La médecine psychologique

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4. - La puissance de l'automatisme

Il n'en est pas moins assez étrange que l'on tire un bénéfice de l'usage de ces méthodes. Comment la provocation d'une action sous une forme plus ancienne et plus élémentaire peut-elle rendre des services à des malades ?

On a cru au début que la suggestion avait un pouvoir considérable et en quelque sorte surhumain qui dépassait de beaucoup celui de la volonté normale : on la croyait capable de déterminer des métamorphoses physiologiques et psychologiques que la volonté normale n'était pas capable d'obtenir. Cette croyance fut le point de départ des études si prolongées sur les suggestions vésicantes et sur les suggestions crimi­nelles. Les anciens magnétiseurs prétendaient pouvoir arrêter ou augmenter à volonté l'émission du sang des plaies ou des saignées et depuis on a signalé à bien des reprises les rougeurs, les enflures, les élévations locales de la température, les vésica­tions, les chutes de verrues déterminés uniquement par suggestion hypnotique. La vérification exacte de ces faits, la découverte de leur déterminisme aurait un intérêt de premier ordre pour mettre en évidence le pouvoir de la suggestion. Malheureuse­ment la science n'est pas parvenue à une conclusion nette sur aucun de ces points. Des observations curieuses, impressionnantes même, sont signalées de temps en temps, mais personne ne réussit à vérifier l'expérience sur un autre sujet et dans des conditions de contrôle irréprochable et il ne reste que le souvenir d'un fait étrange qui n'est pas entré dans le domaine de la science. Si de pareils phénomènes existent, il est probable qu'ils dépendent d'un état particulier de la circulation et de la peau analogue à celui que l'on observe dans le dermographisme et que la suggestion proprement dite n'y joue qu'un rôle accessoire.

Les suggestions dites criminelles nous présentent à propos de la conduite morale un problème analogue. On a prétendu que ces suggestions déterminaient rapidement des transformations terribles dans l'esprit et forçaient une personne à exécuter des actes qu'elle n'aurait jamais acceptés autrement. Ces expériences auraient mis en évidence d'une façon très nette la puissance extraordinaire de la suggestion. Les critiques n'ont pas tardé à répondre que ces expériences sur des crimes imaginaires ne signifiaient rien parce que les sujets se rendaient parfaitement compte de leur peu de sérieux et qu'ils n'auraient rien exécuté si les choses avaient été plus sérieuses ; ils concluaient en déclarant que les suggestions criminelles n'existaient pas. Ces deux conclusions ne semblent aussi fausses l'une que l'autre, faute d'analyse psychologi­que. Sans doute les expériences des magnétiseurs recommencées à Nancy sans aucu­ne critique ne signifiaient pas grand'chose ; l'exécution d'une idée sous forme de jeu, de simulacre, de mensonge n'est qu'un commencement de réalisation et ne mon­tre dans la tendance qui se développe ainsi qu'un faible degré de tension. C'est pour cela, comme on le sait, que les névrosés à tension psychologique faible se complai­sent dans le mensonge, le simulacre, le jeu.

Mais on avait grand tort d'en conclure que dans d'autres conditions et chez cer­tains sujets des actes criminels et dangereux ne pussent pas être déterminés par le mécanisme de la suggestion. Il suffit d'examiner la conduite, les actes réels des mala­des pour être convaincu qu'il y a des moments dans leur vie où des suggestions accidentelles ou même des suggestions volontairement malintentionnées déterminent des actes graves et des véritables crimes. Quand j'ai étudié ces faits j'ai rapporté des cas fort nets où des actes délictueux réels ont été déterminés de cette manière. Mais il faut pas raconter ces observations sans ajouter immédiatement qu'il s'agit là de grands malades, présentant toutes sortes d'accidents névropathiques, n'ayant aucune volonté personnelle et incapables de se diriger ou de résister. Le problème intéressant au point de vue médico-légal consiste à rechercher si chez ces malades-là la suggestion a été un procédé plus efficace et plus dangereux que les persuasions et les menaces ordinairement employées. Au point de vue psychologique il est évident que la sug­gestion n'est pas seule en jeu, que l'exécution du crime dépend du trouble de la volonté aussi bien que de la suggestion et que ces faits, si intéressants qu'ils soient, ne démontrent pas un pouvoir extraordinaire de la suggestion.

