Memoire de F. A. Mesmer

Back to Index

MEMOIRE

DE F. A. MESMER,

DOCTEUR EN MÉDECINE,

SUR SES DECOUVERTES.

La philosophieest parvenue dans ce siècle à triompher des préjugés et de lasuperstition : c'est par le ridicule surtout qu'elle a réussi à éteindreles bûchers que le fanatisme, trop crédule, avait allumés, parce que leridicule est l'arme à laquelle l'amour-propre sait le moins résister. Sil'opinion élevait autrefois le courage jusqu'à faire braver le martyre,tan­dis qu'aujourd'hui on ne peut supporter le moindre ridicule; c'est que l'amour-propremettait alors toute sa gloire dans la   force de la résistance, et qu'à présent il craindraitl'humiliation d'une crédulité qu'on taxerait de faiblesse. Le ridiculeserait sans doute le meilleur moyen de réformer les opinions, si toutefois il n'avaitque l'erreur pour objet ; mais, par un zèle exagéré pour lesprogrès de la philosophie, on abusa trop souvent de ce moyen : lesvérités les plus utiles furent méconnues, confondues avec les erreurs etsacrifiées avec elles.

Les égaremens de la superstitionn'empê­chèrent pas autrefois de reconnaître des faits surprenans,dont le défaut de lumières ne permettait pas d'apercevoir les causes ;on ne dédaignait pas de constater ces faits avec une attention proportionnéeà leur importance ; et si l'on se trompait sur les principes, onn'avait au moins aucun doute sur les effets. Aujourd'hui on se refuseà l'examen et à la vérification des faits, de sorte qu'on est ré­duità ignorer autant les effets que les causes.

Lors même que certaines vérités,en raison de leur vétusté et de l'abus de l'esprit hu­main, sont tellementdéfigurées qu'elles se trouvent confondues avec les erreurs les plus absurdes,ces vérités n'ont pas perdu pour cela le droit de reparaître au grand jour pour le bonheur des hommes; j'ose diremême que c'est une obligation pour ceux qui, par leurs connaissancesprétendent à l'estime pu­blique, de rechercher ces vérités pour les dé­gagerdes ténèbres et des préjugés qui les enveloppent encore, au lieu de seretrancher dans une incrédulité funeste aux progrès de la science.

J'ai annoncé, par le Mémoire que j'aipu­blié l'an 1779, sur la découverte du magné­tisme animal, les réflexions quej'avais faites depuis plusieurs années sur l'universalité de certaines opinionspopulaires qui, selon moi, étaient les résultats d'observations les plusgénérales et les plus constantes.

Je disais à ce sujet que jem'étais imposé la tâche de rechercher ce que les anciennes er­reurs pouvaientrenfermer d'utile et de vrai ; et j'ai cru pouvoir avancer que parmi les opi­nionsvulgaires de tous les temps, qui n'ont pas leur principe dans le cœurhumain, il en était peu, quelque ridicules et même extra­vagantesqu'elles paraissent, qui ne pussent être considérées comme le reste d'unevérité primitivement reconnue.

Mon premier objet fut de méditer surce qui pouvait avoir donné lieu à des opinions absurdes, suivantlesquelles les destinées des hommes, ainsi que les événemens de la na­ture,étaient regardés comme soumis aux constellations et aux différentes positions queles astres avaient entre eux.

Un vaste système des influencesou des rapports qui lient tous les êtres, les lois mécaniques etmême le mécanisme des lois de la nature, ont été les résultats de mes mé­ditationset de mes recherches.

J'ose me flatter que les découvertesque j'ai faites, et qui sont le sujet de cet ouvrage, reculeront les bornes denotre savoir en physique, autant que l'invention des mi­croscopes et destélescopes l'a fait par rap­port aux temps qui nous ont précédés (1). Ellesferont connaître que la conservation de l'homme, ainsi que son existence, sontfon­dées sur les lois générales de la nature; que l'homme possède despropriétés analogues à celles de l'aimant; qu'il est doué d'une sensi­bilité, par laquelle il peut être en rapport avec les êtres quil'environnent, même les plus éloignés; et qu'il est susceptible de secharger d'un ton de mouvement (2); qu'il peut, à l'instar dufeu, communiquer à d'autres corps animés et inanimés; que cemouvement peut être propagé, concentré, réfléchi comme la lumière,et communiqué par le son; qu'enfin le principe de cette action, considéré commeun agent sur la substance intime des nerfs du corps animal, peut devenir un moyen de guérir et même DESE PRÉSERVER DES MALADIES.

Je suis parvenu à reconnaîtrela cause im­médiate de l'important phénomène du mou­vement alternatifque nous offre l'Océan : je suis convaincu que l'action de cette mêmecause ne se borne pas à cet élément, mais qu'elle s'étend sur toutes lesparties consti­tutives de notre globe; que cette action, en déterminant ce quej'appelle l'intension (3) et la rémission alternatives despropriétés de la matière organisée, anime et vivifie tout ce qui existe; et qu'enfin cette action, la plus universelle, est au monde ce que les deuxactes de la respiration sont à l'économie ani­male.

Voilà en substance lesprincipales décou­vertes que j'annonce depuis vingt - cinq ans sous ladénomination de magnétisme animal, dénomination pleinement justifiée parla na­ture de la chose.

La singularité de cette nouveautérévolta d'abord enAllemagne les physiciens et les médecins, les électriseurs, et les gens quimaniaient l'aimant. On accueillit avec dédain les premières annoncesfaites par un homme encore ignoré parmi eux. On contesta la pos­sibilité des phénomènes,comme étant con­traires aux principes reçus en physique. Au lieu d'amuser lacuriosité , je m'empressai d'arriver au point de les rendre utiles, et ce nefut que par les faits que je voulus con­vaincre.

Les premières guérisonsobtenues sur quel­ques malades regardés comme incurables, suscitèrentl'envie et produisirent même l'in­gratitude , qui se réunirent pourrépandre des préventions contre ma méthode de guérir ; en sorte que beaucoup desavans se liguèrent pour faire tomber, sinon dans l'oubli, du moins dansle mépris, les ouvertures que je fis sur cet objet : on cria partout àl'impos­ture (4). EnFrance, où la nation est plus éclairée et moins indifférente pour lesnouvelles con­naissances, je n'ai pas laissé que d'éprouver des contrariétés detoute espèce, et des per­sécutions que mes compatriotes m'avaientpréparées de longue main, mais qui, loin de me décourager, ne firent que redoublermes efforts pour le triomphe des vérités que je regardais comme essentielles aubonheur des hommes.

Un grand nombre de malades qui, pen­dantdix à douze années consécutives, avaient éprouvé les effets salutairesde cette méthode, et des personnes instruites qui se livraient à cettepratique bienfaisante, me rendirent une justice entière. Mais quelquessavans de ce pays, faisant profession de gouverner l'opi­nion, se sont, pourainsi dire, coalisés avec les étrangers, pour mettre au nombre des illusionstout ce qui se présentait en faveur de cet objet : l'autorité de leur renomméefortifia la prévention.

Un ministre du règne passéabusa de toute sa puissance pour détruire l'opinion nais­sante. Aprèsavoir ordonné (malgré mes pro­testations) la formation d'une commission, pourjuger ma doctrine, et la condamner dans la pratique qu'en faisait une personneque je désavouais, il fit célébrer son triomphe à l'académie dessciences, où il fut flagorné pour les avoir préservées, disait-on, d'une grande erreur qui faisait la honte dusiècle. Il inonda l'Europe entière d'un rapport fait par cettecommission, et finit par livrer à la dérision publique, sur lesthéâtres, et ma doctrine et ma méthode de guérir.

La grande nation à laquelle jeconsacre le fruit de mes découvertes continuerait - elle de voir avecindifférence qu'on soit parvenu à lui ravir, par de basses intrigues,l'opinion consolante d'avoir acquis un moyen nouveau de conserver et derétablir la santé ? non, elle s'empressera de revenir de son erreur sur unobjet si essentiel au bonheur de l'huma­nité (5).

En effet on aura de la peine àcroire que vingt-cinq années d'efforts n'aient pas pu dégager ces précieusesdécouvertes de l’incertitude dans laquelle elles furent envelop­pées par lescirconstances. Faudra-til laisser s'écouler ce siècle, sans avancer d'unpas en physique, et rester stationnaire sur l'électri­cité et l'aimant ?Chercherait-on encore à se réunir pour s'opposer à une révolutionque je voulais opérer dans l'art qui a fait le moins de progrès, etpourtant le plus nécessaire aux hommes(6)?

On verra, j'ose le croire, que cesdécouvertes ne sont pas une rencontre du hasard, mais le résultat de l'étude etde l'observation des lois de la nature; que la pratique que j'enseigne n'estpas un empirisme aveugle, mais une méthode raisonnée.

Quoique je sache très-bien quele premier principe de toute reconnaissance humaine est l'expérience, et quec'est par elle qu'on peut constater la réalité des suppositions, je me suisoccupé à prouver d'avance par un enchaînement de notions simples etclaires, la possibilité des faits que j'ai annoncés, et dont un grand nombre aété publié sous différentes formes, par ceux qui ont su profiter de madoctrine.

Les phénomènes que j'avaissurpris à la nature m'ont fait remonter à la source com­mune detoutes choses, et je crois avoir ou­vert une route simple et droite pour arriverà la vérité, et avoir dégagé en grande partie l'é­tude de la nature desillusions de la méta­physique (7).

La langue de convention, le seul moyendont nous nous servons pour communiquer nos idées, a, dans tous les temps,contribué à défigurer nos connaissances. Nous acqué rons toutesles idées par les sens : les sens ne nous transmettent que celles despropriétés, des caractères, des accidens, des attributs: les idées detoutes ces sensations s'expriment par un adjectif ou épithète, commechaud, froid, fluide, solide, pesant, léger, luisant, sonore, coloré, etc. Onsubstitua à ces épi-thètes, pour la commodité de la langue, dessubstantifs : bientôt on substantifia les pro­priétés; on dit, la chaleur, lagravité, la lu­mière, le son, la couleur, et voilà l'origine desabstractions métaphysiques.

Ces mots représentèrentconfusément des idées de substances, c'est-à-dire qu'on avait l'idéed'une substance, lorsqu'on n'eut en effet que l'idée du mot substantif; cesqualités occultes d'autrefois, aujourd'hui s'appellent les propriétés descorps. A mesure qu'on s'éloignait de l'expérience, ou plutôt avant d'avoir desmoyens d'y parvenir, non seule­ment on multiplia ces substances, mais en­coreon les personnifia. Des substances rem­plissaient tous les espaces,: ellesprésidaient et dirigeaient les opérations de la nature : de là lesesprits, les divinités, les démons, les génies, les archées, etc. Laphilosophie expérimen­tale en a diminué le nombre; mais il nous reste encorebeaucoup à faire pour arriver à la pureté de la vérité. Nous yserons, lorsque nous serons parvenus à ne reconnaître d'autre substancephysique que le corps, ou la matière organisée et modifiée detelle ou telle manière. Il s'agit donc de connaître et de déterminerle mécanisme de ces modifications, et les idées qui résulteront de cemécanisme aper­çu , seront des idées physiques les plus con­formesà la vérité. C'est, en général, le but que je me propose d'atteindre parle système des influences dont je fais ici l'annonce(8).

« Une aiguille non-aimantée, mise enmou­vement, ne répondra que par hasard à une directiondéterminée; tandis qu'au contraire celle qui est aimantée , ayant reçu lamême impulsion, après différentes oscillations proportionnéesà cette impulsion et au magnétisme qu'elle a reçu, retrouvera sapremière direction et s'y fixera : c'est ainsi que l'harmonie des corpsorganisés, une fois troublée, doit éprouver les incertitudes de mapremière supposition, si elle n'est rappelée et déterminée par l'agentgénéral, dont je vais développer l'existence, et qui seul peut rétablircette harmonie dans l'état naturel (9)».

Examinons donc quelle est la nature decet agent ?

«il existe un fluide universellementrépandu, et continué de manière à ne souffrir aucun vide, dont lasubtilité ne permet aucune comparaison, et qui de sa nature est susceptible derecevoir, propager et communiquer toutes les impressions du mouvement (10) ».

L'état de fluidité de lamatière étant un état relatif entre le mouvement et le repos, il estévident qu'après avoir épuisé par l'ima­gination toutes les nuances defluidité possi­bles, on sera forcé de s'arrêter au dernier degré desubdivision ; et ce dernier degré est ce fluide qui remplit tous lesinterstices ré­sultans des figures des molécules plus combi­nées. Le sable, parexemple, a un degré de fluidité ; la figure de ses grains forme néces­sairementdes interstices qui peuvent être occupés par l'eau; ceux de l'eau leseront par l'air; ceux de l'air par ce qu'on appelle l'éther; ceux de l'étherenfin seront comblés par une substance encore plus fluide, et dont nous n'avonspas fixé la dénomination. Il est dif­ficile de déterminer où cettedivisibilité finit. C'est cependant d'une de ces séries de la ma­tièrela plus divisée par le mouvement intes­tin , que je veux parler ici.

Ou pourrait comparer, si je puism'expri­mer ainsi, l'opiniâtreté de quelques savans à rejeter l'idéed'un fluide universel et la pos­sibilité d'un mouvement dans le plein,à celle des poissons, qui s'élèveraient contre celui d'entre euxqui leur annoncerait que l'espace entre le fond et la surface de la mer estrempli d'un fluide qu'ils habitent ; que ce n'est qu'en ce milieu qu'ils serapprochent, qu'ils s'éloignent, qu'ils se communiquent, qu'ils s'enchaînent,et qu'il est le seul moyen de leurs relations réciproques.

