La médecine psychologique

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3. - L'économie par la peur de l'action et le repos complet

Ces conceptions de l'épuisement dans les névroses entraînent nécessairement à leur suite des précautions et des traitements particuliers.

Plus souvent qu'on ne le croit, le remède nous est indiqué par le malade lui-même : tous les symptômes d'une maladie ne sont pas des manifestations du mal, ils sont quelquefois la conséquence de la résistance de l'organisme et constituent des symptômes de défense. On connaît de nombreux symptômes de ce genre dans la pathologie viscérale où la fièvre et la congestion sont souvent des réactions protec­trices. Il en est de même dans la pathologie mentale et il faut savoir que certaines conduites des malades n'ont pas toujours un point de départ absurde.

Les maladies mentales ne sont pas toujours des choses fatales dont on porte le germe en soi et que l'on ne peut éviter. Elles dépendent en grande partie de la vie que mène le sujet et de la situation dans laquelle il est placé. Bien des personnes ont reçu par hérédité une constitution mentale très faible et auraient succombé si la destinée ne leur avait pas ménagé une vie tranquille et facile. Bien mieux, il y a des sujets de ce genre qui se rendent plus ou moins compte de leur faiblesse et qui se créent habile­ment un milieu à leur usage. Ils savent découvrir d'humbles fonctions qui n'exigent ni grands efforts, ni initiative dangereuse. Les ministères, les grandes administrations sont souvent des retraites pour des gens qui ont besoin d'une vie réglée par des supérieurs, sans à-coups et sans responsabilités. Ils ne se marient pas, ils n'ont pas de maîtresse, pas d'enfants, ils fréquentent peu de personnes et ils font une attention énorme au choix des rares individus à qui ils permettent de les approcher ; ils vivent seuls autant que possible afin de ne pas avoir de concessions à faire. Ils dépensent peu tout en étant riches, ils ne se mêlent d'aucune affaire, ils n'attaquent personne, ils ne rivalisent avec personne. Leurs précautions, leur silence, car ils savent se taire sur leurs propres affaires font qu'ils sont rarement exposés aux attaques. D'ailleurs ils font semblant de ne pas voir, de ne pas sentir le mal et se cachent la tête comme les autruches. S'il le faut, ils supportent les attaques, « ils font le gros dos et se laissent planter des clous dans les épaules » plutôt que de combattre. Ils savent échapper aux ordres, aux demandes : « Quand on les secoue, ils se butent, ils se renferment dans leur coquille ou vous glissent entre les doigts et personne n'a d'action sur eux. » Le public les appelle des égoïstes et des lâches, ce sont peut-être des sages.

Quand ces précautions qui ont pour but l'économie de l'action deviennent encore plus grandes elles déterminent des symptômes qui ont un aspect pathologique. Un grand nombre de phobies semblent porter sur certains objets ou sur certaines situa­tions ; les malades semblent avoir peur d'un couteau, d'une plume, d'un appareil télégraphique ou de la rougeur de leur visage. Ce n'est qu'une apparence car là phobie porte toujours en réalité sur un acte et le malade a peur de reprendre les outils de sa profession ou de se montrer en public. Les phobies de la fatigue nous présentent une répulsion plus générale pour toute action. Il est bien probable que beaucoup de ces phobies ont leur point de départ dans la constatation du danger que présente pour le malade déprimé le travail ou la décision réfléchie, c'est-à-dire l'activation des tendan­ces supérieures.

La renonciation à telle ou telle activité, aux pratiques religieuses, aux beaux-arts, aux études, aux sentiments de l'amour que l'on observe si nettement chez certains psychasténiques sont des actes d'économie qui résultent du sentiment exact de la pauvreté. Les manies de liquidation qui sont souvent fort curieuses déterminent des ruptures brusques, des abandons d'une situation, des sacrifices inconsidérés. Les malades sont envahis par la terreur folle d'une situation dans laquelle ils se trouvent et dans laquelle quelquefois ils viennent de se mettre eux-mêmes. Ils ne pensent plus qu'à une chose c'est à se débarrasser de cette situation, à n'importe quel prix. Dans l'ordre moral, ce phénomène est l'équivalent de la fugue, si fréquent chez les névro­pathes de toute espèce, de cette impulsion qui les pousse « à partir d'ici tout de suite, pour aller n'importe où, pourvu que l'on ne soit plus ici. »