Bien des merveilles apparentes dans les suggestions de paralysie, de contracture ou de transformation du caractère sont des merveilles de l'hystérie bien plutôt que des effets de nos suggestions. En un mot la suggestion ne semble pas déterminer des actes ou des modifications corporelles et mentales supérieures à celles que la volonté normale peut d'ordinaire réaliser. D'ailleurs cela n'a rien de surprenant, puisque la suggestion détermine simplement des volontés et des croyances sous une forme plus élémentaire sans les perfectionnements qu'y apporte la délibération réfléchie. Nous retrouvons simplement dans les actes suggérés les caractères de cette volonté élémen­taire, des actes peut être plus violents, plus entêtés, des convictions plus fortes dans certains cas, mais en somme des volontés et des croyances qui restent du même genre. On a cru de même à des transformations merveilleuses réalisées par l'état hypnotique et on prêtait aux somnambules artificiels des puissances psychologiques extraordinaires. Nous avons dû renoncer à la plupart de ces illusions et constater que l'état hypnotique n'ajoute aucune puissance nouvelle supérieure à l'activité moyenne des hommes.

Il faut renoncer à demander à la suggestion ou à l'hypnose des actes qui dépassent le pouvoir de la volonté humaine normale ; mais est-ce bien de cela qu'il s'agit et ne pourrions-nous pas nous contenter d'actes qui dépassent simplement la volonté actuelle du malade. Les individus chez lesquels précisément la suggestion hypnotique a de l'action sont des névropathes déprimés présentant toutes sortes de troubles de la volonté et qui très souvent souffrent par impuissance d'agir. Ils ne savent pas commencer une action, ni la continuer, de là toutes leurs paralysies si variées, leur incapacité de marcher, de parler, de manger, de regarder, de dormir, etc. S'ils essayent d'exécuter ces actes ils éprouvent bien des troubles variés, des émotions, des angoisses, des tics, des agitations de mille espèces et ces troubles ne sont que des dérivations de leur activité incapable de parvenir à l'exécution complète de l'acte commencé. Dans d'autres cas ils ne peuvent pas arrêter un acte et ils souffrent d'im­pulsions résultant du développement involontaire de tendances éveillées autrefois et qui continuent à rester en action mal à propos ; de là des convulsions, des crises, des délires très variés. Ce n'est pas chez eux qu'il faut réclamer des actes d'une volonté surhumaine, ce serait déjà bien beau si on les aidait à faire les actes que la volonté humaine moyenne parvient aisément à accomplir : cela supprimerait déjà un grand nombre de leurs souffrances.

Sans doute la suggestion ne leur rendra pas la volonté absente : « De même que l'on ne peut pas suggérer à un individu d'être suggestible quand il ne l'est pas, on ne peut pas suggérer à un malade de ne plus être suggestible quand il l'est ; c'est par obéissance automatique qu'il fera semblant de vous désobéir et il n'aura pas reconquis le consentement volontaire pas plus que le premier ne l'aura perdu [13]. » Sans doute les actes ainsi déterminés seront des actes impulsifs et non des actes de la volonté réfléchie, ils ne seront pas aussi élevés moralement et le moraliste pourra dire avec indignation : « Ce ne sont pas là de vraies Actions, la guérison n'est pas volontaire, le malade ne s'alimente pas, on l'alimente... manger par suggestion hypnotique, ce n'est pas manger ». Quel enfantillage, les malades que l'on nourrit en leur enfonçant une sonde dans le nez mangent-ils mieux ? Ils engraissent cependant et les malades nour­ris par suggestion en font autant : sans doute ce n'est pas une alimentation idéale, mais c'est une alimentation tout de même. Quand le malade aura repris des forces et qu'il pourra s'élever plus haut il pourra peut-être faire des actes plus élevés ; mais en attendant c'est un malade et il faut se contenter des actes qu'il peut faire.