Cependant quelques physiciens sont par­venusà reconnaître l'existence d'un fluide universel; mais à peineeurent-ils fait ce premier pas, qu'entraînés au-delà du vrai, ils ontprétendu caractériser ce fluide, le surcharger de propriétés et de vertus spéci­fiques, en lui attribuant des qualités, des puis­sances , des tendances, des vues,des causes finales; enfin des puissances conservatrices, productrices,destructrices, réformatrices.

La vérité n'est que sur une lignetracée entre les erreurs. L'esprit humain, par son activité inquiète,est comme un cheval fou­gueux : il est également difficile de mesurer avecjustesse l'élan qu'il lui faut pour attein­dre cette ligne, sans courir risquede la dé­passer, et de s'y contenir long-tems, de ma­nière àn'avancer ni à reculer ses pas.

Il n'est donc pas permis de douter del'existence d'un fluide universel, qui n'est que l'ensemble de toutes lesséries de la matière la plus divisée par le mouvement intestin (11)En cet état, il remplit les inter­stices de tous les fluides, ainsi que de tousles solides contenus dans l'espace. Par lui, l'univers est fondu et réduit enune seule masse. La fluidité constitue son essence. N'ayant aucune propriété,il n'est ni élas­tique ni pesant, mais il est le moyen propre àdéterminer des propriétés dans tous les ordres de la matière qui setrouve plus com­posée qu'il ne Test lui-même. Ce fluide est àl'égard des propriétés qu'il détermine dans les corps organiques, ce que l'air(12) est au son et à l'harmonie, ou l'éther à la lumière,ou enfin l'eau au moulin; c'est-à-dire, qu'il reçoit les impressions,les modifications du mouvement, qu'il les transmet, qu'il les trans­fère,qu'il les applique et les insinue dans les corps organisés; et les effets ainsiproduits ne sont que le résultat combiné du mouvement et de l'organisation descorps.

Il faut considérer ici que lesdiverses séries dont l'Océan du fluide est composé, à partir de lamatière élémentaire jusqu'à celles qui tombent sous nos sens,comme l'eau, l'air et l'éther, différent entre elles par une sorted'organisation intime, effet de la combinaison primitive de leurs molécules.Cette organisa­tion spéciale rend chacune de ces séries sus­ceptible d'unmouvement particulier qui lui est propre.

Nous observons la gradation de cettesus­ceptibilité exclusive de mouvemens dans les trois genres de fluides. Il enest de la lu­mière, du feu, de l'électricité et du magné­tisme comme duson; aucuns ne sont point des substances, mais bien des effets du mou­vementdans les diverses séries du fluide universel.

Il sera démontré par ma théorie des in­fluencescomment ce fluide, cette matière subtile, sans être pesante,détermine l'effet que nous appelons gravité; comment sans êtreélastique, il concourt à l'élasticité; com­ment en remplissant tous lesespaces, il opère la cohésion, sans être lui-même en cetétat. Je démontrerai de même que l'attraction est un mot vide de sens,que l'attraction n'existe pas dans la nature, qu'elle n'est qu'un effet apparentd'une cause qu'on n'aperçoit pas. J'établirai aussi en quoi consistel'électricité, le feu, la lumière, etc. Je prouverai, en un mot que toutesles propriétés sont le résultat combiné de l'organisation des corps et dumouvement du fluide dans lequel ils sont plongés.

On comprendra avant tout comment uneimpulsion une fois donnée sur la matière a dûsuffire au développement successif de toutes les possibilités, comment lesimpul­sions particulières, qui n'en sont que la con­tinuité , deviennentl'origine de nouvelles organisations ; comment le mouvement est la cause durepos, et le repos à son tour accé­lère le mouvement de lamatière fluide pour opérer d'autres combinaisons. On verra enfin quec'est par la simplicité de l'ordre, dans un cercle perpétuel entre les causeset les effets, que nous pouvons avoir la plus juste comme la plus grande idéede la nature et de son au­teur (13).

On pourrait ajouter à cesconsidérations, que l'immensité de la matière fluide serait restéehomogène, sans produire de nouveaux êtres, si le hazard despremières combinai­sons n'eût pas déterminé des courans, dont lescélérités variées et modifiées sont devenues une source infinie d'organisationset des effets qui en résultent.

En remontant ainsi par une marchesimple aux plus grandes opérations de la nature, ou reconnaît que le magnétismeou l'influence mutuelle, est l'action la plus universelle; et que c'est l'aimantqui nous offre le modèle du mécanisme de l'univers; que cette actionn'est que l'effet nécessaire du mouvement dans le plein.

Comme toutes les vérités se tiennent,il est impossible de faire des progrès dans l'étude de la nature, sansavoir embrassé l'enchaîne­ment de ses principes ; c'est pourquoi j'ai crunécessaire d'eu exposer le système, dont Je corps humain fait partie intégrante,avant de proposer des moyens conservateurs : car les lois par lesquellesl'univers est gouverné, sont les mêmes que celles qui règlentl'économie animale. La vie du monde n'est qu'une, et celle de l'hommeindividuel en est une par­ticule.

Toutes les propriétés des corps, je lerépète, sont le résultat combiné de leur organisation et du mouvement dufluide dans lequel ils se trouvent.

Si l'on considère l'action dece fluide ainsi défini, comme appliquée au corps animal, elle y devient leprincipe du mouvement et des sensations.

Il est certain que la nature et laqualité des humeurs de l'homme dépendent unique­ment de l'action des solides,du mécanisme des organes ou viscères, et des vaisseaux qui contiennentces humeurs; ce sont eux qui les élaborent, en dirigent et règlent les mouve­mens,les mélanges, les proportions, les sé­crétions , les excrétions, etc. Il estaisé de concevoir que ce n'est que dans l'irrégularité de l'action des solidessur les liquides, ou dans l'imperfection du mécanisme ou du jeu desviscères et des organes, qu'existe la pre­mière cause de toutesles aberrations; et que conséquemment le remède commun et unique doit setrouver dans le rétablissement de l'ac­tion des organes, qui seuls peuventchanger et corriger les vices et les altérations des hu­meurs. C'est ici le casd'examiner quel est le principe du mouvement, et le ressort com­mun desdifférentes machines agissant sur les liquides.

C'est la fibre musculaire, quipar son mé­canisme particulier, devient, comme je puis le prouver, l'instrumentde tout mouvement, comme le principe de toute action des solides sur lesliquides. Les courans du fluide uni­versel étant dirigés et appliqués àl'organisa­tion intime de la fibre musculaire, précisé­ment comme le vent oul'eau le sont au mou­lin, en déterminent les fonctions. Ces fonctions consistent dans l'alternative de seraccourcir et de s'alonger, ou de se relâcher ; se raccour­cir est proprementson action positive : cette faculté est appelée irritabilité.

C'est à cette faculté,appliquée au méca­nisme particulier du cœur, que nous devons le mouvementde systole et diastole de ce viscère hydraulique et de toutes lesartères.

Le jeu de la dilatation et de lacontraction des vaisseaux sur la liqueur qu'ils contiennent, est la cause de lacirculation des humeurs, et conséquemment de la vie animale. Le défaut de Tunede ces deux actions ou de la réaction en arrête le cours. Aussitôt queles humeurs sont privées du mouvement local et intestin, elles s'épaississentet se consolident. Cet épais-sissement ou repos s'étend en se communi­quantà une partie plus ou moins considérable des canaux. Un autre effet durepos des hu­meurs est leur dégénérescence : en se décom­posant, elless'arrêtent dans les canaux dont la capacité n'est pas propre à lescontenir. L'état des vaisseaux dans lesquels le cours des humeurs estarrêté ou rallenti, est nommé obstruction.

La fibre musculaire animée par le prin­cipede l'irritabilité, est encore susceptible d'une affection externe, qui estappelée irri­tation (14). L'effet ordinaire de cet affection est leraccourcissement de la fibre.

Toute action de la libre musculairepeut être considérée comme dépendante, soit de l'irritabilité, soit del'irritation, soit de l'une et de l'autre ensemble. Il existe par consé­quentdeux causes immédiates d'obstructions : La première, lorsqu'un vaisseaua perdu de son irritabilité, ce qui le met dans l'impuis­sance de se contracter; la seconde, lorsqu'un vaisseau est dans un état d'irritation, ou qu'il setrouve quelque obstacle a sa dilatation. Ainsi dans les deux cas, lesconditions né­cessaires pour le jeu alternatif des vaisseaux sont contrariées,et leur action arrêtée.

Sans entrer dans les détails de cetteaber­ration , qui est la plus générale et presque la seule dans le corpsvivant, il est aisé de concevoir, d'après une loi générale, que la causedu mouvement fait toujours un effort contre la résistance, et qu'il doit luiêtre proportionné pour la vaincre. Cet effort est appelé crise, ettous les effets qui résultent directement de cet effort, sont appelés lessymptômes critiques : ils sont les véritables moyens de guérison, ou ce quiforme la cure de la nature ; tandis qu'au contraire les effets provenantde la résistance contre cet effort de la nature, sont dits les symptômes sym­ptomatiques,et forment ce qu'on doit appeler la maladie.

La crise est déterminée parl'irritation de la libre, laquelle est occasionnée, soit par l'in­tension del'irritabilité, soit par un effort aug­menté sur la fibre résistante, soit enfinpar la réunion de ces deux causes.

Il est donc constant et conforme auxlois du mouvement, qu'aucune aberration dans le corps animal ne peut serectifier sans avoir éprouvé les effets de cet effort; c'est-à-dire,qu'aucune maladie ne peut être guérie sans une crise. Cette loi est sivraie et si générale, que d'après l'expérience et l'observation, la pluslégère pustule, le plus petit bouton sur la peau, ne se guérissentqu'après une crise. Les différentes formes sous lesquelles l'ef­fort dela nature se manifeste dépendent de la diversité dans la structure desparties orga­niques ou des viscères qui subissent cet ef­fort, de leurscorrespondances et rapports, selon les divers degrés et modes de résistance, dupériode de leur développement.

Pour avoir peu connu le mécanisme ducorps animal, et moins encore comment, par ce mécanisme, il tient àl'organisation de toute la nature, les anciens ont regardé cha­que genre de cesefforts comme autant d'es­pèces de maladies. Dès la naissance dela médecine, on s'est opposé au vrai et au seul moyen employé par la naturepour détruire les causes qui troublaient l'harmonie.

Hippocrate paraît avoir 'été lepremier et presque le seul qui ait saisi le phénomène des crises dansles maladies aiguës. Son génie observateur l'avait conduit à reconnaîtreque les divers symptômes n'étaient que les mo­difications des efforts que lanature faisait contre ces maladies. Après lui, lorsqu'on ob­serva lesmêmes symptômes dans les maladies chroniques, plus éloignées de la cause,iso­lées, sans fièvre continue, on substantifia ces accidens, on en fitautant de maladies, et onles caractérisa chacune par un nom; on étudia, on analysa ces accidens et leurssymptômes comme des choses : on prit même pour indicateur lessensations du malade. Et voilà la source des erreurs qui désolent l'hu­manitédepuis tant de siècles.

Hippocrate, par les symptômes les plusopposés en apparence, au lieu d'être décon­certé, pronostiquait laguérison; son assu­rance était fondée sur l'observation de la marche périodiquedes jours, qu'il appelait critiques. Il sentait confusément qu'ilexistait un principe externe et général, dont l'action était régulière;et que c'était ce principe qui développait et décidait la complication descauses qui forment la maladie.

Ce que le père de la médecineobservait ainsi, et ce que d'autres après lui jusqu'ici ont appelé lanature, n'était que les effets de ce principe que j'ai reconnu et dont j'aiannoncé l'existence, principe qui détermine sur nous cette espèce deflux, et reflux ou intention et rémission des propriétés.

Il est à regretter que lalumière qu'il jeta sur l'art de guérir se soit bornée aux maladies aiguës : il aurait pu reconnaître queles mala­dies chroniques ne diffèrent des autres que par la continuitéet la rapidité avec laquelle les symptômes se succèdent. Les maladiesaiguës sont à l'égard des chroniques ce que le cours de la vie d'uninsecte, qu'on nomme éphémère, est au cours de là vie desautres animaux : le premier subit dans les vingt-quatre heures toutes lesrévolutions de l'âge, du sexe, de l'accroissement et du dépérisse­ment ,lorsque les autres espèces d'animaux emploient des années pour parcourircette carrière.

D'ailleurs, on a lieu de regretter quela mé­decine ignore encore le développement natu­rel et nécessaire de laplupart des maladies chroniques : c'est en s'y opposant par des remèdes,qu'elle en trouble la marche, en arrête le cours, et très-souventen avance le terme par une mort prématurée. La marche et le développement del'épilepsie, par exem­ple, ainsi que de la manie, de la mélancolie, desmaladies dites de nerfs, des engorgemens des glandes, de leurs complications,des affec­tions des organes des sens, sont encore inconnus; et c'estprincipalement dans ces divers états qu'on confond la crise avec la maladie.

Les causes immédiates de toutes lesmala­dies, internes ou externes, supposent le dé­faut ou l'irrégularité de lacirculation des humeurs ou des obstructions de différens ordres devaisseaux : cet état étant, comme on Ta fait remarquer, le résultat du défautde l'irritabilité ou de l'action des solides sur les humeurs qu'ilscontiennent, on comprendra enfin, qu'au lieu de recourir par un choix vague etincertain, aux spécifiques et aux drogues innombrables assorties par la théoriedes humeurs; on n'a, dans tous les cas, que deux indications à remplir ;savoir : 1° de rétablir l'irritabilité ou l'action des solides sur lesliquides : 2° d'empêcher et prévenir les obstacles qui peuvent s'yopposer.

