiques.

La raison de cet ostracisme est peut-être le caractère incertain et aléatoire de ces thérapeutiques. J'ai proposé d'admettre que les sources miraculeuses guérissent quel­quefois, on m'accordera, je pense, sans discussion nouvelle, qu'elles échouent le plus souvent. Les malades qui ont été aux pèlerinages, qui ont imploré les Dieux avec les rites prescrits ou qui ont été magnétisés indéfiniment sans en ressentir aucun soula­gement, se comptent par millions ; la proportion des guérisons par rapport aux insuccès est extrêmement petite. En outre nous n'avons aucun moyen de savoir d'avance si un individu a plus de chance qu'un autre d'être guéri par un miracle. Il en est de même pour les traitements par la « Christian science » ; pour les traitements par la moralisation, les médecins semblent avoir l'impression que les traitements psychologiques réussissent par hasard et qu'il s'agit d'une loterie.

Cette explication ne me semble pas suffisante : beaucoup de traitements médicaux ou d'opérations chirurgicales présentent surtout à leurs débuts le même caractère aléatoire ; on sait fort bien que ce caractère diminue, sans disparaître entièrement, à mesure que l'opération est faite avec plus de précision, et que l'on a mieux déterminé les indications du traitement. C'est là le caractère essentiel, les psychothérapies ne sem­blent jamais susceptibles de présenter cette précision, ni de donner ces indica­tions. Leurs auteurs ne réussissent pas à indiquer exactement sur quelles lois ils s'appuient, ce qu'ils veulent obtenir, ce qu'ils redoutent. En un mot, les interprétations qu'ils présentent de leurs succès thérapeutiques sont toujours très vagues et souvent d'une fausseté évidente.

Les premières interprétations des guérisons miraculeuses ou magiques ne peuvent plus nous satisfaire. Pouvons-nous croire sérieusement que ces malades ont été guéris parce qu'ils ont dormi à côté de la statue d'Apollon ou parce que le magnétiseur leur a envoyé un fluide sortant de ses doigts sous la forme de flammèches bleues ? Suffit-il de nier le mal et de répéter que le corps n'existe pas, que « l'esprit est supérieur à un poisson, placé dans l'eau ou dans l'estomac » pour guérir les dyspepsies ? A-t-on apporté quelque preuve scientifique de l'action des aimants et des métaux sur le corps vivant ? N'a-t-on pas démontré au contraire que l'aimantation par un courant élec­trique, si elle est faite à l'insu du sujet, ne détermine aucune réaction ? Peut-on prendre au sérieux les constructions symboliques souvent grotesques qui donnent à tous les rêves une interprétation obscène et qui expliquent toutes les maladies par des métaphores sexuelles ?

Pour apprécier l'insuffisance des théories présentées par les psychothérapeutes, prenons comme exemple l'une des plus simples parmi les thérapeutiques, celle qui a paru avoir été accueillie le plus favorablement par les médecins, la moralisation médicale présentée par Dubois (de Berne) et soutenue par Déjerine. Sans doute sa haute valeur morale impose le respect, mais on ne peut dire que ses explications satisfassent l'intelligence. On se propose de guérir des malades en les instruisant et en les moralisant ; on admet qu'il suffit de leur apprendre la vérité médicale sur leur maladie et la vérité philosophique sur le monde, qu'il faut élever leur caractère, leur donner une belle conduite énergique et généreuse : ils seront guéris par surcroît.