Je reconnais mêmes que les actes ainsi exécutés ont des défauts réels : n'étant pas réfléchis ils sont moins bien adaptés à la réalité, à la situation présente ; ils sont moins bien assimilés à la personnalité, ils laissent peu de souvenirs et servent peu à l'édifica­tion de la personne. Mais quelques-uns de ces défauts sont atténués dans la sugges­tion médicale car l'acte n'est pas choisi par le sujet, mais par le médecin qui, lui, est capable d'une décision réfléchie. La suppression de l'assimilation personnelle pendant une période de maladie et de traitement n'a pas de grands inconvénients et peut quelquefois avoir des avantages.

D'ailleurs une remarque générale clot la discussion c'est que des actes automa­tiques accomplis de cette manière présentent cependant de grands avantages pour le malade. D'abord certains de ces actes ont des conséquences physiologiques qui sont en grande partie indépendantes de la façon dont l'acte aura été exécuté, nous venons de le remarquer à propos de l'alimentation, il en sera de même pour d'autres fonc­tions, pour la défécation, la mixtion, les fonctions génitales et même pour le sommeil et le réveil. On peut voir dans une de mes anciennes observations, celle de Marceline, comment dans certains cas on fait vivre artificiellement des malades en déterminant ainsi les fonctions d'une manière automatique [14]. Inversement, ces actes suggérés peu­vent avoir une force inhibitrice et arrêter d'autres actions automatiques dangereu­ses que la volonté n'arrêtait pas. La suggestion de manger et de garder les aliments pourra arrêter des vomissements ; des suggestions de mouvement ou de respiration pourront arrêter des chorées et des troubles respiratoires. Rétablir une activité normale, c'est souvent supprimer un grand nombre d'accidents qui dépendaient d'agitations et de dérivations.

Une tendance qui ne s'active pas s'affaiblit, diminue et devient de plus en plus rebelle à la volonté. Les membres qui restent longtemps paralysés, même s'ils ne s'atrophient pas réellement par lésion nerveuse, maigrissent, présentent des refroidis­sements périphériques que je signalais déjà il y a longtemps et que l'on commence à admettre aujourd'hui. Des contractures persistantes donnent naissance à des rétrac­tions, à des adhérences qui deviennent irréductibles. La réalisation même automati­que du mouvement est excellente pour empêcher ces altérations de se produire. La fonction ainsi activée se conservera, deviendra plus facile à activer quand plus tard la volonté essayera de s'y appliquer, car elle ne tardera pas à intervenir de nouveau.

Il y a dans cet exercice automatique de la fonction qui finit par être perçu par le sujet un élément qui est plus que toute autre chose capable d'augmenter la tension psychologique et de grandir le pouvoir de la volonté, c'est la constatation du succès. Tous les guérisseurs moralisateurs répètent sans cesse qu'il faut enlever de l'esprit du sujet l'idée qu'il est paralysé, qu'il faut lui donner la conviction du pouvoir et ils emploient les raisonnement les plus merveilleux pour y parvenir. Est-il pour le malade un seul de ces raisonnements qui vaille la constatation directe de son action devenue une réalité? J'ai rapporté il y a trente ans dans mon livre sur l'automatisme l'observation curieuse de Vg. : cette femme de 30 ans, après un séjour prolongé au lit présentait une paraplégie complète. Pendant qu'elle causait avec M. Piazecki qui me la présentait, je réussis à lui faire diverses suggestions par distraction, je parvins à la faire lever et marcher. Après un moment elle s'aperçut elle-même de son action et poussa un cri de joie en se voyant debout et marchant : « Je suis guérie ». La con­fiance étant revenue elle se mit à marcher volontairement. Y a-t-il une démonstration rationnelle qui puisse avoir une telle puissance ?