Il est prouvé par le systèmedes influences, et il est constaté par l'observation exacte et assidue, que lesgrands corps appelés célestes, gouvernent les mouvemens partiels denotre globe : les alternatives du flux et reflux , (effet commun àtoutes ses parties constitu­tives,) la végétation, les fermentations, les organisations, les révolutionsgénérales et particulières dont il est susceptible, sont na­turellementdéterminées par cette influence qui au moyen de la continuité d'un fluideuniversel, produit augmentation et diminu­tion de toutes les propriétés descorps, comme nous le voyons distinctement dans le déve­loppement et leralentissement de la végéta­tion.

C'est ainsi, et par les mêmescauses que l'irritabilité est naturellement augmentée ou diminuée ; en sorteque le cours et le déve­loppement dans les maladies, et même leurguérison, que Ton attribuait vaguement à la nature, sont réglés etdéterminés par cette influence ou par ce que j'appelle magnétisme naturel.

Mais comme cette opération de lanature, quoique générale, ne peut devenir utile qu'aux êtres qui y sontparticulièrement dis­posés ; il me restait à découvrir età reconnaî­tre les lois et le mécanisme intime des procé­dés de lanature, afin de savoir l'imiter et d'en faire l'application renforcée etgraduée, dans les cas individuels, dans tous les temps et dans toutes les situationsoù l'homme se trouve.

Je crois avoir surpris à lanature ce méca­nisme des influences, qui, comme je l'expli­querai, consistedans une sorte de versement réciproque et alternatif des courans entranset sortans, d'un fluide subtil, remplissant l'espace entre deux corps. Lanécessité de ce versement est fondée sur la loi du plein ; c'est-à-direque dans l'espace rempli de ma­tière, il ne peut se faire un déplacementsans remplacement, ce qui suppose que si un mouvement de la matièresubtile est provo­qué dans un corps, il se produit aussitôt un mouvementsemblable dans un autre suscep­tible de la recevoir, quelle que soit ladistance entre les corps. Cette sorte de circulation est capable d'exciter et derenforcer en eux les propriétés analogues à leur organisation, ce qui seconcevra facilement en réfléchissant sur la continuité de la matièréfluide, et sur son extrême mobilité toujours égale à sa sub­tilité: l'aimant, l'électricité, comme aussi le feu, nous offrent les modèleset les exemples de cette loi universelle.

J'ai reconnu , que quoiqu'il existâtune influence générale entre les corps, il est néanmoins des modes, des tonsparticuliers et divers, des mouvemens par lesquels cette influence peut s'effectuer.

Comme le feu, par un mouvement toni­que(15) déterminé, diffère de la chaleur, ainsi le magnétisme, dit animal,diffère du magné­tisme naturel : la chaleur est dans la nature; sansêtre feu, elle consiste dans le mouve­ment intestin d'unematière subtile. Elle est générale, tandis que le feu est un produit del'art ou de certaines conditions. Le feu produit presqu'à l'instant, etdans la plupart des circonstances, les effets qu'on n'obtient de la chaleur quepar la durée du temps, et avec le concours des causes particulières. Etvoilà comment le magnétisme naturel diffère du magnétisme animaldont il s'agit ici. Les expérienceset les sensations des malades, confirment d'une manière incontestablecette théorie.

L'action la plus immédiate du magnétismeou de l'influence de ce fluide, est de ranimer et de renforcer l'action de lafibre muscu­laire par un mouvement accéléré, tonique et analogue à lapartie organique à laquelle elle appartient. Mille observations ontprouvé que l'application de ce moyen développe le cours des maladies ;c'est-à-dire, qu'après un combat plus ou moins décisif entre lesefforts et la résistance, il détermine, règle et accé­lèrel'ordre et la marche dans lesquels les causes et les effets sesuccèdent, afin d'opérer le rétablissement de la santé, en provoquant,dans tous les cas, d'une manière sûre, les crises et leurseffets relatifs.

Le magnétisme animal, considéré commeun agent, est donc effectivement un feu invi­sible ; il s'agit :

1° De savoir provoquer et entretenir partous les moyens possibles ce feu et d'en faire l'application.

De connaîtreet lever les obstacles qui peuventtroubler ou empêcher son action , et l'effet gradué qu'on chercheà obtenir clans le traitement.

3° De connaître et de prévoir lamarche de leur développement pour en régler et en attendre avec fermeté lecours jusqu'à la guérison.

Voilà à quoi se réduitgénéralement la dé­couverte du magnétisme animal, considéré comme moyen depréserver des maladies et de les guérir.

Il est prouvé par la raison etconstaté par l'expérience continuelle, que ce feu peut être concentré etconservé; que l'eau, les ani­maux , les arbres et tous les végétaux (16), ainsique les minéraux, sont susceptibles d'en être chargés.

D'après tout ce qui vientd'être dit jus­qu'ici , on s'attend sans doute à des explica­tionssur la manière d'appliquer le magné­tisme animal, et de le rendre unmoyen curatif efficace; mais comme indépendam­ment de la théorie, cettenouvelle méthode de guérir exige indispensablement une in­struction pratique etsuivie, je n'ai pas cru devoir donner ici la description, ni de cette pratique,ni de l'appareil et des machines de différentes espèces, ni des procédésdont je me suis servi avec succès, parce que chacun, en conséquence de soninstruction, s'appli­quera à les étudier, et apprendra de lui-mêmeà les varier et à les accommoder aux circonstances et auxdiverses situations du malade. C'est l'empirisme ou l'application aveugle demes procédés, qui a donné lieu aux préventions et aux critiques indiscrètes qu'on s'est permises contre cettenouvelle méthode. Ces procédés, s'ils n'étaient pas rai-sonnés, paraîtraientcomme des grimaces aussi absurdes que ridicules, auxquelles il serait en effetimpossible d'ajouter foi. Dé­terminés et prescrits d'une manièrepositive, ils deviendraient, par une observance trop scrupuleuse, le sujetd'une superstition ; et j'oserais dire qu'une grande partie des céré­moniesreligieuses de l'antiquité paraissent être des restes de cet empirisme.Tous ceux d'ailleurs qui ont voulu s'assurer par leur propre expérience, de laréalité du magné­tisme, en le pratiquant sans en connaître les principes, sesont trouvés repoussés faute d'avoir obtenu le succès qu'ilsattendaient; s'imaginant que les effets devaient être le résultatimmédiat des procédés, comme ceux de l'électricité ou des opérations chimiques(17). Enconsidérant que l'influence réciproque est générale entre les corps; que l'aimantnous représentele modèle de cette loi universelle, et que le corps animal est susceptiblede pro­priétés analogues à celles de l'aimant; je crois assez justifierla dénomination de magnétisme animal, que j'ai adoptée pour désignertant le système ou la doctrine des influences en général, que ladite propriété du corpsanimal, ainsi que le remède et la méthode de guérir.

Cela peut suffire pour démontrer qu'onne doit pas confondre le magnétisme avec les phénomènes qui ont pudonner lieu à ce qu'on veut appeler l'électricité animale.

Je vois avec regret qu'on abuselégèrement de cette dénomination : dès qu'on s'est fami­liariséavec le mot magnétisme, on se flatte d'avoir l'idée de la chose, tandisqu'on n'a que l'idée du mot.

Tant que mes découvertes ont été misesau rang des chimères, l'incrédulité de quelques savans me laissait toutela gloire de l'inven­tion - mais depuis, qu'ils ont été forcés d'en reconnaîtrel'existence, ils ont affecté de m'opposer les ouvrages de l'antiquité,où se trouvent les mots fluide universel, magnétisme, influence ,etc. Ce n'est pas des mots qu'il s'agit, c'est de la chose, et surtoutde l'utilité de son application.

On trouvera dans le corps de madoctrine, que l'homme, comme objet principal de notre contemplation dans lanature, peut être con­sidéré en raison des parties constitutives de son mécanisme, et en raison de saconserva­tion. Sous le premier rapport, on comprend les instrumens du mouvementet des sensa­tions, qui déterminent les fonctions et les facultés ; j'ai donnéà cet égard mes idées sur les nerfs, la fibre musculaire,l'irritabilité, les sens, etc.

Sous le point de vue de laconservation, l'homme est considéré dans les divers états où il parcourtla carrière de son existence : comme dans l'état de sommeil, oùil com­mence à exister ; ensuite dans l'état de veille, où ilfait usage de ses sens, et continue d'exister, mais en relation avec les autresêtres qui l'environnent; enfin dans l'état de santé et de maladie.

La vie de tous les êtres dansl'univers n'est qu'une : elle consiste dans le mouvement de la matièrela plus déliée. La mort est le repos, ou la cessation du mouvement. On verraque la marche naturelle et inévitable, est de passer de l'état de fluiditéà celui de solidité: que le terme naturel de la vie de l'homme estdéterminé et fixé par son organisation et sa vie même; que la maladiepeut rapprocher ce terme,en empêchant le mouvement et en avançant la consolidation. Il s'agit icide con­naître les moyens de retarder ce terme fatal.

L'homme est doué de la faculté desentir. C'est par les sensations et leurs effets, qu'il existe en rapport avecd'autres matières et avec les êtres qui se trouvent hors de lui.La di­versité des organes appelés les sens le rend susceptibled'éprouver les effets des différentes matières dont il est environné. Leprincipe qui l'anime et qui le rend actif est déterminé par les sensations ; ettoutes les actions sont des résultats des sensations.

Indépendamment des organes connus,nous avons encore d'autres organes propres à recevoir des sensations ;nous ne nous dou­tons pas de leur existence, à cause de l'habi­tudeprédominante où nous sommes de nous servir des premiers, d'unemanière plus appa­rente, et parce que des impressions fortes, auxquellesnous sommes accoutumés dès le premier âge, absorbent des impressionsplus délicates, et ne nous permettent pas de les apercevoir.

D'après les expériences et lesobservations faites,il y a de fortes raisons pour croire que nous sommes doues d'un sens intérieurqui est en relation avec l'ensemble de l'univers, et qui pourraitêtre considéré comme une extension de la vue.

S'il est possible d'être affectéde manière à avoir l'idée d'un être à une distanceinfinie, ainsi que nous voyons les étoiles dont l'im­pression nous esttransmise en ligne droite, par la sensation et la continuité d'unematière co-existante entre elles et nos organes ; ne se­rait-il paségalement possible qu'au moyen d'un organe interne, par lequel nous sommes encontact avec tout l'univers, nous fussions affectés par des êtres dont lemouvement suc­cessif serait propagé jusqu'à nous en ligne courbe ouoblique, en un mot, dans une di­rection quelconque ? S'il est vrai, commej'essayerai de le prouver, que nous soyons affectés par l'enchaînement desêtres et des événemens qui se succèdent, on comprendra lapossibilité des pressentimens et d'autres phénomènes, tels que lesprédictions, les prophéties, les oracles des sybilles, etc.

D'après ma théorie sur les crises,c'est en observantavec plus d'attention le développe­ment aussi négligé que contrarié desmaladies chroniques, que j'ai reconnu le phénomène d'un sommeilcritique, dont les modifications infiniment variées se sont montrées assezsouvent à mes yeux, pour ouvrir une nou­velle carrière àmes observations sur la nature et les propriétés de l'homme.

Le sommeil de l'homme n'est pas unétat négatif ou la simple absence de la veille : des modifications de cet étatm'ont appris que les facultés dans l'homme endormi, non-seule­ment ne sont passuspendues, mais qu'elles agissent souvent avec plus de perfection quelorsqu'il est éveillé. On observe que certaines personnes endormies, marchent,se condui­sent et produisent les actes les mieux combi­nés , avec la mêmeréflexion, la même atten­tion, et autant d'exactitude que si ellesétaient éveillées. On est encore plus surpris de voir les facultés qu'on nomme intellectuelles,être portées à un tel degré, qu'elles surpassent in­finimentcelles qui sont les plus cultivées dans l'état ordinaire.

Dans cet état de crise, cesêtres peuvent prévoirl'avenir, et se rendre présent le passé le plus reculé. Leurs sens peuvents'étendre à toutes les distances et dans toutes les direc­tions, sansêtre arrêtés par aucun obstacle. Il semble enfin que toute lanature leur soit présente. La volonté même leur est commu­niquéeindépendamment de tous les moyens de convention. Ces facultés varient dans cha­queindividu ; le phénomène le plus commun est de voir l'intérieur de leurcorps, et même celui des autres, et de juger avec la plus grandeexactitude les maladies, leur marche, les re­mèdes nécessaires et leurseffets. Mais il est rare de voir toutes ces facultés réunies dans le mêmeindividu (18). Monintention n'est pas d'entrer ici dans le détail des faits multipliés queprésente l'histoire, qu'une longue expérience m'a per­sonnellement fournis, etqui se renouvellent chaque jour sous les yeux de ceux qui font usage de mesprincipes; j'ai voulu seulement donner une idée sommaire et précise desphénomènes sans nombre que la nature de l'homme ne cesse d'offrirà l'observateur at­tentif. Quelques-uns de ces faits ont été connus detous temps sous diverses dénominations, et particulierement sous celle desomnambulisme: quelques autres ont été entièrement négligés;d'autres enfin ont été soigneusement cachés.