Certains sentiments que les malades éprouvent à propos de leurs actions sont du même genre : Les uns ont au plus haut degré le sentiment du sacrilège : « J'insulte ma mère si je mange comme vous le demandez... je torture mon père dans son tombeau, je marche sur son cadavre si j'avance dans cette allée... » A un degré moins grave les actes paraissent seulement laids, sales, vulgaires : « Dès que j'avance la main vers un objet celui-ci paraît laid, mes mouvements sont gauches et ridicules... les fleurs se fanent si je les regarde... je ne puis désirer une chose sans qu'elle devienne répugnante au même moment... » Enfin une forme plus répandue de ce sentiment est la pensée catastrophique : « Si je pense à louer un appartement dans cette maison il me semble que la porte belle et monumentale sera très convenable pour y placer le cercueil de ma femme... Si vous me faites attendre la visite de ma mère, je vais me représenter qu'elle vient en grand deuil à cause de la mort de mon père, de mes frères, de toute la famille... Si je mets cette chemise neuve, des puissances occultes vont amener des cataclysmes dans tout Paris. » [16]

Ces singulières représentations de l'action ont un rapport étroit avec les manies de perfectionnement, de recommencement si fréquentes chez les névropathes. S'ils ne sont pas amenés à supprimer complètement l'action, comme dans la forme précé­dente, du moins sont-ils conduits à faire des efforts pour transformer cette action, la rendre moins laide et plus morale : c'est là une des origines les plus importantes des manies de scrupule. Dans les cas extrêmes l'effort pour transformer l'action répugnan­te détermine une tendance à s'en écarter et une impulsion au moins apparente vers l'acte opposé. Des malades font de vains efforts pour arriver à une conduite pudique qui les satisfasse sentant en elles-mêmes des impulsions épouvantables vers les pires obscénités. On se souvient du vieux mystique Bunyan qui, au moment de faire ses prières, était forcé de tenir sa mâchoire à deux mains, pour que la bouche ne s'ouvrit pas et ne hurlât pas des blasphèmes.

Tous ces phénomènes se rattachent à la peur de l'action qui dépend d'un trouble dans la force et la tension de notre activité à ce moment. Dans une activité normale l'énergie mobilisée pour activer la tendance est suffisante et même surabondante. Après la consommation de l'action, les forces inemployées dérivent vers les autres tendances et jouent un rôle important dans la gaîté, la joie qui couronne l'acte. C'est cette répartition des forces mobilisées d'une manière surabondante qui constitue le triomphe après l'acte, l'intérêt et le désir avant la consommation. Si les forces mises à la disposition de la tendance sont diminuées au point d'être juste suffisantes pour les frais de l'action, la disparition de ce superflu et de cette gratification supprime le triomphe, l'intérêt et le désir et rend l'exécution de l'acte indifférente. Si les forces à la disposition d'une tendance donnée sont franchement insuffisantes, l'acte est exécuté avec parcimonie, avec une sorte d'avarice ; les degrés supérieurs de l'action ne sont plus atteints et l'acte perd les caractères que lui donnaient la réflexion ou les ten­dances ergétiques. Pour un homme accoutumé aux formes supérieures de l'activité un acte de ce genre est aussi désagréable que de coucher sur la terre nue quand on est habitué à un bon lit. Un acte qui a perdu les caractères de l'acte réfléchi paraît dépour­vu de tout ce qui constituait sa sécurité : c'est comme si on nous demandait de mar­cher sur un sentier dangereux avec les yeux fermés. Bien plus, cet acte nous paraît épuiser nos dernières ressources, il nous révèle notre misère et éveille la pensée de la banqueroute morale : c'est là ce qui provoque toutes ces réactions de recul et de terreur.

Sans doute ces sentiments et ces phobies ne sont pas toujours bien corrects et le rôle du médecin est précisément de comprendre ces réactions de défense, de les restreindre quand il y a lieu, de les diriger et de les utiliser. Il est évident qu'il doit lutter contre les phobies quand elles sont exagérées et dangereuses. Quand on se trouve en présence d'un malade qui refuse de sortir de sa chambre, qui a des angois­ses dès qu'il entend parler d'un acte génital ou qui ne peut sans terreur commencer un acte de sa profession, il est nécessaire de faire une analyse psychologique. S'agit-il d'une peur de l'acte déterminée par association d'idées, par interprétation, par exten­sion d'une obsession ou d'un délire, ou s'agit-il d'une précaution légitime contre un acte difficile qui détermine des épuisements dangereux ? C'est là un diagnostic délicat qui doit être fait dans chaque cas particulier et pour lequel il est difficile de donner ici des règles générales. Si le diagnostic montre que ces peurs de l'action sont en rapport avec un épuisement réel, il est évident qu'il faut suivre en la modifiant sans doute l'indication donnée par le malade et chercher avec lui à organiser l'économie de ses forces psychologiques insuffisantes.

