La médecine psychologique

Back to Index

1. - Le problème de l'épuisement

Les thérapeutiques de Weir Mitchell et de ceux qui l'ont imité reposaient sur l'assimilation des troubles névropathiques aux troubles déterminés par la fatigue. Beaucoup de ces malades ont un sentiment très net de fatigue et poussent souvent ce sentiment à l'extrême en le transformant en une grave obsession. N'est-il pas juste de les croire et d'accepter le traitement par le repos qu'ils réclament à grands cris d'une manière instinctive en le rendant seulement plus intelligent et plus complet ?

Sans doute il est juste de critiquer ici dès le début l'emploi du mot fatigue. La fatigue est en réalité une conduite normale et non un désordre de la santé : la fatigue n'est pas autre chose que la conduite de l'homme qui se repose et le sentiment de fatigue n'est pas autre chose qu'un certain stade d'activation de cette tendance, le désir de la conduite du repos. Aux différents stades de la hiérarchie psychologique il y aura des croyances immédiates à la fatigue, des certitudes réfléchies et des convictions systématiques de la fatigue. Ce sentiment de fatigue est loin d'être en proportion avec la diminution réelle des forces, il peut exister au plus haut degré chez des individus qui ont encore beaucoup de force, mais qui sont pusillanimes ; il peut disparaître chez des malades véritables qui ont cependant épuisé leurs réserves. En un mot, il y aura des obsessions et des délires de la fatigue, comme des délires de tristesse et des délires de joie. Quand il s'agit de troubles pathologiques il est beaucoup plus correct d'employer le mot « épuisement » pour désigner cet ensemble des troubles de la conduite déterminé par l'exécution, le prolongement ou la répétition des actions, troubles que la fatigue normale aurait dû éviter en amenant l'arrêt de l'action, mais que dans ces cas pathologiques elle n'a pas réussi à supprimer.

La notion d'épuisement d'une fonction est claire pour tous quand il s'agit d'une fonction physique dont on voit diminuer le rendement : on dira facilement que la fonction de la lactation s'épuise quand on voit diminuer le lait des nourrices. Mais on a beaucoup de peine à appliquer cette notion aux fonctions psychologiques, parce qu'on les considère encore trop comme spirituelles et dépourvues de quantité et parce qu'on ignore totalement la nature et l'origine des forces qu'elles mettent en oeuvre. L'étude des courants électriques n'aurait jamais pu être faite si on avait toujours refusé de considérer leurs effets, de noter leurs variations avant de connaître la nature des forces électriques. Nous devons avoir le courage de parler des forces psycho­logiques, de constater leur diminution, leur épuisement ou leur accroissement avant de savoir quelle est leur nature et de quel organe elles dépendent.

Toutes mes anciennes études sur l'hystérie, sur la psychasténie avaient pour objet de démontrer que les accidents les plus apparents, les délires, les idées fixes, les obsessions, les phobies dépendaient étroitement de troubles moins visibles, mais plus importants de la conduite. Les agitations, les interprétations délirantes, les sentiments d'incomplétude étaient rattachés à des insuffisances de telle ou telle fonction psycho­logique, plus ou moins élevée. Les malades ne pouvaient continuer ou répéter l'action sans éprouver des troubles, quelques-uns sentaient des souffrances dans divers orga­nes, d'autres avaient des sentiments singuliers qui donnaient à l'action une apparence pénible ou même lugubre. Ils ne pouvaient arriver à aucune décision, à aucune conviction, à aucune croyance ; ils ne pouvaient rien conclure ni rien comprendre avec netteté. Ces troubles étaient nets dans les cas graves, plus atténués dans les cas plus légers et ne se manifestant qu'à propos des tendances les plus élevées, des actes les plus difficiles, mais ils existaient toujours au-dessous des délires et des phobies. D'ailleurs on pouvait mettre en évidence chez ces malades des insuffisances des mouvements, des troubles dans la force, la durée, la répétition des actes, des insuffi­sances de toutes les fonctions physiologiques. Tous ces symptômes pouvaient être résumés par la conception d'une insuffisance des forces psychologiques, quelle que soit la manière dont on interprétait la nature de ces forces et leur origine. La notion d'épuisement semble fournir une expression intéressante de ces insuffisances et pour de nombreux auteurs les névroses sont devenues des maladies par épuisement.