Ce qui est certain, c'est que cesphéno­mènes, aussi anciens que les infirmités des hommes, ont toujoursétonné et le plus sou­vent égaré l'esprit humain : la disposition que celui-cimanifeste sans cesse à regarder comme des substances les modificationsdont il n'entrevoit pas le mécanisme, le portent également à attribuerà des esprits ou à des principes surnaturels des effets dont soninexpérience l'empêche de démêler les vraies causes : selon qu'ilsétaient heureux ou funestes, d'après les apparences, ils ont caracté­riséces principes comme bons ou mauvais; et selon qu'ils déterminaient l'espéranceou la crainte, la superstition et l'ignorante crédu­lité les rendaienttour-à-tour sacrés ou crimi­nels. Ils ne servirent que trop souventà pro­voquer de grandes révolutions; la charlata­nerie politique etreligieuse des différens peu­ples y puisa ses ressources et ses moyens.

En observant ces phénomènes, enréflé­chissant sur la facilité avec laquelle les erreurs naissent, semultiplient et se succèdent, per­sonne ne pourra méconnaître la sourcedes opinions sur les oracles, les inspirations, les sybilles, les prophéties,les divinations, les sortilèges, la magie, la démonurgie des an­ciens ;et de nos jours, sur les possessions et les convulsions (19).

Quoique ces différentes opinionsparaissent aussi absurdes qu'extravagantes, elles ne por­tent pastout-à-fait sur des chimères ; tout n'y est point prestige ;elles sont souvent les ré­sultats de l'observation de certains phéno­mènesde la nature, qui, faute de lumière ou de bonne foi, ont étésuccessivement défigurés; enveloppés ou mystérieusement cachés. Je puis prouveraujourd'hui que ce qu'il y a tou­jours eu de vrai dans les faits dont ils'agit, doit être rapporté à la même cause, et qu'ils nedoivent être considérés que comme autant de modifications de l'état appelé somnambu­lisme.

Depuis que ma méthode de traiter etd'ob­server les maladies a été mise en pratique dans les différentes parties dela France, plu­sieurs personnes, soit par un zèle imprudent, soit parune vanité déplacée, et sans égard pour les réserves et les précautions quej'avais jugées nécessaires, ont donné une publicité prématurée aux effets etsurtout à l'explica­tion de ce sommeil critique ; je n'ignore pas qu'ilen est résulté des abus, et je vois avec douleur les anciens préjugés revenirà grands pas.

Nous ayons encore présentes lespersécu­tions que le fanatisme trop crédule exerça, dans les siècles del'ignorance, sur les per­sonnes qui avaient le malheur de devenir les sujets deces prodiges, ou qui en étaient les ministres. Il est de même àcraindre qu'ils ne soient aujourd'hui victimes du fanatisme de l'incrédulité; ou ne les punira pas comme idolâtres ou sacrilèges; mais on lestraitera peut-être comme des imposteurs et pertur­bateurs du repospublic.

Comme l'ignorance est, dans toutes lessup­positions, la source des injustices et du mal moral, j'ai cru nécessaire deproduire mes pensées sur la nature d'un phénomène si propre ànous égarer, et qui, quoique tou­jours sous nos yeux, a constamment été mé­connu(20).

A l'égard des effets du magnétisme animal,et notamment du sommeil critique, qui est un des phénomènes les plusfrappans de son application, la société, en France, peutêtre divisée en trois classes.

Dans la première sont ceux quiignorent absolument tous les faits relatifs à ce phéno­mène,ou qui, soit par indifférence, soit par un intérêt mal entendu,s'obstinent à fermer les yeux sur tout ce que l'histoire et l'obser­vationleur présentent. Ce serait vouloir ex­pliquer les couleurs aux aveugles-nés,que d'entreprendre l'instruction de ceux-là.

Je vois dans la seconde classe ceuxqui, après avoir pris une exacte connaissance de mes principes, les ontmédités, ou en ont fait usage, et en obtiennent chaque jour la con­firmationpar leur propre expérience : je ne puis que les inviter à la persévérance,et j'ai -la confiance que cet écrit ajoutera quelque chose à leurslumières.

Je comprends enfin, dans latroisième classe, ceux qui, par des observations constantes etmultipliées, se sont assurés de la réalité des faits; mais qui, ne pouvant en expliquerles causes, et voulant sortir de l'état pénible de l'étonnement, au lieud'avoir recours à mes principes, ont préféré les illusions de la méta­physique.C'est pour eux essentiellement que j'écris, qu'ils veuillent bien me lire sanspré­vention , et ils ne tarderont pas à reconnaître que tout estexplicable par des lois mécani­ques prises dans la nature, et que tous leseffets appartiennent aux modifications de la matière et du mouvement.

Je pense que j'aurai rempli cettetâche im­portante, si l'on trouve dans le cours de ce mémoire une solutionsatisfaisante aux ques­tions qui suivent, et dans lesquelles je crois avoirprévu les difficultés les plus épineuses.

1° Comment l'homme endormi peut-il ju­geret prévoir ses maladies, et même celles des autres?

Comment,indépendamment de toute instruction, peut-il indiquer les moyens les pluspropres à la guérison ?

3° Comment peut-il voir les objets lesplus éloignés, et pressentir les événemens?

4° Comment l'homme peut-il recevoirl'im­pression d'une autre volonté que la sienne?

5° Pourquoi l'homme n'est-il pastoujours doué de ces facultés?

6° Comment sont-elles susceptibles deper­fectibilité?

7° Pourquoi cet état est-il plusfréquent, et paraît-il être plus parfait depuis que l'on emploie lesprocédés du magnétisme animal?

8° Quels ont été les effets del'ignorance de ce phénomène, et quels sont-ils encore aujourd'hui ?

9° Quels sont les inconvéniensrésultans de l'abus qu'on en peut faire?

Pour que je puisse répondre àces ques­tions d'une manière précise, je crois devoir en faciliterl'intelligence et l'explication, par une exposition abrégée des principes géné­rauxpuisés dans ma théorie, principes dont quelques-uns sont déjà connus dulecteur.

L'univers estl'ensemble de toutes les par­ties co-existantes de la matière quiremplit l'espace. D'après cette idée il existe autant de matièreque l'espace peut en contenir, et elle est dans un état égal de continuité.Toutes les parties de la matière sont en repos ou enmouvement entre elles, par conséquent elles sont ou fluides ou solides (21).

La fluidité et la solidité doiventêtre consi­dérées comme un état relatif du mouvement et du repos desparticules entre elles; et dans ces relations seules se trouve la raisonde toutes les formes et propriétés possibles. Les solides supposent une figure,et les figures des interstices qui sont remplis de la matière moinssolide ou plus déliée; celle-ci, con­sistant dans de petites masses d'une formedéterminée, présente encore des interstices à une matière plusfluide. Ces divisions entre les insterstices et les fluides, ainsi qu'il a été dit, sesuccèdent par une sorte de gradation, jusqu'à la dernièredes subdivisions de la matière, que je nomme élémentaire ou primor­diale, celle-là est seule d'une fluidité absolue, et les interstices nesont plus occupés, puis­qu'il n'existe pas de matière plus subtile.

La mobilité de la matière étanten raison inverse de l'absence de la cohésion, cette mo­bilité doit répondreà sa subtilité : consé­quemment la plus fluide et la plus subtile doitêtre douée de la mobilité la plus émi­nente. Les trois ordres defluidité, qui tom­bent sous nos sens : l'eau, l'air et l'éther,nous confirment cette progression.

Il est nécessaire de se rappeler iciqu'il y a en­tre l'éther et la matière élémentaire, des séries dematières d'une fluidité graduée, capables de pénétrer et de remplir tousles interstices.

Chacun des trois fluides qui nous sontconnus est susceptible d'être le conducteur d'un mouvement particulierproportionné au de­gré de fluidité. L'eau , par exemple, peut re­cevoir lesmodifications de la chaleur. L'air, tous les mouvemens de vibration qui peuvent produire le son, l'harmonie et sesmodula­tions. L'éther en mouvement constitue la lumière même. Sesmodifications sont déter­minées par les formes, les surfaces, les rap­ports desdistances et des lieux. Outre cela, l'eau et l'air peuvent renfermer dans leursinterstices des particules d'une gravité spé­cifique analogue, et devenir ainsiles véhi­cules des corpuscules, qui, moyennant leur configuration, sontcapables de produire tels ou tels effets.

Placé au milieu de ces différensfluides, l'homme est doué d'organes auxquels abou­tissent les extrémités desnerfs en plus ou moins grande quantité ; ces nerfs sont plus ou moins exposésau contact des différens ordres de fluides, dont ils reçoivent lesimpressions. Quelques-uns de ces organes, tels que ceux du tact, du goûtet de l'odorat, reçoivent ces impressions par une application immédiate dela matière ou du mouvement; les autres, comme la vue et l'ouïe sontaffectées par la commotion des milieux, dont la cause peut êtreà toute distance. Ces organes sont appelés les sens ; leurstructure est telle, que chacun d'eux peut être affecté d'un ordre dematières à l'exclusion de toute autre.

L'œil offre au mouvement del'éther, par l'expansion du nerf optique, une surface unie, capable de recevoiret de retracer l'ensemble des formes, des figures, des couleurs et dessituations; et par sa structure composée de parties diaphanes et opaques, ilpeut empê­cher l'accès de toute autre substance fluide. L'oreilleprésente dans sa structure des parties distinctes, et tellement disposées,qu'elles répondent à toutes les proportions et à tous les degrésd'intensité du ton et du son.

Le tact éprouve au contraire toutesles nuances des résistances et des impressions des corps qui lui sontimmédiatement appliqués. Le goût est affecté par la figure desparticules qui, atténuées par le liquide, s'insinuent dans les pores que leurprésente la superficie de la membrane de cet organe, dont elles touchent lesextrémités nerveuses. L'organe de l'odorat reçoit de la mêmemanière l'impression, par la figure des corpuscules qui lui sontamenés et appliqués par l'air.

Cette variété de dispositions étaitnécessaire pourque, plongés dans un océan de fluides, nous pussions ne pas confondre, etdistin­guer même avec la plus grande justesse, les effets des différentesmatières, et les mouve­mens déterminés par les divers objets. Lastructure et le mécanisme particulier de cha­que organe ne les rendent ainsisusceptibles que d'une seule fonction.

Nous sommes donc par le nombre et lapropriété de chacun de nos sens, bornés à être en rapport avec lesseules combinai­sons et modifications de la matière, dont l'ordre estrelatif à notre conservation. Cette réflexion me porte à penserqu'il existe des animaux doués d'organes différens des nô­tres , et dont lesfacultés les mettent en rela­tion avec des matières d'un ordre différentde celles qui nous affectent.

Voilà ce que je puis dire deplus succinct, sur la diversité des effets produits à l'extré­mité desnerfs.

Il s'agit d'examiner actuellement cequi s'opère dans leur substance intime. Je n'y vois que des mouvemens,aussi variés que l'est l'ac­tion des différentes matières sur lessens externes.Mais nous n'avons point de mots qui puissent en exprimer toutes les nuances.Ces mouvemens ainsi modifiés, reçus d'abord à la superficie, sontpropagés vers un centre commun formé par la réunion et l'entrelace­ment desnerfs, dont les extrémités que nous appelons les sens, ne doiventêtre considérées que comme des prolongemens. Par cette réu­nion plusieursfois répétée dans l'organisation animale, ces mouvemens se mêlent, se con­fondent, se modifient. C'est cet ensemble qui constitue l'organe que j'appelle le sensinterne; ce qui en résulte est ce que nous appelons sensations. Cesmêmes mouvemens, ainsi com­muniqués aux muscles moteurs, déterminent lesactions.

Pour bien concevoir ce grandphénomène des sensations, il importe de réfléchir sur la fidélité et lajustesse avec laquelle se propagent et se répètent le son et lalumière; d'observer comment leurs rayons et leurs mouvemens les plusmultipliés et les plus combinés se croisent sans se détruire ni se confondre; ensorte que dans quelque point que se trouve placé l'œil ou l'oreille, cesorganes reçoivent avecexactitude le détail et l'ensemble des effets les plus compliqués.

J'ai dit qu'entre l'éther et lamatière élé­mentaire, il existait des séries de matière qui sesuccèdent en fluidité, et qui, par leur sub­tilité , peuvent pénétrer etremplir tous les interstices.

Parmi ces matières fluides, ilen est une essentiellement correspondante, et en conti­nuité avec celle quianime les nerfs du corps animal, et qui, se trouvant mêlée et con­fondueavec les différens ordres de fluides dont j'ai parlé, doit les accompagner, lespé­nétrer, et conséquemment participer de tous leurs mouvemens particuliers ;elle devient comme le conducteur direct et immédiat de tous les genres demodifications qu'éprou­vent les fluides destinés à faire impression surles sens externes, et tous ces effets appli­qués à la substancemême des nerfs sont ainsi rapportés à l'organe interne des sensa­tions.

On doit concevoir par cet aperçucomment il est possible que tout le système des nerfs devienne œilà l'égard des mouvemens qui représentent les couleurs, les formes, les fi­gures; oreilleà l'égard des mouvemens qui expriment les proportions desoscillations de l'air; et enfin les organes du tact, du goût, de l'odoratpour les mouvemens produits par le contact immédiat des formes, des figures.

C'est encore en réfléchissant sur laténuité et la mobilité de la matière, et l'exacte con­tiguité aveclaquelle elle remplit tout espace, qu'on peut concevoir qu'il n'arrive aucunmouvement ou déplacement dans ses moin­dres parties, qui ne réponde, àun certain degré, à toute l'étendue de l'univers (22).