Les médecins qui, à la suite de Weir Mitchell, ont voulu organiser les traitements par le repos ont cherché à systématiser cette économie des forces. Le repos au lit semble une solution radicale du problème : le malade semble épuisé par une activité excessive, eh bien, reposons-le en supprimant toute activité quelle qu'elle soit; le sujet n'est pas assez riche pour faire les frais du train de vie qu'il mène, ne cherchons pas ce qui dans ses dépenses est excessif et ruineux, supprimons simplement toutes ses dépenses quelles qu'elles soient, nous sommes certains que de cette manière il fera forcément des économies.

Cette manière de procéder n'est pas absurde et elle a certainement plus de chances d'être utile au malade que la méthode inverse du mépris absolu de la fatigue et des dépenses imprudentes. La plupart des névropathes, qu'ils aient ou non des obsessions de fatigue et des phobies de l'action sont des épuisés près de la faillite, on leur rendra presque toujours service en leur imposant de cette manière le repos et l'économie des forces. Je crois même qu'en pratique, quand il s'agit d'un malade assez gravement atteint dont l'analyse psychologique est encore incomplète et chez qui on ne discerne pas bien le mécanisme de l'épuisement, il est presque toujours bon de l'immobiliser au lit pendant un certain temps. Le repos au lit sera certainement utile de toutes manières et permettra de mieux éclaircir la situation psychologique. Dans un grand nombre d'observations nous constatons le bénéfice de ce repos initial.

Cependant ce repos complet au lit, cette suppression théorique de toute dépense psychologique par l'immobilité complète présente bien des difficultés et même, si elle est longtemps prolongée, présente certains dangers. Bien des auteurs ont fait la critique du « rest cure » et du « mast cure » en disant que « l'accroissement du sang et de la graisse ne suffit pas à procurer un état normal du système nerveux et ne suffit pas à supprimer tous les désordres de la pensée. » J'ai montré ailleurs [17] les difficul­tés d'application de cette thérapeutique, les mauvaises habitudes et les troubles qu'elle peut dans certains cas engendrer. Bien souvent des obsessions nouvelles et des délires hypocondriaques se développent chez des individus laissés trop longtemps au repos sans une direction morale suffisante. Se reposer, prendre véritablement les attitudes du repos, c'est un acte difficile que les malades épuisés ne savent pas faire, même quand ils en ont besoin ; aussi conservent-ils même dans leur lit des agitations physi­ques et mentales fort dangereuses.

Ces traitements par le repos au lit deviennent particulièrement difficiles à appli­quer quand le malade est sorti de la période d'épuisement complet des forces. On voit alors apparaître les diverses agitations et le sentiment de l'ennui. Ce sentiment est difficile à analyser et des études intéressantes sont actuellement faites sur ce sujet. Si je ne me trompe, ce sentiment n'apparaît pas dans les épuisements profonds, quand le malade « est très suffisamment occupé pendant une journée entière à regarder une feuille qui remue ». Il est le signe d'une certaine restauration des forces encore insuf­fisantes et mal gouvernées il rentre dans le groupe des phénomènes d'agitation.

Un des caractères de l'individu déprimé c'est qu'il ne sait pas conserver des forces sans les dépenser immédiatement, il ne sait pas faire des réserves, ce qui est impor­tant dans les économies. La mise en réserve des forces se rattache à l'organisation des habitudes, des tendances que l'on ne peut fonder sans leur donner une charge à utiliser plus tard. L'organisation de ces nouvelles tendances, la préparation de leur charge sont des opérations psychologiques particulières qui s'effectuent mal chez le déprimé. Les forces sont dépensées dès qu'elles apparaissent en actions incomplètes, en désirs vagues immédiatement arrêtés, accompagnés du dégoût et de la peur de l'action. Il ne suffit pas toujours d'augmenter les forces par le simple repos physique pour lutter contre l'agitation et le désordre [18].

L'économie par le repos complet au lit est le début souvent nécessaire du traite­ment, il est presque toujours utile, mais il est rarement suffisant ; il est chimérique de prétendre supprimer toutes les dépenses d'un être vivant et de l'amener à une cessa­tion complète de tous les payements. Les économies que l'on espère réaliser de cette manière sont souvent illusoires et si elles existent elles ne laissent entre les mains du malade que des ressources mal ordonnées dont souvent il ne sait que faire.