Au point de vue moral c'est parfait, mais au point de vue médical est-ce bien intelligible ? Est-il donc bien certain qu'il faille savoir la vérité sur le mécanisme d'une maladie pour en guérir ? Combien d'hommes se sont rétablis de la rougeole ou de la fièvre typhoïde sans y comprendre absolument rien. Il n'en est pas de même, répondra-t-on, pour les troubles mentaux où l'idée qu'on a de la maladie influe sur la maladie elle-même. Rien n'est moins démontré, le psychiatre le plus compétent peut tomber dans une dépression grave et avoir des idées fixes, il ne s'en débarrassera pas mieux qu'un autre, même s'il en sait le mécanisme. Bien des malades atteints de mélancolie ont guéri tout seuls après trois mois sans aucune intelligence de leur trouble mental. Mais au moins est-il certain que les malades sont rassurés quand ils savent que leurs troubles est uniquement moral et qu'ils n'ont poins de lésion organique? Est-il certain que cette connaissance leur sera favorable ? Il n'est pas du tout certain que ce raisonnement suffise à lui seul pour les rassurer : bien des malades sont épouvantés à la pensée qu'ils ont des troubles mentaux et ils préféreraient avoir des troubles physiques et ensuite il va être très difficile de faire cette démonstration.

Vous voulez guérir les malades en leur apprenant la vérité sur leur maladie : mais quelle est cette vérité ? La connaissez-vous vous-même ? Dubois leur affirme que leur organisme ne présente aucune lésion, est-ce bien exact? Il y a peut-être des lésions que vous ne connaissez pas encore, une maladie fonctionnelle s'accompagne de lésions au moins transitoires. Il soutient que tout l'épuisement des psychasténiques dépend simplement de « l'idée même de fatigue » et qu'il n'y a au-dessous aucun épuisement réel : je me permettrai de faire observer que je n'en suis pas du tout convaincu.. M. Dubois démontre à une jeune fille paralysée que sa paralysie dépend uniquement d'une idée qu'elle a en tête. Je sais bien que c'est la mode aujourd'hui de dire que l'hystérique est malade parce qu'elle se met en tête d'être malade, ou parce que son médecin le lui a mis en tête ; c'est évidemment assez simple, mais est-ce bien la vérité ? il y a encore des gens qui en doutent. On pourrait le répéter indéfiniment : il n'y a pas une explication psychologique de M. Dubois qui ne soit très contestable et qu'un malade un peu averti ne puisse contredire.

Aussi ne se contente-t-on pas de cette prétendue vérité médicale, on se hâte d'en­seigner au malade des vérités de philosophie générale et on choisit pour cet ensei­gnement une forme de philosophie rationnelle résumée aujourd'hui dans les manuels du baccalauréat. Pourquoi cette philosophie-là, déjà un peu vieillotte, doit-elle suffire pour donner le calme et le bonheur à tous les esprits ? Autrefois Lucrèce a présenté dans des vers superbes le matérialisme d'Épicure comme la consolation suprême des esprits malades et des âmes inquiètes. Toutes les philosophies successivement ont prétendu jouer ce rôle, pourquoi choisir celle-ci comme une panacée ? Pourquoi déranger les convictions religieuses de celui-ci ou le matérialisme tranquille de celui-là ? Etes-vous bien sûr que votre manuel classique leur apportera plus de foi et plus d'espoir ?

Allons plus loin, les convictions ne sont rien sans les actes : c'est la conduite du malade qu'il faut réformer dans son ensemble. Il faut lui apprendre à vivre une vie qui mérite d'être vécue et pour y parvenir il faut lui enseigner une sorte de stoïcisme mitigé de charité chrétienne. Cette morale va transformer sa volonté dans son ensem­ble : ce changement profond de la moralité supprimera indirectement tous les accidents, car il est évident qu'une volonté parvenue à ce haut degré de supériorité ne permettra plus de telles défaillances.

Au point de vue théorique cela me semble superbe, au point de vue pratique cela me laisse inquiet. Sans doute il est toujours utile et juste de transformer un paresseux timoré en un travailleur courageux, un égoïste en un homme généreux et cette trans­formation doit avoir les plus heureux effets sur les symptômes pathologiques. Mais c'est là une bien grande œuvre qui ne me semble pas toujours possible et qui heureu­sement n'est pas toujours nécessaire. Est-ce là que le malade nous demande quand il vient nous prier de le débarrasser d'un tic, d'une insomnie, d'une douleur d'estomac ? Est-ce là notre rôle à nous autres simples médecins ; en avons-nous le temps et les moyens ? Il serait facile de démontrer que l'alliance entre le médecin et le prêtre telle qu'elle semble avoir été réalisée à Boston dans « l'Emmanuel movement », est bien peu raisonnable et qu'elle est malgré les apparences aussi fâcheuse pour le prêtre que pour le médecin [10].