On en conclura donc que, comme il n'ya ni être ni combinaison de matière, qui, par les rapports souslesquels ils existent avec l'ensemble, n'impriment un effet sur toute lamatière environnante, et sur le milieu dans lequel nous sommes plongés ;il s'ensuit que tout ce qui a une existence peut être senti, et que lescorps animés, se trouvant en con­tact avec toute la nature, ont la facultéd'être sensibles aux êtres comme aux événemens qui se succédent.

Indépendamment des impressions que lesobjets font sur nos sens, en raison de leurs figures et de leurs mouvemens,nous aper­cevons encore la sensation de l'ordre et des proportions quis'y trouvent. Cette sensation est exprimée par différentes dénominations selonles organes qui la reçoivent, tels le beau pour la vue, l'harmonieux pourl'ouïe, le doux pour le goût, le suave pour l'odoratet l'agréable pour le tact. A partir de ces points de comparaison, ilexiste une multi­tude de nuances qui s'éloignent plus ou moins de laperfection.

Nous sommes doués d'une faculté desentir dans l'harmonie universelle, les rapports que les èvènemens etles êtres ont avec notre con­servation. Cette faculté nous estcommune avec les autres animaux, quoique nous en fassions moins usage queceux-ci, parce que nous y substituons ce que nous appelons la raison, quidépend absolument des sens ex­ternes. Nous apercevons de même, par lesens interne, les proportions non-seulement des surfaces, mais encore de leurstructure intime ainsi que de leurs parties constitutives, et nous pouvonssaisir, soit l'accord, soit la dissonance que les substances ontavec notre organisation. Cette faculté est ce que nous devons nommer l'instinct: elle est d'autant plus parfaite, cette faculté, qu'elle est indé­pendantedes sens externes, qui, pour en jouir, ont besoin d'être rectifiés l'unpar l'autre, à cause de la différence de leur mécanisme.

C'est par l'extension ainsi expliquéede l'instinct, que l'homme endormi peut avoir l'intuition des maladies, etdistinguer parmi toutes les substances celles qui conviennent à saconservation et à sa guérison (23).

Je puis expliquer de la mêmemanière un fait qui paraîtra plus étonnant, la communi­cation de lavolonté : en effet cette communi­cation ne peut avoir lieu entre deuxindivi­dus , dans l'état ordinaire , que lorsque le mouvement résultant deleurs pensées, est propagé du centre aux organes de la voix et aux partiesservant à exprimer les signes na­turels ou de convention : ces mouvemenssont alors transmis à l'air ou à l'éther, comme milieuxintermédiaires, pour être reçus et sentis par les organes des sensexternes. Ces mêmes mouvemens ainsi modifiés par la peusée dans lecerveau et dans la substance des nerfs, étant communiqués en même tempsà la série d'un fluide subtil avec lequel cette substance des nerfs esten continuité, peuvent indépendamment et sans le concours de l'air et del'éther, s'étendre à des distances indéfi­nies et se rapporter immédiatementau sens interne d'un autre individu. On concevra par là comment lesvolontés de deux personnes peuvent se communiquer par leurs sens in­ternes :par conséquent, comment il peut exister une réciprocité, un accord, une sortede convention entre deux volontés, ce qu'on peut appeler êtreen rapport.

Il paraît sans doute plus difficiled'expli­quer comment il est possible d'avoir le senti­ment de faits quin'existent pas encore, ou d'autres entre lesquels il s'est écoulé de longsintervalles.

Essayons d'abord de rendre cette idéesen­sible par une comparaison prise dans l'état ordinaire. Placez un homme surune émi­nence d'où il découvre une rivière et un bateau qui ensuit le cours : il aperçoit du même coup d'œil,     l'espace déjà parcouru par ce bateau, et celui qu'il vaparcourir. Étendez cette faible image d'un aperçu du passé et de l'avenir; envous rappelant que l'homme, étant par le sens interne en contact avec toute lanature, se trouve toujours placé de manière à sentirl'enchaînement des causes et des effets, vous comprendrez que voir le passén'est autre chose que sentir la cause par l'effet, et que prévoir l'avenir,c'est sentir l'effet par la cause, quelque distance que nous puissions supposerentre la première cause et le dernier effet.

D'ailleurs tout ce qui a été alaissé des traces quelconques; de même ce qui sera est déjàdéterminé par l'ensemble des causes qui doivent le réaliser : ce qui conduità l'idée que dans l'univers tout est présent, et que le passé etl'avenir ne sont que différentes rela­tions des parties entre elles.

Comme ce genre de sensations ne peuts'acquérir que par la médiation des fluides, qui sont aussi supérieurs ensubtilité à l'éther, que celui-ci peut l'être à l'aircommun; les expressions me manquent autant, que si je voulais expliquer lescouleurs par les sous: ilfaut y suppléer par les réflexions qu'on peut faire sur les pré-sensations constantesdes hommes et surtout des animaux dans les grands événemens de la natureà des distan­ces inaccessibles pour leurs organes apparens; surl'attrait irrésistible des oiseaux et des poissons pour des voyagespériodiques; et enfin sur tous les phénomènes relatifs que nous présentele sommeil critique de l'homme.

Mais pourquoi, dira-t-on, l'état dusommeil de l'homme est-il plus propre que celui de la veille à nousfournir ces exemples ?

Le sommeil naturel et parfait del'homme est l'état où les fonctions des sens sont sus­pendues;c'est-à-dire, où la continuité du sensorium commune avecles organes des sens externes est interrompue : il s'ensuit la ces­sation detoutes les fonctions, qui, médiate­ment ou immédiatement dépendent des sensexternes : comme l'imagination, la mémoire, les mouvemens volontaires desmuscles, des membres, la parole, etc. Lorsque l'homme est en sauté, ce sommeilest régulier et pério­dique.

Mais par une sorte d'irrégularité dansl'économie animale, et par différentes irrita­tions intérieures, il peutarriver que les fonc­tions qu'on nomme animales ne soient pas entièrementarrêtées, et que-certains mouve­mens des muscles, ainsi que l'usagede la parole soient entretenus chez l'homme endor­mi. Dans les deux états dusommeil, les im­pressions des matières ambiantes, ne se font pas sur lesorganes des sens externes, mais directement et immédiatement sur la substan­cemêmes des nerfs. Le sens interne devient ainsi le seul organe dessensations. Ces impres­sions se trouvant indépendantes des sens externes,elles deviennent alors sensibles par cela même qu'elles sont seules. Commela loi immuable des sensations est que la plus forte efface la plus faible,celle-ci peut être sensible dans l'absence d'une plus forte. Sil'impression des étoiles n'est pas sensible à notre vue pendant le jourcomme elle nous l'est pendant la nuit, quoique leur action soit la même,c'est qu'elle est alors effacée par l'im­pression supérieure de la présence dusoleil.

On peut dire que dans l'état de sommeil,l'homme sent ses rapports avec toute la nature. Comme nous ne pourrionsavoir aucune idée des connaissances de l'homme le plus instruit, s'il neparlait ou n'était pas entendu, je conviens qu'il serait difficile de persuaderl'existence de ce phénomène, s'il ne se trou­vait des individus qui,pendant leur sommeil et par l'effet d'une maladie ou d'une crise, conserventla faculté de nous rendre, tant par leurs actions que par leurs expressions, cequi se passe en eux.

Supposons pour un moment un peuplequi, à l'instar de quelques animaux, s'endorme nécessairement au coucherdu soleil, pour ne se réveiller qu'après son retour sur l'horizon: iln'aurait aucune idée du magnifique spectacle de la nuit, et croiraitl'existence des choses bornée aux objets sensibles pendant le jour. Si dans cetétat on apprenait à ce peuple, qu'il existe au milieu de lui des hommesen qui cet ordre habituel a été troublé par des causes de maladies, et quis'étant réveillés pendant la nuit, ont reconnu à des distances infiniesdes corps lumineux innombrables, et pour ainsi dire de nouveaux mondes; on lestraiterait sans doute comme les visionnaires, en raison de la prodigieusedifférence de leurs opinions. Tels sont cependant aujour­d'hui, aux yeux de lamultitude, ceux qui prétendent que dans le sommeil, l'homme a la facultéd'étendre ses sensations.

L'état de crise dont je parle étant intermé­diaireentre la veille et le sommeil parfait, il peut se rapprocher plus ou moinsde l'une ou de l'autre ; il est susceptible par là de divers degrés deperfection. Si cet état est plus près de la veille, il participe alorsde la mémoire et de l'imagination ; il éprouve les effets des sens externes :ces impressions se trouvant ainsi confondues avec celles du sens interne aupoint quelquefois de les dominer, elles ne peuvent être considérées dansce cas que comme des rêveries. Mais lorsque cet état est le plusrapproché du sommeil, les assertions des somnambules étant alors le résultatdes impressions reçues directement par le sens interne àl'exclusion des autres, on peut les regarder comme fondées dans la proportionde ce rapprochement (24).

La perfection dé ce sommeil critiquevarie encore en raison de la marche et du période de la crise, comme aussi parle caractère, le tempérament et les habitudes des sujets ; maissingulièrement par une sorte d'éduca­tion qu'on peut leur donner dans cetétat, et par la manière dont on dirige leurs facultés : on peut lescomparer à cet égard à un téles­cope dont l'effet varie comme lesmoyens de l'ajuster.

Quoique dans l'état du sommeilcritique, la substance des nerfs soit affectée immédia­tement, en sorte quel'homme n'agisse que d'après le sens interne, néanmoins les effets dediverses matières sont rapportés aux or­ganes des sens internes qui leursont particu­lièrement destinés ; ainsi quand le somnam­bule dit qu'ilvoit, ce ne sont pas ses yeux proprement dit qui sentent les modifications del'èther; mais il rapporte à la vue les im­pressionsqui lui représentent les mouvemens de la lumière, telles que les formes,les fi­gures, les couleurs, les situations. Lorsqu'il dit qu'il entend, cen'est pas non plus par les oreilles qu'il reçoit les modulations de l'air; maisil rapporte simplement à l'ouïe ces mou­vemens relatifs dontil éprouve l'impression. Il en est de même des autres organes, et il faitainsi une sorte de traduction pour ex­primer ses idées dans la langue forméepour le sens interne. Il s'en suit que comme il fait toujours usage d'unelangue qu'on peut dire empruntée, il est facile de s'y méprendre, et qu'il fautl'expérience d'un bon observateur pour l'entendre et le bien interpréter.

Je dois dire encore que la perfectionde cette sensation dépend essentiellement de deux conditions : l'une est lasuspension to­tale de l'action des sens externes ; l'autre est la dispositionde l'organe du sens interne.

Lorsque j'ai dit que cet organe consistedans l'union et l'entrelacement des nerfs, je n'ai pas entendu que ce fûtun seul point ou centre unique, ni une région circonscrite, mais bien lesystème nerveux en entier; c'est-à-dire l'ensemble composé detous les points de réunion, tels que le cerveau, la moelle épinière, lesplexus et les ganglions. Ces diffé­rentes parties, à l'égard de leursfonctions, peuvent être considérées, séparément ou dans leur ensemble,comme différens instrumens de musique, dont l'harmonie dépend de leur parfaitaccord, ou être comparées aux effets que produirait à nos yeux uneglace exposée à différentes directions, dont la surface serait plus oumoins polie, terne, enveloppée de vapeurs ou même brisée. Je puis enfin,pour me rapprocher encore plus de la vérité, et donner une juste idée de laperfection du sens interne, considérer tous les points qui le con­stituentcomme étant soumis à la même loi, dépendant les uns des autres, ettendant éga­lement à former un tout bien ordonné ; je puis, dis-je, lescomparer à un liquide dont toutes les parties étant en équilibreparfait, et offrant une surface exactement unie, sont capables de retracerfidèlement tous les ob­jets. Comme il est clair que tout changement danscet équilibre et dans ses proportions doit en altérer les effets ; demême la perfec­tion des sensations est toujours altérée dans la proportion des troubles qui agitentle corps animal dans les maladies et dans les momens de crise.

Il est essentiel de dire ici que tousles genres d'aliénation de l'esprit ne sont que des nuances d'un sommeilimparfait. La folie, par exemple, existe lorsque divers viscères sonttellement obstrués, que leurs fonctions sont suspendues, et qu'ils sont parconséquent réduits à un état soporeux, tandis que les or­ganesnaturels du sommeil sont dans une ac­tion continuelle et irrégulière, etque le som­meil ainsi déplacé occupe les parties affectées par la maladie. Laguéri son peut s'opérer alors par l'action du magnétisme animal ; les obs­tructionset les obstacles, qui s'opposaient à l'harmonie du sensorium commune,seront levés, et ces parties retirées de leur état soporeux, demanière que le sommeil né­cessaire soit pour ainsi dire transporté auxorganes destinés aux fonctions animales et à celles des sens.

On voit combien il est important dedis­tinguer dans les maladies le sommeil symp­tomatique du sommeil critique.

Par une suite de ces explications etde ce que j'ai dit des anciens préjugés, il est aisé d'entrevoir àcombien d'erreurs et d'abus s'ex­posent les observateurs de cet état,lorsqu'ils lui accordent une confiance trop étendue.

