La médecine psychologique

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4. - La puissance de l'esprit

Cette insuffisance des explications tient à une chose que l'on ne soupçonnait guère au début, à la complexité des faits et des lois qui interviennent dans ces traitements et dans ces guérisons. Il est facile de s'en rendre compte en jetant les yeux sur l'évo­lution des idées qui a fait naître la psychothérapie.

Le point de départ a été l'observation des guérisons miraculeuses ou magiques. Peu à peu on est arrivé à soupçonner que ces faits malgré leur apparence capricieuse n'échappaient pas à tout déterminisme. Charcot, dans son étude remarquable sur « la foi gui guérit [11] », a bien montré que ces guérisons miraculeuses se présentaient toujours dans des conditions à peu près semblables. Il est facile de retrouver dans les différents pays et dans les différentes époques de l'histoire les mêmes circonstances extérieures, le même personnel, les mêmes pratiques imposées aux malades. J'ai eu l'occasion de montrer que l'on retrouve les mêmes faits dans le magnétisme animal. Cette communauté de pratiques, disait Charcot, persistant au travers de tant de siècles et de tant de peuples différents a sans doute une grande signification. Elle prouve que le miracle n'est pas aussi arbitraire, aussi libre qu'on pourrait le croire et que, tout miracle qu'il est, il est soumis à des lois qui sont restées immuables. En réalité le miracle n'est pas plus arbitraire que la foudre ou que la lumière électrique que les anciens attribuaient aussi à des Dieux. « Il nous faut pénétrer le déterminisme de ces nouveaux faits, de ces phénomènes naturels qui se sont produits partout, il nous faut faire la science du miracle afin de le reproduire à notre gré. »

C'est fort bien, mais cette science est difficile à construire et elle s'édifie lente­ment. De bonne heure on a remarqué le rôle que jouent dans ce déterminisme les pen­sées et les sentiments des malades et on a soupçonné qu'il s'agissait d'une puissance particulière dépendant de l'esprit humain. Galien disait déjà : « Les temples d'Esculape nous fournissent la preuve que beaucoup de maladies graves peuvent gué­rir uniquement par la secousse qu'on donne à l'esprit ». Les pratiques qui ont été reconnues utiles pour la réalisation du miracle, les longs voyages en pèlerinage, l'attente prolongée, les récits merveilleux, l'exaltation religieuse, les séances publi­ques, l'émotion causée par le merveilleux et le terrible, etc. sont des causes certaines de grandes perturbations psychologiques. Enfin, plus récemment, les études sur un fait psychologique assez particulier, le phénomène de la suggestion, sont venues montrer que l'on pouvait dans certains cas par des procédés nettement psychologiques réaliser des faits très comparables à ceux que l'on observait dans les guérisons miraculeuses. De toutes ces remarques on a conclu que c'était dans le domaine de la psychologie qu'il fallait chercher le déterminisme des miracles et les moyens de produire plus régulièrement les mêmes effets.

Ces remarques ont amené un premier progrès : au début, l'opérateur, prêtre ou magicien ne se doutait pas plus que le malade de la nature des puissances que l'on essayait de mettre en œuvre. Plus tard l'opérateur au moins comprit qu'il utilisait des forces morales et se comporta en conséquence : on constate déjà cette évolution dans les interprétations de certains magnétiseurs. La notion du pouvoir de la pensée forme le fond de l'inspiration de P. P. Quimby, le maître de Mrs Eddy, elle domine dans les pratiques de la « Christian science » et dans beaucoup de psychothérapies du même genre.

Avec la moralisation médicale nous faisons un pas de plus : non seulement l'opé­rateur mais le malade lui-même se rend compte qu'il s'agit uniquement de la pensée, qu'on agit sur elle, qu'on cherche à la modifier et que l'on compte sur elle pour « guérir le corps par l'esprit ». Peu à peu la notion du rôle de la pensée dans la maladie et dans la santé s'est dégagée et s'est précisée. Le livre célèbre de Hack Tuke sur « le corps et l'esprit » exprime bien l'opinion à laquelle on était généralement parvenu. L'auteur est satisfait quand il a mis en évidence l'action d'un phénomène moral, quel qu'il soit, et il ne cherche guère à préciser davantage. On se borne à admettre d'une façon générale l'action de l'esprit et on la reconnaît puissante. Cette force une fois reconnue on veut l'utiliser immédiatement telle qu'on la conçoit, com­me une force simple que l'on peut manœuvrer tout entière dans son ensemble.

