La médecine psychologique

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1. - Le mécanisme de la suggestion

Dans mon petit livre sur « les névroses », 1909, qui fait partie de cette même collection, j'ai déjà étudié la suggestivité des hystériques, cette disposition à présenter d'une manière exagérée le phénomène de la suggestion, p. 297. Dans mon livre sur « les médications psychologiques », I, p. 137, j'ai consacré une longue étude aux observations et aux interprétations de ce phénomène, il suffit de résumer ici les conclusions de ces travaux.

Considérons quelques cas typiques de suggestion en choisissant les phénomènes les plus simples qui se présentent spontanément et accidentellement au cours des névroses avant d'étudier les suggestions expérimentales ou thérapeutiques qui sont les plus complexes et les plus susceptibles d'une fausse interprétation. Un jeune homme de 19 ans, Nof... entrait de temps en temps dans certains états bizarres et quand il était ainsi troublé il devenait incapable de résister aux tendances que faisaient naître en lui certaines impressions. Ainsi, comme il le raconte lui-même et comme l'ont observé ses parents, il passa un jour pendant un de ces troubles devant une boutique de chapelier et se dit à lui-même: « Tiens, c'est une boutique de chapelier où on achète des chapeaux », et il acheta un chapeau dont il n'avait aucun besoin. Un autre jour, étant dans le même état, il passa devant la gare de Lyon et se dit : « C'est une gare de chemin de fer, on y entre pour y voyager », il entra dans la gare et lisant sur une affiche le nom de Marseille, il prit un billet pour Marseille, monta dans le train et ne put reprendre conscience de l'absurdité de ce voyage et descendre du train qu'à Mâcon.

Mye, jeune fille de 18 ans, a eu une grande dispute avec son père à propos de ses fiançailles, elle a parlé très haut et a crié fort longtemps, si bien qu'à la fin elle avait la voix rauque. Elle se plaint à sa mère en sanglotant que cette querelle l'a rendue malade, car elle a dû certainement se casser une corde vocale. Depuis ce moment elle est aphone et par moments complètement muette. La parole ne revient que la nuit pendant les rêves et quelquefois le jour, pour un court moment, quand elle se met de nouveau en colère ; mais dès qu'elle s'observe consciemment, elle ne peut plus articuler un mot à haute voix.

Le problème psychologique de la suggestion consiste à dégager de ces faits des caractères communs et essentiels. Un premier groupe de réponses présente une grande importance au point de vue historique, car il contient les opinions les plus répandues et à mon avis les plus fâcheuses qui ont le plus contribué à embrouiller ces études. Il s'agit des définitions de la suggestion qui dans les faits précédents ne relèvent qu'un seul caractère, le caractère psychologique ou moral du phénomène et qui refusent de rien préciser davantage. On peut placer cette conception sous le patronage de M. Bernheim, qui au moins dans ses premiers ouvrages, a cherché à donner au mot suggestion une étendue illimitée. Pour lui ce mot semblait un synony­me des anciens termes généraux « pensée, phénomène psychologique, fait de con­science ». Cette conception a pu être utile au début et a contribué à mettre en évidence le caractère psychologique du phénomène, mais si elle était conservée elle enlèverait tout intérêt aux traitements par la suggestion qui se confondraient alors avec les traitements précédents par une moralisation quelconque et ne nous apporte­raient aucune indication plus précise. En réalité elle est fort inexacte : il est facile de montrer que ce mot a toujours été appliqué à un phénomène particulier et très précis. Il faut éliminer de même des définitions analogues qui confondent la suggestion avec l'incitation au sentiment, l'éveil de la pensée ou l'association des idées. Il ne faut pas non plus confondre la suggestion avec l'erreur ou avec l'émotion. La suggestion peut être accompagnée d'émotions, elle peut se développer à la suite d'émotions, mais elle ne doit pas être confondue avec l'émotion.

Dans mes premiers travaux sur la suggestion j'ai insisté sur deux points ; j'ai essayé de montrer d'abord qu'il fallait considérer ces phénomènes au seul point de vue de l'action et ensuite qu'il fallait considérer le caractère incomplet, inachevé de ces actions. Les sujets agissent toujours dans toutes les suggestions, même dans les suggestions dites négatives, où ils prennent certaines attitudes caractéristiques qui sont encore des actions. Mais il est facile de voir même dans les observations que je viens de résumer combien ces actions sont défectueuses. Nof... achète un chapeau ou monte dans un chemin de fer comme il l'a déjà fait autrefois, mais il ne tient pas compte de ce détail important c'est qu'il n'a en ce moment aucun besoin d'acheter un chapeau ou de- monter dans le train de Marseille : l'action manque tout à fait de précision et d'adaptation au présent. Cette maladresse nous frappe d'autant plus qu'elle n'est pas en rapport avec la conduite ordinaire du sujet ni avec son instruction ou son expérience passée. Nous sommes étonnés de la sottise de ces personnes et nous disons que c'est pousser bien loin la distraction. Les malades le remarquent comme nous, quand ils sont sortis de l'état bizarre qui a accompagné ces actions : « Comment ai-je pu faire de pareilles sottises, mois qui d'ordinaire suis si économe... Comment ai-je pu me figurer qu'en parlant à mon père dans une chambre je me suis cassé une corde vocale, je n'avais pas de sang dans la bouche et je ne souffrais pas du tout... » C'est à cause de cette maladresse caractéristique que les actes suggérés sont si souvent des erreurs. Les actes ne sont pas non plus d'accord avec les sentiments per­sonnels du sujet : il est singulier de voir un individu accepter rapidement et affirmer avec conviction des choses qui sont en opposition avec le caractère, les goûts, les croyances que nous lui connaissions auparavant ; il est lui-même étonné de ce qu'il vient de faire et il ne peut croire qu'il soit en train d'accomplir ce qu'il refusait l'ins­tant précédent. Enfin quand l'acte suggéré est terminé on observe souvent un fait que Beaunis a bien décrit l'un des premiers, c'est l'oubli de la suggestion et de son exécu­tion. Ce sont ces observations qui m'avaient conduit à cette conception générale : « La suggestion est une réaction particulière à certaines perceptions, cette réaction consiste dans l'activation plus ou moins complète de la tendance évoquée, sans que cette activation soit complétée par la collaboration du reste de la personnalité. »