Il me reste encore à direpourquoi l'état de somnambulisme est plus fréquent et présente plus deperfection depuis qu'on emploie mes principes : la raison en est que lemagnétisme détermine un mouvement tonique qui pé­nètre toutes lesparties du corps, en vivifie les nerfs, et ranime le jeu de tous les ressortsde la machine. J'ai déjà comparé cette action à celle d'uncourant d'eau ou d'air dirigé sur les parties mobiles d'un moulin : c'est cetteaction qui provoque les crises nécessaires à la guérison de toutes lesmaladies : ces crises participent le plus souvent du sommeil dont j'ai parlé;et comme l'action qui les a pro­duites tend à rétablir l'harmonie danstous les organes et viscères, elle produit aussi néces­sairement l'effetinséparable de perfectionner les sensations, Enfin les facultés del'homme sont manifestées par les effets du magnétisme, comme les propriétés desautres corps sont développées par les procédés du feu gradué employé par la chimie.

Il résulte do ces principes et de cesdéve­loppemens, que les anciennes opinions ne sont pas à dédaigner,parce qu'elles sont asso­ciées à quelques erreurs ; que lesphénomènes du somnambulisme ont été aperçus de tous temps, et dénaturésselon les préjugés du siècle auquel ils appartenaient ; que l'homme atou­jours été imparfaitement connu, surtout dans son état de maladie, et queles facultés ex­traordinaires, qui se manifestent en lui, ne doivent êtreregardées que comme l'extension de ses sensations et de son instinct.

D'après tout ce que je viens defaire con­naître du magnétisme comme agent direct et immédiat sur lesnerfs et sur la fibre muscu­laire , instrumens des sensations et du mou­vementdans le corps animal; d'après les preuves que j'ai établies, que c'estdans l'ac­tion seule de la fibre, animée par ce même agent, que réside lacause générale de la qualité des humeurs, ainsi que de leur circu­lation; quec'est enfin lui, qui, dans tous les cas de maladie, en déterminant des crises salutaires,rectifie les aberrations dans les fluides et dans les solides ; on comprendraque je suis fondé à le considérer comme moyen unique et universelde préserver des maladies, et d'en obtenir la guérison; toute­foislorsqu'elle n'est pas devenue absolument impossible : comme lorsque des partiesdu corps sont désorganisées ou détruites, ou que l'individu malade est privédes ressources essentielles à Faction de la machine et au jeu del'économie animale.

Car quoiqu'on puisse affirmer quel'appli­cation du magnétisme suffit pour opérer la cure de touteespèce de maladies, il serait insensé de prétendre guérir demême tous les individus malades. Il faut donc prendre dans le senspossible ce que j'appelle l'universalité de ce moyen de guérir.

Toute cause physique suppose certainesconditions nécessaires pour que l'effet puisse avoir lieu. Dans les cas dont jeviens de parler, comment réussirait-on s'il existe des obstacles quiempêchent l'action de la cause?

Cette loi de la nature est ce qui rendindis­pensable, pour la pratique du magnétisme, une théorie saine de l'économieanimale, et le secours des lumières que donne l'étude de la médecine(25).

Pourquoi cette découverte annoncée de­puis20 ans, soutenue des épreuves les plus authentiques, défendue par les hommesles plus estimables, par les faits les plus multi­pliés dans toutes les partiesde la France; pourquoi, dis-je, une découverte si impor­tante, par son étendueet si précieuse par ses effets, n'a-t-elle produit qu'une opinion siincertaine? C'est que mes assertions, les pro­cédés et les effets apparens dumagnétisme animal semblaient rappeler d'anciennes opi­nions, d'anciennespratiques justement re­gardées depuis long-temps comme des erreurs et desjongleries. La plupart des hommes consacrés aux sciences et à l'art deguérir n'ont considéré ma découverte que sous ce point de vue : entraînés parces premières impressions, ils ont négligé de l'approfondir. D'autres,excités par des motifs personnels, par l'intérêt de corps, n'ont vouluvoir dans ma personne qu'un adversaire qu'ils devaient abattre. Pour yparvenir, ils ont d'abord em­ployé l'arme si puissante du ridicule, celle nonmoins active et plus odieuse de la ca­lomnie; enfin la publicité immodérée d'unrapport qui sera dans tous les temps un mo­nument peu honorable pour ceux quiont osé le   signer. D'autrespersonnes enfin, et le nombre en estassez grand, convaincues, soit par leur propre expérience, soit par celle d'autrui,se sont exaltées et livrées à de telles exagérations qu'elles ont rendutous les faits incroyables. Il en est résulté pour la multi­tude faible et sansinstruction des illusions et des craintes sans fondement. Voilà quelles ont été jusqu'à présent lessources de l'opi­nion publique contre ma doctrine (26).

Supérieur à tant d'obstacles etde contra­dictions, j'ai cru nécessaire au progrès des sciences, plusencore au succès du magné tisme de publier mes idées surl'organisation et l'influence respective des corps. J'aban­donne volontiers mathéorie à la critique : déclarant que je n'ai ni le tems ni la volontéde répondre. Je n'aurais rien à dire à ceux qui, incapables de mesupposer de la droi­ture et de la générosité, s'attacheraient à mecombattre avec des dispositions purement hostiles, ou sans rien substituer demieux à ce qu'ils voudraient détruire ; et je verrais avec plaisir demeilleurs génies remonter à des principes plus solides, plus lumineux; destalens plus étendus que les miens décou­vrir de nouveaux faits, et rendre, parleurs conceptions et leurs travaux, ma découverte encore plus intéressante : enun mot, je dois désirer que Ton fasse mieux que moi. Il suf­fira toujoursà ma gloire d'avoir pu ouvrir un vaste champ aux calculs de la science,et d'avoir en quelque sorte tracé la route de cette nouvelle carrière.

Déjà fort avancé dans celle dela vie, je veux consacrer ce qui me reste d'existence à la seulepratique d'un moyen que j'ai reconnu éminemment utile à laconservation de mes semblables, afin qu'elle ne soit plus désor­mais exposéeaux chances incalculables des drogues et de leur application (27).

FIN DU MÉMOIRE DE MESMER.



(1) Le docteur Mesmer par unede ces comparaisons heureuses dont il abondait, disait à sesélèves, en par­lant du sommeil magnétique, dont bientôt il va parler,que dans cet état d'un somnambulisme parfait, l'individu chez lequel il étaitdéveloppé, devenait pour le médecin bien instruit du magnétisme animal untélescope ou un microscope avec lequel il pouvait apercevoir toutes, lesindispositions, toutes les maladies et surtout leurs causes et curations,jusque-là obscures , voilées et inappré­ciables.

( Note de l'Éditeur. )

(2) J'entends par ton un modeparticulier et déterminé du mouvement qu'ont entre elles les, particules quiconstituent le fluide.

(3) J'entends par les mots intensionet rémission l'augmentation et la diminution de la propriété ou dela faculté, ce qu'il ne faut pas confondre avec l'intensité, qui exprimel'effet de cette propriété ou faculté même.

(4) Il n'est point inutile ici detracer en peu de mots un aperçu historique sur la jeunesse du docteur Mesmer.Après ses études appelées d'humanité, et parfaitement faites avantl'âge, ordinaire, il se livra à celle de la mé­decine. Élevé àl'école de Van-Swieten et de Haen, dis­ciples du fameux Boerhaave,il ne tarda pas à se frayer une route nouvelle, et ce n'estqu'après avoir long-temps combattu les préjugés, qu'il s'est avancé dansla connais­sance des vrais principes de la nature : éclairé d'un nouveau jour,ses observations lui ont fait sentir le pro­fond système qu'il annonce.
On a dit que Newton eut lapremière idée si savam­ment développée depuis de son système degravitation, en apercevant une pomme tombant de l'arbre. Le doc­teur Mesmer eutla première idée aussi de son système en observant que chaquefois qu'à table ou autrement un domestique ou autres de sa connaissancese pla­çaient derrière lui, par une sensation particulière etsans les apercevoir par la vue, il annonçait que c'était tel ou tel qui luiprocurait cette observation. Né très-sen­sible , et naturellement grandobservateur, c'est de ces premiers effets et de ces premières causesqu'il a tiré et bâti son système, établi sa doctrine, et les a appliquésà la guérison des maladies. Il m'a répété plusieurs fois cette anecdote.

( Note de l'Éditeur. )

(5) Jaloux de transmettre les fruitsde ses expériences ( dit un des disciples du docteur Mesmer) (*), il achoisi la France pour les apprécier et les répandre. La réputa­tion dont ellejouit par ses succès dans les sciences, l'ému­lation qui règneparmi les médecins de la capitale, re­connus universellement pour réunirl'observation au génie et la science à la réflexion : des motifs d'uneestime plus particulière pour les Français, ont fixé ce docteur parminous.
Il a d'abord joui de l'accueilfavorable que la nation a coutume de faire aux étrangers. Son savoir et sa mo­destielui ont gagné des partisans : mais l'envie n'a pas tardé à lui susciterde puissans ennemis. On l'a couvert de mépris et de ridicules; sa fortune, savie même et son nom ont été exposés aux plus grands dangers; il a subi lesort du fameux Galilée poursuivi par le fanatisme de son sièclepour avoir soutenu le mouvement de la terre; on l'a traité de visionnaire commele célèbre Harvey qui en­seignait la circulation du sang ; on l'apersécuté comme Christophe Colomb qui découvrit le nonveau monde; enfin,on l'a joué sur le théâtre comme Socrate pour le faire haïr dupeuple.
La plupart des corps chargés del'instruction publique sont en possession de n'en admettre aucune qui leur soitétrangère, quelqu'avantageuse qu'elle puisse être ; c'est unemarchandise prohibée qu'ils arrêtent aux barrières de leurroyaume.
C'est le sort des grands hommesd'être persécutés.

( Note de l'Éditeur. )

(6) Les médecins instruits et studieuxdoivent savoir que selon Pline c'est Hippocrate qui réunit enscience exacte et d'observations la médecine dispersée, et la ré­duisit en uncorps de doctrine. Chrysippe lui succéda, qui détruisit tout ce qu'ilavait inventé. Érasistrate en fit autant à la doctrine de Chrysippe.Les empiriques vinrent après, qui formèrent une médecinetoute dif­férente, et se divisèrent en plusieurs sectes. Herophile survintqui les condamna toutes, s'attachant à la con­naissance du pouls. Sadoctrine fut ruinée par Asclé­piade, qui en substitua en sa place uneautre plus facile. Themison, son disciple, la changea; et ensuite Musaayant guéri Auguste par une pratique contraire, forgea une méthodetoute nouvelle. Du temps de Messaline, Vertius Valeus en établit uneautre. Sous Néron, Thes­salus renversa avec furie les opinions deses devanciers., et fonda la secte des méthodistes. Crinus de Marceillel'abolit ensuite et introduisit la méthode de régler toutes les opérations dela médecine au mouvement des astres ; boire, manger et dormir à l'heurequ'il plairait à la Lune ou à Mercure. Son autorité fut bientôtapres ruinée par Chavrinus qui condamna toute la médecine des an­ciens(**).
Depuis ces temps reculés, combien devicissitudes effrayantes n'a pas éprouvé la médecine! Tour à tour etsuccessivement ont dominé dans ses moyens, la diète, l'eau, la glace, lasaignée, l'émétique, les purgatifs, le quinquina, la médecine agissante, lamédecine expec­tante, les bains, les eaux minérales, l'électricité, etc.,etc.la doctrine appelée nouvelle enfin les sangsues, le tout pour faireencore place à d'autres.
N'est-ce pas cette incertitude, cettemouvance dans les principes de cette science dans ses moyens variés et opposésdans leur application qui ont alarmé et éclairé dans tous les temps les gensd'un sens droit, beaucoup de médecins, beaucoup d'hommes d'esprit et de savoir! Parmi eux, on doit remarquer Montaigne comme celui qui a le plusprofondément et avec une logique trop gaie, il est vrai, mais plus entraînantecombattu avec plus de succès une science et un art faits pour êtreou devenir les auxiliaires et les consolateurs d'une vie chargée de maux ?N'est-ce pas elle encore qui a fait dire à J. J. Rousseau « quela médecine vienne sans le « médecin, ou le médecin sans la médecine. »
Enfin, pourquoi toutes ces grandesaberrations de la vérité ? C'est qu'on a méconnu et négligé les maximes dugrand Hippocrate, justement appelé le prince de la médecine. C'est quemalgré son autorité, on a méconnu et contrarié la nature, qu'on a dédaigné lasimplicité comme l'énergie de ses ressorts.
Un homme de génie, plein de bonne foiet d'expé­rience, passionné par l'humanité, nous y rappelé à cettenature, il nous la fait toucher, pour ainsi dire, au doigt et àl'œil, c'est un devoir sacré d'étudier sa doctrine.
L'Académie royale de Médecine estappelée à enten­dre , à voir et à faire à cetégard. Sa commission sera, il faut l'espérer, sans préventions; elle jugera :alors elle remplira une partie de ses hautes destinées. Alors, l'art qui afait le moins de progrès et pourtant le plus néces­saire , deviendrale bienfaiteur du genre humain.