En face de cette interprétation et de ce mode de traitement nous rencontrons sur le même sujet une doctrine toute différente que l'on peut mettre sous l'égide de Dubois (de Berne) parce que c'est lui qui l'a exprimé avec le plus de netteté et que les autres auteurs n'ont fait, en général, que répéter son enseignement. En présence d'un de ces malades qui se déclarent épuisés et qui restent couchés depuis des années, Dubois a une tout autre attitude. Il ne veut pas du tout prendre au sérieux ce langage : il se borne à constater dans la conduite de ces malades une foule de contradictions qui démontrent le caractère illusoire de leur sentiment de fatigue. Tel homme se déclare épuisé s'il fait cent pas sur la grande route et il tourne en rond dans son parc pendant des heures ; telle femme se dit incapable de faire une leçon d'une heure à des enfants et elle lit des romans toute la journée. « En somme, il s'agit là d'une conviction d'impuissance succédant à quelque petite sensation réelle grossie par un état d'âme pessimiste. Il ne faut pas plus tenir compte de cette fatigue qu'il ne faut tenir compte des bobos dont se plaignent les hypocondriaques. »

Ces réflexions semblent justes, mais il ne faut pas en exagérer la portée : une obsession de fatigue ne prouve pas la réalité de l'épuisement, j'en conviens ; mais elle ne prouve pas non plus son absence. Il y a des malades obsédés par l'idée de la syphilis qui n'ont pas du tout cette maladie ; mais il y a aussi des malades obsédés par l'idée de la syphilis qui ont réellement la syphilis : un trouble réel peut devenir le point de départ d'une obsession. Aussi cet argument ne tranche-t-il pas du tout la question, il nous impose seulement certaines précautions. Pour étudier l'épuisement chez les névropathes nous devons éviter de choisir les malades qui ont des obsessions à ce sujet. Nous devons prendre les malades qui ont d'autres obsessions, d'autres pho­bies ou d'autres symptômes quels qu'ils soient et nous devons rechercher s'il y a réellement chez eux à leur insu ou du moins sans qu'ils s'en préoccupent particulière­ment des troubles réels de leur activité indépendants des idées qu'ils s'en font et ensuite si ces troubles peuvent être rapprochés de ceux qui se rattachent à l'épuise­ment.

En réalité pour pouvoir appliquer au diagnostic cette observation des contradic­tions de la conduite il faudrait prendre une précaution essentielle dont ces auteurs ne parlent pas. Il faudrait pouvoir établir que les deux actes comparés sont bien du même niveau, qu'ils présentent la même difficulté psychologique et qu'ils ne diffèrent entre eux que par l'idée de fatigue ajoutée par le sujet à l'un d'eux et non à l'autre. Or cela est fort difficile à établir et me semble précisément impossible dans les contradictions qui ont été signalées. M. Dubois parle d'une femme qui se dit incapable de faire une heure de leçon à des enfants et qui toute seule lit indéfiniment des romans et il voit là une contradiction. Je n'en puis voir aucune, car pour moi l'acte de faire une leçon à des enfants est un acte complexe demandant une haute tension, tandis que l'acte de lire tout seul un petit roman est un acte très simple et très bas ; l'acte de marcher dans la rue n'est pas du tout le même pour un agoraphobe que l'acte de se promener dans un parc fermé et, si on analyse avec plus de soin la nature des actes observés, on verra s'évanouir le plus souvent ces apparences contradictoires.

De temps en temps, contraints par l'évidence des faits, ces auteurs veulent bien reconnaître le fait sur lequel j'insiste depuis longtemps c'est que des insuffisances psychologiques réelles se manifestent dans la conduite au-dessous des accidents apparents et que ces insuffisances ne dépendent pas des idées des malades ni de leurs auto-suggestions. Mais alors ils méconnaissent l'importance de ces troubles et ils les présentent comme des conséquences de l'émotivité plutôt que comme des manifesta­tions de l'épuisement, ce qui soulève le problème psychologique intéressant de la comparaison de l'émotion et de l'épuisement.

Au point de vue des symptômes, il n'y a guère de différence perceptible entre l'émotion et la fatigue. Ces deux phénomènes sont des états psychologiques de dépression légère dans lesquels il y a insuffisance et agitation. Tout au plus pourrait-on dire que dans le langage courant on parle plutôt de fatigue quand on remarque davantage le premier caractère, les insuffisances et plutôt d'émotion quand le second caractère, les agitations par dérivation, est plus manifeste. La différence entre les deux états au point de vue des symptômes est donc très légère, si même elle existe.