Dans mon dernier travail je crois avoir précisé un peu plus : Il s'agit toujours d'actions en rapport avec le langage, de ces liaisons entre le langage et l'action des membres qui caractérisent la volonté et la croyance et que l'on peut appeler des assentiments [12]. Mais il ne s'agit pas de l'assentiment réfléchi dans lequel la volonté et la croyance ne sont complètes qu'après une certaine période de délibération et de raisonnement. L'examen des motifs, l'évocation et la comparaison des autres tendan­ces favorables ou défavorables sont très incomplets ou même font absolument défaut. On connaît ces individus incapables de soutenir une discussion, qui s'arrêtent tout d'un coup, soit en répétant avec colère leur propre opinion, soit en paraissant accepter complètement sans modification celle de l'adversaire. Il se passe quelque chose de semblable dans la discussion interne, le sujet abandonne tout d'un coup la délibéra­tion ou le raisonnement inachevé et donne son assentiment complet à l'une ou à l'autre des idées exprimées suivant la force que le hasard lui donne à ce moment. C'est un retour brusque à l'assentiment immédiat, mais après un début de réflexion qui reste inachevé.

Il y a en effet au-dessous de la réflexion une forme primitive de l'assentiment qui existe seule dans la pensée des primitifs, qui constitue encore aujourd'hui la seule activité volontaire de ceux que l'on appelle les débiles mentaux. Chez eu la tendance évoquée sous forme verbale lutte simplement contre les autres tendances éveillées au même moment par les circonstances et suivant son degré de force ou de tension l'emporte sur elles ou se laisse inhiber, c'est-à-dire drainer par elles. L'acte d'affir­mation ou de négation vient simplement constater et certifier sa victoire ou sa défaite sous une forme particulière : « on veut et on croit ce que l'on désire ». Toutes les influences qui dépendent des actions extérieures à ce moment, de l'autorité des personnes présentes, de l'expérience antérieure du sujet peuvent selon le hasard des circonstances jouer un rôle pour diriger l'assentiment dans tel ou tel sens. J'ai décrit des débiles de ce genre à qui on pouvait faire croire toutes les absurdités, car ils affirmaient ou niaient n'importe quoi suivant la poussée du moment, sans se soucier des difficultés ou des contradictions. Chez eux la volonté et la croyance n'existent que sous la forme de l'assentiment immédiat sans aucune réflexion.

Les individus suggestibles ne sont pas constamment des débiles : dans la plupart des circonstances de la vie ils utilisent la réflexion plus ou moins habilement : nous nous attendons à ce qu'ils agissent de même maintenant et les sujets s'y attendent eux-mêmes. Ce qu'il y a de caractéristique dans la suggestion c'est qu'à ce moment ils se conduisent tout autrement. Ils ont à propos de l'idée suggérée un début de réflexion, on note souvent un essai de délibération ou de raisonnement. Mais ces essais ne sont guère prolongés et n'aboutissent pas à une décision qui adopterait l'idée ou la rejette­rait avec conscience complète. L'idée abandonnée à elle-même se développe indépen­damment sous la forme d'un assentiment immédiat, elle prend la forme d'une impulsion. La suggestion se présente comme la provocation d'une impulsion à la place de la résolution réfléchie.

Comment une pareille transformation est-elle possible ? Je ne reprends pas ici l'étude des conditions de la suggestion que j'ai faite ailleurs et je laisse de côté les interprétations par l'hypertrophie d'une tendance, par la concentration de l'attention, par les exagérations de l'obéissance dont j'ai essayé de montrer les insuffisances. Il s'agit d'individus qui par leur constitution ou par le fait d'une maladie accidentelle ont une puissance de réflexion très faible, chez qui la réflexion est toujours lente, difficile et courte. Sous l'influence des circonstances variées qui déterminent des fatigues et des émotions, il y a chez eux une dépression momentanée qui les rend tout à fait incapables de réflexion et qui ne laisse plus subsister chez eux pendant quelque temps que l'assentiment immédiat, nous venons de voir au début de- cette étude deux exemples de ces faits.

Ce qui est curieux, ce qui constitue la découverte essentielle faite par les magnéti­seurs et les hypnotiseurs c'est que nous pouvons d'une manière artificielle, grâce à certains procédés qui reproduisent la fatigue et l'émotion amener expérimentalement cette dépression momentanée et l'utiliser pour faire naître les impulsions que nous désirons. L'idée que nous faisons pénétrer dans l'esprit au moment favorable, quand la puissance de réflexion est épuisée, devient l'objet d'un assentiment immédiat et se transforme en impulsion. C'est cette provocation expérimentale de l'impulsion qui est l'objet essentiel de toutes les études des hypnotiseurs.

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