( Note de l'Éditeur. )

(7) L'une des plus grandes maladies del'esprit humain est la superstition en tout genre; enfant de la faiblesse et deson ignorance qui croit savoir, elle saisit comme réa­lité tout ce quel'imagination vagabonde lui présente sur des objets qui jusque-là luiétaient inconnus; de là une multitude d'erreurs plus ou moins ridicules,plus ou moins dangereuses, plus ou moins funestes. Et c'est toujours ce quiarrive en toute science quand on n'est point de sang froid, et que l'onméconnaît la nature et la notion exacte de quelques-uns de ses élémens.
Lorsque des sauvages virent pour lapremière fois une lanterne magique, ils crurent que les Européensétaient des démons, des sorciers.
Il en sera toujours ainsi parmi leshommes les plus civilisés lorsqu'un homme de génie leur présentera des faitsnouveaux, quelque simples qu'ils soient, mais ex­traordinaires.
L'étude et la pratique du magnétismeanimal ont déve­loppé des phénomènes inhérens à l'homme età ses rapports avec tout ce qui l'environne; on a douté de leurexistence, parce qu'on ne savait les expliquer; ou bien en les croyant, ons'est perdu dans toutes les espèces de spiritualités. Dès lors,chez quelques-uns de ces indivi­dus , tout est devenu inspirations divines,anges, bons ou mauvais génies, etc. Comme le père Malebranche,ils ont tout vu en Dieu ; dès lors encore :ont nées toutes les sectes,fruits de l'aveugle amour-propre, ou plutôt de l'orgueil. Dès lors,enfin, au sujet du magnétisme animal, ont paru les illuminés, les martinistes,etc., etc.
Certes, Dieu est partout, sans doute,il préside à tous ses ouvrages , il influe directement selon sa volontédivine, sur tels ou tels hommes, sur telles ou telles choses plusparticulièrement : mais en principe général, il a créé la matièreet le mouvement. Il leur a donné le pouvoir de toutes les combinaisonssecondaires visibles et invisibles, par là il entretient l'univers dansune jeu­nesse perpétuelle.
M. le docteur Mesmer et sesélèves instruits ont tout fait pour garantir leurs semblables et surtoutles méde­cins des illusions métaphysiques pareilles, pour arriver par sadoctrine, à une utilité réelle, simple et à la por­tée deshommes, à la vérité; c'est-à-dire aux véritables lois de lanature qui se démontrent elles-mêmes.

( Note de l'Éditeur. )

(8) L'influence mutuelle de tous lescorps quelconques est incontestable. Avec de la sensibilité, et en observantattentivement, on ne tarde pas à s'en convaincre. C'est cette influenceou versement réciproque du fluide uni­versel qui a pris le ton ou le degré demouvement conve­nable dans chaque corps, qui peut servir à expliquerbeaucoup de phénomènes de la nature. La racine de ce mot mêmeporte avec elle son explication.
Les combinaisons métalliques, dans lesein de la terre, les affinités chimiques, les sympathies et les antipathiespeuvent servir à en démontrer et les lois et les effets. Dans lesrègnes de la nature entre les animaux , et leurs substances nutritives,entre hommes et les animaux, entre homme et homme. Par défaut d'attention etd'une certaine étude, on a perdu les traces de la connaissance de cesinfluences qui s'exercent à notre insu , qu'on a nommées aussi instinct.
Une dame ayant une aversionextrême pour les chats, jugeait sans se tromper qu'il y avait un de cesanimaux dans la pièce où elle entrait, ne l'ayant ni vu, niaperçu, ni soupçonné; elle était obligée de sortir ou de faire chasser le chatcrainte de se trouver mal.
Quelqu'un qui aime beaucoup lesanimaux ( non es­sentiellement malfaisans ), ne peut entrer dans un mai­sonsans que le chien ou le chat ne viennent aussitôt le caresser, ce qu'ils nefont point à d'autres.
Un aveugle-né, marié, et ayant unegrande fille, re­fusait obstinément de la donner en mariage à telindividu. L'amant se trouve un jour avec cette fille, le père absent. Cedernier rentre dans un moment inopportun. Le pré­tendu a le temps de se glisserdans un coin peu fréquenté. Le père, sans aucune notion antécédente,assure à sa fille qu'il y a dans la chambre un homme ; il le cherche etle trouve où il est, malgré les dénégations de sa fille. On connaît cetadage ancien : Non amo te, Sabide ; non possum dicere quare, hoctantùm dicere possum : non amo te. Je ne t'aime pas, Sabidus, je nesaurais dire pourquoi, mais tout ce que je puis dire, c'est que je ne t'aimepas, etc., etc.

( Note de l'Éditeur. )

(9) Mémoire sur la découverte dumagnétisme animal, publiée en 1779.

(10) Idem, page 18.

(11) C'est-à-dire le mouvementdes particules entre elles.

(12)) L'air qui passe à traversles tuyaux d'un orgue, en reçoit des vibrations proportionnées à leurgrandeur et à leurs formes : ces vibrations ne deviennent un sonqu'après qu'elles sont propagées et communiquées à un organe del'animal disposé à le recevoir : l'air, dans ce cas, n'est donc que leconducteur du mouvement vers l'ouïe, de même que le mouvement d'unautre fluide plus délié que lui, réfléchi par une surface, y reçoit des vi­brations.. qui, transférées à l'organe de la vue, y déter­minent les sensationsdes formes, des couleurs, lesquelles n'existent certainement ni dans ce fluide,ni dans la surface des corps.

(13) L'intérêt, l'envie , lajalousie se servant de toutes les armes offensives, ont attaqué M. le docteur Mesmerpar la calomnie. Ils l'ont accusé d'athéisme, de maté­rialisme ,dernières ressources de la persécution. Qu'on interroge ses disciplessurvivans , parmi lesquels un grand nombre d'ecclésiastiques respectables detous les degrés de leur hiérarchie, on aura la conviction bien établie ducontraire. Ici, l'on voit sa profession de foi. Et d'ailleurs , commedéjà on l'a dit souvent, un savant véritable est Je plus grand adorateurde la divinité. Je puis attester , pour mon compte, que toujours et dans toutesles occasions, il nous faisait admirer les gran­deurs de Dieu dans la nature ettoutes ses merveilles. Dans ses momens d'intimité familière avecquelques-uns de ses élèves, nous lui avons souvent entendu dire: « Lemeilleur ouvrage que je connaisse sur l'existence de Dieu , est celui de Fénélon.J.-J. Rousseau a dit que : Si ce grand homme revenait parmi lesvivans , il ambi­donnerait la faveur d'être son valet-de-chambre ;et moi celle d'être son médecin pour lui prolonger une vie, si jepouvais, aussi précieuse pour le bonheur du genre humain dans ce monde et dansl'autre. »

( Note de l'Éditeur. )

(14) Je hasarderais ici, àl'occasion de l'irritabilité ou faculté de se raccourcir dans la fibre, etl'irritation ou effet d'une cause irritante quelconque, une opinion que jecrois fondée; c'est celle que, selon un certain degré de cette crispation ouraccourcissement de cette fibre motrice, les diverses nuances de douleursphysiques et morales, s'établissent.
Que dans le relâchement de cette fibres'établissent aussi toutes les nuances de plaisirs, ou cessation de la douleur.Il est cependant nécessaire que pour obtenir cette dernière sensation,la première l'ait précédée.
Peut-être qu'en physiologiecomme en philosophie, la santé, le bonheur ne sont-ils que l'alternatif mesuréde ces deux propriétés, des causes et des effets sur les parties sensibles.
Le repos est la suite, comme lesommeil, de la fatigue et du travail, mais n'est pas une sensation directe duplaisir; c'est seulement la cessation de son contraire; mais n'est ni douleur,ni plaisir. Entre ces deux états opposés repose l'ennui, etc.
Toutes nos fonctions réclament pourexister, ces con­traires balancés :
« Il faut passer par les peines
Pour arriver au plaisir. »
Ce balancement   continuel est nécessairement vital.
L'une de ces sensations restantstationnaire un peu de temps, le plaisir disparaît. Dans cette situation , iln'y a pas pour long-temps aussi ni santé, ni maladie, ni plai­sir, ni bonheur :on végète pour seule existence.

( Note de l'Éditeur. )

(15) J'entends par ton ou mouvementtonique, le genre ou mode spécial du mouvement qu'ont les particules d'unfluide entre elles ; ainsi à l'égard des particules de quelques fluides,le mouvement est ondulatoire ou oscillatoire; dans d'autres il est vibratoire,de rota­tion, etc.

(16) Parmi tous les corps susceptiblesde recevoir et concentrer le fluide du magnétisme animal et d'en com­muniquerutilement les effets, les arbres, selon moi, tiennent le premier rang.
Lorsqu'on voudra sérieusements'occuper du magné­tisme animal, et qu'avant tout on aura puisé dans cettedécouverte et à la source, les véritables principes, procédés etdirections   utiles,    on verra   combien les arbres qui auront reçu l'impression et la nature dumagnétisme animal, sont supérieurs a tous les autres moyens de transmissions.
Je puis attester que les effets quirésultent de leur com­munication sont aussi doux qu'aperçus; aussi rapidementsalutaires que faciles.

( Note de l'Éditeur. )

(17) La plupart des hommes veulentêtre touchés avec force, pour croire à une cause et à soneffet réel, par une sensation bien établie.
Beaucoup de savans, quelques médecinssurtout, cèdent à ce désir peur avoir la convictioncomplète de l'efficacité et de l'existence d'un moyen nouveau pour euxet inaccoutumé.
La prévention les aveugle au point queces derniers ne s'aperçoivent pas qu'ils sont a cet égard en contra­dictionavec eux-mêmes tous les jours dans la théorie et dans la pratique de lamédecine ordinaire. Ils veulent à l'égard du magnétisme animal, comme ledit plaisam­ment un homme célèbre (***), ils veulent de la part desmédecins magnétiseurs , des coups de massue; tandis que continuellementils emploient eux-mêmes un ré­gime gradué et insensible, desremèdes appropriés aux maladies chroniques, principalement, les bainssimples ou de différentes eaux minérales, l'électricité par bains, l'aimantminéral, l'exercice, les applications douces, aqueuses, anodines, diversmédicamens pris intérieure­ment , etc. Ces moyens agissant très -efficacement réta­blissent la santé sans laisser apercevoir les traces et lessensations de leurs actions autrement que par les ré­sultats, la bonne santéqui en sont la suite.
Dans ces circonstances, serait-on bienreçu de soute­nir à un médecin sage, qu'il ne doit pas s'attribuer lemérite de la guérison , ni en arguer des bienfaits de la médecine; que c'est lanature, la confiance, qui ont opéré la cure ?
Sans doute les passionsprospères et suaves doivent entrer et être comptées comme élémensdans tous les moyens de la thérapeutique; mais n'est-ce pas ce méde­cin qui aconçu, dirigé et conduit les ressources de la science et de la nature réunies?Elles ont mis fin à la maladie, à moins qu'on ne voulûtdire dans tous les cas semblables, comme Ambroise Paré : Je le pansai, etDieu le guarit; ce qui est bien plus convenable.
Ainsi agit le fluide magnétique.Toutefois cependant avec diverses sensations exprimées par les malades. Sansdoute, dans aucun cas il ne produit les douleurs occa­sionnées par lescautères, les épispastiques, les sinapismes, les sangsues, etc., mais ilagit réellement dans toutes les occasions utiles. Il prépare et effectue descrises. Dans l'état du sommeil magnétique, ces effets ni grossiers, ni aperçuspar la multitude, sont sentis, décrits dans leurs marches et annoncésinstantanément à la minute par ces malades, et quelquefois plusieursjours d'avance. Alors ces effets sont aperçus par l'intelligence la plusprévenue qui les attribue souvent à l'imagination, ne sachant et nepouvant en expliquer la nature, ni le mécanisme, ni le mouvement. Les effetsseuls étant à la portée de nos connaissances.

( Note de l'Éditeur. )

(18) Cette observation est d'unegrande importance. Elle doit arrêter, dans leur empressement et dans leurprésomption, beaucoup de soi-disant médecins-magné­tiseurs qui, enchantésd'avoir obtenu le somnambulisme ou sommeil magnétique par des procédés bien oumal pratiqués et au hasard, repoussent toute représentation, et établissentdogmatiquement qu'ils n'ont pas besoin d'autres instructions que celles donnéespar les individus assujétis à ce sommeil plus ou moins critique.

( Note de l'Éditeur. )

(19) Ces explications de M. le docteurMesmer sont si justes, si avouées par l'expérience, que j'ai vu deshommes distingués offrir de grosses sommes pour leur céder deux ou trois foisun individu en sommeil ma­gnétique pour lâcher de découvrir, par son moyen,l'endroit où avait été déposé un vol de cinq cent mille francs,   produits d'une recette générale. Notre refusobstiné prenait sa source et sa justification dans l'abus qu'on pouvait fairedu somnambulisme.
C'est un grand mal, dira-t-onpeut-être, que la facilité de pouvoir abuser de cet état. On aura raison;mais quelle est la profession dont on ne puisse se servir dans ce sens ? Lamédecine doit être rangée en première ligne dans cette filiationd'abus. On abuse de tout, de la vérité même; et voilà pourquoi M.le docteur Mesmer exigeait dans ses disciples une grande moralité, etque sa doctrine ne devait être d'abord confiée qu'à un petitnombre choisi jusqu'à ce que l'administration publique, suffisam­mentéclairée, eût établi des lois relatives, également utiles àl'humanité et répressives.