Sans doute les diverses psychothérapies semblent préciser un peu plus et en apparence font appel à des phénomènes psychologiques différents. Les uns parlent de la foi, de la croyance, de la vérité : ils ont imaginé que la pensée puissante était la pensée vraie, la pensée philosophique et métaphysique et ils guérissent par l'idéalis­me. Les autres parlent de la pensée logique et rationnelle, de la pensée bonne et ils guérissent par le raisonnement et par la morale. Ceux-ci soutiennent qu'il s'agit de la puissance de l'imagination, ceux-là de la force de « l'expectant attention ». Mais ces diverses dénominations ne correspondent pas à des phénomènes psychologiques différents : elles viennent au hasard sous la plume des auteurs suivant leur instruction, suivant les notions psychologiques vagues dont ils ont entendu parler. En réalité les psychothérapeutes emploient ces différents mots pour se distinguer les uns des autres, bien plus que pour distinguer les faits : ils veulent montrer qu'ils ont trouvé une méthode nouvelle de traitement, pour ravir la clientèle au prédécesseur. Mais ils font tous à peu près la même chose et essayent d'exploiter la force de l'esprit dans son ensemble simplement parce que c'est une force psychologique.

Il y a là une grande erreur : les phénomènes psychologiques qui interviennent sont en réalité fort complexes et différents les uns des autres. Il suffit de réfléchir aux influences qui agissent dans les guérisons miraculeuses pour le comprendre ; les études sur la suggestion ont montré que l'on pouvait dans certains cas reproduire par ce procédé des faits comparables aux précédents et on a voulu un moment tout expliquer par ce phénomène particulier. Les partisans de l'interprétation religieuse ont protesté et se sont efforcés de démontrer que toutes les guérisons miraculeuses ne pouvaient pas s'expliquer par la suggestion. La discussion a été souvent gâtée par leur ignorance complète de la nature de la suggestion. Mais peu importe, je leur accor­derais volontiers qu'ils ont en partie raison et que tous les phénomènes psychologi­ques qui interviennent ici ne sont pas des suggestions. La foi religieuse, la foi à la science, même quand il s'agit de pseudo-religion et de pseudo-science avec tout ce qu'elles contiennent d'espérances démesurées et de tendances puissantes doit évidem­ment jouer un grand rôle. Le respect instinctif pour la richesse, pour la puissance a fait que les rois, comme les prêtres ont pu guérir des malades. Le voyage, la fatigue, l'étrangeté du milieu, le changement d'hygiène physique et morale, des chocs émo­tionnels de toute espèce, l'influence de l'opinion publique manifestée par la réputation du remède et l'action si puissante et si peu connue de la foule, tout cela a agi sur l'esprit des malades. Zola le dit très bien dans sa peinture de Lourdes : « Auto-sugges­tion, ébranlement préparé de longue main, entraînement du voyage, des prières, des cantiques, exaltation croissante et surtout le souffle guérisseur, la puissance inconnue qui se dégage des foules dans la crise aiguë de la foi ».

Parmi toutes ces influences je voudrais en signaler particulièrement une qui me paraît importante, quoique peu connue, et que nous retrouverons plus tard, c'est l'excitation nerveuse et mentale procurée à un individu par le rôle qu'on lui fait jouer. On commence seulement à comprendre que bien des maladies physiques aussi bien que mentales sont déterminées par la dépression des forces nerveuses et que cette dépression est entretenue par toutes les tristesses, par toutes les inactions. Que de gens sont malades parce qu'ils n'ont rien à faire d'intéressant, parce que leur vie est vulgaire, plate et monotone, parce qu'ils n'ont pas d'espoir, pas d'ambition, pas de but dans la vie, parce que personne ne s'intéresse à eux et qu'ils n'envisagent pas le moyen d'intéresser jamais personne. Prenez un individu de ce genre et faites lui comprendre qu'il va être le miraculé de la Sainte Vierge, que la divinité toute puissan­te le choisit au milieu de milliers d'autres hommes pour lui faire une grâce particu­lière et bien visible, qu'il va porter en lui la preuve vivante de la vérité de la religion et servir au salut éternel d'un siècle impie. Prenez une petite femme qui s'ennuie, sans intérêt et sans rôle dans la vie, et faites lui comprendre qu'elle va devenir une som­nambule extra-lucide, capable de traverser par la pensée le temps et l'espace, d'éton­ner les hommes et de les combler de bienfaits ; faites-lui comprendre qu'elle va collaborer avec un homme supérieur, à qui elle donnera son temps, sa vie, un peu de son amour pour qu'il fasse grâce à elle un livre merveilleux qui sauvera l'humanité. N'est-il pas évident que ces individus vont être transformés moralement et physique­ment, sans qu'il soit nécessaire de faire appel à la puissance des Dieux ou à l'action du fluide. Voilà quelques-unes des influences psychologiques qui interviennent dans les miracles et il est bien probable qu'il y en a encore bien d'autres que nous ne savons pas analyser.