Si l'on comprend bien que les bons effets du traitement par le repos sont dus surtout à l'économie des forces psychologiques, on peut organiser ce traitement d'une manière plus rationnelle. Il ne sera plus nécessaire, sauf dans des cas spéciaux, de supprimer complètement le mouvement physique et de réduire le malade à l'immo­bilité. Il suffira de quelque prudence dans la dépense des forces physiques. L'essentiel consiste à découvrir quels sont les actes qui présentent pour le malade des difficultés et des dépenses excessives et de restreindre ou de supprimer précisément ces actes coûteux Le traitement par le repos prend alors un nouveau sens et se transforme en un traitement indispensable chez les névropathes, le traitement par la simplification de la vie.

Le premier point de ce traitement consiste à supprimer les efforts perpétuels déter­minés par les « accrochages », comme disent souvent les malades. Il faut les désac­crocher, c'est-à-dire solutionner autant que possible les situations complexes dans lesquelles ils se trouvent et dans lesquelles ils s'empêtrent, et on ne se figure pas combien de maladies mentales en apparence graves disparaissent dès que l'on a pu mettre fin à une situation délicate et difficile.

Ce n'est pas assez de supprimer un accrochage, il faut prendre des précautions pour que le char ne s'accroche pas de nouveau deux pas plus loin et c'est pour cela qu'il faut le mettre sur un chemin sans ornières et sans cailloux. Déjà dans mes pre­mières études sur le traitement de l'hystérie en 1896 je parlais de la simplicité de la vie nécessaire au névropathe. « Le vrai remède de l'hystérie, disais-je avec Briquet, c'est le bonheur. Cela est parfaitement vrai mais il faut entendre quel est le bonheur qui convient à ces faibles ; je le résumerai en un mot, c'est la vie facile où tous les problèmes du métier, de la famille, de l'amour, de la religion sont réduits au mini­mum, dans lequel sont soigneusement écartées les luttes de chaque jour toujours nouvelles, les préoccupations de l'avenir et les combinaisons compliquées. Sans doute la fortune est un grand élément de cette facilité de l'existence : j'ai vu des hystériques guéries par un héritage et ce remède n'est pas à la portée de tous les malades ; mais le choix d'une carrière, d'un milieu favorable, le renoncement à des ambitions trop grandes peuvent aussi contribuer à ce bonheur tout particulier [19] ».

Un grand principe du traitement des névropathes, c'est que leur vie doit être excessivement régulière et monotone. Il faut se défier perpétuellement des parents agités qui, sous prétexte de chercher le mieux, réclament sans cesse des changements pour les malades. Pour tout névropathe, le meilleur changement est toujours un désas­tre et retarde de beaucoup sa guérison, il faut autant que possible l'éviter. Souvent il faut supprimer ou réduire les exercices religieux, les études, les voyages, le travail professionnel. A tous les degrés c'est toujours la simplification, la réduction de l'acte et de la dépense. Même quand le malade semble rétabli, quand la crise de dépression semble guérie, c'est encore en le préservant des ambitions et des aventures, en lui apprenant à restreindre et à cacher sa vie qu'on le préservera le mieux des rechutes.

Malheureusement ces restrictions sont souvent pénibles : j'ai eu l'occasion de montrer que chez beaucoup de malades les joies exaltées, les enthousiasmes sont fort dangereux et sont suivis d'accidents dépressifs plus ou moins graves. Ces individus ont quelquefois reconnu eux-mêmes ce danger : « Je sais très bien, disait l'un d'eux, que tout spectacle ou toute circonstance impressionnante est dangereuse pour moi... je me défie de tout ce qui peut déterminer une joie vive, un chagrin profond... Je dois renoncer aux spectacles, aux concerts que j'aime trop ... Il me faut un état gris sans émotion et je me fais la vie qu'il me faut ... » On dira qu'il est impossible d'éviter les occasions de chagrin, de surprise, de regret : ce n'est pas tout à fait exact. On peut éviter les circonstances qui nous exposent à des ruptures, à des déceptions, on peut éviter de prendre les choses trop à cœur et rendre bien plus rares les occasions qui réclament un triomphe, une liquidation et plus rares aussi les occasions de réminis­cences traumatiques.

Beaucoup de médecins, Grancher en particulier, ont appris aux tuberculeux qu'ils devaient pendant des années à se résigner à une vie différente de celle des autres. Nous devons faire comprendre aux névropathes qu'il en est de même pour eux et qu'ils évitent des faillites terribles en économisant tous les jours sou par sou les richesses psychologiques.

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