( Note de l'Éditeur. )

(20) J'en étais là, lorsqu'on m'aprocuré la lecture de l'ouvrage de M. Deleuze sur le magnétisme animal. Dans lapremière partie j'ai fait la remarque que cet auteur recommandablesuppose trop gratuitement que ceux qui magnétisent dans ce moment connaissentbien le sys­tème , la doctrine et les procédés magnétiques de M. ledocteur Mesmer. A cet égard, je le crois dans l'erreur.
En toute science annoncée et démontréeutile, il faut, pour en cueillir les fruits et réussir dans leur emploi, re­monterau type qui en a enfanté toute la génération, aux véritables principes de celuiqui les a fait connaître. II faut en conséquence un ordre rigoureux dans leurétude, une méthode sévère et exacte, une synthèse, avantagesqu'on ne doit chercher et qu'on ne peut trouver que chez l'auteur ou chez lesdisciples de la découverte.
Je sais qu'en tout on peut faire denouvelles acquisi­tions, réussir à les améliorer; mais trop souventaussi on croit faire mieux que le maître : l'amour-propre, l'ambi­tion,l'orgueil même, viennent se mêler aux recherches; de là sontnés les schismes, les opinions divergentes ou opposées, des erreurs souventdangereuses ou funestes.
D'une autre part, M. Deleuze établittrois écoles magnétiques, il est vrai qu'il les fait se réunir dans leurseffets. J'observerai pourtant qu'en voulant ainsi diviser la science et sonapplication en domaines divers, on crée cette division, on l'affermit chez lesesprits inattentifs et légers qui sont en plus grand nombre que les autres, cequi est un grand inconvénient dans l'étude et la pratique, ce qui rentre dansmes premières remarques.
Appuyons-nous toujours, étantprofesseurs, sur les premières et véritables bases, et ne cherchonsà dé­montrer que les vrais principes; ensuite que chaque médecinmagnétiseur, instruit de cette manière, ne les abandonne point, et fasseà lui seul, comme dans la médecine ordinaire, s'il le croit nécessaire,sa théorie et sa pratique particulières. Tout ceci n'est point unecritique, ce sont de simples remarques.
Depuis quarante ans, les procédésm'ont été démon­trés parties constituantes et bien essentielles de la doc­trineet pratique magnétiques. Je ne parle point de cette école appuyée sur diversgenres de spiritualisme.
Peut-être dois-je remarquerencore dans le livre de M. Deleuze un peu d'inconvenance de détailler quel­ques-unsdes procédés magnétiques les plus communs et les plus à la portée detout le monde. Le vulgaire, très-assurément, peut en abuser comme il aété fait dans la médecine ordinaire, en mettant en toutes mains, et aux abordsde toute intelligence, des maximes et de cer­taines recettes. L'ignorance, lecharlatanisme, la cupidite les exploitent contre l'intérêt de l'utilitépublique et de la vérité.
Ces procédés, d'ailleurs, pris etdécrits isolément, peuvent tenter tels auteurs qui, vivant de bonnes ou demauvaises plaisanteries, en feront métier et mar­chandise. En toute profession,il y a des formes qu'on peut présenter à la défaveur du fond. En Francesur­tout, ne donnons jamais lieu , autant que faire se pourra, à fairesaisir un côté qui peut être montré avec ridicule, pour le rendre pluspiquant et plus lucra­tif: ces auteurs ne manqueront pas d'y joindre une bonneteinte de calomnie ; car, comme l'assure un adage : Il faut toujours (pouratteindre ce dernier but) en venir là. Il en reste toujoursquelque chose.
Au reste, je dois dire que cetestimable auteur explique parfaitement la marche et les fausses routes queprend le jugement dans la crédulité aveugle, dans l'esprit de corps, dansl'enthousiasme, au sujet des effets magnétiques, des procédés du somnambulisme.Il pré­sente avec sagesse toutes les circonstances qui les font naître ou quiles développent. Cette partie philosophique et critique est tracée de main demaître : on y voit un observateur sévère, décent, de sang-froid, marchantsur les pas du doute, faisant une part nécessaire aux erreurs naturelles et lesdétruisant avec les armes tou­jours victorieuses de la dialectique, de laraison , et surtout de l'expérience. Par d'heureux contrastes amenésd'eux-mêmes, pour ainsi dire, il fait ressortir la vérité.
Je conseille aux hommes sensibles,honnêtes et de bonne foi qui cherchent réellement à s'instruire,à être utiles à leurs semblables par le magnétisme , delire cet ouvrage. M. Deleuze n'a donné de courtes notices, que de peu d'écritssur un tel sujet. Ils ne forment pas la 4e partie d'autres bonsouvrages sur le magnétisme , dont je suis en possession.

( Note de l'Éditeur. )

(21) L'opinion du plein et du videcompte parmi ses partisans divers des hommes du plus haut mérite. Cha­cun deces systèmes, comme tous les systèmes, a eu d'ha­bilesdéfenseurs. M. le docteur Mesmer me paraît avoir pour lui les véritésphysiques, l'expérience et les vraisem­blances. Comment concevoir et expliqueren effet des phénomènes sans cesse sous nos yeux, sans admettre unesérie de matières subtiles comme cause agissante dans cesphénomènes?
Les variations du baromètre ,toutes les influences dont les agens se sentent, mais invisibles;l'électricité, le magnétisme minéral, le galvanisme ; l'air, les émana­tions;la divisibilité infinie de la matière exprimée par l'exhalaison d'ungrain de musc se conservant pendant une longue suite d'années dans unappartement ou un espace donné; celle d'une violette ou d'une rosé éloignéedont l'odeur se laisse apercevoir chez un individu sen­sible, etc., etc.,prouvent qu'on doit admettre une im­mense gradation de matière subtileet universelle.
Sans doute M. de Foliaire qui,le premier en France, nous a fait connaître le newtonisme, et qui admetle vide dans la nature, n'avait point assez observé à cet égard. Encherchant à faire le vide avec une machine, il lui eût étédémontré qu'à proportion qu'on tente de faire ce vide une autrematière vient aussitôt le remplir même à travers une plaqued'or, et fût-elle de diamant, ce qui démontre la continuité dematières.
Certainement, nous ne voyons au-dessusdes nuages ni rochers, ni substances plus ou moins opaques; mais unematière plus ou moins subtile y exerce ses fonctions et remplit sadestination, et si elle n'y existait pas, comme ce grand écrivain l'a dit ausujet de la divinité, il faudrait l'inventer.
D'ailleurs, en fait de système,si ce n'en est qu'un, il est le plus vraisemblable de tous. Rappelons-nous sanscesse de ce qu'a dit d'Alembert (****) : « Pour prouver qu'une choseest, dit-il, il suffit de démontrer qu'elle peut être; car, en bonnephilosophie, toute déduction qui a pour base des faits ou des vérités reconnus,est préférable à ce qui n'est appuyé que sur des hypothèsesmêmes ingénieuses. »

( Note de l'Éditeur. )

(22) Une comparaison, quelquegrossière qu'elle soit, relativement à ce que dit ici M. ledocteur Mesmer, peut néanmoins donner une juste idée de l'effet dudéplace­ment de la matière, et du mouvement communiqué à unegrande distance.
Jetez une pierre au milieu d'unepièce d'eau d'une étendue donnée, mais assez grande, le déplacement desparticules de l'eau par la chute de la pierre. commu­nique un mouvementcirculaire autour de l'endroit fixe de ce déplacement; il s'étend, il s'éloigneen s'affaiblis­sant, et si le sens de notre vue était plus exquis, nousapercevrions encore ce mouvement communiqué à une distanceincommensurable.

( Note de l'Éditeur. )

(23) C'est ici que commence unesérie de faits, appelés merveilleux, quoiqu'ils soient naturels, et confirmenttoute la profondeur et la clarté de la théorie de M. le docteur Mesmer sursa découverte du magnétisme animal.
Cette théorie a donné lieu àces faits, et ces faits eux-mêmes ont fortifié, agrandi cette théorie eten ont prouvé l'étonnante justesse et la fécondité. Les observations àcet égard, faites et recueillies par M. le docteur Mesmer et sesvéritables élèves, sont nombreuses, quelques-unes in­croyables pour ceuxqui ne veulent pas convenir à quel degré d'ignorance la plupart des hommes,des savans même, sont encore sur l'existence de beaucoup d'autresphénomènes de la nature, jusqu'ici inexpliqués. Ce n'est dans ce moment,ni le lieu, ni le temps de développer les premiers.

( Note de l'Éditeur. )

(24) Ce développement, ces distinctionsdes sommeils magnétiques, n'étant pas faits par ceux qui se mêlent sansprincipes certains de développer cet état, ils donnent lieu à unemultitude d'erreurs, et les engagent de plus en plus dans des routes obscures,périlleuses, et croient pourtant être dans la bonne voie.

( Note de l'Éditeur. )

(25) On ne peut douter que sansêtre médecin de profession, un homme moral, instruit en physique, ne soittrès-capable d'être instruit dans la doctrine du magnétismeanimal, et ne puisse être très - utile par elle : les faits ontprouvé cette assertion d'une manière certaine.
Mais il faut convenir aussi qu'unmédecin avec ces premiers avantages, et ayant toutes les notions conve­nablessur la physiologie, sur la marche des maladies; mais voulant sans prévention,ni esprit de parti, ou de de corps, voir, examiner, étudier à ce sujet,ne soit bien plus apte à remplir cette honorable mission.

( Note de l'Éditeur. )

(26) Empruntons, pour jeter plus dejour sur ce sujet, une pensée de M. l'abbé Trublet (*****) : elle rendraà cet égard la mienne propre beaucoup plus lucide que je pourrais lefaire moi-même.
«La première impression quenous recevons des choses, dit-il, est souvent la plus sage et la plus juste,parce qu'elle est moins altérée par le préjugé ou par la pas­ sion. A lapremière vue d'un objet, c'est l'objet seul qui nous frappe : il occupel'âme tout entière. Mais quand on vient à le considérer avecréflexion, alors le préjugé et la passion se mettent de la partie. On fait desefforts, même sans s'apercevoir qu'on en fait, pour voir les choses commeon a intérêt et envie de les voir, et l'on y réussit; c'est ainsi qu'ilarrive quelquefois qu'en examinant, on voit moins bien.
L'examen n'est utile que lorsqu'on lefait non-seulement de bonne foi, mais encore avec défiance des motifspersonnels qui pourraient nous incliner d'un côté ou d'un autre. Sans cela ilne sert qu'à nous écarter de plus en plus de la vérité qui s'étaitprésentée d'abord, et qui, forte de sa nouveauté et nous prenant au dépourvu,avait fait sur nous une vive impression. L'examen pour être plus lent etplus raisonné, n'en est quelquefois que plus susceptible de la séduction despassions et des préjugés; s'il ne détruit pas ces préju­gés, il les affermit;ensorte que ce qui devait être le remède du mal, y met le comble,et le rend souvent incurable. »
Ces réflexions, aussi lumineuses queprofondes, je ne crains point de le dire, sont en tout point applicablesà l'esprit qui a dirigé la plupart des commissaires, nom­més il y aquarante ans pour porter un jugement sur la découverte de M. le docteur Mesmer.Il est donc vrai que les préjugés vrais ou faux ont encore plus de pou­voirsur l'esprit de la plupart des hommes, que les passions mêmes.

( Note de l'Éditeur. )

(27) Je ne saurais mieux terminer cesnotes que par les considérations suivantes : Plus une doctrine, plus lesystème qui l'a produite deviennent importons par leurs promesses et lesfaits annoncés, plus aussi il me paraît nécessaire de reproduire de temps entemps à ce sujet quelques maximes philosophiques faites pour guider ceuxqui les ont adoptées; pour éclairer ceux qui en nient l'utilité, ou ceux qui debonne foi se retranchent dans le doute.
Le système et la doctrine dumagnétisme animal ont éprouvé ces chances, ces vicissitudes; ils réclament doncl'application de ces vérités que je viens d'a­vancer. Je les puise encore cesvérités dans les écrits de M. l'abbé Trublet (******). Qu'on me permettede les pro­duire encore :
« On a beau, dit-il, dire auxphilosophes : Attachez-vous à bien voir la nature plutôt que dechercher à la deviner. Ils ne feront jamais l'un sans l'autre, etc'est leur commander l'impossible, c'est leur dire de voir stupidement. Il estimpossible à un homme de beaucoup d'esprit d'observer et de voir sanspenser et sans raisonner sur ce qu'il voit et ce qu'il observe. Or,voilà les systèmes : on en fait malgré soi, et dans unetète pensante, ils sont une suite nécessaire des expériences et desobservations ; tout grand esprit est un esprit systématique : mais tout grandesprit n'est pas un bon esprit. Voilà pourquoi il y a eu et il y auratoujours beaucoup de systèmes, peu de bien faits, encore moins debons...
Les philosophes futurs pourront seflatter de mieux réussir que leurs prédécesseurs, parce qu'ils auront plus desecours. Les systèmes doivent se multiplier avec les découvertes qui enfont les matériaux; plus on connaîtra d'effets d'une même cause, moins ilsera difficile de parvenir à connaître cette cause ; un nouvel effetconnu a quelquefois expliqué beaucoup d'autres effets jusque làinexpliquables.
Après tout ce qu'il faut ducôté de l'esprit et des connaissances pour faire un bon système,il y a encore une chose importante à recommander, c'est la bonne foi. »
M. le docteur Mesmer aconvaincu ses nombreux dis­ciples qu'il connaissait et avait su apprécier etmettre en. usage ces vérités, et que surtout il avait éminemment ladernière qualité jusqu'à son dernier soupir.

( Note de l'Éditeur. )


(*) Le père Hervier, docteur de Sorbonne,bibliothécaire des Grands-Augustins, etc., Lettre sur la Découverte deMagnétisme animal à M. Court de Gebelin, pag. 17.

(**) Dictionnaire Encyclop. desÀna, in-4°, pag. 540 et suiv.

(***) M. Serran, ancien avocat général duparlement de Grenoble.

(****) Discours préliminaire del'Encyclopédie , in-folio.

(*****) Pensées sur la philosophie,les sciences, les opinions, les systèmes,etc. Ext. du Merc. de France,mai 1762, pag. 32-33.

(******) Extr. du Mercure de France,mai 1762, pag. 4 a et suiv.

Provided Online by http://www.neurolinguistic.com

Back to Index