La même réflexion peut être faite à propos d'autres méthodes psychothérapiques ; dans les bons effets de la moralisation médicale le raisonnement logique dont parle Dubois (de Berne) doit avoir, nous l'avons vu, une bien petite part. Un grand nombre d'autres actions psychologiques interviennent puissamment. Il y a d'abord le voyage, le déplacement et dans d'autres cas la démarche singulière qui consiste à aller cher­cher une consultation médicale dans un temple. Il y a dans beaucoup de ces traite­ments l'isolement, le repos au lit, la discipline. Ajoutons d'autres influences morales, la menace par exemple et même la punition, car on enferme ces malades, on leur laisse entendre que leur isolement sera plus ou moins Ion 'a selon leur conduite, dans certains cas on les laisse s'ennuyer entre quatre rideaux et on leur refuse même un livre à lire ou un travail à faire, s'ils ne se modifient pas ou s'ils n'ont pas l'air de se modifier. Je ne critique pas le procédé, je fais seulement remarquer que ce n'est pas du pur raisonnement et qu'il y a là une autre influence que celle de la logique. Nous voyons encore des procédés purement éducatifs, comme la répétition monotone des mêmes choses au même moment de la journée, des exercices d'attention en faisant écouter tous les jours une petite leçon de philosophie, des excitations variées, car on fait comprendre au malade qu'on le juge intelligent, capable de ne se guider que par la raison ; on doit même chercher, comme Dubois le recommande justement, à exalter ses qualités, à relever le malade dans sa propre estime. Il y a encore l'exemple même du médecin qui paraît ferme et convaincu: ces malades douleurs qui n'ont jamais cru à rien doivent certainement être impressionnés en voyant un homme aussi convaincu de la philosophie de Leibniz. Il y a même de la suggestion dans ces traitements, malgré l'horreur qu'éprouve Dubois pour ce procédé : il est bien difficile d'éviter abso­lument le développement des phénomènes automatiques qui se produit dans l'esprit du malade à l'occasion de notre personne ou de notre parole. Cette thérapeu­tique n'est donc pas du tout, comme se le figurent ses théoriciens, purement ration­nelle : elle fait appel à la raison et aux sentiments, et aux passions, et à l'automatisme, et à tout ce que l'on voudra. Elle cherche à utiliser tous les faits psychologiques pêle-mêle, simplement parce qu'ils sont psychologiques et qu'on a reconnu d'une manière générale la puissance de la pensée.

On peut rappeler à ce propos de ces psychothérapies générales le souvenir d'un vieux médicament qui a joué un grand rôle au Moyen Age, la thériaque. C'était un médicament universel que l'on pouvait employer dans tous les cas possibles, parce qu'on y faisait entrer par centaines toutes les substances actives que l'on connaissait. On faisait avaler le tout au patient dans l'espoir que la maladie, quelle qu'elle fût, saurait trouver dans ce mélange ce qui lui convenait. Les méthodes de thérapeutique que je viens d'étudier me semblent identiques à une sorte de thériaque psychologique, qui évoque pêle-mêle tous les phénomènes psychologiques, qui fait appel à toutes les opérations mentales chez tous les malades quels qu'ils soient, en espérant que chacun d'eux saura dans cet amalgame découvrir ce qui lui convient. Cela arrive quelquefois et les thériaques psychologiques ont eu certainement des succès. Mais il ne faut pas être étonné si elles ne réussissent pas toujours et si de pareils traitements sont considérés par la science officielle comme des loteries.

Ce caractère d'un certain nombre de psychothérapies ne leur est pas propre, il s'est présenté exactement le même à un certain moment de l'évolution de toutes les sciences : les physiciens ont voulu se servir de l'électricité avant d'avoir distingué ses phénomènes et ses lois. Ils obtenaient de temps en temps quelques résultats, mais ils ne pouvaient rien prévoir et ils ne pouvaient pas enseigner les méthodes pratiques. La physique a dû analyser les phénomènes électriques et non décrire l'électricité en général sous des noms différents. La psychothérapie ne pourra se développer que si les psychologues découvrent dans les méthodes précédentes ou dans d'autres plus récentes des notions sur les forces de l'esprit plus précises et plus fécondes.

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