Cette réflexion peut s'appliquer à toutes les tendances que peut activer la sugges­tion. L'arrêt même automatique d'une foule d'angoisses, de sentiments désespérés qui sont, plus qu'on ne le croit, des conduites pathologiques et des délires, le développe­ment même automatique des sentiments de confiance et d'espoir mettent l'esprit dans de bien meilleures conditions pour retrouver le calme et la force et il faudrait de bien beaux sermons pour obtenir une minime partie de ces résultats. Sans doute dans tous ces cas la suggestion n'a pas accompli des merveilles et elle n'a rien fait qui dépasse l'activité humaine normale ; mais elle a permis d'obtenir des opérations que la volonté défaillante du malade ne pouvait plus faire et grâce à ces opérations elle a préparé le relèvement de tout l'esprit.

La même étude peut être faite sur l'état hypnotique : s'il faut renoncer à lui demander aujourd'hui le développement de puissances merveilleuses et surhumaines ne peut-il pas rendre des services plus humbles ? D'abord l'hypnotisme, le somnam­bulisme provoqué est un changement de l'esprit, de l'état de conscience du malade. Il est même, par définition, un changement assez considérable, puisqu'il est caractérisé par une rupture dans la mémoire du sujet. Or un grand changement de ce genre au milieu de ces états névropathiques indéfiniment prolongés, quand l'esprit s'immo­bilise dans de dangereuses habitudes ne peut être que très utile. On le savait si bien autrefois que l'on cherchait à provoquer des attaques d'hystérie pour modifier un équilibre pathologique dangereux : l'hypnotisme arrive évidemment au même résultat avec moins de frais.

A un autre point de vue, l'hypnotisme étant un état différent de la veille, certaines tendances arrêtées pendant l'état normal peuvent s'activer de nouveau pendant l'hypnose. Ce changement a été utilisé de bien des manières, comme moyen de repos, comme moyen de restaurer des souvenirs perdus, comme procédé permettant d'aug­menter la tension par des excitations plus grandes et surtout comme moyen de développer la suggestion.

Tous ces traitements qui dérivent de la suggestion hypnotique non seulement ne méritent pas d'être critiqués au point de vue moral, comme ils l'ont été, mais encore me semblent présenter une valeur scientifique intéressante. Ce sont des traitements psychologiques, comme la moralisation médicale, mais se sont des traitements psy­chologiques déjà plus précis et plus scientifiques. Il ne s'agit plus d'un appel involon­taire et inconscient aux pouvoirs de la pensée comme dans les traitements miraculeux et dans la « Christian science ». Il ne s'agit plus d'une -utilisation vague de tous les faits psychologiques confondus dans une thériaque. Il s'agit d'une utilisation con­sciente et voulue d'un fait psychologique déterminé. Celui qui essaye de faire des suggestions ne se contente pas d'obtenir un fait moral quelconque, il cherche à déter­miner un certain phénomène qu'il est peut être difficile de bien reconnaître en pratique, mais dont les caractères au moins en théorie sont assez précis et distincts de ceux d'autres phénomènes psychologiques. La suggestion hypnotique me paraît avoir été le premier traitement psychologique précis et elle aura préparé la découverte de tous les autres en nous dégageant des moralisations indéterminées. Son étude subit aujourd'hui une éclipse : il y a là un fait historique dont j'ai essayé ailleurs d'expliquer l'origine, et qui d'ailleurs s'est déjà produit plusieurs fois ; mais il est bien probable que cette étude réapparaîtra sous la même forme ou sous une forme voisine car elle contient le germe de thérapeutiques importantes.

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