Heureusement il y a un second point de vue auquel le bon sens se place d'ordi­naire pour distinguer l'émotion et l'épuisement. Ce sont des états assez analogues par leurs symptômes qui paraissent survenir dans des conditions différentes. L'émotion est un trouble qui paraît survenir au moment de la perception d'une situation, qui paraît se développer avant l'action, qui paraît même inhiber l'action ; l'épuisement est un trouble qui nous semble se développer plus tard après l'action et même après l'action intense et répétée. On se figure qu'il y a là une assez forte différence, en réalité elle est assez minime, mais elle suffit dans la pratique du langage. En nous plaçant maintenant à ce point de vue, peut-on dire que la dépression des névroses se rapproche davantage de l'émotion que de l'épuisement.

Sans aucun doute des troubles pathologiques à forme de dépression ont été très souvent une origine analogue à celle des émotions : ils commencent à propos d'une perception qui a été suivie d'actions très insuffisantes et mal adaptées. Cependant la comparaison avec la fatigue s'impose à mon avis encore plus. Dans un premier grou­pe de faits on peut constater que des maladies nerveuses avec dépression se produi­sent dans des conditions identiques à celles qui déterminent des fatigues, c'est-à-dire après l'exécution de l'action quand le travail a été trop prolongé, trop intense ou trop hâté, qu'il s'agisse d'un travail physique ou d'un travail intellectuel : il m'a été facile d'en réunir un très grand nombre d'exemples. Dans d'autres cas encore plus démons­tratifs, des névropathes dont l'équilibre a été rétabli par une cure de repos retombent gravement malades dans des circonstances analogues à celles qui déterminent seule­ment la fatigue chez les autres hommes. Toutes les actions un peu difficiles, un peu prolongées, quoiqu'elles semblent accomplies correctement, c'est-à-dire sans avoir été arrêtées ou troublées par les dérivations de l'émotion, amènent des rechutes, une réapparition ou une aggravation considérable des symptômes pathologiques.

Dans toutes les observations précédentes les malades n'avaient aucune obsession, aucune phobie de la fatigue, ils ignoraient même complètement avant nos observa­tions le rôle que Jouait l'épuisement dans leurs rechutes : on ne peut donc pas expli­quer leurs troubles par une idée fixe de la fatigue. C'est nous qui sommes arrivés par la constatation de leurs dépressions et des circonstances dans lesquelles elles se présentaient à remarquer que ces troubles consistaient dans une incapacité à activer certaines tendances, à la suite d'une activation trop prolongée de ces mêmes tendan­ces, c'est-à-dire que, toutes proportions gardées, ils étaient analogues aux phénomè­nes que nous désignons sous le nom d'épuisements.

La dépression des névropathes semble donc si on considère ses origines appa­rentes se rapprocher de la fatigue aussi bien que de l'émotion. Est-il juste d'ailleurs d'opposer ces deux mécanismes l'un à l'autre ? Le trouble semble se développer après l'exécution de l'acte dans la fatigue, il semble apparaître auparavant dans l'émotion et empêcher même l'exécution de l'acte. Ce n'est pas tout à fait exact, au moment de l'apparition de la circonstance émotionnante, l'individu fait des efforts pour agir, c'est-à-dire qu'il mobilise de grandes forces, il les dirige mal, sans doute il ne fait pas l'action utile et semble même ne pas faire de mouvements utiles, mais il commence en réalité une foule d'actions qui dérivent immédiatement. Si je ne me trompe, l'ori­gine du trouble émotionnel est analogue à celle du trouble de la fatigue. Dans les deux cas la dépression se produit à la suite de la dépense de forces nécessitée par l'action correcte ou incorrecte et nous ne pouvons nous empêcher de donner raison à ceux qui ont soutenu que l'on avait le droit d'assimiler la dépression des malades à des phénomènes analogues à ceux de la fatigue et de l'épuisement quelle qu'en soit d'ailleurs l'origine.

Provided Online by http://www.neurolinguistic.com

Back to Index

From our Online Free Library at www.pnl-nlp.org/dn Find now here hundreds of ebooks and texts on NLP, Hypnosis, Coaching, and many other mental disciplines...

Dalla nostra libreria online a www.pnl-nlp.org/dn/ Scopri centinaia di libri su PNL, Ipnosi, Coaching e molte altre discipline della mente