Tous ces enseignements semblent se rattacher à une très antique croyance qui faisait autrefois de la maladie un péché et une erreur. Dans les anciennes civilisations la maladie était un mal moral parce qu'elle rendait le malade inutile à la société et dangereux pour la contagion, on le tuait ou on le repoussait de la tribu. Les hommes ont longtemps conservé cette vieille idée et nous avons encore de la peine à nous défendre d'une répulsion contre les maladies infamantes. Plus tard les mœurs se sont adoucies ; le malade n'a plus été brutalement coupable, mais il a encore été légère­ment coupable, comme on l'est quand on se trompe par insuffisance d'attention ou d'instruction préalable : la maladie est devenue une erreur. Cette idée domine dans la « Christian science » et les journaux scientistes écrivaient sérieusement que Mrs Eddy « a été dix jours dans l'erreur » quand elle mourait d'une pneumonie des vieil­lards. Dubois semble en être resté au même point, car à chaque instant il parle d'erreur et il traite en réalité ses malades comme s'ils étaient simplement dans le péché et dans l'erreur. La science médicale d'aujourd'hui ne peut évidemment plus se placer au même point de vue et il en résulte un sentiment perpétuel de malentendu quand nous lisons les admonestations de ces médecins moralisateurs.

On peut être étonné que nous ayons attribué aux diverses psychothérapies des guérisons remarquables et que nous trouvions cependant leurs interprétations si vagues et si peu raisonnables. Cela ne me paraît pas contradictoire : quand ils expo­sent leur système thérapeutique les auteurs essayent d'interpréter des faits d'observa­tion qui sont leurs propres traitements et les résultats apparents. Les faits observés sont exacts, mais la théorie qu'ils en donnent est inexacte ou du moins fort incom­plète. Ils ont réussi en fait à guérir certains malades, mais ils ne se rendent pas compte de ce qu'ils ont fait et ils attribuent leur succès à un détail qui a peut-être joué un rôle insignifiant. Leur mauvaise interprétation jette une ombre défavorable sur le traitement lui-même.

Il est facile de comprendre cette importance de l'interprétation scientifique des guérisons même réelles. La simple constatation d'un phénomène ne permet pas son utilisation : les applications scientifiques, les prévisions, les reproductions dépendent non de l'observation, mais de la connaissance de la loi, c'est-à-dire de l'interprétation. On peut obtenir des succès pratiques avec des procédés mal compris, mais on ne peut en aucune façon prévoir ces succès, ni les reproduire. On ne peut pas progresser en passant d'un cas à un autre, ni profiter de l'expérience, on se borne à compter sur des séries heureuses et si les séries sont trop mauvaises on se console en disant comme Dubois (de Berne) que c'est la faute des malades qui sont décidément trop aliénés.

Si nous ne pouvons pas progresser nous-mêmes sans interprétation correcte, à plus forte raison ne pouvons-nous pas enseigner aux autres. Comme votre succès dépend d'une foule de choses que vous ignorez et peut-être d'une foule de choses qui vous sont personnelles, de votre taille, de votre barbe ou de votre son de voix, vous ne savez pas ce qu'il faut enseigner aux élèves pour qu'ils réussissent de la même manière. Vous leur expliquez vos théories, c'est-à-dire la partie la plus insignifiante et la plus fausse de votre étude. S'ils essayent ensuite d'appliquer ce que vous leur avez enseigné en l'exagérant bien entendu et en supprimant l'essentiel que vous ne leur avez pas dit, ils seront simplement ridicules et ils discréditeront vos méthodes. C'est là la difficulté essentielle des psychothérapies. Les interprétations superficielles et inexactes ont arrêté l'évolution de procédés de traitement qui en eux-mêmes présen­taient de la puissance et de l'utilité.

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